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dimanche 9 juillet 2017

Michel Onfray, Décoloniser les Provinces, Taine et les Girondins

Décoloniser Les Provinces _ un petit livre important

Michel Onfray publie beaucoup, et je le lit aussi beaucoup, toujours avec intérêt. Je voudrais signaler – un peu trop tard pour cette période électorale, malheureusement, mais ce sera de toute façon utile pour la suite - un petit livre spécialement important, Décoloniser les Provinces, Editions de l’Observatoire, 2017. Très lisible, brillamment écrit, comme d’habitude, il me semble résumer clairement la pensée politique de Michel Onfray, à laquelle des interventions fragmentaires dans des media qui les tronquent pour ne retenir que ce qui peut faire du buzz ne rendent pas justice – et surtout ne facilitent pas la compréhension. Il y a dans cet ouvrage, comme une synthèse, comme une évidence soudaine d’unité de l’ensemble de l’œuvre de Michel Onfray- et des considérations politiques bien utiles.
Paraphraser Michel Onfray est vain, on est sûr de faire moins bien que l’original, aussi je ne donnerais ici qu’un résumé vraiment succinct – surtout lisez le livre ! Décoloniser la Province a été le titre  d'un discours de Michel Rocard de 1966, qui réclamait une décentralisation de la décision financière. Michel Onfray, qui veut évidemment aller beaucoup plus loin,  dénonce le jacobinisme généralisé : « Depuis Philippe le Bel jusqu’à… François Hollande, en passant par Louis XIV, Robespierre, Napoléon, de Gaulle, Mitterrand, la France est centralisée, jacobine si vous me permettez le néologisme pour les deux premiers noms propres. L’Etat qui décide tout d’en haut a montré ses limites antidémocratiques: désormais, ça n’est pas le peuple qui gouverne, mais des élus qui ont fini par constituer une caste politicienne technocratique qui, une fois de droite, une fois de gauche, mais toujours libérale, se partage le pouvoir »… Décoloniser les provinces est un plaidoyer pour le girondisme, le communalisme libertaire, le pouvoir de parlements régionaux, l’autogestion, l’autorité consentie » (interview au Journal Le Temps). Décoloniser les Provinces, c’est une contre-histoire de France dont les héros seraient les Girondins, les Communards, Proudhon, si diffamé par les marxistes, les héros des indépendances communales, les autogestionnaires de Lipp, le De Gaulle du  référendum sur les régions de 1969…
Pour éviter des contresens fâcheux, précisons ceci qu’Onfray souligne bien : il ne suffit pas d’être contre le nationalisme français pour être antijacobin. On peut être indépendantiste Breton, ou Corse et terriblement jacobin, ou également pro-européen et partisan d’une Europe jacobine- c’est bien le cas avec les institutions actuelles, notamment la Commission Européenne. Le scandale du referendum européen de 2005, où les Français (et les Néerlandais) ont refusé une constitution qui leur a été finalement imposée par une autre voie revient souvent dans ce livre, comme justement le symbole d’un ultra jacobinisme-  depuis, Michel Onfray ne vote plus.

Michel Onfray et Taine : a-t-il tout lu  ?

