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mardi 15 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_61_ l’action des Jacobins à Paris-vers le 10 août

Important et magistral : avant le 10 août, le tournant de la Révolution. Les Guirondins veulent le rappel de leurs ministres.. Comment Lafayette et la majorité de l’Assemblée tentent de s’ y opposer. Comment ils désarment le roi et les modérés et préparent les futures émeutes. Le licenciement de l’Etat-Major de la garde nationale et sa reprise en main ; néanmoins échec de la mise en accusation de La Fayette. Comment les Girondins pensent se servir des futurs montagnards et comment ils se mettent entre leurs mains. Jamais on n’a mieux travaillé pour autrui…Vers la déchéance du Roi

Refaire le 20 juin- tentative d’opposition de La Fayette et de la majorité de l’Assemblée

Puisque le coup (du 20 juin)  est manqué, il faut le refaire. Cela est d’autant plus urgent que la faction s’est démasquée, et que, de toutes parts, « les honnêtes gens   » s’indignent de voir la Constitution soumise à l’arbitraire de la plus basse plèbe. Presque toutes les administrations supérieures, soixante-quinze directoires de département   envoient leur adhésion à la lettre de La Fayette ou répondent par des encouragements à la proclamation si mesurée et si noble par laquelle le roi, exposant les violences qu’on lui a faites, maintient son droit légal avec une triste et inflexible douceur. Nombre de villes, grandes ou petites, le remercient de sa fermeté, et ceux qui signent les adresses sont les notables de l’endroit  , chevaliers de Saint-Louis, anciens officiers, juges, administrateurs de district, médecins, notaires, avoués, receveurs de l’enregistrement, directeurs de la poste, fabricants, négociants, gens établis, bref les hommes les plus considérés et les plus considérables. À Paris, une pétition semblable, rédigée par deux anciens constituants, recueille 247 pages de signatures certifiées par 99 notaires  . Même dans le conseil général de la Commune, il se trouve une majorité pour infliger un blâme public au maire Pétion, au procureur-syndic Manuel, aux administrateurs de police, Panis, Sergent, Viguer et Perron  . Dès le soir du 20 juin, le conseil du département a ordonné une enquête ; il la poursuit, il la presse, il établit par pièces authentiques l’inaction volontaire, la connivence hypocrite, le double jeu du procureur-syndic et du maire  , il les suspend de leurs fonctions, il les dénonce aux tribunaux, ainsi que Santerre et ses complices. Enfin La Fayette, ajoutant au poids de son opinion l’ascendant de sa présence, vient lui-même, à la barre de l’Assemblée nationale, réclamer des mesures « efficaces » contre les usurpations de la « secte » jacobine, et demander que les instigateurs du 20 juin soient punis « comme criminels de lèse-nation ». Dernier symptôme et plus significatif encore : dans l’Assemblée, sa démarche est approuvée par une majorité de plus de cent voix 
Tout cela doit être écrasé et va l’être…
Personne ne soutient La Fayette, qui seul a eu le courage de se mettre en avant ; au rendez-vous général qu’il a donné aux Champs-Élysées, il ne vient qu’une centaine d’hommes. On y convient de marcher le lendemain contre les Jacobins et de fermer leur club si l’on est 300, et le lendemain on se trouve 30. La Fayette n’a plus qu’à quitter Paris et à protester par une nouvelle lettre. – Protestations, appels à la Constitution, au droit, à l’intérêt public, au sens commun, arguments bien déduits, il n’y aura jamais de ce côté que des discours et des écritures ; or, dans le conflit qui s’engage, les discours et les écritures ne servent pas. – Imaginez un débat entre deux hommes, l’un qui raisonne juste, l’autre qui ne sait guère que déclamer, mais qui, ayant rencontré sur son chemin un dogue énorme, l’a flatté, alléché et l’amène avec lui comme auxiliaire. Pour le dogue, les beaux raisonnements ne sont que du papier noirci ou du bruit en l’air ; les yeux ardents et fixés sur son maître provisoire, il n’attend qu’un geste pour sauter sur les adversaires qu’on lui désigne. Le 20 juin, il en a presque étranglé un et l’a couvert de sa bave. Le 21 juin  , il se dresse, pour recommencer. Pendant les cinquante jours qui suivent, il ne cesse de gronder, d’abord sourdement, puis avec des éclats terribles. Le 25 juin, le 14 juillet, le 27 juillet, le 3 août, le 5 août, il s’élance encore et n’est retenu qu’à grand’peine  . Une fois déjà, le 29 juillet, ses crocs se sont enfoncés dans la chair vivante  . — A chaque tournant de la discussion parlementaire, le constitutionnel sans défense voit cette gueule béante ; rien d’étonnant s’il jette ou laisse jeter en pâture au dogue tous les décrets que réclame le Girondin. — Sûrs de leur force, les Girondins recommencent l’attaque, et leur plan de campagne semble habilement combiné. Ils veulent bien tolérer le roi sur le trône, mais à condition qu’il n’y soit qu’un mannequin, qu’il rappelle les ministres patriotes, qu’il leur laisse choisir le gouverneur du dauphin, qu’il destitue La Fayette  . Sinon, l’Assemblée prononcera la déchéance et se saisira du pouvoir exécutif. Tel est le défilé à double issue dans lequel ils engagent l’Assemblée et le roi. Si le roi, acculé, ne passe point par la première porte, l’Assemblée, acculée, passera par la seconde, et, dans les deux cas, ministres tout-puissants du roi soumis, ou délégués exécutifs de l’Assemblée soumise, ils seront les maîtres de la France…

