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vendredi 18 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_81_ La fin des vingt-deux et la conquête Jacobine achevée

Hypocrisie et habileté de Robespierre : Que les bons citoyens viennent nous forcer à mettre en état d’arrestation les députés infidèles. 31 Mai 1793 : Sous la menace de l’émeute et des canons de Henriot, la Convention cède, s’automutile et livre les vingt deux Girondins. La conquête Jacobine est achevée.

 Hypocrisie de Robespierre : Que les bons citoyens viennent nous forcer à mettre en état d’arrestation les députés infidèles

Tout cela est excessif, maladroit, inutile, dangereux, ou du moins prématuré, et les chefs de la Montagne, Danton, Robespierre, Marat lui-même, mieux informés et moins bornés, comprennent qu’un massacre brut révolterait les départements déjà à demi soulevés  . Il ne faut pas casser l’instrument législatif, mais l’employer : on se servira de lui pour pratiquer sur lui la mutilation requise : de cette façon, l’opération aura de loin une apparence légale, et, sous le décor des phrases ordinaires, pourra être  imposée aux provinciaux. Dès le 3 avril  , aux Jacobins, Robespierre, toujours circonspect et décent, a d’avance défini et limité l’émeute prochaine. « Que les bons citoyens, dit-il, se réunissent dans leurs sections et viennent nous forcer à mettre en état d’arrestation les députés infidèles. » Rien de plus mesuré, et, si l’on se reporte aux principes, rien de plus correct. Le peuple garde toujours le droit de collaborer avec ses mandataires, et déjà, dans les tribunes, c’est ce qu’il fait tous les jours. Par une précaution suprême et qui le peint bien  , Robespierre refuse d’intervenir davantage. « Je suis incapable de prescrire au peuple les moyens de se sauver ; cela n’est pas donné à un seul homme ; cela n’est pas donné à moi qui suis épuisé par quatre ans de révolution et par le spectacle déchirant du triomphe de la tyrannie,... à moi qui suis consumé par une fièvre lente et surtout par la fièvre du patriotisme. J’ai dit ; il ne me reste pas d’autre devoir à remplir en ce moment. »

