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vendredi 22 avril 2016

Lester Thurow, économiste non conventionnel (3)

L’économiste Lester Thurow, est mort, vendredi 25 mars 2016, à l’âge de 77 ans dans sa maison de Westport (Massachusetts). Cet ancien professeur et doyen du MIT consacré l’essentiel de sa carrière à étudier les conséquences de la mondialisation. Il  fut l’un des premiers à souligner l’importance grandissante  et néfaste  des inégalités de revenus et  un avocat infatigable de l’investissement dans la recherche pour stimuler la croissance et dans l’éducation afin d’anticiper l’adaptation aux ruptures économiques et technologiques et accordant un rôle important aux gouvernements
Dans un premier blogs, j’ai essayé de résumer les idées principales de ses premiers livres : Generating Inequality: Mechanisms of Distribution in the U.S. Economy (1955), ou comment l’économie libérale générait des inégalités croissantes à partir d’une “marche au hasard” et une compétition pour les emplois et The Zero-Sum Society: Distribution and the possibilities for economic change (1980), avec sa critique du caractère scientifique de l’économie et la prédiction de l’accroissement des inégalités et de la paralysie des gouvernements. Maintenant, ses ouvrages plus récents. Dans un second blog, j’ai traité de Dangerous Currents: The state of economics (1983) ou une critique acide d’une science économique très mathématisée et d’autant moins scientifique qu’elle est plus mathématisée, The Zero-Sum Solution: Building a world-class American economy (1985), ou pourquoi les recette keynésiennes ne suffisent plus sans qu’on puisse se contenter de laissez faire, laissez passer, The Future of Capitalism: How today's economic forces shape tomorrow's world (1996) , la naissance d’une économie de la connaissance et ce que cela implique, Building Wealth: The new rules (1999), idem de façon plus pratique et avec un avertissement sur la tendance structurelle à la déflation et ses dangers.
La suite de cette présentation du non-traduit Thurow dans ce billet.

Fortune Favors the Bold: What We Must Do to Build a New & Lasting Global Prosperity  HarperBusiness,) (2003).

 Le déficit commercial massif des USA ne peut enfler indéfiniment et entrainera un effondrement du dollar, à un moment imprévisible, mais prévient Thurow, cela ne se passera pas doucement. Tandis que les nouvelles technologies accroissent la productivité, les entreprises suppriment  des milliers d'emplois par mois. Et nous n‘avons encore rien vu : ce seront maintenant les emplois bien qualifiés et bien payés qui vont se délocaliser massivement vers des pays comme l’Inde. Thurow prévoit un avenir de vastes inégalités croissantes, au sein des USA et pays développés, et entre les pays du monde. La disparition des classes moyennes est un risque certain qui est gros de très graves troubles politiques. La mondialisation, telle que nous la connaissons, semble se caractériser par une instabilité croissante et une inégalité croissante entre le premier et le troisième monde. Les crises financières dans le tiers monde deviennent de plus en plus fréquentes et semblent être de plus en plus sévères. La mondialisation peut se révéler bénéfique, mais il faudra qu’elle soit organisée et que les gouvernements et des institutions comme la Banque mondiale  poursuivent des politiques innovantes et globales comme, en des domaines très différents, comme  le développement  des  biotechnologies, l'éducation des femmes, l’accès à la santé des pays non développés. Sur ce point, il a une analyse intéressante entre la nécessiter de financer et de rémunérer à juste prix la recherche pharmaceutique, et d’autres part, de rendre accessible les progrès majeurs. Il propose de faire racheter les brevets des médicaments majeurs par les Etats ou des Organisations internationales qui rendraient ensuite ces médicaments accessibles à ceux qui en ont besoin ; de manière empirique et très désorganisée, des mécanismes similaires ont été mis en place pour le Sida ou quelques maladies orphelines.

