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lundi 21 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_101_ Sous la Terreur

Les représentants en mission dans les départements : la folie homicide. Fouché, Fréron, Collot, Carrer. Le club des Jacobins  parisiens sous la Terreur ; la folie épuratoire. Les certificats de civisme : Quiconque n’est pas de la bande n’est pas de la cité. Ils se dénoncent les uns après les autres  

Les représentants en mission dans les départements : la folie homicide

Pareillement, dans la plupart des autres pachaliks, si quelque tête, condamnée mentalement par le pacha, échappe ou tarde à tomber, celui-ci s’indigne contre les délais et les formes de la justice, contre les juges et les jurés que souvent il a choisis lui-même. Javogues écrit une lettre d’injures à la commission de Feurs qui a osé acquitter deux ci-devant. Laignelot, Le Carpentier, Milhaud, Monestier, Lebon, cassent, recomposent ou remplacent les commissions de Fontenay, de Saint-Malo et de Perpignan, les tribunaux d’Aurillac, de Pau, de Nîmes et d’Arras, qui n’ont pas jugé à leur fantaisie  . Lebon, Bernard de Saintes, Dartigoeyte et Fouché remettent en jugement, pour le même fait, des prévenus solennellement acquittés par leurs propres tribunaux. Bô, Prieur de la Marne et Lebon envoient en prison des juges ou jurés qui ne veulent pas voter toujours la mort  . Barras et Fréron expédient, de brigade en brigade, au tribunal révolutionnaire de Paris, l’accusateur public et le président du tribunal révolutionnaire de Marseille, comme indulgents et contre-révolutionnaires, parce que, sur 528 prévenus, ils n’en ont fait guillotiner que 162  . – Contredire le représentant infaillible ! Cela seul est une offense ; le représentant se doit à lui-même de punir les indociles, de ressaisir les délinquants absous, et de soutenir ses cruautés par des cruautés.
Quand on a bu longtemps d’une boisson nauséabonde et forte, non seulement le palais s’y habitue, mais parfois il y prend goût ; bientôt il la veut plus forte ; à la fin, il l’avale pure, toute crue, sans aucun mélange pour en adoucir l’âcreté, sans aucun assaisonnement pour en déguiser l’horreur. – Tel est, pour certaines imaginations, le spectacle du sang humain ; après s’y être accoutumées, elles s’y complaisent. Lequinio, Laignelot et Lebon font dîner le bourreau à leur table   ; Monestier, « avec ses coupe-jarrets, va lui-même chercher les prévenus dans les cachots, les accompagne au tribunal, les accable d’invectives s’ils veulent se défendre, et, après les avoir fait condamner, assiste en costume » à leur supplice  . Fouché, lorgnette en main, regarde de sa fenêtre une boucherie de deux cent dix Lyonnais. Collot, La Porte et Fouché font ripaille, en grande compagnie, les jours de fusillade, et, au bruit de la décharge, se lèvent, avec des cris d’allégresse, en agitant leurs chapeaux  . À Toulon, c’est Fréron en personne qui commande et fait exécuter sous ses yeux le premier grand massacre du champ de Mars  . – Sur la place d’Arras, M. de Vielfort, déjà lié et couché