31 Mai 1793 : La Convention s’automutile et livre les vingt deux Girondins. La conquête Jacobine est achevée

C’est un drame tragi-comique, en trois actes, dont chacun s’achève par un coup de théâtre toujours le même et toujours prévu : un des principaux machinistes, Legendre, a pris soin de l’annoncer d’avance. « Si la chose dure plus longtemps, dit-il aux Cordeliers  , si la Montagne est plus longtemps impuissante, j’appelle le peuple et je dis aux tribunes : Descendez ici délibérer avec nous. » Pour commencer, le 27 mai, à propos de l’arrestation d’Hébert et consorts, la Montagne, appuyée par les galeries, fait rage  . Vainement la majorité s’est prononcée et se prononce à plusieurs reprises. « S’il y a cent bons citoyens, dit Danton, nous résisterons. — Président, crie Marat à Isnard, vous êtes un tyran, un infâme tyran. – Je demande, dit Couthon, que le président soit cassé. – A l’Abbaye le président ! » – La Montagne a décidé qu’il ne présidera pas ; elle descend de ses bancs et court sur lui, elle parle de « l’assassiner », elle brise sa voix à force de vociférations, elle l’oblige à quitter son fauteuil, de lassitude et d’épuisement ; elle chasse de même Boyer-Fonfrède, qui lui succède, et finit par mettre au fauteuil un de ses complices, Hérault de Séchelles. — Cependant, à l’entrée de la Convention, « les consignes ont été violées, » une multitude de gens armés « se sont répandus dans les couloirs et obstruent toutes les avenues » ; les députés Meillan, Chiappe et Lidon, ayant voulu sortir, sont arrêtés, on met à Lidon « le sabre sur la poitrine   », et les meneurs du dedans excitent, protègent, justifient leurs affidés du dehors. – Avec son audace ordinaire, Marat, apprenant que le commandant Raffet fait évacuer les couloirs, vient à lui « un pistolet à la main et le met en état d’arrestation   » : car il faut respecter le peuple, le droit sacré de pétition et les pétitionnaires. Il y en a « cinq ou six cents, presque tous en armes   », qui depuis trois heures stationnent aux portes de la salle ; au dernier moment, deux autres troupes, envoyées par les Gravilliers et par la Croix-Rouge, viennent leur apporter l’afflux final. Ainsi accrus, ils débordent au-delà des bancs qui leur sont assignés, se répandent dans la salle, se mêlent aux députés qui siègent encore. Il est plus de minuit ; nombre de représentants, excédés de fatigue et de dégoût, sont partis ; Pétion, La Source et quelques autres, qui veulent rentrer, « ne peuvent percer la foule menaçante ». Par compensation et à la place des absents, les pétitionnaires, s’érigeant eux-mêmes en représentants de la France, votent avec la Montagne, et le président jacobin, loin de les renvoyer, les invite lui-même « à écarter tous les obstacles qui s’opposent au bien du peuple ». Dans cette foule gesticulante, sous le demi-jour des lampes fumeuses, au milieu du tintamarre des tribunes, on n’entend pas bien quelle motion est mise aux voix ; on distingue mal qui reste assis ou qui se lève ; et deux décrets passent ou semblent passer, l’un qui élargit Hébert et ses complices, l’autre qui casse la commission des Douze  . Aussitôt des messagers, qui attendaient l’issue, courent porter la bonne nouvelle à l’Hôtel de Ville, et la Commune célèbre son triomphe..
Mais le lendemain, malgré les terreurs de l’appel nominal et les fureurs de la Montagne, la majorité, par un retour défensif, révoque le décret qui la désarme, et un décret nouveau maintient la commission des Douze. L’opération est donc à refaire… Il s’agit d’invoquer contre les droits dérivés et provisoires du gouvernement établi le droit supérieur et inaliénable du peuple, et de substituer aux autorités légales, qui par nature sont bornées, le pouvoir révolutionnaire, qui par essence est absolu. À cet effet, la section de la Cité, sous la vice-présidence de Maillard le septembriseur, invite les quarante-sept autres à nommer chacune deux commissaires munis de « pouvoirs illimités ». Dans trente-trois sections, purgées, terrifiées ou désertées, les Jacobins, seuls ou presque seuls  , élisent les plus déterminés de leur bande, notamment des étrangers et des drôles, en tout soixante-six commissaires qui, le 29 au soir, s’assemblent à l’Évêché   et choisissent neuf d’entre eux, pour composer, sous la présidence de Dobsent, un comité central et révolutionnaire d’exécution….
Cependant la Commune, traînant derrière elle le simulacre de l’unanimité populaire, assiège la Convention de pétitions multipliées et menaçantes. Comme au 27 mai, les pétitionnaires envahissent la salle et « se confondent fraternellement avec les membres du côté gauche ». Aussitôt, sur la motion de Levasseur, la Montagne, sachant que « sa place sera bien gardée », la quitte et passe au côté droit  . Envahi à son tour, le côté droit refuse de délibérer ; Vergniaud demande que « l’Assemblée aille se joindre à la force armée qui est sur la place et se mette sous sa protection » ; il sort avec ses amis, et la majorité décapitée retombe dans ses hésitations ordinaires…