Un point m’a particulièrement interpellé – oh, allez osons, touché, l’hommage rendu à Hyppolite Taine (1828-1893) et à son Histoire de la France contemporaine. Michel Onfray le remercie de l’avoir désintoxiqué des interprétations marxistes et  pro-jacobines de la Révolution Française, dont même Furet et Mona Ozouf, qui s’est expliquée de manière émouvante sur la tension entre ses deux héritages maternels et paternels,  n’ont pu totalement se débarrasser.  D’où l’éloge du girondisme.
Il se trouve que j’étais en train de lire Taine, que j’ai interrompue pour Onfray. Onfray a raison, il faut redécouvrir Taine, c’est une lecture essentielle pour nous comprendre et au-delà. Il y a dans Taine, sans que le mot de totalitarisme, pas encore inventé, soit utilisé la première analyse complète du phénomène totalitaire,  des circonstances qui le font naître et le favorisent, de son idéologie, de ses méthodes d’action, de l’élimination de tous les corps intermédiaires,  de la psychologie de ses militants, des sentiments qu’il mobilise et détourne, dont celui de la démocratie, et de l’escalade de l’éloge de l’émeute, du pouvoir de la rue, à l’élimination de toute dissidence et pour finir aux massacres de masses. Un exemple qui fait frémir : les génocidaires du Rwanda rentrant de leurs expéditions meurtrières  disaient : « nous avons bien travaillé ». Eh bien, et Taine pointe cette utilisation si particulière du mot : c’est exactement ce que disaient les massacreurs de septembre 1792. En passant, lorsque certains historiens prétendent pudiquement ne pas savoir qui ils étaient, il suffit de lire Taine : il donne les noms, et les noms aussi de ceux qui les manipulaient.

D’où tout de même une question – il manquait certaines pages à l’édition d’ Onfray ou il les a sautées ? Comment peut-il faire l’éloge du contrôle continu des représentants par les représentés un des critères de la démocratie, alors que Taine montre bien qu’il s’agit au contraire d’un des trucs (trucages ?) favoris des totalitaires, qui aboutit inéluctablement au contrôle du pouvoir  politique par des minorités bien organisées ? Et son éloge du Girondisme apparait bien problématique lorsque Taine montre comment les Girondins ont utilisé la rhétorique jacobine,  ont cru utiliser et manipuler ceux qu’il appelle la « secte » et ses méthodes violentes, pour être au contraire manipulés et finalement éliminés par ceux dont ils avaient cru se servir. Il faut lire les pages où Taine, non seulement grand historien mais aussi, comme souvent, grand écrivain, décrit M. et Mme Roland, dans leur bureau du ministère de l’intérieur, constater avec effarement le déchainement des violences barbares dans toute la France, les traces sanglantes des groupes jacobins qui remontent vers Paris, les rapports des autorités locales qui demandent des instructions, leur impuissance, ou plutôt leur résignation et leur consentement à l’impuissance. Ou ceci ?

« Parce qu’ils ont lu Rousseau et Mably, parce qu’ils ont la langue déliée et la plume courante, parce qu’ils savent manier des formules de livre et aligner un raisonnement abstrait, ils se croient des hommes d’Etat. Parce qu’ils ont lu Plutarque et le Jeune Anacharsis, parce que, sur des conceptions métaphysiques, ils veulent fonder une société parfaite, parce qu’ils s’exaltent à propos du millenium prochain, ils se croient de grandes âmes. Sur ces deux articles, ils n’auront jamais le moindre doute, même après que tout aura croulé sur eux, par leur faute, même après que leurs mains complaisantes auront été souillées par les mains sales des bandits dont ils ont été les instigateurs, par les mains ensanglantées des bourreaux dont ils sont les demi-complices »

Annonce : devoirs d’été sur ce blog ?

Ah ben tiens, voilà. J’ai trouvé mes devoirs d’été. Onfray a raison, le jacobinisme a conquis tout le spectre politique avec une droite qui  a complètement abandonné sa tradition décentralisatrice, une gauche, qui n’a jamais aimé sa tradition libertaire, une extrême gauche plus jacobine léniniste que jamais, et maintenant même un extrême centre extrêmement jacobin. Donc, peut-être, cet été, ce blog va se transformer en un feuilleton, la publication d’extraits, de « bonnes pages », de l’histoire de la France contemporaine, cette histoire d’un historien fortement inspiré par le positivisme.
Ça devrait bien me faire une dizaine de lecteurs par blogs ; pas grave, j’aurais fait mon travail ( car ç’est tout de même un scré blot).

De toute façon, lisez Décoloniser les Provinces, Onfray et Taine !






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