La censure, en toute
bienveillance
Je l’écrivais dans mon dernier blog, consacré aux pressions exercées sur
Gallimard pour empêcher la réédition des pamphlets de Céline : Nous vivons
maintenant, en toute bienveillance, dans une société « libérale » où il devient
possible et même convenable, bien considéré d’effacer des œuvres et des
artistes, des écrivains de nos photos de familles patrimoniales. Nous
progressons drôlement. En toute bienveillance, en tout respect de toutes les
victimes, nous commençons à ressembler à ces pays totalitaires qui effaçaient
les héros devenus gêneurs des photos officielles. Quelle liberté aurons-nous
demain à défendre ?
Ceci est on ne peut plus confirmé par l’affaire de la « commémoration »
ratée de » Maurras ». Mais ce qui
devient intéressant, c’est qu’un certain nombre d’historiens commencent à se
révolter
Commémoration, qu’es acco ? Il existe en France un Haut Comité aux Commémorations chargé de conseiller le ministre de
la culture et de la communication en matière de célébrations nationales. Nommé par le ministre pour une durée de trois
ans, il est présidé par l’académicienne Danièle Sallenave et compte parmi ses
membres les historiens Jean-Noël Jeanneney, ancien président de Radio France,
Pascal Ory , spécialiste de la collaboration, la médiéviste Claude Gauvard. Mme
Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, Mme Mme
Evelyne Lever, spécialiste du XVIIIème siécle, Mme Nicole Garnier,
conservatrice, conservatrice de Chantilly…. Chaque année, il soumet à
l’agrément du ministre la liste des anniversaires susceptibles d’être inscrits
au nombre des commémorations officielles.
Maurras figurait sur cette liste et donc sur le Livre des commémorations
nationales 2018, pour le cent-cinquantenaire de sa naissance, avec mention très
prudente : « figure emblématique et controversée. (…) Cet écrivain reconnu tant
en France qu’à l’étranger fut aussi le théoricien politique du nationalisme
intégral et un polémiste redouté ». D’autre part, la préface générale de
l’ouvrage rappelait : « Le passé est là, tragique et lourd, aussi bien
qu’heureux, voire léger (…) Sélectionner ce qui peut échapper à l’oubli ne
revient pas à écrire une histoire de France. En tissant cette toile de la
mémoire collective, puisse cet ouvrage contribuer à enrichir le lien social qui
ne peut s’épanouir sans puiser librement dans un passé commun ! »(Claude
Gauvart).
Bref la ministre de la culture, Mme Nyssen, a d’abord accepté la liste des commémorations prévues, a d’abord salué
favorablement le Livre des commémorations nationales (« « Pour illustrer la
mémoire collective, les événements qui la jalonnent et les personnages qui
l’animent, les commémorations nationales ont fait appel, au titre de 2018, à
plus de cent spécialistes enthousiastes ». Peut-être le spécialiste de Maurras
a-t-il été un poil trop enthousiaste, car devant le tollé provoqué par toujours
les mêmes associations, Mme Nyssen a finalement décidé de supprimer Maurras des
commémorations, et de rappeler et de faire pilonner l’ensemble des le Livre des
commémorations nationales déjà diffusés. Tiens, je croyais que la Culture
manquait d’argent- amis bibliophiles, ne le renvoyez pas, gardez-le
précieusement, il vaudra cher ! Résistez !
La révolte des
historiens
Seulement, c’est une drôle d’histoire que l’on veut écrire ainsi, et au
moins deux historiens prestigieux et courageux du Haut Comité, M. Jeanneney et
M. Ory se sont rebellés :
« Commémorer, ce n’est pas célébrer. C’est se souvenir ensemble d’un
moment ou d’un destin. Distinction essentielle
: on commémore la Saint-Barthélemy, on ne la célèbre pas. On commémore
l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac, on ne le célèbre pas. On commémore la
Grande Guerre, on ne la célèbre pas. …
L’État devrait-il s’abstenir complètement, même du côté d’instances
indépendantes telles que le Haut Comité, d’évoquer officiellement les pages
noires de son histoire ? Observons que
beaucoup de ceux qui s’émeuvent de voir Maurras mentionné sont les mêmes qui
reprochent ardemment aux pouvoirs publics de ne pas assez faire leur place aux
épisodes dont la République peut avoir honte : on se dispensera d’en proposer
ici une liste. » Jean-Noël Jeanneney et
Pascal Ory (Le Monde- 28.01.2018).
Parmi les protestataires, signalons aussi cette belle réaction d’ Éric
Naulleau,– « Disparus les pamphlets de
Céline du catalogue Gallimard, Maurras des commémorations, Kevin Spacey de son
dernier film et qui sait le prochain Woody Allen du studio Amazon. Comme jadis
les bannis sur les photos soviétiques, comme si escamoter l’objet du débat
mettait fin au débat ».
Par ailleurs, M. Jean-Noël Jeanneney, décidément assez remonté, a fait
remarquer du haut de sa longue expériences, qu’un fait analogue s’était produit
en 2011 lorsque Frédéric Mitterand avait accepté puis fait retirer l’écrivain
Céline de la liste de ce qui s’appelait alors les Célébrations nationales.
C’est à cette occasion, pour éviter que cela ne se reproduise que M. Jeanneney avait proposé que l’on
remplace le mot célébration par celui de commémoration (« C’est à l’occasion de
cette affaire que j’ai proposé que le comité change de nom et soit chargé des «
commémorations nationales » et non plus des « célébrations nationales Il n’est
pas davantage question de « célébrer » le début de la grande guerre ou encore
la Saint Barthélémy mais de se souvenir aussi des moments sinistres et des
personnages sombres de notre histoire. » Commémorer
n’est pas célébrer.
Eh bien, cette précaution n’a pas suffi, et en toute bienveillance les
censeurs invétérés qui veulent réécrire l’histoire à leur façon ont sévi,
contraignant une éditrice devenue ministre à envoyer au pilon un ouvrage
qu’elle avait accepté. Une grosse couleuvre pour Mme Nyssen !
Tiens, à propos de l’actualité de Maurras. En 1880, le jeune Maurras,
passionné de littérature antique romaine et grecque, provençale aussi, mais
encore sans conviction politique bien claire est chargé d’écrire un article sur
Martigues sous la Révolution. Et là , en déchiffrant les registres de
délibérations de la commune de Martigues lui vient une révélation : c’est
avant, pas après la Révolution, que les communes étaient libres, géraient le
plus librement leurs affaires. Maurras anti-républicain ? Pas aussi simple :
Maurras aime tellement les républiques qu’il en veut beaucoup : la République
de Marseille, la République de Martigues, de Bordaux, de Toulon, de
Montpellier, de Caen, de Brest…Par contre, ce dont le Maurras fédéraliste ne
veut pas, c’est de la République une et indivisible, la République
centralisatrice qui poursuit avec une force décuplée et une férocité inédite,
et mène à fin ultime le projet de la monarchie centralisatrice. Intéressant,
par temps de Catalogne, de Corse, de Padanie…
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