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mardi 23 avril 2019

Raisons de détester l’Eurokom-28 : la conception de la démocratie comme marché, ou la démocratie à l’encan.


Europe et Eurokom

Dans un de mes précédents blogs, je m’enflammais sur les propos de Macron à Epinal sur « l’Europe qui nous a donné la Paix ». Face aux politiciens truqueurs qui sciemment mélangent l’Europe, réalité géographique, historique, culturelle et la Communauté européenne et ses institutions (notamment la Commission européenne), vouées uniquement à construire un grand marché selon le dogme d’une véritable secte libérale, je propose donc de différencier l’Europe réelle des peuples et des nations et l’Eurokom, les institutions de la Communauté Européenne.

N.B. : l’essentiel de ce blog est une transcription des dernières leçons du cours de 2017 d’Alain Supiot au Collège de France ( Figures juridiques de la démocratie). Elle peut être par moment infidèle, il ne partagerait pas peut-être pas l’utilisation que j’en propose pour combattre les institutions actuelles de l’Union Européenne. Si vous vous intéressez à ces sujets, écoutez, lisez Alain Supiot, il est incontournable et passionnant !

Une évolution inquiétante du droit européen ! la mise à l’encan des services publics.

Le droit européen a écarté toutes ces distinctions que le droit national peut établir entre sphère publique ou sphère privée, à but lucratif ou désintéressé : toute entité exerçant une activité économique, en dehors du statut juridique de cette entité ou de son mode de financement (arrêt Höfner) en fait, toute activité qui peut être assurée par une entité privée, quand bien même elle serait en droit national qualifié de service public ou d’activité à but non lucratif  est une entreprise.

Tel a été spécialement le cas des organismes publics chargés du placement des demandeurs d’emplois. (Arrêt Höfner :  à cet égard, il convient de souligner dans le cadre du droit de la concurrence que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique ou de son mode de financement ; l’activité de placement est une activité économique. Il y a lieu  de préciser qu’un office public, qui est chargé en vertu de la législation d’un état membre d’un servce public d’intérêt général  reste soumis au droit de la concurrence conformément à l’article 10 paragraphe 2 du traité de la Communauté, tant qu’il n’est pas démontré que son application est incompatible avec l’exercice de sa mission…

La sphère économique ainsi définie s’étend sous les mêmes conditions aux organismes à but  non lucratifs. Peu importe que le législateur national ait confié à un tel organisme, par exemple, la gestion des retraites complémentaires  pour assurer une certain solidarité entre les salariés, il suffit que ce régime soit facultatif et fonctionne par capitalisation pour que ce régime soit qualifié d’entreprise et soumis à la concurrence des sociétés d’assurance. C’est ce qu’a confirmé la Cour dans son arrêt Fédération Française des sociétés d’assurance de 1995 : Il y a lieu de répondre à la juridiction nationale : un organisme à but non lucratif chargé de la gestion d’un régime complémentaire d’assurance retraite… est une entreprise au sens du Traité.

Cette distinction de l’économique et du social, tellement ancrée dans nos mentalités que nous lui accordons une valeur quasi-scientifique est de nature idéologique. Il n’est pas en effet de lien de droit qui n‘ait à la fois une dimension économique et une dimension sociale. Si vous avez invité un ami à déjeuner à midi, c’est une relation sociale, mais à la fin, il faut bien payer le diner. La relation de travail est indissolublement  et à la fois une relation économique et une relation sociale dont le salarié est à la fois l’objet et le sujet.

Cette distinction de l’économique et du social n’est pas une donnée de la science, mais une construction dogmatique qui conduit à considérer les droits sociaux comme autant de dérogations aux droit communs de l’économie c’est-à-dire aux quatre libertés des traités européens, d’établissement, de circulation des capitaux , de circulation des marchandises, de circulation des travailleurs.
Dérogatoires à ces catégories, les droits sociaux doivent être interprétés restrictivement, comme on peut le voir dans la jurisprudences européenne qui traite ces droits sociaux dérivés  comme des maxima et non comme des minima susceptibles d’amélioration en droit national. C’est notamment m’orientation qui a été prise par la Cour européenne de Justice depuis les arrêts Vicking et Laval. (NB considérant comme illégale l’action de syndicats réclamant une égalité de traitement pour les travailleurs détachés ou s’opposant à un passage sous pavillon de complaisance (cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2018/11/raisons-de-detester-leurokom-16-la.html)

Il en résulte l’exclusion de la démocratie du champ de l’économie ainsi juridiquement définie. Dès lors qu’une activité est qualifié d’économique, elle relève des libertés garanties par les traités, acquérant ainsi vis-à-vis des institutions élues dans les Etats membres une intangibilité encore plus grande que les dispositions constitutionnelles .. La dynamique juridique européenne a cette capacité de démanteler les mécanismes de sécurité sociale assurés par les Etats sans avoir la capacité de construire des mécanismes de solidarités à l’échelon européen.

