Dans un premier billet, j’ai
commencé à expliquer à quel point les progrès de la génétique et de la
médecine, en particulier en ce qui concerne le décryptage du génome et la
prédiction des maladies ou des réponses aux médicaments devraient sérieusement
secouer les membres du Comité d’éthique, tant, d’abord, ils proposent de nouvelles solutions pour de
meilleures vies, ensuite, posent de
nouveaux défis, qui doivent être traités dans une société qui semble assez
divisée, un contexte législatif souvent absurde voire révoltant quant à ce que
la loi autorise ou interdit, de fortes injustices selon le degré de savoir, les
moyens financiers, les relations sociales ,un comité d’éthique systématiquement
en retard sur les demandes de la société. Ci-joint, dans ce deuxième billet, d’autres exemples assez
décoiffants.
Les Bébés à trois ADN
Les mitochondries sont les
« centrales énergétiques » des cellules ; elles disposent de
leur propre ADN, qui n’est transmis que par la mère. Les signes les plus
fréquents d'une maladie mitochondriale sont un une myopathie ou une
fatigabilité musculaire excessive, une cardiomyopathie, une diminution de la
vision et de l'audition, et souvent aussi des signes neurologiques
graves : encéphalopathie, épilepsie, la démence, ataxie… Elles frappent
environ un nouveau-né sur 6500
En février 2015, le Parlement
britannique a autorisé la fécondation in vitro avec remplacement mitochondrial.
Lorsqu’une femme est à risque de transmettre une maladie mitochondriale, on
peut lui proposer une fécondation in vitro, avec des ovocytes maternels dont seul le noyau a
été gardé, l’ovocyte d’une donneuse, séparé de son noyau et contenant des
mitochondries saines, et le sperme de son mari ou compagnon. L’enfant qui naitra
nait ainsi de trois parents, de trois ADN différents. David Cameron, qui a vu mourir à
six ans un de ses enfants handicapés, a
commenté ainsi le vote : « Si la science peut aider (…), nous devons
nous assurer que ces traitements sont disponibles» ; et, pour sa ministre de la
santé, c'est «la lumière au bout d'un noir tunnel». Ce traitement n’est pas
autorisé en France. Ethique au-delà du Channel, interdit en deçà, lumière
au-delà, obscurité en deçà !
Manipulation génétique sur l’embryon humain
En avril 2015, une équipe
chinoise a publié la première tentative
de thérapie génique sur un embryon humain. Il s’agissait d’embryons présentant une
mutation génétique entrainant la beta thalassémie (une hémoglobine déficiente
pouvant entrainer de graves anémies). Utilisant les possibilités nouvelles d’ « édition
génétique » qu’offrent les techniques crispR/cas9 (possibilité d’insérer
de manière beaucoup plus spécifique un gêne donné à un endroit donné), les
chercheurs chinois ont tenté de remplacer le gêne hémoglobine mutant par un gêne
fonctionnel. Disons tout de suite que le résultat a été assez décevant :
la modification génétique attendue ne s’est produite que dans 4 embryons sur 54,
et des insertions se sont produites, en nombre important, en d’autres endroits
du génome. Les Chinois le reconnaissent : la technique est loin d’être
assez mature pour permettre d’envisager un clonage humain thérapeutique. Dans
le cas présent, il ne s’agissait que d’une expérience sur des embryons humains
non viables, issus d’une tentative de FIV, destinés à la recherche, avec
consentement des donneurs, et sans visée de réimplantation.
Pour autant, ces manipulations
sur l’embryon humain sont interdites dans quasiment tous les pays occidentaux,
et un certain nombre de chercheurs ont demandé un moratoire sur ce type de
recherches dans la revue Nature… pas
même un mois avant la publication de l’étude chinoise (d’ailleurs refusée par
quelques grandes revues scientifiques). Clairement, ce moratoire ne tiendra pas
– en dehors d’être inefficace, est-il seulement éthique ? La recherche
continuera, en Occident ou ailleurs et, probablement un jour, la technique
permettra de corriger de manière très fiable une mutation dans un embryon
humain. Considérerons-nous que
le bébé qui en naîtra sera un clone (horreur ?), ou simplement un bébé guéri
(super !) ?
Là encore, la communauté
scientifique est partagée. Nicole Le Douarin, Pr au Collège de France est
plutôt favorable « Je suis pour le progrès, pas pour la peur. Il ne faut
pas rejeter cette technique, car elle peut avoir des applications très
intéressantes, à condition que celles-ci soient rigoureusement encadrées.
Imaginez que cela permette à terme d’éradiquer une maladie monogénique comme la
mucoviscidose… » (Sciences et
avenir, juin 2015). Axel Kahn parle lui de « l’attrait médiatique et
symbolique de l’interdit et du scandaleux » (id.) et précise « il existe une manière beaucoup plus aisée et
sûre pour permettre la naissance d’un enfant sain : la diagnostic prénatal
ou préimplantatoire, avec élimination des embryons porteurs d’un défaut
génétique ». Décidément, les déclarations des membres anciens ou actuels
du Comité Consultatif National d’Ethique me laissent de plus en plus pantois.
Au nom de quoi, à la place de qui a-t-on le droit de décider que l’élimination
des embryons défectueux est plus éthique que la recherche de techniques
permettant de les soigner ?
Diagnostic préimplantatoire (sélection des embryons) pour le cancer du
sein
Pour la première fois en France,
un couple dont la femme est porteuse de la mutation BRCA1, prédisposant aux
cancers du sein (risque multiplié par 4-6) et de l’ovaire (risque multiplié par
10 à 50) a été autorisé à faire pratiquer un diagnostic préimplantatoire, de
façon à s’assurer que l’enfant née par fécondation artificielle ne sera pas frappée
par cette malédiction. Ceci avait déjà été accepté pour d’autres cancers où le
déterminisme génétique est encore plus important (rétinoblastome, Li Fraumeni)
Cette démarche est autorisée depuis
2009 en Angleterre (encore le Channel comme barrière éthique !) ; En France,
jusqu’à présent, toutes les demandes avaient été refusées (par qui, au nom de
quoi ?). Un rapport de 2008 avait recommandé , pour les gènes BCRA1 et A2
de ne pas proposer un DPI, sauf certains cas "où la demande serait tout de même
recevable » (par qui, au nom de quoi ?). L’onco généticien Pascal Pujol parle « d’une
subjectivité incroyable » (Le Monde,
mercredi17 juin 2015). Et si l’on accepte le recours possible au diagnostic
préimplantatoire, je ne vois aucune raison de refuser la liberté du dépistage de BCRA1, tel que le propose , par
exemple, 23andme. Bref, quand la France
bouge en ce domaine, c’est dans l’arbitraire et l’injustice.
Oui, il est vraiment temps que le
Comité Consultatif National d’Ethique se mette au travail - l’arbitraire et l’injuste
s’accumulent. Il serait temps aussi qu’il place au premier plan la volonté des
patients, et de la société en général ; qu’il écoute un peu moins ceux qui, pour des raisons religieuses
ou par routine médicale, s’accommodent fort bien d’une Humanité qui devrait
rester un minimum et à jamais souffrante. Le positiviste que je suis considérerait
volontiers comme éthique, très simplement, toute technique suffisamment sûre
qui permet de soulager le malheur des gens.
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