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mardi 15 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_67_ Les massacres de septembre

Les rôles de Marat et de Danton ; Danton, un vrai conducteur d’hommes : le 10 août et le 2 septembre, c’est moi qui l’ai fait. Les républicains sont une minorité infime. Il faut mettre une rivière de sang entre les Français et les émigrés. Septembre est le début, l’abrégé, le modèle de la Terreur. Les noms des massacreurs et de leurs inspirateurs  
Encore une fois, contrairement à ce qu’affirment pudiquement les « bonnes histoires » de la Révolution, donneurs d’ordre et exécuteurs sont parfaitement connus !

Le plan du Massacre- Marat

Depuis le 23 août  , leur résolution est prise, le plan du massacre s’est dessiné dans leur esprit, et peu à peu, spontanément, chacun, selon ses aptitudes, y prend son rôle, qu’il choisit ou qu’il subit.
Avant tous, Marat a proposé et prêché l’opération, et, de sa part, rien de plus naturel. Elle est l’abrégé de sa politique : un dictateur ou tribun, avec pleins pouvoirs pour tuer et n’ayant de pouvoirs que pour cela, un bon coupe-tête en chef, responsable, « enchaîné et le boulet aux pieds », tel est, depuis le 14 juillet 1789, son programme de gouvernement, et il n’en rougit pas : « tant pis pour ceux qui ne sont pas à la hauteur de l’entendre   ». Du premier coup, il a compris le caractère de la révolution, non par génie, mais par sympathie, lui-même aussi borné et aussi monstrueux qu’elle, atteint depuis trois ans de délire soupçonneux et de monomanie homicide, réduit par l’appauvrissement mental à une seule idée, celle du meurtre, ayant perdu jusqu’à la faculté du raisonnement vulgaire, le dernier des journalistes, sauf pour les poissardes et les hommes à piques, p.720 si monotone dans son paroxysme continu  , qu’à lire ses numéros de suite on croit entendre le cri incessant et rauque qui sort d’un cabanon de fou. Dès le 19 août, il a poussé le peuple aux prisons. « Le parti le plus sûr et le plus sage, dit-il, est de se porter en armes à l’Abbaye, d’en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses et leurs complices, et de les passer au fil de l’épée. Quelle folie que de vouloir faire leur procès ! Il est tout fait. – Vous avez massacré les soldats ; pourquoi épargneriez-vous les officiers, infiniment plus coupables ? » – Et, deux jours après, insistant avec son imagination de bourreau : « Les soldats méritaient mille morts... Quant aux officiers, ils méritent d’être écartelés, comme Louis Capet et ses suppôts du Manège  . » – Là-dessus la Commune l’adopte comme son journaliste officiel, lui donne une tribune dans la salle de ses séances, lui confie le compte rendu de ses actes, et tout à l’heure va le faire entrer dans son comité de surveillance ou d’exécution.

 Danton :  il dira du 2 septembre aussi justement que du 10 août : « C’est moi qui l’ai fait 