La concentration du pouvoir économique menace nos démocraties

Il y a quand même au quelques économistes à rendre une musique dissonante, qui se sont inquiétés de la concentration sans précédent du pouvoir économique à laquelle les politique ultralibérales conduisaient et des menaces contre la démocratie qui en résultaient. Parmi eux, le Français Maurice Allais, (1911-2010, prix Nobel d’économie 1988) (cf La mondialisation et la destruction des emplois et de la croissance l’évidence empirique : Le fait est que dans le monde entier, seuls quelques petits groupe set particulièrement les dirigeants des multinationales bénéficient des bienfaits de la mondialisation. Ces groupes disposent d’énormes moyens financiers, et, par personnes interposées, ils dominent tous les media, presse, radio et télévision. C’est ainsi que pour une très large part est réalisée l’endoctrinement de l’opinion, c’est ainsi qu’on faut croire que la mondialisation est inévitable, nécessaire et heureuse pour tous. Allais n’a eu de cesse dénoncer le caractère anti-démocratique du libre échangisme aveugle et le caractère dangereux des inégalités qu’il engendrait nécessairement.   Effectivement les inégalités ne cessent de croître et même l’OCDE et le Fonds Monétaire International mettent maintenant  en garde contre les dangers de cette inexorable augmentation des inégalités. (cf https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/04/raisons-de-detester-leurokom-27.html)

La libre circulation des capitaux a rendu possible une énorme évasion fiscale qui sape les bases financières des Etats et les condamnent donc à réduire les dépenses publiques. ; en 2009, on estimait que près de 10% des fonds d’action cotées étaient détenus dans des paradis fiscaux. Maurice Allais plaidait pour la constitution de grands ensembles économiques régionaux réunissant des pays de développement comparable et capables de réguler les flux de marchandises et de capitaux… autorisés à se protéger de manière raisonnable contre les écarts des coûts de production… l’essentiel du chômage que nous subissons tient précisément à cette libéralisation inconsidérée du commerce à l’échelle globale sans se préoccuper des niveaux de vie… Ce qui se produit est donc autre chose qu’une bulle.
La capture de la démocratie par l’idéologie économqiue

Capture de la régulation, capture de l’action publique par les intérêts privés

La notion de capture de la régulation est due aux économistes, au premier plan desquels cet autre récipiendaire du Prix de la Banque de Suède, George Stigler, notion a été aussi étudiée en France par deux économistes, Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole. Elle pose qu’une agence de régulation chargée de faire prévaloir le bien public dans un secteur d’activité détermine tombe sous la dépendance de groupes d’intérêts qui dominent ce secteur. Une telle capture est rendue possible par la dissymétrie de puissance économique et d’intérêt à agir…

L’indépendance présumée de ces instances de régulation les fait échapper de facto au contrôle démocratique. Pour prendre un cas massif, l’indépendance, qui est garantie par les Traités de la Commission Européenne vis-à-vis des Etats est censé lui permettre d‘être le représentant vigilant d’un intérêt général europée. ; mais elle a pour revers sa dépendance aux lobbies, qui gangrènent son fonctionnement tout en assurant de confortables reconversions à certains de ces membres.

La porte tambour fonctionne dans les deux sens ;  son fonctionnement a été récemment illustré par les cas symétriques de la nomination à la tête de la Banque Européenne de M. Draghi, ancien directeur du secteur Europe de Goldmann Sachs  et de l’embauche par Goldman Sachs en 2016 de l’ancien Président de la Commission, M. Barroso. Ces relations incestueuses sont mises à jour par des ONG comme Transparency International ou l’Observatoire Européen des Entreprises.

