Les
religieux ont-ils leur place au CCNE ?
Le débat sur la fin de vie
Le rapport du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) sur la fin de vie, riche en informations
et en interrogations, est un élément
utile pour le débat public. Il reflète les opinions divergentes qui se
sont exprimées au sein du Conseil. Reste
que ce qui s’y passe semble en décalage important avec ce que souhaite la société,
et que cela pose problème ; d’autant que le législateur semble vouloir
davantage écouter un Comité d’Ethique où pèsent les voix de représentant des
religions théocratiques que celles des citoyens d’une société laïque.
Ainsi, s’il y a accord
général sur « le scandale que constitue, depuis
15 ans, le non accès aux droits reconnus par la loi, et la fin de vie
insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens », le CCNE se montre pour le moins timide et partagé sur la sédation profonde lorsqu’elle peut
accélérer la mort : « il
existe une différence essentielle entre, d’une part, administrer un produit
létal à une personne qui ne va pas mourir à court-terme si cette administration
n’est pas faite, et, d’autre part, permettre d’accélérer la survenue de la mort
en arrêtant, à la demande de la personne, les traitements qu’elle juge
déraisonnables ».
Le
divorce avec l’opinion publique est encore plus large en ce qui concerne le
suicide assisté et l’euthanasie. Le rapport décrit bien les expériences
étrangère (la Belgique a légalisé l’euthanasie, la Suisse, et les
Etats de l’Oregon, de Washington, du Montana et du Vermont ont dépénalisé
l’assistance au suicide (avec des modalités différentes ; la Suisse
permet l’assistance à la réalisation
effective du suicide : la personne fixe la date ; si elle décide de surseoir,
le caractère ferme de sa volonté sera remis en cause. Aux USA (Vermont, Oregon, Washington, Montana),
les personnes atteintes d’une maladie évaluée comme incurable peuvent obtenir
la prescription par un médecin d’un produit létal et l’utiliser à leur souhait;
les Pays-Bas et le Luxembourg ont dépénalisé les deux pratiques). Après la
Commission Sicard, le CCNE note que «
les expériences étrangères, dans leur diversité, ont suscité une bonne adhésion
populaire, n’ont pas conduit à une destruction du système de santé, à des hécatombes de citoyens ou à la réalité de la
pente glissante, au moins visible ». Néanmoins, il s’affirme dans sa majorité
hostile à la dépénalisation et a fortiori
à la légalisation. Nous sommes loin des demandes des citoyens français
reflétées par l’Association pour le droit
de mourir dans la dignité (ADMD) : « Les Français, favorables à plus de
90% à cette loi de liberté (Ifop pour Pèlerin Magazine), les médecins,
favorables à 60% à cette loi de liberté (Ipsos pour le Conseil national de
l’Ordre des médecins), attendent d’avoir enfin le droit, comme l’ont nos amis
Néerlandais depuis 2001, Belges depuis 2002 et Luxembourgeois depuis 2009, en
conscience et librement, de choisir les conditions de leur propre fin de vie. »
Le
fait que les Comités d’Ethique soient systématiquement en retrait sur les
demandes des citoyens pose problème, et ceci étant lié, comme l’a relevé
récemment Michel Onfray dans Marianne (24/11/2014), pose aussi le
problème de la présence dans ces comités de représentants des autorités
théologiques. Il existe en effet d’excellentes raison pour que des
représentants des églises ne figurent pas dans les Comités d’Ethique :
La
France est une république laïque, ce qui selon la définition simple des
positivistes, signifie que Dieu n’est plus d’ordre public, il est (éventuellement)
d’ordre privé.
En
quoi les religions disposent-elles d’une compétence particulière dans le
domaine de l’éthique ? En dehors de
prescriptions communes à toute l’Humanité, et qui sont des créations de
celle-ci, elles se sont surtout distinguées par le savant usage de
prescriptions pour le moins pénibles, destinées surtout à entretenir un
sentiment de culpabilité fort utile à l’institution ecclésiale.
Même
dans leur vie privée, il y a longtemps que les Français se sont affranchis,
dans leur grande majorité, de toute tutelle ecclésiastique – et heureusement en
ce qui concerne, par exemple, l’utilisation du préservatif. La morale n’est
plus divine, elle est humaine, la menace de la sanction divine n’opère plus, et
l’on peut d’ailleurs trouver que cette absence
de sanction divine constitue à la fois la réalité et la
noblesse de la morale moderne.
Pour
qu’un débat utile et loyal soit possible, il faut que les membres d’un Comité
d’éthique soient prêts à changer d’avis, à se rendre aux arguments des autres.
Pour reprendre une idée de John Rawls, il faudrait qu’ils soient capables de se
placer derrière un « voile d’ignorance » derrière lequel ils
ignoreraient tout de leur situation familiale, sociale, de leurs convictions
religieuses. C’est évidemment impossible à des représentants officiels d’une
religion. Il faudrait de plus qu’ils jouissent d’une liberté temporelle ; or le
fait pour le représentant d’une religion d’adopter un point de vue contraire
aux dogmes de son église peut avoir des conséquences désagréables.
N’oublions
pas qu’en avril 2014, le Dr. Kariger le médecin de Vincent Lambert,
tétraplégique en état végétatif depuis six ans, a démissionné, découragé,
entres autres, par les insultes et menaces qu’il recevait depuis qu’il
s’était déclaré en faveur d’interrompre
sa vie artificielle. On ne peut siéger dans un Comité d’Ethique sans désavouer
clairement de telles pratiques
Nous
sommes dans un pays où certains pensent que laisser un patient mourir de faim
ou de soif pendant une longue agonie est une pratique civilisée et
éthique ; où la liberté de choisir sa mort est déniée.
Mon
corps m’appartient, ma mort aussi m’appartient. Et il est assez clair que le
XXIème siècle ne sera pas théologique, ou restera barbare.
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