Mais un pareil énergumène n’est bon que pour être un instigateur et un trompette ; tout au plus au dernier moment il pourra figurer parmi les ordonnateurs subalternes. – L’entrepreneur en chef   est d’une autre espèce et d’une autre taille, Danton, un vrai conducteur d’hommes : par son passé et sa place, par son cynisme populacier, ses façons et son langage, par ses facultés d’initiative et de commandement, par la force intempérante de sa structure corporelle et mentale, par l’ascendant physique de sa volonté débordante et absorbante, il est approprié d’avance à son terrible office. – Seul de la Commune, il est devenu ministre, et il n’y a que lui pour abriter l’attentat municipal sous le patronage ou sous l’inertie de l’autorité centrale. – Seul de la Commune et du ministère, il est capable d’imprimer l’impulsion et de coordonner l’action dans le pêle-mêle du chaos révolutionnaire ; maintenant, au conseil des ministres, comme auparavant à l’Hôtel de Ville, c’est lui qui gouverne. Dans la bagarre continue des discussions incohérentes  , à travers « les propositions ex abrupto, les cris, les jurements, les allées et venues des pétitionnaires interlocuteurs », on le voit maîtriser ses nouveaux collègues par « sa voix de Stentor, par ses gestes d’athlète, par ses effrayantes menaces », s’approprier leurs fonctions, leur dicter ses choix, « apporter des commissions toutes dressées », se charger de tout, faire les propositions, les arrêtés, les proclamations, les brevets », et, puisant à millions dans le Trésor public, jeter la pâtée à ses dogues des Cordeliers et de la Commune, « à l’un 20 000 livres, à l’autre 10 000 », « pour la révolution, à cause de leur patriotisme » voilà tout son compte rendu. Ainsi gorgée, la meute des « braillards » à jeun et des « intrigants » avides, tout le personnel actif des sections et des clubs est dans sa main. On est bien fort avec ce cortège en temps d’anarchie ; effectivement, pendant les mois d’août et de septembre, Danton a régné, et plus tard il dira du 2 septembre aussi justement que du 10 août : « C’est moi qui l’ai fait   ».
Non qu’il soit vindicatif ou sanguinaire par nature ; tout au rebours avec un tempérament de boucher, il a un cœur d’homme, et tout à l’heure, au risque de se compromettre, contre la volonté de Marat et de Robespierre, il sauvera ses adversaires politiques, Duport, Brissot, les Girondins, l’ancien côté droit  . Non qu’il soit aveuglé par la peur, la haine ou la théorie avec les emportements d’un clubiste, il a la lucidité d’un politique, il n’est pas dupe des phrases ronflantes qu’il débite, il sait ce que valent les coquins qu’il emploie   ; il n’a d’illusion ni sur les hommes, ni sur les choses, ni sur autrui, ni sur lui-même ; s’il tue, c’est avec une pleine conscience de son œuvre, de son parti, de la situation, de la révolution, et les mots crus que, de sa voix de taureau, il lance au passage ne sont que la forme vive de la vérité exacte : « Nous sommes de la canaille, nous sortons du ruisseau » ; avec les principes d’humanité ordinaire, « nous y serions bientôt replongés   ; nous ne pouvons gouverner qu’en faisant peur ». — Les Parisiens sont des j... f..., il faut mettre une rivière de sang entre eux et les émigrés   » — « Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie... Pour les vaincre, que faut-il ? De l’audace, et encore de l’audace, et toujours de l’audace  . » – « J’ai fait venir ma mère, qui a 70 ans ; j’ai fait venir mes deux enfants, ils sont arrivés hier au soir. Avant que les Prussiens entrent dans Paris, je veux que ma famille périsse avec moi ; je veux que vingt mille flambeaux en un instant fassent de Paris un tas de cendres  . » – « C’est dans Paris qu’il faut se maintenir par tous les moyens. Les républicains sont une minorité infime, et, pour combattre, nous ne pouvons compter que sur eux ; le reste de la France est attaché à la royauté. Il faut faire peur aux royalistes   ! » – C’est lui qui, le 28 août, obtient de l’Assemblée la grande visite domiciliaire par laquelle la Commune emplit ses prisons. C’est lui qui, le 2 septembre, pour paralyser la résistance des honnêtes gens, fait décréter la peine de mort contre quiconque, « directement ou indirectement, refusera d’exécuter ou entravera, de quelque manière que ce soit, les ordres donnés et les mesures prises par le pouvoir exécutif ». C’est lui qui, le même jour, annonce au journaliste Prudhomme le prétendu complot des prisons, et, le surlendemain, lui envoie son secrétaire, Camille Desmoulins, pour falsifier le compte rendu des massacres . C’est lui qui, le 3 septembre, au ministère de la justice, devant les commandants de bataillon et les chefs de service, devant Lacroix, président de l’Assemblée nationale, et Pétion, maire de Paris, devant Clavière, Servan, Monge, Lebrun et tout le conseil exécutif, sauf Roland, réduit d’un geste les principaux personnages de l’État à l’office de complices passifs et répond à un homme de cœur qui se lève pour arrêter les meurtres : « Sieds-toi, c’était nécessaire  . » C’est lui qui, le même jour, fait expédier sous son contre-seing la circulaire par laquelle le comité de surveillance annonce le massacre et invite « ses frères des départements » à suivre l’exemple de Paris  . C’est lui qui, le 10 septembre, « non comme ministre de la justice, mais comme ministre du peuple, » félicitera et remerciera les égorgeurs de Versailles  . – Depuis le 10 août, par Billaud-Varennes, son ancien secrétaire, par Fabre d’Églantine, son secrétaire du sceau, par Tallien, secrétaire de la Commune et son plus intime affidé, il est présent à toutes les délibérations de l’Hôtel de Ville, et, à la dernière heure, il a soin de mettre au comité de surveillance un homme à lui, le chef de bureau Deforgues  . – Non seulement la machine à faucher a été construite sous ses yeux et avec son assentiment, mais encore, au moment où elle entre en branle, il en garde en main la poignée pour en diriger la faux.