Vous trouverez par exemple sur son site la description détaillée du cas récent de Mme Neely Kroes, qui est l’ancienne vice présidente de la Commission Européenne, dont les Bahamas Leaks ont révélé en septembre 2016 qu’elle avait conservé durant son mandat la direction d’une compagnie off-shore immatriculée aux Bahamas. Ancienne commissaire hollandaise à la concurrence entre 2004 et 2010, puis Commissaire aux nouvelles technologies entre 2010 et 2016, Mme Kroes avait dans ses attributions violemment critiqué la condamnation de la société Uber pop par un tribunal belge, qui en avait interdit les activités. Elle déclara sous l’égide de sa fonction qu’il s’agissait d’une décision folle, qui n’avait pas d’autre but que de protéger le cartel des taxis ; bien plus, elle a appelé, dans ses fonctions de Commissaires, publiquement à une campagne de protestation contre le minstre blege en charge des transports. – ce qui dénote quand même une certaine ignorance de la séparation des pouvoirs, puisqu’en principe, dans une démocratie, le juge n’est pas sous les ordres des ministres…
Quelques mois après avoir quitté ses fonctions à la Commission Mme Kroes  s’est mise au service de la société Uber et elle siège désormais dans le Comité de politique publique de cette société. Parmi les sept autres membres de ce Comité, figurent aussi l’un ancien secrétaire américain aux transports, un ex président de l’ autorité de la concurrence australienne… La société Uber a fait savoir que ces personnalités avaient été choisies en raison de leur expérience en politique gouvernementales…

Malaise dans la démocratie européenne !

La capture de la démocratie par le marché, ou la démocratie comme marché des idées.

Si l’analyse de la capture de la régulation peut rappeler la doctrine marxiste sur l’impossible neutralité du droit réel, elle s’en distingue radicalement par les remèdes proposées : étendre au champ de la démocratie des recettes tirées des théories économiques, la théorie de l’agence et la théories des jeux ( Laffont et Tirole  sur la capture normative) :

Ainsi, il y aurait un  marché de la décision réglementaire…

C’est donc par référence au marché et aux lois dites scientifiques de son fonctionnement qu’il conviendrait de concevoir le bon fonctionnement de la démocratie…La théorie de la capture normative n’est que l’un des effets de ce changement  de base dogmatique inhérent à l’instauration du marché total et de la gouvernance par les nombres. Le marché prend la place de la norme fondamentale dans l’ordre juridique et le calcul des intérêts se substitue à l’hétéronomie de la loi. La capture normative a une portée normative beaucoup plus large que la régulation d’un domaine donné Elle s’étend à la démocratie en tant que telle, c’est ce que montre l’évolution de la jurisprudence américaine relative à la liberté d‘expression et au financement de la vie politique.

Jusqu’au New deal inclusivement, la concentration des pouvoirs économiques avait été conçue comme un péril mortel pour la démocratie.  Jusqu’en 1971, la jurisprudence de la Cour Suprême a constamment  soutenu deux types de limites :  des plafonds contributifs, des plafonds de dépense.

En 1974, avec l’arrêt Buckley v. Valeo, pour la première fois la Cour Suprême est revenue sur la limitation des plafonds, la considérant comme contraire au premier d’amendement : la liberté d’expression est en quelque sorte assimilée à la liberté de dépenser son argent sans limite. C’est une installation en douceur du marché comme base dogmatique de la liberté d’expression. « Restreindre la somme d’argent qu’une personne ou un groupe peut dépenser pour la communication politique pendant une campagne réduit nécessairement la quantité d’expression en restreignant le nombre des sujets débattus, la profondeur de leur exploration et la taille de l’audience atteinte. » !
« la loi  (annulée par l’arrêt Buckley) a notamment pour objet d’égaliser la capacité relative de tous les électeurs d’influencer les résultats du vote en fixant un plafond aux dépenses de communications politiques des individus ou des groupes. Les limitations de dépenses prévues par la loi représentent une restriction substantielle et pas seulement théorique de de la quantité et de la diversité de l’expression politique. L’idée que le gouvernement puisse restreindre l’expression de certains éléments de notre société afin de donner un poids relatif plus grand aux arguments des autres est tout à fait étrangère au premier amendement qui a été conçu pour assurer la dissémination la plus large possible des informations provenant de sources inverses et antagonistes.  Tout entrave à ces dépenses enfreint donc le premier amendement.

Ainsi, une équivalence est posée entre liberté d’argent et liberté d’expression (exemple presque caricatural de la gouvernance par les nombres). Cette alchimie a été rendue possible par le paradigme auquel Laffont, Tirole et les autres théoriciens de la capture parlementaire attribuent  une valeur  scientifique, qui consiste à subsumer la démocratie sous le concept de marché, qu’il s’agisse de marché des idées, de marché électoral, ou de marché des normes. La législation est vendue par le législateur et achetée par les bénéficiaires de la législation….

