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jeudi 1 février 2018

Après Céline, Maurras_ La France épurée

La censure, en toute bienveillance
Je l’écrivais dans mon dernier blog, consacré aux pressions exercées sur Gallimard pour empêcher la réédition des pamphlets de Céline : Nous vivons maintenant, en toute bienveillance, dans une société « libérale » où il devient possible et même convenable, bien considéré d’effacer des œuvres et des artistes, des écrivains de nos photos de familles patrimoniales. Nous progressons drôlement. En toute bienveillance, en tout respect de toutes les victimes, nous commençons à ressembler à ces pays totalitaires qui effaçaient les héros devenus gêneurs des photos officielles. Quelle liberté aurons-nous demain à défendre ?
Ceci est on ne peut plus confirmé par l’affaire de la « commémoration » ratée  de » Maurras ». Mais ce qui devient intéressant, c’est qu’un certain nombre d’historiens commencent à se révolter
Commémoration, qu’es acco ? Il existe en France un Haut Comité aux Commémorations chargé de conseiller le ministre de la culture et de la communication en matière de célébrations nationales.  Nommé par le ministre pour une durée de trois ans, il est présidé par l’académicienne Danièle Sallenave et compte parmi ses membres les historiens Jean-Noël Jeanneney, ancien président de Radio France, Pascal Ory , spécialiste de la collaboration, la médiéviste Claude Gauvard. Mme Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, Mme Mme Evelyne Lever, spécialiste du XVIIIème siécle, Mme Nicole Garnier, conservatrice, conservatrice de Chantilly…. Chaque année, il soumet à l’agrément du ministre la liste des anniversaires susceptibles d’être inscrits au nombre des commémorations officielles.
Maurras figurait sur cette liste et donc sur le Livre des commémorations nationales 2018, pour le cent-cinquantenaire de sa naissance, avec mention très prudente : « figure emblématique et controversée. (…) Cet écrivain reconnu tant en France qu’à l’étranger fut aussi le théoricien politique du nationalisme intégral et un polémiste redouté ». D’autre part, la préface générale de l’ouvrage rappelait : « Le passé est là, tragique et lourd, aussi bien qu’heureux, voire léger (…) Sélectionner ce qui peut échapper à l’oubli ne revient pas à écrire une histoire de France. En tissant cette toile de la mémoire collective, puisse cet ouvrage contribuer à enrichir le lien social qui ne peut s’épanouir sans puiser librement dans un passé commun ! »(Claude Gauvart).
Bref la ministre de la culture, Mme Nyssen, a d’abord accepté la liste des commémorations prévues, a d’abord salué favorablement le Livre des commémorations nationales (« « Pour illustrer la mémoire collective, les événements qui la jalonnent et les personnages qui l’animent, les commémorations nationales ont fait appel, au titre de 2018, à plus de cent spécialistes enthousiastes ». Peut-être le spécialiste de Maurras a-t-il été un poil trop enthousiaste, car devant le tollé provoqué par toujours les mêmes associations, Mme Nyssen a finalement décidé de supprimer Maurras des commémorations, et de rappeler et de faire pilonner l’ensemble des le Livre des commémorations nationales déjà diffusés. Tiens, je croyais que la Culture manquait d’argent- amis bibliophiles, ne le renvoyez pas, gardez-le précieusement, il vaudra cher ! Résistez !
La révolte des historiens
Seulement, c’est une drôle d’histoire que l’on veut écrire ainsi, et au moins deux historiens prestigieux et courageux du Haut Comité, M. Jeanneney et M. Ory se sont rebellés :
«  Commémorer, ce n’est pas célébrer. C’est se souvenir ensemble d’un moment ou d’un destin. Distinction essentielle  : on commémore la Saint-Barthélemy, on ne la célèbre pas. On commémore l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac, on ne le célèbre pas. On commémore la Grande Guerre, on ne la célèbre pas. …  L’État devrait-il s’abstenir complètement, même du côté d’instances indépendantes telles que le Haut Comité, d’évoquer officiellement les pages noires de son histoire  ? Observons que beaucoup de ceux qui s’émeuvent de voir Maurras mentionné sont les mêmes qui reprochent ardemment aux pouvoirs publics de ne pas assez faire leur place aux épisodes dont la République peut avoir honte : on se dispensera d’en proposer ici une liste.  » Jean-Noël Jeanneney et Pascal Ory (Le Monde- 28.01.2018).
Parmi les protestataires, signalons aussi cette belle réaction d’ Éric Naulleau,– «  Disparus les pamphlets de Céline du catalogue Gallimard, Maurras des commémorations, Kevin Spacey de son dernier film et qui sait le prochain Woody Allen du studio Amazon. Comme jadis les bannis sur les photos soviétiques, comme si escamoter l’objet du débat mettait fin au débat ».
Par ailleurs, M. Jean-Noël Jeanneney, décidément assez remonté, a fait remarquer du haut de sa longue expériences, qu’un fait analogue s’était produit en 2011 lorsque Frédéric Mitterand avait accepté puis fait retirer l’écrivain Céline de la liste de ce qui s’appelait alors les Célébrations nationales. C’est à cette occasion, pour éviter que cela ne se reproduise  que M. Jeanneney avait proposé que l’on remplace le mot célébration par celui de commémoration (« C’est à l’occasion de cette affaire que j’ai proposé que le comité change de nom et soit chargé des « commémorations nationales » et non plus des « célébrations nationales Il n’est pas davantage question de « célébrer » le début de la grande guerre ou encore la Saint Barthélémy mais de se souvenir aussi des moments sinistres et des personnages sombres de notre histoire. » Commémorer n’est pas célébrer.
Eh bien, cette précaution n’a pas suffi, et en toute bienveillance les censeurs invétérés qui veulent réécrire l’histoire à leur façon ont sévi, contraignant une éditrice devenue ministre à envoyer au pilon un ouvrage qu’elle avait accepté. Une grosse couleuvre pour Mme Nyssen !

Tiens, à propos de l’actualité de Maurras. En 1880, le jeune Maurras, passionné de littérature antique romaine et grecque, provençale aussi, mais encore sans conviction politique bien claire est chargé d’écrire un article sur Martigues sous la Révolution. Et là , en déchiffrant les registres de délibérations de la commune de Martigues lui vient une révélation : c’est avant, pas après la Révolution, que les communes étaient libres, géraient le plus librement leurs affaires. Maurras anti-républicain ? Pas aussi simple : Maurras aime tellement les républiques qu’il en veut beaucoup : la République de Marseille, la République de Martigues, de Bordaux, de Toulon, de Montpellier, de Caen, de Brest…Par contre, ce dont le Maurras fédéraliste ne veut pas, c’est de la République une et indivisible, la République centralisatrice qui poursuit avec une force décuplée et une férocité inédite, et mène à fin ultime le projet de la monarchie centralisatrice. Intéressant, par temps de Catalogne, de Corse, de Padanie…
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