Rééditer
les pamphlets
La veuve de Louis
Ferdinand Céline a longtemps refusé de faire reparaitre trois pamphlets de
Céline (« Bagatelles pour un massacre » (1937), « L’École des cadavres » (1938)
et « Les Beaux draps » (1941) (les « pamphlets antisémites ») - rappelons
que la réédition de ces pamphlets ne fait pas et ne peut faire l’objet d’une interdiction
dans la législation actuelle. Au Québec, où les droits d’auteurs sont de 50
ans, l’ensemble des pamphlets de Céline ont été édités aux Éditions 8 sous le
titre Ecrits Polémiques, rassemblés
et commentés par un professeur de littérature française à l’Université de
Nantes, Régis Tettamanzi. L’avocat de Céline, Mtre François Gibault a convaincu
Lucette Destouches de ne plus s’opposer à
la réédition en France et Gallimard a annoncé son projet de reprendre l‘édition québécoise, complétée par une préface
de Pierre Assouline – d’autres textes antisémites ont été réédités sans
susciter trop d’opposition, et les pamphlets sont disponibles sous le manteau à
partir d’éditions illégales.
Eh bien raté ! après
un mois d’intenses polémiques, après un concours assez pitoyable sur le thème
oui, les pamphlets de Céline doivent
pouvoir reparaître, mais pas sans ma préface à moi, le grand littérateur, à
moi, le grand historien, à moi, le grand et seul vrai spécialiste de l’antisémitisme,
Gallimard a jeté l’éponge. Il n’est pas possible de se procurer légalement en France
ces ouvrages importants de Céline. Et, amis céliniens, pas la peine de vous
précipiter au Québec : tout est épuisé.
Yann
Moix et Sollers
Je n’attendais pas Yann
Moix de ce côté du terrain, mais j’ai apprécié sa tribune libre dans Le Monde du 12 janvier 2018…où il
demande la réédition des pamphlets dans la Pléîade. Citations :
« La moindre des
choses, concernant les pamphlets de Céline, eût été de ne jamais tenir compte
du refus de l’auteur de les voir republier. Retrancher à l’œuvre une part
importante de l’œuvre, c’est en modifier l’ADN, c’est en truquer la vérité,
c’est en modifier la portée. « Tout » Céline « moins » les écrits antisémites,
c’est inventer un Céline qui n’existe pas, n’a jamais existé, est une chimère,
une licorne. Il fallait, dès après sa mort, en 1961, publier l’intégrale de
l’œuvre dans « La Pléiade » et dans l’ordre chronologique ; le classement
thématique (d’un côté les romans acceptables et géniaux, de l’autre les
pamphlets inadmissibles et nauséeux) produit une idée fausse de l’homme qu’il
fut.
Céline se déploie dans le
temps, il n’y a que dans le temps, époque par époque, dans le déroulement des
événements, que tenter de le « suivre » (je n’ai pas dit de le « comprendre »)
est possible….Quant au fameux appareil critique des pamphlets, je prétends pour
ma part qu’il ne devrait pas être plus épais, plus scrupuleux que l’appareil
critique des romans… Bagatelles pour un
massacre existe en même temps que Nord,
Les Beaux Draps ont le même statut (je
n’ai pas dit la même valeur artistique que Mort
à Crédit. Soulignons aussi que sans le Céline du pire, aucun des livres de
sa grandiose trilogie allemande n’aurait le moindre sens »
Pour éclairer le débat, Philippe
Sollers (extraits de Céline -éditions
L’Archipel/ECRITURE, 16 octobre 2009)
« il faut souhaiter
que les pamphlets soient édités de façon correcte, de sorte qu’ils soient
trouvables, que ce ne soit pas ce chuchotement interminable dont circulent
quelques extraits… »
« Il y a là un homme
qui passe, qui est très beau qui a un col de fourrure, qui s’appelle Bousquet,
qui est propre, qui parle d’égal à égal avec les nazis. On est entre
fonctionnaires. L’antisémitisme est devenu à ce moment-là une procédure
d’élimination technique. Ça n’a rien à voir avec Céline ! »
« La question qui
devrait nous occuper, c’est pourquoi le nihilisme de Céline, sous sa forme de
passionnalité vociférante antisémite, donne
lieu à des chefs-d’œuvre. Parce que même les pamphlets, dans leur genre, sont
des chefs d’œuvre. C’est bien ça qu’il faut voir. Il ne faut pas oublier
qu’il n’y a pas que l’antisémitisme virulent, passionnel. Dans les pamphlets,
il y a aussi tout ce qui concerne l’URSS, etc. Je crois qu’il faut être à la
mesure de cela et que la littérature, si elle existe aujourd’hui, sera ou non à
cette mesure. Ou bien on deviendra bien-pensant à bon compte ou bien on fera
des chefs-d’œuvre littéraires ou même de pensée, qui seront à la mesure de
cette passion »
A propos de l’édition des
Ecrits Polémiques : Pour savoir
ce qui s’est produit, il faut passer par ces documents. Par ordre d’entrée en
scène, de 1936 à 1941 : Mea Culpa, Bagatelles pour un massacre, L’École des
cadavres et Les Beaux Draps (on trouve également dans ce volume de plus de 1000
pages, trois autres textes de Céline : Hommage à Zola, A l’agité du bocal , Vive l’amnistie, monsieur !).
