La
réforme du grand renoncement
Dans un récent blog, (J.M. Blanquer, serial killer de
l’enseignement de l’histoire. Pourquoi tant d’indulgence ?), je m’inquiétais
des précédents d’un Jean Michel Blanquer, à la manœuvre de l’Education
nationale depuis très longtemps et qui avait déjà démontré sa nocivité en
voulant supprimer l’enseignement de l’histoire des classes terminales. Avec l’enthousiasme
béat des Natacha Polony, des Jacques Julliard devant quelques propos de bon
sens sur l’enseignement de la lecture, je me sentais bien seul, à la
remarquable exception de M. Laurent Wetzel qui dans le n° de novembre 2017 de la Revue
des Deux Mondes rappelait sans complaisance ce que fut l’action
destructrice de M. Blanquer sous les différents ministres qui se sont
succédés .
Eh bien la parution du rapport Mathiot sur le projet de
réforme du Bac et bien plus encore du Lycée conforte toutes les inquiétudes que
l’on pouvait avoir et fait la preuve d’une politique de démission complète, de
renoncement à l’élitisme pour tous cher à ces grands réformateurs que furent
Langevin et Wallon, d’ abandon de l’ambition de former des élèves dotés d’une
solide culture générale (au moins pour certains d’entre eux), qui faisait
heureusement contraster le bac français avec ses homologues anglo-saxons
beaucoup plus spécialisés et de niveau moins élevé. Et ceci alors justement que
le bac au format français commençait à séduire certains pays.
Les principaux
points de la réforme :
Réduction à quatre
épreuves ( deux majeures, deux
mineures) en terminale, les épreuves anticipées de français en fin de
première restent inchangées. A titre de comparaison, les élèves passent entre
dix et quinze épreuves aujourd’hui, en fonction de leurs options. En terminale,
le bac consisterait en deux épreuves au
printemps (sur les deux majeures), et deux épreuves en juin, un grand oral
et une. L’ensemble des épreuves terminales pourrait peser pour 60 % de la note.
Un grand oral de
trente minutes en fin de terminale, où le candidat présenterait un projet
interdisciplinaire lié à l’une de ses majeures, qui pourrait peser pour 15 % de
la note globale. Est aussi mentionné la prise
en compte d’activités extra scolaires
Les autres matières seraient évaluées en contrôle continu
Le rattrapage serait remplacé par un examen du livret scolaire de l’étudiant.
Et surtout,
disparition des filières S,L,ES etc.
Elles sont remplacées par deux disciplines "majeures" choisies dès la Première
parmi une dizaine de combinaisons possibles (par exemple maths/sciences
économiques ou lettres/langues) et deux
disciplines "mineures" auxquelles s'ajouteraient des
enseignements facultatifs.
Une réforme
importante et…pas de concertation.
Bouclé en trois semaines
C’est au donc au-delà du bac et de son articulation de plus
en plus problématique avec l’enseignement supérieur, en l’absence de filières
identifiée, une véritable révolution du Lycée, qui est proposée, non imposée.
Car Mesdames et Messieurs, selon une bonne méthode qui a fait ses preuves avec la réforme du travail,
il n’y aura pas de concertations, ou juste pour la forme puisque entre la
publication du rapport Mathiot, resté soigneusement confidentiel, et la présentation du projet de réforme en
Conseil des ministres, il y aura moins
de trois semaines.
Ainsi se confirme une caractéristique de ce nouveau régime : le passage en force, sans
aucune étude d’impact, sans réflexion, de mesures majeures, avec une assemblée
de députés qui votent sans barguigner tout ce qui a l’approbation du Chef
Macron, bien pire esclaves moutonniers que les godillots gaullistes- dont certains
avaient en fait un caractère bien trempé ! Et voilà comment passera une réforme majeure
qui va hypothéquer l’avenir des enfants.
Et tant pis pour le mauvais procédé à l‘encontre de ceux
qui, comme Cedric Villani, avaient été chargés de missions spécifiques, dans
son cas d’une étude sur l’enseignement des mathématiques, dont la baisse de
niveau inquiète nombre de scientifiques. Tant pis sur leurs conclusions vont à
l'encontre de la réforme en discussion, pardon, déjà adoptée. ( A propos, il me semble que M. Villani avale
en ce moment couleuvres après couleuvres- jusqu’à quand tiendra-t-il ?)
Enseigner moins pour dépenser moins
Et surtout, il y a derrière un discours parfois habile (notamment
vis-à-vis des profs de philo dont on sait la propension à l’opposition), la
volonté première de faire des économies
et pour cela, d’enseigner moins. Ainsi, notait un professeur d’histoire, « en
1980/90 j'enseignais 4 h d'Histoire géographie en 2nde. Dans les années 2000 3H.
Les professeurs de SES font remarquer : « une majeure c'est deux ou
trois heures alors qu'aujourd'hui les SES ont 5 heures en première et souvent
une heure d'accompagnement personnalisé ». La place de la philo est
conforté en tant qu’épreuve, maos pas en temps d’enseignement ! Meilleure
preuve de cette volonté d’enseigner moins : la forte réduction dès cette
année des postes aux concours enseignants ! Pourtant, c’est sûr, il n’en
manque aucun dans les classes !
Renforcement des
inégalités
On le sait, la difficulté de l’enseignement
à lutter contre les inégalités sociales et culturelles et à promouvoir le
talent et le mérite ne cesse de s’aggraver, et la réforme en cours va encore aggraver
la situation. Pour trois raisons : 1) La
suppression des filières aura pour conséquence un système encore moins lisible
Dès la seconde, il faudra qu’un jeune
lycéen commence à se spécialiser par ses choix de matières, dites majeures. Par
la suite, il faudra faire preuve de stratégie pour choisir les bons couplages
de matières qui ouvriront les portes du supérieur. Raymond Boudon l’a bien
montré : quand
on multiplie les choix, ce sont ceux qui connaissent le mieux le système, ceux
qui ont les meilleurs réseaux qui font les meilleurs choix. Les autres, issus
de familles modestes, s’y perdent. 2) La part croissante du contrôle continu,
donc basé sur des références locales d’établissement – eh bien, certains
établissements sont plus égaux que d’autres, et l’on sait ce que vaudra le contrôle
continu dans tel lycée prestigieux, mais pas dans tel autre. 3) l’oral, en particulier le grand oral
qui comptera pour 15% favorise beaucoup plus qu’un écrit anonyme les enfants de
bonnes familles et de bons quartiers.
Le rapport Mathiot vante « un lycée des possibles.
Non, c’est un lycée du grand renoncement que l'on prépare
Que veut-on à la fin ? Des
scientifiques idiots manifestant « une désastreuse indifférence pour
le cours général des affaires humaines, pourvu qu’il y ait sans cesse des
équations à résoudre et des épingles à fabriquer ». (Auguste Comte,
fustigeant la « spécialisation dispersive ?). Des littéraires
« se glorifiant systématiquement de leur ignorance scientifique et
philosophique, qu’ils tentent vainement d’élever en garanties
d’originalité (Auguste Comte, encore !), incapables de comprendre
les méthodes et résultats généraux des sciences et des techniques qui ont
façonné et façonneront de plus en plus notre monde ? Il y a derrière tout
cela la haine de l’élitisme, la fabrique de la docilité .
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