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lundi 2 septembre 2019

Arrêt d’Astrid : vers l’étranglement du nucléaire ?


Astrid c’est mort ? Pour quelles raisons ?

Le Monde du jeudi 29 août se paie une belle exclusivité : « Astrid, c’est mort » ! Astrid (pour Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) est un prototype de réacteur à neutrons rapides (RNR), refroidi au sodium. Il devait être construit sur le site nucléaire de Marcoule (Gard). Lancé dès 2006, sous la présidence de Jacques Chirac, le projet devait aboutir à une entrée en service en 2020 et à un déploiement industriel en 2040. « Astrid, c’est mort. On n’y consacre plus de moyens ni d’énergie », révèle au Monde une source du CEA.

Pourquoi Astrid est-il abandonné ? Le CEA aurait été refroidi par le coût du chantier. Selon Le Monde, 738 millions d’euros avaient déjà été investis fin 2017 mais le coût total du projet était estimé entre 5 et 10 milliards d’euros alors que l’uranium est peu onéreux. En parallèle, le réacteur de recherches Jules Horowitz du CEA a vu sa facture exploser de 500 millions à 2,5 milliards d’euros. Et il ne doit pas entrer en service avant 2021. (NB : le RJH est un réacteur de test de matériaux, permettant des expérimentations avec un spectre neutronique intense en neutrons thermiques et en neutrons rapides, ce qui lui permettrait des études sur les matériaux des filières nucléaires actuelles  de 2e et 3e génération et éventuellement futures (4e génération : Réacteur à neutrons rapides…enfin si on en construit).

Deuxième explication : manque de soutien du gouvernement à travers la PPE. Au moins jusqu’à la deuxième moitié du XXIe siècle, le besoin d’un démonstrateur et le déploiement de réacteurs à neutrons rapides ne sont pas utiles”, indiquait en janvier le rapport de consultation de la PPE.

Enfin, une autre source du CEA citée par Le Monde pointe du doigt EDF qui « n’a pas vraiment soutenu le projet » en moyens financiers.

Le CEA lui- même a, après l’article du Monde, livré une explication un peu différente : « Dans le contexte énergétique actuel, la perspective d’un développement industriel des réacteurs de 4ème génération n'est en effet plus envisagée avant la deuxième moitié de ce siècle… le CEA continue ses travaux dans le cadre de la convention de programme d’étude qui s’achève fin 2019. Cependant, la construction du réacteur prototype, n’est pas programmée à court ou moyen terme »

Remarque : Que signifie exactement le contexte énergétique actuel ? Est-ce le prix bas  de l’uranium qui ne justifierait plus son recyclage ? Ou la décision politique et néfaste, écologiquement, économiquement et d’un point de vue sanitaire de réduire le nucléaire ?

« Conformément aux engagements qu’il avait pris auprès des pouvoirs publics, le CEA proposera d’ici la fin de l’année au gouvernement un programme de recherche révisé sur la quatrième génération – pour 2020 et au-delà, en lien avec les orientations du gouvernement sur la Ce programme portera sur la simulation, des travaux expérimentaux et des développements technologiques ciblés. Il permettra également de maintenir les compétences développées sur les réacteurs rapides au sodium. »

Remarque : Dont acte, mais il est difficile d’y croire. Et surtout, il faudrait peut-être revoir radicalement la  PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) dont le Grand Débat qui lui a été consacré a montré à quel point elle était irréaliste, cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2018/09/le-debat-public-sur-la-transition.html )

En abandonnant Astrid, nous abandonnons beaucoup de choses ! De quoi se passe-t-on ?

Astrid est la continuation des réacteurs expérimentaux Rapsodie, Phénix (250 MWe) et Superphénix (1 240 MWe), qui rappelons-le fut un succès technologique, mais arrêté pour des raisons politiques sacrifié sur l’autel de la majorité plurielle de Lionel Jospin, et particulièrement à un accord avec les écologistes.

Astrid est un  surgénérateur, un réacteur, dit de « 4e génération »,  qui consomme de l’uranium 238 (constituant 99,3% de l’uranium naturel) plutôt que de l’uranium 235 (0,7% de l’uranium naturel), ce qui nécessiterait in fine moins d’uranium naturel extrait du sous-sol pour produire de l’électricité et évite les étapes d’enrichissement. Il peut également brûler du plutonium et transformer des actinides mineurs, déchets nucléaires à vie longue, en des déchets nucléaires à vie plus courte.

De façon plus développée, l’Uranium 238 est bombardé par des neutrons rapides, celui-ci est converti en plutonium 239 fissile. Avec la même quantité d’uranium naturel initial, on peut ainsi produire avec ces RNR jusqu’à 100 fois plus d’électricité que dans les réacteurs actuels.  Ces systèmes à neutrons rapides consomment également dans le même temps directement du plutonium dont ils permettent un multi-recyclage. Dans les réacteurs actuels (REP ou REB) en France, le recyclage du plutonium est limité à un seul cycle sous forme de combustible appelé MOX (Mixed OXide fuel).

