Pages

mercredi 24 juin 2015

Le CCNE, la fin de vie et la laïcité

Les religieux ont-ils  leur place au CCNE ? Le débat sur la fin de vie
Le rapport du  CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) sur la fin de vie, riche en informations et  en interrogations, est un élément utile pour le débat public. Il reflète les opinions divergentes qui se sont exprimées au sein du Conseil.  Reste que ce qui s’y passe semble en décalage important avec ce que souhaite la société, et que cela pose problème ; d’autant que le législateur semble vouloir davantage écouter un Comité d’Ethique où pèsent les voix de représentant des religions théocratiques que celles des citoyens d’une société laïque.
Ainsi, s’il y a accord général sur « le scandale que constitue, depuis 15 ans, le non accès aux droits reconnus par la loi, et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens »,  le CCNE se montre pour le moins  timide et partagé  sur la sédation profonde lorsqu’elle peut accélérer la mort : « il existe une différence essentielle entre, d’une part, administrer un produit létal à une personne qui ne va pas mourir à court-terme si cette administration n’est pas faite, et, d’autre part, permettre d’accélérer la survenue de la mort en arrêtant, à la demande de la personne, les traitements qu’elle juge déraisonnables ».
Le divorce avec l’opinion publique est encore plus large en ce qui concerne le suicide assisté et l’euthanasie. Le rapport décrit bien les expériences étrangère (la Belgique a légalisé l’euthanasie, la Suisse, et les Etats de l’Oregon, de Washington, du Montana et du Vermont ont dépénalisé l’assistance au suicide (avec des modalités différentes ; la Suisse permet   l’assistance à la réalisation effective du suicide : la personne fixe la date ; si elle décide de surseoir, le caractère ferme de sa volonté sera remis en cause.  Aux USA (Vermont, Oregon, Washington, Montana), les personnes atteintes d’une maladie évaluée comme incurable peuvent obtenir la prescription par un médecin d’un produit létal et l’utiliser à leur souhait; les Pays-Bas et le Luxembourg ont dépénalisé les deux pratiques). Après la Commission Sicard,  le CCNE note que « les expériences étrangères, dans leur diversité, ont suscité une bonne adhésion populaire, n’ont pas conduit à une destruction du système de santé, à des  hécatombes de citoyens ou à la réalité de la pente glissante, au moins visible ». Néanmoins, il s’affirme dans sa majorité hostile à la dépénalisation et a fortiori à la légalisation. Nous sommes loin des demandes des citoyens français reflétées par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) : « Les Français, favorables à plus de 90% à cette loi de liberté (Ifop pour Pèlerin Magazine), les médecins, favorables à 60% à cette loi de liberté (Ipsos pour le Conseil national de l’Ordre des médecins), attendent d’avoir enfin le droit, comme l’ont nos amis Néerlandais depuis 2001, Belges depuis 2002 et Luxembourgeois depuis 2009, en conscience et librement, de choisir les conditions de leur propre fin de vie. »
Le fait que les Comités d’Ethique soient systématiquement en retrait sur les demandes des citoyens pose problème, et ceci étant lié, comme l’a relevé récemment Michel Onfray dans Marianne (24/11/2014), pose aussi le problème de la présence dans ces comités de représentants des autorités théologiques. Il existe en effet d’excellentes raison pour que des représentants des églises ne figurent pas dans les Comités d’Ethique :
La France est une république laïque, ce qui selon la définition simple des positivistes, signifie que Dieu n’est plus d’ordre public, il est (éventuellement) d’ordre privé.
En quoi les religions disposent-elles d’une compétence particulière dans le domaine de l’éthique ?  En dehors de prescriptions communes à toute l’Humanité, et qui sont des créations de celle-ci, elles se sont surtout distinguées par le savant usage de prescriptions pour le moins pénibles, destinées surtout à entretenir un sentiment de culpabilité fort utile à l’institution ecclésiale.
Même dans leur vie privée, il y a longtemps que les Français se sont affranchis, dans leur grande majorité, de toute tutelle ecclésiastique – et heureusement en ce qui concerne, par exemple, l’utilisation du préservatif. La morale n’est plus divine, elle est humaine, la menace de la sanction divine n’opère plus, et l’on peut d’ailleurs trouver que cette absence  de sanction divine constitue à la fois la réalité et la noblesse de la morale moderne.
Pour qu’un débat utile et loyal soit possible, il faut que les membres d’un Comité d’éthique soient prêts à changer d’avis, à se rendre aux arguments des autres. Pour reprendre une idée de John Rawls, il faudrait qu’ils soient capables de se placer derrière un « voile d’ignorance » derrière lequel ils ignoreraient tout de leur situation familiale, sociale, de leurs convictions religieuses. C’est évidemment impossible à des représentants officiels d’une religion. Il faudrait de plus qu’ils jouissent d’une liberté temporelle ; or le fait pour le représentant d’une religion d’adopter un point de vue contraire aux dogmes de son église peut avoir des conséquences désagréables.
N’oublions pas qu’en avril 2014, le Dr. Kariger le médecin de Vincent Lambert, tétraplégique en état végétatif depuis six ans, a démissionné, découragé, entres autres, par les insultes et menaces qu’il recevait depuis qu’il s’était  déclaré en faveur d’interrompre sa vie artificielle. On ne peut siéger dans un Comité d’Ethique sans désavouer clairement de telles pratiques
Nous sommes dans un pays où certains pensent que laisser un patient mourir de faim ou de soif pendant une longue agonie est une pratique civilisée et éthique ; où la liberté de choisir sa mort est déniée.
Mon corps m’appartient, ma mort aussi m’appartient. Et il est assez clair que le XXIème siècle ne sera pas théologique, ou restera barbare.
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaires

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.