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lundi 4 février 2019

Grand débat ou grand enfumage (2)- faut-il débattre ?


J’ai dans une première version de ce blog rapporté les révélations de Mediapart sur la préparation du grand débat macronien, et les manœuvres assez déloyales qui ont conduit à évincer Chantal Jouanno et la CNDP (Commission Nationale du Débat Public) d’une opération que le gouvernement et la présidence voulaient de toute évidence transformer en communication, pour ne pas dire propagande.

Alors, débattre ou ne pas débattre ? Au début, je reconnais que cela parait assez tentant. On nous donne la parole, prenons – là ! Enfin . Oui, mais !

Surprises de janvier : Il y eut d’abord les annonces de janvier sur l’indemnisation du chômage, et notamment  1) le remplacement de la suspension des indemnisations en cas de manquements divers (dont l’absence à un rendez-vous) par une suppression ; 2) pour plus d’efficacité répressive, ces sanctions aggravées seront prises par Pole Emploi, ainsi juge et partie et qui aura tout pouvoir en ce domaine, alors qu’auparavant les décisions de radiation de la liste des demandeurs d’emploi, de suppression du revenu de remplacement et d’application d’une pénalité administrative relevaient de la compétence du Préfet . Alors surtout n’indisposez pas votre gentil conseiller Pole Emploi !
Décision prise, décret passé (n° 2018-1335 du 28 décembre 2018) ! Tiens, et cela, on n’aurais pas pu en débattre avant ? C’était urgent à ce point là ? Ça aurait pas pu attendre la réforme de l‘assurance chômage, actuellement en cours, et dont le gouvernement semble décidé à prendre la direction après avoir écarté les syndicats de salariés et les organisations patronales pour imposer un plan drastique d’économie ?
Donc, on se fiche de nous. Et plutôt pas débattre !

Dans la suite logique des ordonnances Macron : un changement majeur de nos loi de travail, cinq ordonnances de 160 pages, avec notamment la très contestable limitation des indemnités prudhommales (qui protège par avance l’éventuel délinquant patronal davantage que le salarié victime de ses agissements et contraire aux loin internationales, la priorité donnée aux accords d’entreprises sur les accords de branche ( une mesure qui fait rétrograder de plus de 100 ans, et plaçant des élément essentiels du contrat de travail sous la dépendance de la concurrence), la possibilité de se passer de représentant syndical dans des accords dans les petites entreprises, la diminution du nombre de délégués syndicaux dans les instances représentatives etc..

Bref les mesures les plus rétrogrades depuis longtemps, prises sans débat, sans débat parlementaire, sans débats avec les syndicats, sans vote parlementaire,  par ordonnances, des ordonnances dont Macron était si fier qu’il mettait en scène leur signature, singeant ainsi Donald Trump. !

Donc après tout débattre oui, mais on débat aussi de cela ! Et pour commencer, on annule tout ! On annule toutes les mesures dans ce domaine social prises depuis le début de cette présidence ! On annule tout, et si dans ce fatras il y a quelque chose à sauver…eh bien, on en débattra !

Non ? On n’annule pas ? Alors, on débat pas !

La lettre de Macron sur le Grand débat : à première écoute, elle avait un certain souffle cette lettre, enfin un certain style. « La France n'est pas un pays comme les autres. Le sens des injustices y est plus vif qu'ailleurs. L'exigence d'entraide et de solidarité plus forte… C'est pourquoi la France est, de toutes les nations, une des plus fraternelles et des plus égalitaires. »
Ça commençait plutôt bien, ça nous changeait de « Gaulois réfractaires au changement », une macronerie venu du froid, en l’occurrence d’un voyage officiel au Danemark.

Mais enfin, très vite, ça se gâte. « Je n’ai pas oublié que j’ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle ». Ben non, justement, il a été élu par refus de Marine Le Pen, par pour un programme ultra libéral que les Français ont toujours massivement rejetés. Et qu’il ne le comprenne pas  est vraiment problèmatique. « Pour moi, il n’y a pas de questions interdites ». Pour nous expliquer ensuite que le Grand Débat macronien serait bien encadré par le gouvernement ( et non la CNDP de Chantal Jouanno) et porterait sur des questions précises. Parmi les questions abordées, la laïcité, qui « est synonyme de liberté parce qu’elle permet à chacun de vivre selon ses choix »( ben c’est pas tout à fait le but, c’est de permettre à tout le monde de vivre ensemble, libéré de toute intervention des religions dans le pouvoir temporel), et parmi ces questions : « Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ».
Eh ben, je pensais pas que la laïcité faisait partie des préoccupations principales des gilets jaunes. Par contre, on comprend bien qu’une des préoccupations principales de Macron est de défendre un multiculturalisme à l’américaine, de façon à se concilier une partie des votes communautaires religieux, dont il a bien besoin. Et pour cela, de modifier la loi de 1905, projet éminemment dangereux.

