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samedi 11 août 2018

Eloge du service public 4_ la France abandonnée


La France moyenne abandonnée

C’est sous le titre Amertume et résistance à Montluçon – La France abandonne ses villes moyennes  que le Monde Diplomatique de  mai 2018 publie un reportage fort intéressant sur ce qui est déjà le présent et empirera à l’avenir en raison des réformes ultra-libérales à marche forcée de Macron et de la Communauté Européenne et, en particulier, de la libéralisation du trafic ferroviaire, et à vrai dire, de l’abandon même de notion de service public du transport ferroviaire.

Donc Montluçon, dans l’Allier et maintenant la très grande région Auvergne- Rhone Alpes; cinq mille habitants en 1830. En 1864, Napoléon III, qui a décidé d’en faire un nœud ferroviaire est accueilli en grande pompe dans les usines de la cité en 1864, sous un arc de triomphe de rails et d’essieux de wagon. Profitant du minerai de fer du Berry et du charbon voisin de Commentry, des usines métallurgiques, des hauts-fourneaux, des forges, des verreries, des fours à chaux s’installent, puis, entre les deux guerres, Sagem et Dunlop ( 5000 ouvriers dans les années 50, aujourd’hui environ 500)- mais heureusement Safran s’est installé, avec un important centre de 1,500 salariés environ. En 1960, 60,000 habitants, avec des projections à 100.000 habitants pour l‘an 2000 … en 2018, 65000 habitants et un déclin qui semble difficile à enrayer malgré le courage et la mobilisation des habitants et des élus. Montluçon, ou comment la France abandonne ses villes moyennes…en abandonnant le service public ferroviaire.

Un Montluçon –Paris parfois plus long qu’ un Paris New-york !

Pour se rendre en train à Lyon, sa nouvelle capitale régionale, située à 183 kilomètres à vol d’oiseau, un habitant de Montluçon, première commune de l’Allier, doit compter au minimum trois heures et demie, avec un changement impératif, voire quatre à cinq heures selon les autres options proposées. C’est-à-dire davantage de temps qu’un Lillois, qui réside trois fois plus loin.
Dans les années 1980, il y avait de six à huit liaisons quotidiennes directes entre Montluçon et Paris. Il n’y en a plus que deux. En fait, la ville s’est sensiblement éloignée de Paris (à 281 kilomètres à vol d’oiseau). En 1988, il fallait deux heures et cinquante-neuf minutes pour rejoindre la capitale (et même six minutes de moins cinq ans plus tard). Il faut maintenant, au mieux, une demi-heure de plus. Et encore, moyennant un certain effort : le TER qui mène à l’Intercités en correspondance à Vierzon part à… 5 h 36. À défaut, une heure plus tard, un autocar SNCF assure la même correspondance, pour un trajet total de quatre heures. Le direct de 8 h 11, lui, ne fait pas mieux : il faut changer de motrice (diesel pour électrique) à Bourges, où l’on fait un crochet. Vingt minutes d’arrêt. 

« Évidemment, qu’un Montluçon-Paris soit parfois aussi long qu’un Paris-New York, ça joue sur le moral !, lance M. Frédéric Rodzynek, patron d’une jeune entreprise performante dans le secteur des biotechnologies. Allez expliquer à des clients canadiens, japonais ou américains qu’ils vont faire le Raid Gauloises ) avant d’arriver à destination… Cela peut prendre une journée d’aller les chercher. »
Avec une telle offre ferroviaire, comment s’étonner que le nombre de voyageurs décline ? « Les grandes villes n’ont cessé de se rapprocher entre elles, constate, amer, M. Coffin, président d’un comité d’usagers de la SNCF. Nous, nous nous sommes éloignés ! » En cause : d’une part, le report aux calendes du projet de ligne à grande vitesse Paris - Orléans - Clermont-Ferrand - Lyon (POCL), destinée à désengorger l’actuelle ligne Paris-Lyon et sur laquelle tout le monde, ici, s’était excité. Et surtout, le défaut d’investissements sur le tronçon du Cher ces quarante dernières années : une voie unique non électrifiée, où la vitesse est par endroits fortement limitée. Son ballast est fragile, ses attache-rails et sa signalisation à surveiller.

