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dimanche 20 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_100_ Les Représentants en mission sous la Terreur

Les Représentants en mission dans les départements – Maignet, Duquesnoy, Dumont, Collot, Bouchotte, RossignolLes représentants en mission aux armées; Saint-Just, Le Bas. Le cas Carrier : la folie destructrice : Je crois bien que nous serons tous guillotinés

Les Représentants en mission dans les départements - exemples

« Il semble, dit un témoin qui a longtemps connu Maignet, que tout ce qu’il a fait pendant ces cinq ou six années ne soit que le délire d’une maladie, après laquelle il a repris le fil de sa vie et de sa santé comme si de rien n’était  . » — Et Maignet écrit lui-même : « Je n’étais pas fait pour ces orages. » Cela est vrai de tous, et d’abord des naturels grossiers ; la subordination les eût comprimés ; la dictature les étale, et l’instinct brutal du soudard et du faune fait éruption.
Regardez un Duquesnoy, sorte de dogue toujours aboyant et mordant, plus furieux que jamais quand il est repu. Délégué à l’armée de la Moselle et passant par Metz  , il a mandé devers lui l’accusateur public Altmayer, et cependant il s’attable ; l’autre attend trois heures et demie dans l’antichambre, n’est pas admis, revient, et, reçu à la fin, s’entend dire, d’une voix tonnante : « Qui es-tu ? — L’accusateur public. — Tu as l’air d’un évêque, tu as été curé ou moine, tu ne peux pas être révolutionnaire.... Je viens à Metz avec des pouvoirs illimités. L’esprit public n’y est pas bon, je vais le mettre au pas. J’arrangerai les gens d’ici ; tant à Metz qu’à Nancy, j’en ferai fusiller cinq ou six cents, sous quinze jours. » — De même, chez le général Bessières, commandant de la place : là, rencontrant le commandant en second, M. Clédat, vieil officier, il le regarde de la tête aux pieds : « Tu as l’air d’un muscadin. D’où es-tu ? Tu dois être un mauvais républicain, tu as une figure de l’ancien régime. — J’ai les cheveux blancs, mais je n’en suis pas moins bon républicain : on peut demander au général et à toute la ville. — F...-moi le camp, b..., et dépêche-toi, ou je te fais arrêter... » — De même, dans la rue, où il empoigne un passant sur sa mine ; le juge de paix Joly lui certifiant le civisme de cet homme, il « toise » Joly : « Toi aussi, tu es un aristocrate ; je vois cela à tes yeux, je ne me trompe jamais. » Et, lui arrachant sa médaille de juge, il l’envoie en prison…
D’autres ont des gestes de luron et de goujat : tel André Dumont, ancien procureur de village, maintenant roi de la Picardie et sultan d’occasion, « figure de nègre blanc », parfois jovial, mais à l’ordinaire rudement et durement cynique, qui manie ses prisonnières ou suppliantes comme dans une kermesse  . — Un matin, dans son antichambre, une dame vient l’attendre, au milieu de vingt sans-culottes, pour solliciter l’élargissement de son mari. Dumont arrive en robe de chambre, s’assoit, écoute la supplique : « Assieds-toi, citoyenne. » Il la prend sur ses genoux, lui fourre la main dans la poitrine et dit, ayant tâté : « Je n’aurais jamais cru que les tétons d’une ci-devant marquise se fondissent ainsi sous la main d’un représentant du peuple. » Grands éclats de rire des sans-culottes ; il renvoie la pauvre femme et garde le mari sous les verrous ; le soir, il peut écrire à la Convention qu’il fait lui-même ses enquêtes, et qu’il examine les aristocrates de près.
– Pour se maintenir à ce degré d’entrain révolutionnaire, il est bon d’avoir une pointe de vin dans la tête, et, à cet effet, la plupart prennent leurs précautions. – A Lyon  , « les représentants envoyés pour assurer le bonheur du peuple », Albitte et Collot, requièrent la commission des séquestres de faire apporter chez eux 200 bouteilles du meilleur vin qu’ils pourront trouver, et, en outre, 500 bouteilles de vin rouge de Bordeaux, première qualité, pour leur table ». – En trois mois, à la table des représentants qui dévastent la Vendée, on vide 1974 bouteilles de vin, prises chez les émigrés de la ville ; « car, lorsqu’on a coopéré à la conservation d’une commune, on a le droit de boire à la République. » A cette buvette préside le représentant Bourbotte ; avec lui trinque Rossignol, ex-ouvrier bijoutier, puis massacreur de Septembre, toute sa vie crapuleux et brigand, maintenant général en chef ; avec Rossignol, ses adjudants généraux, Grammont, ancien comédien, et Hasard, ci-devant prêtre ; avec eux, Vacheron, bon « républiquain », qui viole les femmes et les fusille quand elles refusent de se laisser violer   ; outre cela, plusieurs demoiselles « brillantes » et sans doute amenées de Paris, dont « la plus jolie partage ses nuits entre Rossignol et Bourbotte », pendant que les autres servent aux inférieurs : mâle et femelle, toute la bande s’est installée dans un hôtel de Fontenay, où elle a commencé par briser les scellés, pour confisquer à son profit « les meubles, les bijoux, les robes, les ajustements de femme, et jusqu’aux porcelaines   ».
Cependant, à Chantonnay, le représentant Bourdon de l’Oise boit avec le général Tuncq, devient« frénétique » quand il est gris, et fait saisir dans leur lit, à minuit, des administrateurs patriotes qu’il embrassait la veille. – Presque tous ont, comme celui-ci, le vin mauvais, Carrier à Nantes, Petitjean à Thiers, Duquesnoy à Arras, Cusset à Thionville, Monestier à Tarbes. À Thionville, Cusset « boit comme un Lapithe », et donne, étant ivre, des ordres de « vizir », des ordres qu’on exécute  . À Tarbes, Monestier, « après un grand repas, fort échauffé », harangue le tribunal avec emportement, interroge lui-même le prévenu, M. de Lassalles, ancien officier, le fait condamner à mort, signe l’ordre de le guillotiner sur-le-champ, et M. de Lassalles est guillotiné le soir même, à minuit, aux flambeaux. Le lendemain, Monestier dit au président du tribunal : « Eh bien, hier soir nous avons fait une fameuse peur au pauvre Lassalles ! – Comment, une fameuse peur ! Mais il a été exécuté. » – Étonnement de Monestier : il ne se souvenait plus d’avoir écrit l’ordre  . – Chez d’autres, le vin, outre les instincts sanguinaires, fait sortir les instincts immondes. À Nîmes, Borie, en costume de représentant, avec le maire Courbis, le juge Giret et des filles de joie, a dansé la farandole autour de la guillotine…