Après la fin de la limitation des dépenses, la fin de la limitation des contributions : En 1978, l’arrêt First National Bank contre Belloti a pour la première fois étendu aux entreprises la liberté d’expression garantie aux citoyens par le premier amendement, rendant caduque la limitation des contributions. « Si les orateurs en cause  n’étaient des entreprises, nul n’aurait prétendu que l’Etat pouvait faire taire ce qu’ils entendaient exprimer. Cette expression est de celle qui sont indispensables aux processus de décision dans une démocratie  et ceci n’est pas moins vrai lorsqu’elles procèdent d’une entreprise plutôt que d’un individu. « 

Après la parenthèse libérale au sens américain de la présidence Rehnquist, la Cour Suprême retrouve sa direction ultra libérale : l’ Arrêt citizen united vient dynamiter les timides remparts échafaudés sous la présidence du juge Rehnquist en renversant complètement son arrêt Austin : «  l’ arrêt Austin perturbe le libre marché des idées protégé par le ¨premier amendement. Il autorise le gouvernement à bannir l’expression politique de millions d’associations de citoyens. La censure à laquelle nous avons aujourd’hui affaire à a un large champ d’application. Le gouvernement a muselé les voix qui représentent le mieux l’intérêt économique national. (NB ceux des entreprises) Le gouvernement cherche à user de ses pleins pouvoirs, y compris de drpit pénal pour décider où une personne peut s’informer ou à quelles sources douteuses elle ne doit pas accéder ; il recourt à la censure pour contrôler la pensée. Ceci est illégal. « .

Nous sommes là parvenus à un retournement complet des origines de la démocratie américaine… Le  levier de ce renversement a été l’assimilation de la démocratie à un marché des idées. Depuis ses origines antiques, la démocratie a été pensée comme une construction institutionnelle fragile qui sépare et articule trois dimensions de la vie de la cité ayant leur lieu et leur règle propre. Ces trois dimensions sont l’assemblée politique, sphère de la délibération de l’intérêt public ; le marché,  sphère de t la négociation des intérêts privés, et le sacré, la religio au sens premier, sphères d’une  référence dogmatique, source de sens et garante du crédit de la parole, qu’elle soit commerciale ou politique ; Ainsi conçue, la démocratie exige l’institution d’un demos, d’un peuple citoyen dont les membres réunissent trois conditions (les vertus civiques) : une formation et une éducation qui les rendent capables de distinguer les intérêts publics  de leurs intérêts privés ; une indépendance économique par le travail en sorte que les citoyens ne soient pas séparés par de trop grandes inégalités de fortune, ni ne s’asservissement les uns aux autres ; une éthique de la vérité, le courage de dire ce que l’on pense et de se confronter aux autres dans des assemblées de parole dont le but est dé décider ce qui doit être.

Dès lors que la sphère du marché absorbe celle du politique ( c’est ce que l’on appelle le marché électoral), celle du sacré ( c’est le marché des religions), la figure du citoyen s’estompe au profit de cell du consommateur. Et l’éthique de la citoyenneté, qui est faite d’éducation, d’indépendance, dans et par le travail, ainsi que de respect de la vérité perd toute espèce de sens. Le statut particulier qui était celui de la parole politique dans toutes les expériences démocratiques, c’est-à-dire d’une parole censée exprimer une représentation du bien public et non la défense des intérêts privés n’a alors plus de raison d’être. Toutes les paroles se valent a priori sur le marché des idées, et réduire la quantité d’argent qu’on peut y investir serait réduire la liberté d’expression.

Le sens de la démocratie dès lors se retourne, elle ne désigne plus l’assujettissement de la sphère économique aux principes de liberté et d’égalité des citoyens, mais, au contraire l’assujettissement de la sphère politique aux lois de l’économie

Cette pente de la démocratie comme marché et ses conséquences, c’est celle sur laquelle nous nous trouvons, c’est celle qui a triomphé sans vergogne aux USA, c’est celle qui s’impose à la Commission Européenne, c’est celle qui tente maintenant de s’imposer en France avec l’ultra libéralisme des macronistes.

C’est elle qu’il faut combattre, à tous les niveaux où nous pouvons agir, européen ou national ; et c’est pourquoi il faut sortir de cet Eurokom !

CF : Qu'est-ce qu'un régime de travail réellement humain ?Alain Supiot et Pierre Musso, Hermann, 2018



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