Les élus finissent par y voir une rupture dans l’égalité de traitement entre les territoires que la Constitution est censée garantir

Alors, c’est l’obligation de la voiture. « On use une énergie folle, témoigne M. Jean-Claude Perot, président du groupe Metis, spécialisé en automatisme, mécatronique et robotique et vice-président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI). J’ai fait le calcul : 70 000 kilomètres avec mon véhicule l’an passé. En temps, c’est trois mois de travail ! C’est monstrueux. Et, en plus, dangereux. » « Avec la hausse des péages et la limitation de vitesse à 80 kilomètres à l’heure », qui accroît mathématiquement de 12,5 % les temps de parcours sur les départementales (on ajouterait les nouvelles règles en matière de contrôle technique, plus strictes pour les vieux véhicules), « c’est un peu la double ou triple peine », observe Damien Tardieu, journaliste qui, dans ses entretiens à la radio associative RJFM, prend chaque jour le pouls de la société locale. Les élus finissent par y voir une rupture dans l’égalité de traitement entre les territoires que la Constitution est censée garantir.

Il suffit que deux présidents de région ne se parlent pas

Alors, vous vous direz peut-être, que voilà un beau cas d’école en faveur de la régionalisation du ferroviaire, car enfin, les régions, au plus près de leurs adminisitrés,  vont pouvoir rouvrir des lignes importantes localement.  Eh ben non, justement  ! et c’est bien ignorer les égoïsmes locaux, ignorer l(‘histoire de la France, ignorer le rôle de l’Etat dans sa construction.  Échaudés par la question ferroviaire, MM. Dugléry et Laporte ( Maire de Montluçon et Président de l’agglomération) font le constat d’un aménagement du territoire moribond. Ils exposent le récent découpage territorial imposé par Paris, qui les place dans la région Auvergne-Rhône-Alpes (« Qu’a-t-on à voir avec la Maurienne ou la Tarentaise ? »), à quinze kilomètres de la Nouvelle-Aquitaine (« qui s’étend jusqu’à Hendaye !… »), alors que la ville est tournée autant vers Bourges et Vierzon (Centre-Val de Loire) que vers Clermont-Ferrand.

« Il suffit que deux présidents de région ne se parlent pas, et rien ne bouge !  Pour le rail, ce serait flagrant : la Nouvelle-Aquitaine a rouvert la ligne Bordeaux-Montluçon, qu’Auvergne-Rhône-Alpes, hostile à la régionalisation des lignes, ne veut pas étendre jusqu’à Lyon. La région Centre-Val de Loire veut bien participer, sur la partie Cher, à la restauration du tronçon Bourges-Montluçon vétuste ; mais Auvergne-Rhône-Alpes (dont le président, M. Laurent Wauquiez, est pourtant du même bord politique que M. Dugléry) n’est pas chaude pour le faire sur la partie Allier, si éloignée de Lyon…

« Le ferroviaire, c’est primordial »,  plaident les édiles locaux, qui demandent que Montuçon« soit remis à moins de trois heures de Paris » et rouvrir la liaison vers Lyon. « C’est une catastrophe : l’État a tout sacrifié. » Le désenclavement ferroviaire ne conditionne pas seulement la capacité d’attraction économique (« Vous trouverez peut-être un salarié. Mais vous aurez du mal à faire venir son conjoint ! »). Par ricochet, il a aussi une incidence sur la qualité des missions de service public. À commencer par la santé..

Oui, le ferroviaire, c’est important, oui, l’égalité territoriale, c’est important, oui, le rôle égalisateur et administrateur du territoire de l’Etat, c’est important, oui, les services publics, et, en particulier, le service public ferroviaire c’est important. Et oui, l’abandon du service public ferroviaires, les réformes ultralibérales de la Commission Européenne, poursuivies avec zèle et brutalité par Macron, ce sont des centaines de villes moyennes délaissées, une province sacrifiée, une France enlaidie, déconstruite, morte.

Fernand Braudel :  « les tardives liaisons des chemins de fer  construisent l’unité française »

Marcel Boiteux : Les activités de réseau sont nécessairement monopolistiques, les obligations de service public, quand elles sont poussées à ce niveau, paraissent difficiles à marier avec la concurrence.

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