Après avoir passé
dix-huit mois en prison au Danemark, il trouvera ensuite la force d’écrire D’un
château l’autre, Nord, Rigodon et Entretiens avec le Professeur Y. Ce sont des
livres que l’on peut d’autant moins négliger qu’ils sont d’une force et d’un
comique souvent prodigieux.
Cela dit, il faut se
demander ce qui a contribué à radicaliser Céline. De retour d’URSS, il écrit
Mea Culpa (1936). Il n’y a alors pas de trace de délire antisémite. En
revanche, il est effaré par ce qu’il a vu et l’écrit. Hurlements de la presse
communiste qui le traite en même temps que Gide de renégat. Jusqu’alors, il n’a
jamais adhéré à rien. Il est anarchiste. »
Petit
rappel utile : Céline doit la vie au fait que le Danemark ne l’a pas
extradé.
Merde
à la censure et aux censeurs
Pour ce que j’ai pu en
lire trop rapidement sur des éditions originales que l’on m’a prêté quelques
jours, sur quelques extraits (je n’ai jusqu’à présent pas voulu me procurer des
éditions illégales), oui les pamphlets de Céline sont dans leur style des chefs
d’œuvres, des chefs d’oeuvres uniques, distincts du reste de l’oeuvre et pourtant
bien reconnaissables – il est impossible de ne pas reconnaître l’auteur ou de
leur en donner un autre. Ces pamphlets sont d’abord des pamphlets pacifistes, le cri de colère, de
sidération d’un homme, d’un artiste, qui
a vu et décrit comme personne d’autre avant lui et après lui une des boucheries
caractéristiques du début de XXème siècle, et qui voit cette boucherie se reproduire
– comment cette sidération conduit à la désignation d’un bouc émissaire juif,
comment toute sidération aboutit à de gravissimes erreurs est certainement
intéressant à comprendre. Pour Céline, tout belliciste est juif, et pour cette
raison, Hitler est juif ! Qu’on le lise, personne de bonne foi ne pourra
prétendre prendre au sérieux l’antisémitisme de Céline- et les antisémites, les
vrais, les sérieux, les « scientifiques », les fonctionnaires zélés, les
frustrés le détesteront- aucune réunion, aucune action antisémite ne put avoir
lieu avec Céline, qui tournait tout cela en bouffonneries. Et à toutes fins
utiles, Céline ne connaissait évidemment pas l’extermination nazie des juifs (qui
l’a vraiment su avant 1945) et les pamphlets ont été écrits bien avant
toute mise en oeuvre de la « solution finale ».
Serge Klarsfeld, s’est au rebours de la loi française, opposé à la
réédition des pamphlets . « On est dans un moment
charnière en France. Des juifs se font attaquer, voire tuer, parce que juifs (…) Je compte faire tout ce qui est en mon possible pour empêcher [cette
réédition]. Nous avons des lois qui nous permettent de réprimer les propos
antisémites. Je les utiliserai ». Croit-il vraiment que les décérébrés français
partisans de Daech ont besoin de Céline, qu’il les ait inspiré, ou même qu’ils puissent
le lire ? Cette censure serait même contreproductive pour la cause légitime
qu’il veut défendre par des moyens qui ne le sont pas.
Quelques folliculaires
habituels, tels le très obscur et tortueux « Raide d’équerre » dans
le Figaro ont prétendu que les pamphlets de Céline ne sont pas de la littérature…contrairement
aux ouvrages de Sade. « Si - passant outre le nihilisme égalisateur qui a la
faveur des esprits aujourd'hui - la question de l'identité littéraire des
écrits antisémites de Céline avait été posée sérieusement et publiquement,
l'opinion éclairée n'en serait pas à se poser celle de la légitimité de leur
publication » ; Rappelons que ce n’est pas l’avis de Sollers dont l’avis
, en matière de littérature, pèse tout de même plus que celui de Redeker,
malgré le « nihilisme égalisateur ». ..
De deux choses l’une : ou Redeker et tous ces censeurs n’ont pas lu
les pamphlets, alors quelle est leur légitimé pour en parler ? Ou bien il
les ont lu – illégalement-, et au nom de quoi prétendent-ils m’interdire le
faire- légalement ?
Merde aux censeurs !
Nous vivons maintenant, en
toute bienveillance, dans une société libérale où il devient possible et même
convenable, bien considéré d’effacer des oeuvres et des artistes, des écrivains
immenses de nos photos de familles patrimoniales. Naguère, des livres de Rebatet
ont pu être réédités, Charensol et Jean-Louis Bory parlaient à la radio
nationale de l’Histoire du cinéma de Brasillach. Nous progressons drôlement.
Quelle liberté aurons-nous demain à défendre ?
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