Le roi et ses ministres empêchés de gouverner et continument menacés : . Toujours la mort, et à tout propos, contre quiconque n’est pas de leur secte

À cet effet, ils s’en prennent d’abord au roi, et tâchent de lui forcer la main par la peur. — Ils font lever la suspension prononcée contre Pétion et Manuel, et les ramènent tous deux à l’Hôtel de Ville. Désormais ceux-ci régneront dans Paris sans répression ni surveillance, car le directoire du département s’est démis ; il n’y a plus d’autorité supérieure pour les empêcher de requérir ou de consigner à leur gré la force armée, et ils sont affranchis de toute subordination comme de tout contrôle. Voilà le roi de France en bonnes mains, aux mains de ceux qui, le 20 juin, ont refusé de museler la bête populaire et déclarent qu’elle a bien fait, qu’elle était dans son droit, qu’elle est libre de recommencer. Selon eux, le palais du monarque appartient au public : on peut y entrer comme dans un café ; en tout cas, si la municipalité est occupée ailleurs, elle n’est pas tenue de s’y opposer : « Est-ce qu’il n’y a que les Tuileries et le roi à garder dans Paris   ? » — Autre manœuvre : on brise aux mains du roi ses instruments. Si honorables et inoffensifs que soient ses nouveaux ministres, ils ne comparaissent dans l’Assemblée que pour être hués par les tribunes. Isnard, désignant du doigt le principal d’entre eux, s’écrie : « Voici un traître  . » Tous les attentats populaires leur sont imputés à crime, et Guadet déclare que, « comme conseillers du roi, ils sont solidaires des troubles » que pourrait exciter le double veto  . Non seulement la faction les déclare coupables des violences qu’elle provoque, mais encore elle demande leur vie pour expier les meurtres qu’elle commet. « Apprenez à la France, dit Vergniaud, que désormais les ministres répondent sur leurs têtes de tous les désordres dont la religion est le prétexte. » – « Le sang qui vient de couler à Bordeaux, dit Ducos, doit retomber sur le pouvoir exécutif  . » La Source propose de « punir de mort » non seulement le ministre qui n’aura pas ordonné promptement l’exécution d’un décret sanctionné, mais encore les commis qui n’auront pas exécuté les ordres du ministre. Toujours la mort, et à tout propos, contre quiconque n’est pas de leur secte. Sous cette terreur continue, les ministres se démettent en masse, et le roi est sommé d’en trouver d’autres sur-le-champ ; cependant, pour rendre leur poste plus dangereux, l’Assemblée décrète que dorénavant ils seront « solidairement responsables ». Manifestement, c’est au roi qu’on en veut par-dessus les ministres, et les Girondins n’omettent rien pour lui rendre le gouvernement impossible. Il signe encore ce nouveau décret ; il ne proteste pas ; à la persécution qu’il subit, il n’oppose que le silence, parfois une effusion de bon cœur honnête  , une plainte affectueuse et touchante, qui semble un gémissement contenu  . Mais aux accents les plus douloureux et les plus convaincus, l’obstination dogmatique et l’ambition impatiente restent volontairement sourdes ; sa sincérité passe pour un nouveau mensonge ; du haut de la tribune, Vergniaud, Brissot, Torné, Condorcet l’accusent de trahison, revendiquent pour l’Assemblée le droit de le suspendre , et donnent le signal à leurs auxiliaires jacobins. – Sur l’invitation de la Société-mère, les succursales de province se mettent en branle, et la machine révolutionnaire opère à la fois par tous ses engins d’agitation, rassemblements sur les places publiques, placards homicides sur les murs, motions incendiaires dans les clubs, hurlements dans les tribunes, adresses injurieuses et députations séditieuses à la barre de l’Assemblée  . Après trente-six jours de ce régime, les Girondins croient le roi dompté, et, le 26 juillet, Guadet, puis Brissot, à la tribune, lui font les suprêmes sommations et les dernières avances  . Déception profonde ! comme au 20 juin, il refuse : « Jamais de ministres girondins. »
Puisqu’il barre une des deux portes, on passera par l’autre, et, si les Girondins ne peuvent régner par lui, ils régneront sans lui. Au nom de la Commune, Pétion en personne vient proposer le nouveau plan et réclamer la déchéance

Vers la déchéance du roi, ou comment les girondins croient utiliser les futurs montagnards et se retrouveront dans leurs mains

La Fayette, libéral, démocrate, royaliste, aussi attaché à la révolution qu’à la loi, est alors le personnage qui justement, par la courte portée de son esprit, par l’incohérence de ses idées politiques, par la noblesse de ses sentiments contradictoires, représente le mieux l’opinion de l’Assemblée et de la France  . D’ailleurs sa popularité, son courage et son armée sont le dernier refuge. La majorité sent qu’en le livrant elle se livre elle-même, et, par 400 voix contre 224, elle l’absout. — De ce côté encore, la stratégie des Girondins s’est trouvée fausse. Pour la seconde fois, le pouvoir leur échappe ; ni le roi ni l’Assemblée n’ont consenti à le leur remettre, et ils ne peuvent plus le laisser suspendu en l’air, différer jusqu’à une meilleure occasion, faire attendre leurs acolytes jacobins. Le fragile lien par lequel ils tenaient en laisse le dogue révolutionnaire s’est rompu entre leurs mains : le dogue est lâché et dans la rue.