sur la planche, attendait la chute du couperet. Lebon paraît au balcon du théâtre, fait signe au bourreau d’arrêter, ouvre le journal, lit et commente à haute voix, pendant plus de dix minutes, les succès récents des armées françaises ; puis, se tournant vers le condamné : « Va, scélérat, apprendre à tes pareils les nouvelles de nos victoires  . » – À Feurs, où les fusillades se font chez M. du Rosier, dans la grande allée du parc, la fille de la maison, une toute jeune femme, vient en pleurant demander à Javogues la grâce de son mari. « Oui, ma petite, répond Javogues, demain tu l’auras chez toi. » En effet, le lendemain, le mari est fusillé, enterré dans l’allée  . - Manifestement, le métier a fini par leur agréer ; comme leurs prédécesseurs de septembre, ils s’enivrent de leurs meurtres ; autour d’eux, on parle en termes gais « du théâtre rouge, du rasoir national » ; on dit d’un aristocrate qu’il va « mettre la tête à la fenêtre nationale, qu’il a passé la tête à la chatière   ». Eux-mêmes ils ont le style et les plaisanteries de l’emploi. « Demain, à sept heures, écrit Hugues, dressez la sainte guillotine. » – « La demoiselle guillotine, écrit Le Carlier, va ici toujours son train  . » – « MM. les parents et amis d’émigrés et de prêtres réfractaires, écrit Lebon, accaparent la guillotine  ... Avant hier, la sœur du ci-devant comte de Béthume a éternué dans le sac. » – Carrier avoue hautement « le plaisir qu’il goûte » à voir exécuter des prêtres : « Jamais je n’ai tant ri que lorsque je les voyais faire leurs grimaces en mourant  . » C’est ici la suprême perversion de la nature humaine, celle d’un Domitien qui, sur le visage de ses condamnés, suit l’effet du supplice, mieux encore celle d’un nègre qui éclate de rire et se tient les côtes à l’aspect d’un homme sur le pal. – Et cette joie de contempler les angoisses de la mort sanglante, Carrier se la donne sur des enfants. Malgré les remontrances du tribunal révolutionnaire, et les instances du président Phélippes-Tronjolly  , il signe, le 29 frimaire an II, l’ordre exprès de guillotiner sans jugement vingt-sept personnes, dont sept femmes, parmi elles quatre sœurs, mesdemoiselles de la Métayrie, l’une de vingt-huit ans, l’autre de vingt-sept, la troisième de vingt-six, la dernière de dix-sept. Deux jours auparavant, malgré les remontrances du même parmi eux deux garçons de quatorze ans et deux autres de treize ans ; tribunal et les instances du même président, il a signé l’ordre exprès de guillotiner vingt-quatre artisans et laboureurs, il s’est fait conduire « en fiacre » sur la place de l’exécution, et il en a suivi le détail ; il a pu entendre l’un des enfants de treize ans, déjà lié sur la planche, mais trop petit et n’ayant sous le couperet que le sommet de la tête, dire à l’exécuteur : « Me feras-tu beaucoup de mal ? » On devine sur quoi le triangle d’acier est tombé. - Carrier a vu cela de ses yeux, et tandis que l’exécuteur, ayant horreur de lui-même, meurt, un peu après, de ce qu’il a fait, Carrier, installant un autre bourreau, recommence et continue….

