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mardi 17 octobre 2017

Droit américain : impérialisme et far west (2)

Le rachat –rapt de la branche énergie d’Alstom par General Electric

En 2015, le groupe français Alstom a reçu une offre de General Electric pour le rachat de sa division énergie, qui représente 70 % de l’entreprise, a son concurrent américain General Electric (GE). Bizarrement, au même moment, dans le cadre du Foreign Corrupt Practices Act, Alstom était visé par une enquête aux États-Unis pour des faits de corruption en Indonésie dans un contrat d'une valeur de 118 millions de dollars. 4 cadres dirigeants de l’entreprise étaient incarcérés aux USA  (l’un d’entre eux a passé 14 mois dans une prison de haute sécurité) et Alstom se voit menacé d’une énorme amende de 772 millions de dollars.
Bizarrement, le 16 décembre 2014, trois jours avant l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires d’Alstom qui approuvera la cession des activités énergies à General Electric, une nouvelle dépêche de l’agence Bloomberg confirmait la fin des poursuites contre les dirigeants d’Alstom : "Accusé de corruption, le groupe serait prêt à transiger avec le ministère de la Justice américain, mais c’est GE qui paierait" ! Selon Le Figaro du 17 décembre : "les avocats de GE auraient joué un rôle clé : leur intervention aurait permis de faire baisser le montant en échange d’une promesse d’appliquer le code de bonne conduite du groupe américain chez le français. L’accord ne devait toutefois être révélé qu'après la finalisation de l’opération pour que l’amende n’apparaisse pas comme un élément qui aurait fait pencher la balance du côté américain plutôt qu’en faveur de Siemens-Mitsubishi" ».
Selon un dirigeant qui tient à rester anonyme : "Au sein de l’état-major d’Alstom, tout le monde sait parfaitement que les poursuites judiciaires engagées aux Etats-Unis contre Alstom ont joué un rôle déterminant dans le choix de vendre la branche énergie. Ces poursuites expliquent tout. C’est un secret de polichinelle. »
Montebourg, alors ministre des finances, a été soigneusement maintenu à l’écart et a appris la décision surprise du rachat… par la presse. Conscient de la méthode et des enjeux et dans l’urgence, il a proposé alors une nationalisation partielle d’Alstom pour protéger les intérêts français. Ceci a été refusé par le président Hollande, sous l’influence de son conseiller économique, Macron, qui aurait déclaré : nous ne sommes quand même pas  au Vénézuela.
Bilan des courses : un fleuron de l’industrie française (l’électrique, c’est 75% d’Alstom) est passé sous contrôle américain par une opération de chantage et de guerre économique. L’amende (772 millions de dollars) a finalement été réglée, non par General Electric, mais par  ce qui restait d’Alstom, cad le transport ferroviaire.

Arabelle :un enjeu stratégique

Les turbines d’Alstom constituant un élément essentiel ( non nucléaire) des centrales nucléaires française ( les turbines Arabelle équipent , le rachat par GE s’est vite révélé pour ce qu’il était : une atteinte directe aux intérêts stratégiques français :
Ainsi, dès 2016, General Electric engageait  un bras de fer avec EDF pour modifier le contrat d'entretien des 58 turbines Arabelle d'Alstom qui font tourner nos centrales atomiques. Le groupe américain voudrait réduire sa responsabilité financière en cas d'incident.n Pour tordre le bras à EDF, General Electric est allé jusqu'à suspendre, pendant quelques jours de février, le travail de ses équipes dans les centrales françaises et pratiquer « une grève de la maintenance », en fait un véritable chantage, provoquant la colère  du PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy: « EDF a été forcé de mettre en œuvre des mesures d'urgence dépassant notre plan de secours (habituel). Cette attitude, venant d'un partenaire historique, est inacceptable »
Mais il y pire. L’intervention de General Electric empêche en fait toute politique française de vente de centrales nucléaires. Qui ira acheter des centrales nucléaires françaises sachant qu’une des pièces principales,  les fameuses turbines Arabelle, peuvent être à tout moment soumise à un refus de vente de la part du gouvernement américain ?
Pour Alain Juillet, ancien haut responsable de l’intelligence économique à Matignon, l’affaire est entendue : cette vente fut « une opération manipulée ».
Disons encore que cette opération a rapporté énormément à l’ex-PDG D’Alastom, Patrick Kron, l’homme qui a conclut en douce et sous pression la vente à General Electric : La revente de la branche Énergie d'Alstom à GE a apporté à vingt-et-un dirigeants d’Alstom (dont Jérôme Pécresse, le mari de Valérie Pécresse) un bonus additionnel de 30 millions d'euros dont 4 millions d'euros pour Patrick Kron. En d’autres temps, on aurait parlé de haute trahison, et ce n’est pas un bonus confortable mais une plus inconfortable prison qu’auraient gagné les principaux acteurs. A noter que du côté General Electric France, une conjointe de politique était aussi à la manœuvre : Clara Gaymar, qui a démissionné trois mois après la prise de contrôle musclée d’Alstom- pour, selon certains journalistes, ne pas gêner l’éventuel retour de son mari en politique en cas de victoire de la droite (raté !). Pourquoi, il y avait donc quelque chose de gênant ?
Après avoir autorisé l’investissement de General Electric dans Alstom en 2014, Emmanuel Macron, interrogé en 2016 par une commission d’enquête parlementaire semblait tardivement retrouver un peu de lucidité et émettait quelques doutes sur les conditions de la négociation sous pression de la justice américaine : « Pour ce qui est de l’enquête de la justice américaine, je me suis moi-même posé la question, parce que j’étais à titre personnel moi-même persuadé que c’était le cas. Je n’ai aucune preuve…Après, nous avons chacun notre conviction intime... Je ne dirai pas que ma conviction intime ne rejoint pas la vôtre sur certaines de vos interrogations mais nous n’avons aucun moyen de l’établir "
Eh bien, il lui reste pour quelques jours encore la possibilité de faire rentrer l’Etat français dans Alstom et de priver General Electric de majorité absolue en rachetant des parts appartenant à Bouygues. Le fera-t-il ?

La fin d’Alstom ou comment les dirigeants français détruisent l’industrie

Une fois les activités énergie raptées par General Electric, Alstom Transport ne pouvait survivre seul, et la fusion avec Siemens devenait un pis aller quasi obligatoire, menant peut-être vers un champion du ferroviaire européen où la France pourrait peut-être encore jouer sa partie. C’est pour autant la triste fin de l’empire industriel qu’avait su créer Ambroise Roux, un symbole de la France industrielle, un de plus tué par des financiers naïfs qui croient aux contes de fée de l’ultralibéralisme, et qui, par ignorance ou idéologie, détruisent l’industrie française et mettent en danger les intérêts stratégiques du pays.

La fin d’Alstom et de sa branche énergie montrent aussi comment le droit américain, et sa prétention à l’extraterritorialité, en particulier l’International Emergency Economic Powers Act, est utilisée pour mener une véritable politique d’impérialisme économique. Une commission parlementaire française s’en est récemment inquiété- j’en parlerai dans un prochain blog 


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