Jamais on n’a mieux travaillé pour autrui : toutes les mesures par lesquelles ils croyaient ressaisir le pouvoir n’ont servi qu’à le livrer à la populace. – D’un côté, par une série de décrets législatifs et d’arrêtés municipaux, ils ont écarté ou dissous la force armée qui pouvait encore la réprimer ou l’intimider. Le 29 mai, ils ont licencié la garde du roi. Le 15 juillet, ils renvoient de Paris toutes les troupes de ligne. Le 16 juillet  , ils choisissent, pour « composer la gendarmerie à pied, les ci-devant gardes-françaises qui ont servi la révolution à l’époque du 1er juin 1789… c’est-à-dire les insurgés et déserteurs en titre. Le 6 juillet, dans toutes les villes de 50 000 âmes et au-dessus, ils frappent la garde nationale à la tête par le licenciement de son état-major, « corporation aristocratique, dit une pétition  , sorte de féodalité moderne, composée de traîtres qui semblent avoir formé le projet de diriger à leur gré l’opinion publique ». Dans les premiers jours d’août  , ils frappent la garde nationale au cœur par la suppression des compagnies distinctes, grenadiers et chasseurs, recrutés parmi les gens aisés, véritable élite qui maintenant, dépouillée de son uniforme, ramenée à l’égalité, perdue dans la masse, voit en outre ses rangs troublés par un mélange d’intrus, fédérés et hommes à piques. Enfin, pour achever le pêle-mêle, ils ordonnent que dorénavant la garde du château soit chaque jour composée de citoyens pris dans les soixante bataillons  , en sorte que les chefs ne connaissent plus leurs hommes, que personne n’ait plus confiance en son chef, en son subordonné, en son voisin, en lui-même, que toutes les pierres de la digue humaine soient descellées d’avance et que la défense croule au premier choc.

D’autre part, ils ont eu soin de fournir à l’émeute un corps de bataille et une avant-garde. Par une autre série de décrets législatifs et d’arrêtés municipaux, ils autorisent le rassemblement des fédérés à Paris, ils leur allouent une solde et un logement militaire  , ils leur permettent de s’organiser sous un comité central qui siège aux Jacobins et prend des Jacobins le mot d’ordre. De ces nouveaux venus, les deux tiers, vrais soldats et vrais patriotes, partent pour le camp de Soissons et la frontière ; mais il en reste un tiers à Paris  , peut-être 2 000, émeutiers et politiques, qui, fêtés, régalés, endoctrinés, hébergés chacun chez un Jacobin, deviennent plus jacobins que leurs hôtes et s’incorporent dans les bataillons révolutionnaires   pour y servir la bonne cause à coups de fusil. – Deux pelotons, qui sont arrivés plus tard, demeurent distincts et n’en sont que plus redoutables, l’un et l’autre envoyés par ces villes de mer dans lesquelles, quatre mois auparavant, on comptait déjà « vingt et un faits d’insurrection capitale, tous impunis, et plusieurs par sentence du jury maritime   ». L’un, de 300 hommes, vient de Brest, où la municipalité, aussi exaltée que celles de Marseille et d’Avignon, fait, comme celles de Marseille et d’Avignon, des expéditions armées contre ses voisins, où les meurtres populaires sont tolérés, où M. de la Jaille a été presque tué, où la tête de M. Patry a été portée sur une pique, où des vétérans de l’émeute composent l’équipage de la flotte, où « les ouvriers à la solde de l’État, les commis, les maîtres, les sous-officiers, convertis en motionnaires, en agitateurs, en harangueurs politiques, en censeurs de l’administration », ne demandent qu’à faire œuvre de leurs bras sur un théâtre plus en vue. L’autre troupe, appelée de Marseille par les Girondins Rébecqui et Barbaroux  , comprend 516 hommes, aventuriers intrépides et féroces, de toute provenance, Marseillais ou étrangers, « Savoyards, Italiens, Espagnols, chassés de leur pays », presque tous de la dernière plèbe ou entretenus par des métiers infâmes, « spadassins et suppôts de mauvais lieux », accoutumés au sang, prompts aux coups, bons coupe-jarrets, triés un à un dans les bandes qui ont marché sur Aix, Arles et Avignon, l’écume de cette écume qui depuis trois ans, dans le Comtat et dans les Bouches-du-Rhône, bouillonne par-dessus les barrières inutiles de la loi

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