Le club des Jacobins  parisiens sous la Terreur ; la folie épuratoire

À Paris, ils sont cinq ou six mille, et, après Thermidor, on les retrouve en nombre à peu près égal, ralliés par les mêmes appétits autour du même dogme  , niveleurs et terroristes, « les uns parce qu’ils sont dans la misère, les autres parce qu’ils sont déshabitués du travail de leur état », furieux contre les « scélérats à porte-cochère, contre les richards et les détenteurs d’objets de première nécessité », plusieurs « ayant arsouillé dans la Révolution et prêts à se remettre à la besogne, pourvu que ce soit pour tuer les coquins de riches, d’accapareurs et de marchands », tous « ayant fréquenté les sociétés populaires et se croyant des philosophes, quoique la plupart ne sachent pas lire » ; à leur tête, le demeurant des plus notables bandits politiques, le fameux maître de poste Drouet, qui, à la tribune de la Convention, s’est lui-même déclaré « brigand   » ; Javogues, le voleur de Montbrison et « le Néron de l’Ain   » ; l’ivrogne Cusset, jadis ouvrier en soie, ensuite pacha de Thionville ; Bertrand, l’ami de Châlier, ex-maire et bourreau de Lyon ; Darthé, ex-secrétaire de Lebon et bourreau d’Arras ; Rossignol et neuf autres septembriseurs de l’Abbaye et des Carmes ; enfin, le grand apôtre du communisme autoritaire, Babeuf, qui, condamné à vingt ans de fers pour un double faux en écritures publiques, aussi besogneux que taré, promène sur le pavé de Paris ses ambitions frustrées et ses poches vides….
Car la besogne quotidienne qu’on leur impose, et qu’ils doivent faire de leurs propres mains, est le vol et le meurtre ; sauf les purs fanatiques qui sont rares, les brutes et les drôles ont seuls de l’aptitude et du goût pour cet emploi. À Paris, comme en province, on va les prendre où ils sont, dans leurs rendez-vous, dans les clubs ou sociétés populaires. – Il y en a au moins une dans chaque section de Paris, en tout quarante-huit, ralliées autour du club central de la rue Saint-Honoré, quarante-huit ligues de quartier formées par les émeutiers et braillards de profession, par les réfractaires et les goujats de l’armée sociale, par tous les individus, hommes ou femmes  , impropres à la vie rangée et au travail utile, surtout par ceux qui, le 31 mai et le 2 juin, ont aidé la Commune et la Montagne à violenter la Convention. Ils se reconnaissent à ce signe que « chacun d’eux, en cas de contre-révolution, serait pendu   », et posent, « comme une vérité incontestable, que, s’ils épargnent un seul aristocrate, ils iront tous à l’échafaud   ». – Naturellement ils se tiennent en garde, et se serrent entre eux dans leur coterie, « tout se fait par compère et commère   » ; on n’y est admis qu’à condition d’avoir fait ses preuves au « 10 août et au 31 mai   ». – Et, comme derrière leurs chefs vainqueurs ils se sont poussés à la Commune et aux comités révolutionnaires, ils peuvent, par les certificats de civisme qu’ils accordent ou refusent arbitrairement, exclure, non seulement de la vie politique, mais encore de la vie civile, tous les hommes qui ne sont pas de leur clique
« Plusieurs sections arrêtent de ne point accorder de certificats de civisme aux citoyens qui ne seraient point membres d’une société populaire. » – Et, de mois en mois, la rigueur des exclusions va croissant. On annule les anciens certificats, on en impose de nouveaux, on charge ces nouveaux brevets de formalités nouvelles, on exige un plus grand nombre de répondants, on refuse plusieurs catégories de garants, on est plus strict sur les gages donnés et sur les qualités requises, on ajourne le candidat jusqu’à plus ample informé, on le rejette sur le moindre soupçon   : il doit s’estimer trop heureux si on le tolère dans la république à l’état de sujet passif, si l’on se contente de le taxer ou de le vexer à discrétion, si on ne l’envoie pas rejoindre en prison les suspects ; quiconque n’est pas de la bande n’est pas de la cité.

Entre eux et dans leurs sociétés populaires, c’est pis : car « l’envie d’avoir des places fait qu’ils se dénoncent les uns après les autres   ». Par suite, aux Jacobins, de la rue Saint-Honoré et dans les succursales de quartier, ils s’épurent incessamment, et toujours dans le même sens, jusqu’à purger leur faction de tout alliage honnête et passable, jusqu’à ne garder d’eux-mêmes qu’une minorité qui empire à chaque triage. Tel annonce que dans son club on a déjà chassé 80 membres douteux ; un autre, que dans le sien on va en exclure 100  . – Le 23 ventôse  , dans la société du Bon Conseil, le plus grand nombre des membres examinés est repoussé : « On est si strict, qu’un homme qui ne s’est pas montré d’une façon énergique dans les temps de crise ne peut faire partie de l’assemblée ; pour un rien, on est mis à l’écart ». – Le 13 ventôse, dans la même société, « sur 26 examinés, 7 seulement ont été admis. Un citoyen, marchand de tabac, âgé de 68 ans, qui a toujours fait son service, a été rejeté pour avoir appelé le président Monsieur et pour avoir parlé à la tribune tête nue : deux membres, après cela, ont prétendu qu’il ne pouvait être qu’un modéré, et il n’en a pas fallu davantage pour qu’il fût exclu ». – Ceux qui sont maintenus sont les vauriens les plus affichés, les plus remuants, les plus bavards, les plus féroces, et le club, mutilé par lui-même, se réduit à un noyau de charlatans et de chenapans.
Vainement Robespierre, écrivant et récrivant ses listes secrètes, cherche des hommes capables de soutenir le système ; toujours il ressasse les mêmes noms, des noms d’inconnus, d’illettrés  , une centaine de scélérats ou d’imbéciles, parmi eux quatre ou cinq despotes et fanatiques de second ordre, aussi malfaisants et aussi bornés que lui. – Le creuset épuratoire a trop longtemps et trop souvent fonctionné ; on l’a trop chauffé ; on a évaporé de force les éléments sains ou demi-sains de la liqueur primitive ; le reste a fermenté et s’est aigri : il n’y a plus au fond du vase qu’un reliquat de stupidité et de méchanceté, l’extrait concentré, corrosif et bourbeux de la lie.

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