Enfin et surtout, bien planquée dans cette lettre melliflue, la petite perfidie, le coup politique bien tordu : « Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental, doivent-ils jouer pour représenter nos territoires et la société civile ? Faut-il les transformer et comment ? » Entre les lignes, la question est posée : quel est l’avenir du Sénat ?
C’est tout de même étrange, cette volonté récurrente des présidents en grande difficulté, de remise en cause, voire de suppression du Sénat. C’est qu’il est très embêtant ce Sénat, qui entrave parfois, ou seulement freine un peu, les initiatives les plus folles d’une présidence ivre de pouvoir appuyée sur une Assemblée de godillots ultra-majoritaires, qui ne remplit pas son rôle et vote les projets comme des singes automates. Il est bien embêtant ce Sénat qui a un rôle d’équilibre dans les institutions, qui joue un rôle particulier pour porter la voix des territoires, pour lesquels Macron n’a visiblement que peu d’intérêt de l’aménagement du territoire… A la communication politique s’ajoute ici la basse manœuvre écœurante et dangereuse pour le pays et ses institutions.

Donc là, plutôt, Merde au débat !

Les question bien baisées, pardon biaisées : Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire? Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité? A l'inverse, voyez-vous des besoins nouveaux de services publics et comment les financer?
 Notre modèle social est aussi mis en cause. Certains le jugent insuffisant, d'autres trop cher en raison des cotisations qu'ils paient. L'efficacité de la formation comme des services de l'emploi est souvent critiquée… »
A aucun moment n’est mentionné, ni dans le texte ; ni dans les documents fournis les aides aux entreprises dont le CICE (40 milliards d’euros en 2019, cadeau bonus doublé puisque se superposent le crédit d’impôt de 2018 et la transformation en baisse de charge de 2019). A aucun moment n’est remise en cause l’efficacité de ce dispositif très couteux et très contesté. Ce doublement était-il si urgent ?

Débattre dans ces conditions ?

La stratégie de disqualification violente et continue des corps intermédiaires. Le Sénat, n’est qu’un de ces corps intermédiaires dont Macron veut la disparition. A travers notamment les ordonnances sociales et la mise en scène de leur signature, à travers les conflits sociaux qu’il a sciemment provoqué,  Macron n’a cessé de disqualifier les syndicats (qui selon lui n’ont aucun droit à représenter l’intérêt public) et a partiellement réussi à les discréditer. De même, sa pratique très centralisée et très autoritaire n’a cessé de disqualifier et discréditer les maires, les conseils généraux, les élus de proximité, sans compter l’insulte faite à la nouvelle majorité régionale autonomiste lors de sa visite en Corse. Dans toute cette première période de son mandat, le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas montré une appétence spéciale pour le débat.
Et maintenant, il se plaint qu’il n’a plus d’interlocuteurs pour débattre !!!!

Merci donc au Gilets Jaunes de l’avoir forcé à un débat. Par une certaine violence, puisqu’il ne restait plus que ce moyen-là. Tout comme ils ont montré que face à cette présidence là, là où les syndicats n’ont jamais pu rien obtenir par les moyens légaux, ils ont, eux et eux seuls, réussi à obtenir certaines avancées (sur la taxe carbone, sur les primes..). Par ce qu’il faut bien nommer un début d’insurrection !
Le non débat, c’est lui, Macron ; la chienlit, c’est lui ! ; et si ça tourne mal, la guerre civile, ce sera lui aussi ! 

« Il y a pour cela une condition : n’accepter aucune forme de violence. » C’est lui, Macron, qui l’a dit. Et c’est lui qui l’a fait. Jamais depuis la fin de la guerre d’Algérie un mouvement social s’est heurté à une telle répression policière. A aujourd’hui (3 février), le journaliste-documentariste David Dufresne, qui compile les vidéos et récits de violences policières sur son fil Twitter depuis le début du mouvement des «gilets jaunes», recense quelque 337 signalements, 1 décès, 152 blessures à la tête, 17 personnes éborgnées, et 4 mains arrachées du fait de l’action policière. Même le peu gauchiste Alain Bauer, spécialiste des affaires de sécurité, a déclaré à propos des grenades de désencerclement : « Nous avons des armes inutiles et rarissimes que l'on devrait cesser d'utiliser, affirme-t-il, citant la grenade de désencerclement. C'est l'arme la plus dangereuse qui puisse exister et dont l'utilité en matière de maintien de l'ordre n'a jamais été démontrée, où que ce soit". La police française est la seule à les utiliser. De même pour les lanceurs de balles de défense, qui devraient être soit interdits, soit utilisés qu’en dernier recours par des forces expérimentées.