Une réforme de la propriété intellectuelle

Thurow ne cesse d’insister sur l’importance de l’investissement dans la recherche pour stimuler la croissance, et de l’éducation pour anticiper l’adaptation aux ruptures technologiques et économiques. Aussi prend il au sérieux les problèmes de propriété intellectuelles et de brevets et il a fait des propositions assez originales à ce sujet (cf http://www.iatp.org/files/MIT_SCHOLAR_PROPOSES_IPR_REFORM_IPR_Info_No_19.htm)
Qui découvre quoi ?
Thurow ouvre son argumentation avec le cas d'un médecin qui intente un procès pour obtenir un tarif de $9 de tout laboratoire qui utilise un essai spécifique pour le Syndrome de Down. Quelques années auparavant, il a reçu un brevet pour l'observation d'une relation entre un taux élevé d'une hormone humaine particulière et une malformation de naissance. Son test avait trop de faux positifs pour être utile, mais les développements ultérieurs ont montré que si son test était utilisé en même temps que deux autres, il était possible de prévoir avec exactitude si un bébé aura le Syndrome de Down. S'il gagne ce procès, le coût des essais va plus que doubler. Commentaires de Thurow,  « Le médecin qui a tout d'abord découvert comment le gène existant fonctionne et en a tiré certaines idées quant au dépistage a-t-il certains de propriété intellectuelle ? Sans doute. Mais pas le même genre de droits que ceux accordés à celui qui invente un nouveau gène pour remplacer un gène défectueux » Sa conclusion: « Ces distinctions sont nécessaires, mais notre système de brevets n'a aucune base pour les instaurer.»
Dans une société de la connaissance, la propriété intellectuelle devient une question centrale : « Bill Gates est le symbole parfait de la nouvelle centralité de la propriété intellectuelle. Pour plus d'un siècle, les plus riches ont été associé au pétrole ; aujourd'hui, pour la première fois dans l'histoire, la  personne la plus riche du monde est un travailleur du savoir ». La puissance publique joue un rôle considérable dans la production de connaissances et Thurow s’inquiète de son déclin, au moins aux USA : « Après la guerre, le gouvernement américain  a largement financé la recherche fondamentale et, à l'exception des technologies militaires, a encouragé sa diffusion dans le monde entier. Mais les choses ont changé. Les États-Unis a perdu sa suprématie économique et est ravalement en recherche et développement dans les deux vrais dollars et en pourcentage des dépenses totales. « En conséquence, moins de connaissances nouvelles seront librement disponibles dans le domaine public. De plus, prévient Thurow, « sans renforcement des systèmes de protection, les secrets commerciaux deviennent une pratique commerciale normale », ce qui constitue une véritable régression par rapport aux brevets qui incitent fortement à la diffusion du savoir.
Et Thurow parle là de la situation américaine, alors que la situation européenne et française est bien pire encore. L’objectif affiché de l’Europe de la connaissance, les 3% du PIB consacrés à la recherche de l’agenda de Lisbonne s’éloignent années après années. Une ambition à retrouver ?
L’'émergence des nouvelles technologies crée de nouvelles formes possibles des droits de propriété intellectuelle (peut-on breveter des morceaux d'un être humain?) et rend les droits anciens inapplicables (lorsque les livres peuvent être téléchargés depuis une bibliothèque électronique, que devient le copyright ? Pour Thurow, une bonne loi sur la propriété intellectuelle doit d’abord être une loi applicable ;
Thurow ne  blâme pas les copieurs. En phase de rattrapage, fait-il remarquer, tous les pays copient. Les pays du tiers monde savent qu'ils ne peuvent pas se permettre d'acheter ce dont ils ont besoin, ils doivent copier.  Les États de différents pays veulent, ont besoin et devrait avoir des systèmes de droits de propriété intellectuelle très différents, en fonction de leur niveau de développement économique. Chaque pays a droit à un système qui leur permet de réussir. Reste à concilier cela, au niveau international, avec la juste rétribution de la recherche et des risques associés.
Le futur du capitalisme dépend étroitement de la manière dont sera traité la propriété intellectuelle. Thurow fait alors une série de constats et de propositions parfois iconoclastes :
1)      Comme l’investissement des Etats dans la recherche fondamentale baisse, et que de toute façon il ne suffit plus aux défis à relever, les incitations au privé pour augmenter ses dépenses de recherche deviennent de plus en plus nécessaires. La bonne approche consisterait à étudier l'économie sous-jacente de chaque industrie afin de déterminer quelles mesures incitatives sont les plus appropriées. Tout bon système doit inciter à la découverte de nouvelles connaissances, et, une fois les découvertes faites, doit inciter à leur partage. Ce sont deux objectifs contradictoires qui doivent être réglés par les législateurs (rôle des Etats) et non au coup par coup par des décisions de justice, aléatoires et ruineuses. La recherche est chose trop sérieuse pour être confiée à des juges.
2)      Les lois sur les droits de propriété intellectuelle doivent pouvoir être respectées ou ne pas exister.
3)      Les systèmes légaux doivent être en mesure de déterminer les droits et régler les différends rapidement et efficacement. Selon Thurow, le système actuel des brevets  souffre d'un manque de décisions cohérentes, prévisibles, rapides, et à faible coûts. Bref, il enrichit surtout les avocats spécialisés. Pour établir davantage d’égalité entre petites et grands inventeurs , Thurow suggère que les taxes sur les brevets, comme  l’impôt sur le revenu, soient ajustés aux niveaux de revenu des demandeurs Proposant  une approche alternative au système actuel lent et coûteux Thurow recommande le système américain pour régler les litiges de droits sur l'eau en zones irriguées. « les Maîtres de l'eau fédéraux reçoivent le pouvoir de répartir l'eau dans les années sèches et de régler rapidement les différends, » dit-il, parce que « les cultures meurent rapidement. A nouveau, un rôle décisif pour les Etats.
4)      Recherche privée et connaissance publique : Thurow fait valoir que les connaissances scientifiques de base doivent être publiques, tandis que ceux qui développent des produits de ces connaissances devraient recevoir des droits de monopole privé. Il propose un mécanisme, non pas dans le système des brevets lui-même, mais par la création d'un organisme public – par exemple  une branche de la National Science Foundation. L'Agence pourrait décider d'acheter des connaissances pour l'usage du public lorsque cela paraitrait justifié. Si le vendeur n'accepte pas de vendre à un prix raisonnable, des principes d'arbitrage très similaires à celles utilisées dans les procédures d’a acquisition foncière pourraient être utilisés.
5)      Pays développés / pays en développement. Thurow observe un peu ironiquement que le besoin du tiers-monde d’accéder aux médicaments n’est pas tout à fait de même nature que son besoin en CD à faibles coûts. Le système actuel de droits de propriété intellectuelle, qui mat ces besoins au même niveau, n'est ni bon, ni viable, affirme-t-il. Au lieu de cela, « différents niveaux prédéterminés de frais  d’accès pourraient être déterminés internationalement à ceux qui veulent utiliser ce que d'autres ont inventé, selon le niveau de revenu du pays et l'importance de la technologie pour répondre aux besoins humains. »
6)      Différents types d’industrie peuvent avoir besoin de brevets différents. Pour  les uns, la rapidité est essentielle parce que l’essentiel de leurs gains se fait peu après la découverte. Les autres veulent une protection à long terme parce que le développement du produit exige, par exemple dans le cas du médicament, une longue période de test pour prouver l'efficacité et l'absence d'effets secondaires. Un même système de brevet pour tous, cela ne peut plus fonctionner.  explique Thurow.