Les représentants en mission aux armées; Saint-Just, Le Bas

Destituer, guillotiner, désorganiser, marcher en avant les yeux clos, prodiguer les vies au hasard, faire battre l’armée, parfois se faire tuer eux-mêmes, ils ne savent pas autre chose, et perdraient tout, si les effets de leur incapacité et de leur arrogance n’étaient pas atténués par le dévouement des officiers et par l’enthousiasme des soldats. – Même spectacle à Charleroy, où, par l’absurdité de ses ordres, Saint-Just fait de son mieux pour compromettre l’armée, et part de là pour se croire un grand homme  . – Même spectacle en Alsace, où Lacoste, Baudot, Ruamps, Soubrany, Milhaud, Saint-Just et Le Bas, par l’extravagance de leurs rigueurs, font de leur mieux pour dissoudre l’armée, et s’en glorifient. Installation du tribunal révolutionnaire au quartier général, le soldat invité à dénoncer ses officiers, promesse d’argent et de secret au délateur, nulle confrontation entre lui et l’accusé, « point d’instruction, point d’écritures, même pour libeller le jugement, un simple interrogatoire dont on ne prend point note, l’accusé arrêté à huit heures, jugé à neuf et fusillé à dix   ». Naturellement, sous un pareil régime personne ne veut plus commander ; déjà, avant l’arrivée de Saint-Just, Meusnier n’avait consenti à être général en chef que par intérim ; « à toutes les heures du jour », il demandait à être remplacé ; n’ayant pu l’être, il refusait de donner aucun ordre ; pour lui trouver un successeur, les représentants sont forcés de descendre jusqu’à un capitaine de dépôt, Carlenc, assez hasardeux ou assez borné pour se laisser mettre en main, avec le brevet de commandement, un brevet de guillotine…

Le cas Carrier : la folie destructrice : Je crois bien que nous serons tous guillotinés


Aussi bien, chez Carrier, comme chez un chien enragé, le cerveau tout entier est occupé par le rêve machinal et fixe, par des images incessantes de meurtre et de mort. Au président Phélippes-Tronjolly il dit, à propos des enfants vendéens : « La guillotine, toujours la guillotine   ! » A propos des noyades « Vous autres juges, il vous faut des jugements ; f...-les à l’eau, c’est bien plus simple. » A la Société populaire de Nantes : Tous les riches, tous les marchands sont des accapareurs, des contre-révolutionnaires ; dénoncez-les-moi, et je ferai rouler leurs têtes sous le rasoir national ; dénoncez-moi les fanatiques qui ferment leur boutique le dimanche, et je les ferai guillotiner. » – « Quand donc les têtes de ces scélérats commerçants tomberont-elles ? » – « Je vois ici des gueux en guenilles ; vous êtes à Ancenis aussi bêtes qu’à Nantes. Ignorez-vous que la fortune, les richesses de ces gros négociants vous appartiennent, et la rivière n’est-elle pas là ? » – « Mes braves b..., mes bons sans-culottes, il est temps que vous jouissiez à votre tour ; faites-moi des dénonciations ; le témoignage de deux bons sans-culottes me suffira pour faire tomber les têtes des gros négociants. » – « Nous ferons   un cimetière de la France plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière. » – Son hurlement continu finit par un cri d’angoisse : « Je crois bien que nous serons tous guillotinés les uns après les autres  . » – Tel est l’état mental auquel conduit l’emploi de représentants en mission : en deçà de Carrier, qui est au terme, les autres, moins proches du terme, pâlissent sous la vision lugubre qui est l’effet inévitable de leur œuvre et de leur mandat. Au bout de toutes ces fosses qu’ils creusent, ils entrevoient, déjà creusée, leur propre fosse ; rien à faire pour le fossoyeur, sinon creuser au jour le jour, en manœuvre, et cependant profiter de sa place : à tout le moins, il peut s’étourdir, en ramassant les jouissances du moment.


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