Et il y  a eu aussi ces arrestations massives : Le 8 décembre, 1 082 personnes ont été interpellées à Paris, un chiffre record, Dénonçant « des dommages collatéraux », Me Kempf rappelle alors la circulaire prise par la ministre de la justice, et envoyée à tous les procureurs, pour « les inciter à réaliser des contrôles préventifs massifs, voire industriels ». Et ce sont, cas mineur, cas anecdotique, mais cas révélateur de l’hystérie ambiante, ces deux jeunes bretons, Arthur et Theo, arrêtés dans leur voiture, qui n’ont pas mis le pied à une quelconque manifestation, qui n’avaient même pas l’intention d’y aller, dont la voiture a été arbitrairement fouillée, et dans laquelle il a été trouvé une biellette de direction qualifiée de barre de fer, mais ni masques, ni gilets jaunes- ce qui étaient d’ailleurs le seule infraction à leur reprocher. Garde à vue et passage en jugement !

Puis vient la suite : le projet de loi sur les interdictions préalables de manifester, qui n’appartient pas à l’arsenal ordinaire des démocraties, mais à celui des dictatures ! Merci au député très modéré, très centriste, très pilier du parlement en ce qui concerne le contrôle affuté des finances publiques, Merci à Monsieur Charles de Courson, d’avoir ce jour-là, un peu seul, cramé un fusible en pleine discussion parlementaire : «Une autorité administrative va priver un individu de sa liberté de circulation ou de manifester au motif qu'il y a une présomption, des raisons sérieuses de penser (...) que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public”. Mais où sommes-nous mes chers collègues? C'est la dérive complète! On se croit revenu sous le régime de Vichy!», s'est-il enflammé. Devant les huées des députés, notamment issus de la majorité, Charles de Courson a réitéré: «Oui, oui, je dis bien le régime de Vichy. »

Cette stratégie policière, je veux dire, gouvernementale, imposée à la police par le gouvernement, elle n’est pas née avec le mouvement des Gilets Jaunes. Déjà, les syndicats avaient noté, lors des grandes protestations contre les ordonnances travail, une montée en violence inhabituelle des opérations policières. Et l’on sait d’où venait l’inspiration : Tu as envie de t’amuser en allant casser du syndicaliste ? Va mon petit Benalla, va, fais-toi plaisir !

Une drôle de conception du débat. On a bien compris que ce débat tenait davantage de l’opération de communication (et de sauvetage que d’un vrai débat, raison de l’abandon de Chantal Jouanno.  Alors, on voit Macron débattre devant des assemblées de maires (choisi par qui ? les préfets ?), et ce qu’on voit est bien instructif. On voit Macron se saisir d’une question et y répondre, ma foi avec une grande aisance, avec une éloquence efficace, et ceci, et c’est admirable, quelle que soit la question, mais avec pas une seule vue originale, rien qui s’éloigne de la doxa libérale qui a envahi sciences Po et l’Ena.
Et s’impose une impression : de débat, il n’y a pas ! Macron passe et repasse, des heures durant, dans tous les coins de l’hexagone le seul examen qu’il ait brillamment réussi, le grand oral de l’ENA ! Un pur et brillant spectacle de sophistique, oui, nous avons devant nous un vrai sophiste, digne de ceux que dénonçaient Platon. Il n’entend rien, il ne vboit rien, il ne comprend rien, mais il cause !
Et encore, pas sans faire des dégats !

Les macroneries : Il y a eu les « gaulois réfractaires », le problème du chômage résolu si l’on veut bien se «  donner la peine de traverser la rue ».Il y a eu aussi le cadeau de Nouvel An, en pleine mobilisation des Gilets Jaunes, le 31 décembre, la dénonciation de ceux qui « prennent pour prétexte de parler au nom du peuple » mais qui ne sont « que les porte-voix d’une foule haineuse »… Il y a eu ensuite : « on va davantage les responsabiliser car il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent » - soit toujours le renvoi de la responsabilité vers les plus pauvres. En passant, dans un article du Monde du 1er Février, cette remarque d’un gestionnaire de fortune : « les riches aussi déconnent, avec leur optimisation fiscale »…

Et puis encore  « Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu'un ministre ou un député !"

Et surtout,  le premier février 2019, cet article du Point montrant un Macron, qui lui déconne vraiment,  en plein déliré complotiste, qui juge que la surmédiatisation  des Gilets Jaunes est une «manipulation», orchestrée notamment par la Russie et Russia Today France. Extraits :  « Dans l'affaire Benalla comme pour les Gilets jaunes, la fachosphère, la gauchosphère, la russosphère représentent 90% des mouvements sur internet… Selon le président, il serait donc évident que les Gilets jaunes radicalisés auraient été «conseillés» par l'étranger : «Les structures autoritaires nous regardent en se marrant. Il ne faut pas se tromper. On est d'une naïveté extraordinaire ». A propos du boxeur Christophe Dettinger, arrêté après avoir commis des violences à l'encontre de gendarmes lors de l'acte 8 des Gilets jaunes. «Le boxeur, la vidéo qu'il fait avant de se rendre, il a été briefé par un avocat d'extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n'a pas les mots d'un Gitan. Il n'a pas les mots d'un boxeur gitan.»

Alors là, oui, Macron, déconne vraiment ! il me semble qu’il faut vraiment commencer à s’inquiéter et envisager les moyens constitutionnels d’empêchement !

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