Septembre est le début, l’abrégé, le modèle ; on ne fera pas autrement ni mieux au plus beau temps de la guillotine.- les exécuteurs

Il a raison : si parfois il n’enrayait pas, elle se briserait par son propre jeu. Introduit dans le comité comme professeur de saignée politique, Marat, avec la raideur de l’idée fixe, tranchait à fond au delà de la ligne prescrite ; déjà des mandats d’arrêt étaient lancés contre trente députés, on fouillait les papiers de Brissot, l’hôtel de Roland était cerné, Duport, empoigné dans un département voisin, arrivait dans la boucherie. Celui-ci est le plus difficile à sauver ; il faut des coups de collier redoublés pour l’arracher au maniaque qui le réclame. Avec un chirurgien comme Marat, et des carabins comme les cinq ou six cents meneurs de la Commune et des sections, on n’a pas besoin de pousser le manche du couteau, on sait d’avance que l’amputation sera large. Leurs noms seuls parlent assez haut : à la Commune, Manuel, procureur-syndic, Hébert et Billaud-Varennes, ses deux substituts, Huguenin, Lhuillier, M.-J. Chénier, Audouin, Léonard Bourdon, Boula et Truchon, présidents successifs ; à la Commune et aux sections, Panis, Sergent, Tallien, Rossignol, Chaumette, Fabre d’Églantine, Pache, Hassen¬fratz, le cordonnier Simon, l’imprimeur Momoro ; à la garde nationale, Santerre, commandant général, Henriot, chef de bataillon, au-dessous d’eux, la tourbe des démagogues de quartier, comparses de Danton, d’Hébert ou de Robespierre, et guillotinés plus tard avec leurs chefs de file  , bref la fleur des futurs terroristes. – Ils font aujourd’hui leur premier pas dans le sang, chacun avec son attitude propre et ses mobiles personnels, M.-J. Chénier, dénoncé comme membre du club de la Sainte-Chapelle et d’autant plus exagéré qu’il est suspect   ; Manuel, pauvre homme excitable, effaré, entraîné, et qui frémira de son œuvre après l’avoir vue ; Santerre, beau figurant circonspect qui, le 2 septembre, sous prétexte de garder les bagages, monte sur le siège d’une berline arrêtée et y reste deux heures pour ne pas faire son office de commandant général   ; Panis, président du comité de surveillance, bon subalterne, né disciple et caudataire, admirateur de Robespierre, qu’il a proposé pour la dictature, et de Marat, qu’il prône comme un prophète   ; Henriot, Hébert et Rossignol, simples malfaiteurs en écharpe ou en uniforme ; Collot d’Herbois, comédien-poétereau, dont l’imagination théâtrale combine avec satisfaction des horreurs de mélodrame    ; Billaud-Varennes, ancien oratorien, bilieux et sombre, aussi froid devant les meurtres qu’un inquisiteur devant un autodafé ; enfin le cauteleux Robespierre, qui pousse les autres sans s’engager, ne signe rien, ne donne point d’ordres, harangue beaucoup, conseille toujours, se montre partout, prépare son règne, et, tout d’un coup, au dernier moment, comme un chat qui saute sur sa proie, tâche de faire égorger ses rivaux les Girondins  .

Jusqu’ici, quand ils tuaient ou faisaient tuer, c’était en émeutiers, dans la rue ; à présent, c’est aux prisons, en magistrats et fonctionnaires, sur des registres d’écrou, après constatation d’identité et jugement sommaire, par des exécuteurs payés, au nom du salut public, avec méthode et sang-froid, presque aussi régulièrement que plus tard sous « le gouvernement révolutionnaire ». Effectivement Septembre en est le début, l’abrégé, le modèle ; on ne fera pas autrement ni mieux au plus beau temps de la guillotine.

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