On peut trouver parfois naïves, ou non pertinentes certaines des idées de Thurow sur la Propriété Intellectuelle ; mais on doit lui reconnaître d’avoir en tant qu’économiste hétérodoxe, d’avoir correctement anticipé certains des problèmes liés à la globalisation : concurrence internationale des emplois, nécessité d’investir dans l’éducation et la recherche, accroissement des inégalités, rôle de l’Etat pour  corriger les déséquilibres , là où les libéraux béats ne voyaient qu’avenir lumineux et douceurs. Et encore d’avoir pris au sérieux la nécessité d’une société de la connaissance, et, par conséquent, de s’être intéressé aux problèmes de propriété intellectuelle, qui, actuellement, enrichissent surtout les avocats au détriment des industriels et des consommateurs.
Et comment ne pas s’intéresser à un économiste qui possédait suffisamment de distance et d’humour pour déclarer :« Les économistes sont toujours en train de recommander l’élimination de telle ou telle imperfection de marché ; je n’ai jamais entendu un astrophysicien recommander l’élimination d’une planète qu’il n’aime pas ! ». Ou encore « le fait que nous pouvons utiliser les mots « libéral » et « conservateur » en se référant aux économistes  est particulier.  Personne ne parle des chimistes libéraux ou conservateurs, mais seulement des chimistes qui, dans leur vie privée, se trouvent être des libéraux ou conservateurs ».

Fin de cette série de trois blogs consacrés à Thurow. Ceux qui veulent en savoir plus devront le lire en version originale – les ouvrages de ce doyen du MIT et économiste hétérodoxe  n’ont pas été traduits. Ce qui permet à certains, tel l’Ecle de Toulouse de faire croire qu’il n’y a qu’une pensée économique, celle de l’ultralibéralisme.


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