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vendredi 31 mars 2017

Sécurité du Médicament : comment sommes nous tombés si bas ?

Un problème international majeur

La contrefaçon de médicament est devenue un problème international majeur. C’est un marché très lucratif, jusqu’à présent sans grands risques dans lequel se sont engouffrés de véritables mafias. Un marché vingt fois plus lucratif que le trafic de drogue, avec des bénéfices estimés à 200 milliards de dollars et une répression peu efficace- à titre de comparaison, le chiffre d'affaire de l'industrie pharmaceutique est de 900 milliards de dollars, selon l’Institut International de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments (IRACM). Evidemment, les pays en voie de développement sont les plus touchés : on estime qu’on estime qu’en Afrique, un médicament sur trois en circulation est issu de la contrebande. On hésite à qui décerner la palme de l’ignoble. En 2013, les  faux traitements contre le paludisme, auraient entraîné la mort de 122 350 enfants africains âgés de moins de 5 ans (IRACM). Ou ceci : « Au Niger, il y a quelques années, 2500 enfants avaient été vaccinés avec de l’eau du fleuve », se souvient Bernard Leroy (IRACM). Ou encore cela :  des produits contre la toux à base d’antigel de voiture (84 décès au Nigeria en 2009). Toutes les  classes de médicaments majeurs sont concernés, avec des conséquences terribles : produits imitant des vaccins, des antibiotiques, des analgésiques, des antidiabétiques, des contraceptifs, des médicaments contre le cancer - les maladies infectieuses, paludisme, VIH, tuberculose, sont la proie privilégiée.
C’est déjà assez scandaleux ; mais jusqu’à présent on pouvait penser que la France était assez épargnée, grâce à la vigilance des autorités et partenaires du système de santé, à la distribution en pharmacie et à sa sécurisation etc.

Et la France : une plaque tournante majeure et maintenant un site de production de  faux médicaments

La France est déjà devenue une plaque tournante du trafic international, avec une explosion des saisies : en 2014, les douanes françaises ont intercepté plus de 2,5 millions de contrefaçons, contre 35.000 en 2010 et 95.300 en 2012 ; Les médicaments sont désormais en tête des produits les plus copiés, représentant près de 29,5% du total des contrefaçons saisies.
 Ensuite viennent les ventes illégales sur Internet, où un médicament sur deux est faux. Parmi les médicaments les plus concernés : amaigrissants, anabolisants, Viagra. Faute d’oser les demander à leur médecin, les adeptes préfèrent acheter sur internet.
Mais ça ne s’arrête pas là : la France est devenue aussi un point d’entrée pour des médicaments contrefaits, dans les circuits de distribution européens. Ainsi, à Marseille, les acteurs présumés d’un réseau parallèle responsable de l’introduction en Europe entre 2006 et 2009 de médicaments falsifiés fabriqués en Chine, Arnaud Bellavoine, 47 ans, gérant de fait d’une société offshore sur l’île Maurice, et Catherine Koubi, dirigeante de la société niçoise de courtage Keren SA, ont comparu pour une série d’infractions. Ils doivent répondre de tromperie aggravée par le danger qu’ils auraient fait courir aux patients. Au cours des seuls quatre premiers mois de 2007, ils auraient acheminé depuis la Chine plus de quatre tonnes de deux médicaments dont le principe actif était absent ou grandement sous-dosé, voire remplacé par du sucre. Les prévenus auraient ainsi revendu à des distributeurs grossistes de la chaîne d’approvisionnement de l’Union européenne de grandes quantités de contrefaçons de Plavix (un produit développé par Sanofi-Aventis, indiqué dans la prévention des risques cardio-vasculaires) et Zyprexa (fabriqué par l’américain Eli Lilly et prescrit contre la schizophrénie et les troubles bipolaires).

Pire encore : la France est aussi devenue un site de production de faux médicaments. Les médicaments contrefaits viennent en effet en grande partie d’usines indiennes ou chinoise, dont certaines travaillent parfois en partie à la fabrication de médicaments officiels correspondant aux standards internationaux, et, en dehors des horaires normaux, à des productions clandestines.

Un nouveau pas a été franchi avec la production en France même de faux médicaments sous le nom de First Immune. Deux ressortissants britanniques ont été arrêtés pour avoir organisé un vaste trafic à destination de plusieurs pays européens. C'est dans un corps de ferme près de Digosville, dans la Manche,  que les enquêteurs de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) ont découvert la base arrière d’un site internet spécialisé dans la vente de médicaments non autorisés. Les gendarmes ont aussi révélé l'existence d'autres laboratoires clandestins appartenant au même réseau dans les environs de Cherbourg. «Le nombre de laboratoires est impossible à dire à ce stade de l'enquête», a indiqué au Figaro une source judiciaire.

En dehors de ses implications gravissimes pour la santé, la contrefaction de médicaments représente un enjeu économique important. Un médicament sur dix vendus dans le monde serait une contrefaçon. Le manque à gagner pour l’industrie pharmaceutique en Europe est évalué à 10,2 milliards d’euros par an, selon un rapport de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) publié en 2016.

La contrefaction de médicaments, nouveau défi criminel

C’est une criminalité pharmaceutique en plein essor qu’il faut prendre au sérieux et combattre. Une Convention Médicrime, unique outil international qui criminalise la contrefaçon mais aussi la fabrication et la distribution de produits médicaux mis sur le marché sans autorisation ou en violation des normes de sécurité a été créée en 2011 et démarre poussivement - à ce jour, elle ne compte  que 26 Etats signataires. Combien faudra-t-il de mort, singulièrement dans les pays les plus pauvres avant qu’elle soit effective, même si cela heurte les intérêts de certains pays contrefacteurs. Certains pays (Algérie, Etats-Unis, Hongrie, Mexique,Russie)  ont récemment considérablement  alourdi les peines à l’encontre des trafiquants de faux médicaments. Constatons aussi que la multiplication de la fabrication de génériques dans des pays à bas coût de main d’œuvre a constitué une tentation peu résistible pour la fabrication de médicaments contrefaits.

En ce qui concerne la France, la sécurité des chaines de distributions exclusives ( répartiteurs et pharmacies) constitue encore une bonne protection, ainsi que le respect des emballages – des solutions de marquage plus sophistiquées pourraient le cas échéant être étudiées.. La multiplication des ventes hors pharmacies serait au contraire un danger à prendre au sérieux. Et surtout, cette fausse bonne idée, extrêmement dangereuse : la vente à l’unité des médicaments. Elle n’a aucun intérêt économique, car, rappelons-le, sauf cas particulier, ce n’est pas le  produit médicament lui-même (la pilute, le comprimé) qui coûte cher, mais la recherche qui a permis sa découverte : le déconditionnement et la vente à l’unité renchériraient le prix du médicament du coût des manipulations en officine ! Et surtout, ils mettraient en péril la sécurité de sa distribution en rompant les emballages- favorisant le reconditionnement de médicaments comprimés.


Si les Etats ne réagissent pas davantage, « la contrefaçon de médicaments risque de devenir un phénomène hors contrôle, menaçant à la fois l’Etat de droit et la santé publique », décrit Bernard Leroy, directeur de l’IRACM. Eh bien il est plus que temps d’agir !!


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