Pendant sept heures d’horloge, la Convention reste aux arrêts, et, lorsqu’elle a décrété l’éloignement de la force armée qui l’assiège, Henriot répond à l’huissier chargé de lui notifier le décret : « Dis à ton f... président que je me f... de lui et de son Assemblée, et que si dans une heure elle ne me livre pas les Vingt-Deux, je la fais foudroyer  . »
Dans la salle, la majorité, abandonnée par ses guides reconnus et par ses orateurs préférés, faiblit d’heure en heure. Brissot, Pétion, Guadet, Gensonné, Buzot, Salle, Grangeneuve, d’autres encore, les deux tiers des Vingt-Deux, retenus par leurs amis, sont restés chez eux  . Vergniaud, qui est venu, se tait, puis s’en va ; probablement, la Montagne, qui gagne à son absence, a levé pour lui la consigne. Quatre autres Girondins qui restent à l’Assemblée jusqu’à la fin, Isnard, Dusaulx, Lanthenas et Fauchet, consentent à se démettre ; quand les généraux rendent leur épée, les soldats ne tardent pas à rendre les armes. Seul Lanjuinais, qui n’est pas Girondin, mais catholique et Breton, parle en homme contre l’attentat que subit la représentation nationale ; on lui court sus, il est assailli à la tribune ; le boucher Legendre, faisant de ses deux bras « le geste du merlin », lui crie : « Descends ou je t’assomme » ; un groupe de Montagnards s’élance pour aider Legendre, on porte à Lanjuinais un pistolet sur la gorge   ; il a beau persévérer, se cramponner à la tribune, autour de lui, dans son parti, les volontés défaillent.
 – A ce moment, Barère, l’homme aux expédients, propose à la Convention de lever la séance et d’aller délibérer « au milieu de la force armée qui la protégera   ». Faute de mieux, la majorité s’accroche à ce dernier débris d’espérance. Elle se lève, malgré les cris des tribunes, descend le grand escalier et arrive jusqu’à l’entrée du Carrousel, Là, le président montagnard, Hérault de Séchelles, lit à Henriot le décret qui lui enjoint de se retirer et, correctement, officiellement, lui fait les sommations d’usage. Mais quantité de Montagnards ont suivi la majorité et sont là pour encourager l’insurrection ; Danton serre la main de Henriot et lui dit à voix basse : « Va toujours ton train, n’aie pas peur, nous voulons constater que l’Assemblée est libre ; tiens bon  . » Sur ce mot, le grand escogriffe à panache retrouve son assurance, et, de sa voix avinée, dit au président : « Hérault, le peuple ne s’est pas levé pour écouter des phrases. Tu es un bon patriote ;... promets-tu, sur ta tête, que les Vingt-Deux seront livrés dans vingt-quatre heures ? – Non. – En ce cas, je ne réponds de rien. Aux armes, canonniers, à vos pièces ! »
Les canonniers prennent leurs mèches allumées, « la cavalerie tire le sabre, et l’infanterie couche en joue les députés   ». – Repoussée de ce côté, la malheureuse Convention tourne à gauche, traverse le passage voûté, suit la grande allée du jardin, avance jusqu’au pont Tournant pour trouver une issue. Point d’issue : le pont Tournant est levé ; partout la barrière de piques et de baïonnettes reste impénétrable ; on crie autour des députés : « Vive la Montagne ! vive Marat ! A la guillotine Brissot, Vergniaud, Guadet, Gensonné ! Purgez le mauvais sang ! » et la Convention, pareille à un troupeau de moutons, tourne en vain dans son enclos fermé. Alors, pour les faire rentrer au bercail, comme un chien de garde aboyant, de toute la vitesse de ses courtes jambes, Marat accourt, suivi de sa troupe de polissons déguenillés, et crie : « Que les députés fidèles retournent à leur poste ! » Machinalement, la tête basse,  ils reviennent…
Pour surveiller et hâter leur besogne, des sans-culottes, la baïonnette au bout du fusil, gesticulent et menacent du haut des galeries. Au dehors, au dedans, la nécessité, de sa main de fer, les a saisis et les serre à la gorge. Silence morne. On voit le paralytique Couthon se soulever de son banc : ses amis le portent à bras jusqu’à la tribune ; ami intime de Robespierre, c’est un personnage important et grave ; il s’assoit, et, de sa voix douce : « Citoyens, tous les membres de la Convention doivent être maintenant rassurés sur leur liberté.... Maintenant vous reconnaissez que, dans vos délibérations, vous êtes libres  . » – Voilà le mot final de la comédie ; il n’y en a pas d’égal, même dans Molière.

– Aux applaudissements des galeries, le cul-de-jatte sentimental conclut en demandant que l’on mette en arrestation les Vingt-Deux, les Douze, les ministres Clavière et Lebrun. Nul ne combat sa motion..Sauf une cinquantaine de membres de la droite qui se lèvent pour les Girondins, la Montagne, accrue des insurgés ou amateurs qui fraternellement siègent avec elle, vote seule et rend enfin le décret. – A présent que la Convention s’est mutilée elle-même, elle est matée pour toujours, et va devenir une machine de gouvernement au service d’une clique ; la conquête jacobine est achevée, et, sous la main des conquérants, le grand jeu de la guillotine peut commencer.


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