L’un des grands enjeux des réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides est de faciliter la gestion des déchets radioactifs en réduisant le volume et la radiotoxicité intrinsèque à long terme des déchets ultimes. Ils peuvent en particulier transformer des éléments radioactifs à vie longue (les actinides mineurs -américium, neptunium, voire curium), en éléments à vie plus courte.  Les déchets ultimes se limiteraient alors aux produits de fission de ces actinides mineurs dont le stockage serait  plus simple : ils retrouveraient le niveau de radioactivité de l’uranium naturel non plus au bout de plusieurs centaines de milliers d’années comme les actinides mineurs, mais au bout de 300 ans environ.

Les RNR peuvent produire autant ou plus de matière fissile qu’ils n’en consomment. Concrètement, à chaque fois qu’un neutron rapide provoque la fission d’un atome de plutonium 239, d’autres neutrons transforment dans le même temps de l’uranium 238 en plutonium 239.

Donc, les réacteurs à neutrons rapides peuvent fonctionner en différents modes selon l’usage recherché : en mode iso-générateur (égalité entre la production et la consommation de matière fissile) ; en mode sous-générateur (consommation nette de matières fissiles) ou mode « brûleur » pour consommer du plutonium de façon intensive ; en mode surgénérateur (production de plutonium supérieure à sa consommation.

Conséquences de l’abandon d’Astrid : Nous nous privons :
- d’un réacteur qui, à pleine efficience, peut produire jusqu’à 100 fois plus d’électricité que dans les réacteurs actuels
- d’un réacteur capable d’utiliser  les stocks d’uranium appauvri disponibles, en combinaison avec les combustibles usés contenant du plutonium, et  permettant, à partir du siècle prochain, de s’affranchir totalement des mines d’uranium, et ce pendant plusieurs millénaires : on valoriserait, dès lors, les 99% de l’uranium extrait mis actuellement de côté.
- d’un réacteur assurant  donc un nucléaire durable et une totale autonomie énergétique à la France, capable de générer de l’électricité en quantité et en puissance suffisante pour couvrir tous les usages futurs
-  D’un réacteur capable de produire plus de matière fissile qu’il n’en consomme. C’est l’énergie abondante pour toujours  du surgénérateur!
- D’un réacteur permettant de réduire considérablement les déchets nucléaires ; les déchets ultimes se limiteraient alors aux produits de fission de ces actinides mineurs de durée de de vie de 300 ans environ.

Et l’on viendrait nous expliquer que 5 milliards d’euros, c’est trop pour cela ! Quand on a prévu de dépenser dix fois plus en solaire et en éolien, qui, s’ils remplacent le nucléaire seront néfastes pour le climat (car il faudra les adosser à une énergie pilotable, probablement du gaz), des énergies fatales qui produisent de l’électricité quand on n’en pas besoin.


Ajoutons que l’arrêt d’Astrid peut imposer de reclasser en déchet des ressources inexploitées stockées par Orano, ce qui impacterait négativement le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR).

Les Réacteurs à Neutrons Rapides, ça fonctionne !

La France a été l’une des premières, avec Phénix et Superphénix à faire la démonstration de la faisabilité d’un RNR, filière sodium. Si l’utilisation du sodium peut poser des problèmes de sécurité, Astrid avait justement pour but d’y répondre en intégrant de nouveaux dispositifs : en particulier, la présence d’un circuit secondaire en sodium non radioactif permet d’éliminer les conséquences radiologiques d’un éventuel accident chimique généré par une réaction sodium-eau.

Ensuite, des RNR fonctionnent. A la centrale de Benoïarsk, le réacteur BN 600 a été raccordé au réseau en 1982 et est entré en phase d’exploitation commerciale, avec un : taux de disponibilité moyen de 76 % fin 2010.  En 2015, le réacteur Benoïarsk-4  (BN-800) est connecté au réseau électrique national russe. Apparemment heureux de leurs RNR, les Russes ont décidé de passer à BN 1200, toujours sur la même centrale. Rosatom étudie d’ailleurs aussi des RNR où le sodium est remplacé par du plomb : refroidissement au plomb liquide (projet BREST) et refroidissement au plomb-bismuth (comme dans les réacteurs de sous-marins nucléaires APL-705, qui devrait aboutir à la construction d’un réacteur  SVBR de 100 MW.
Les Chinois disposent du China Experimental Fast Reactor (CEFR), réacteur expérimental de 65 MW qui a réussi en 2014 une démonstration de fonctionnement à pleine puissance pendant 3 jours. Suite à cette réussite, le nucléariste chinois NNC a annoncé fin décembre 2017 le début de la construction d'un démonstrateur de 600 MW à Xiapu, dans la province de Fujian.
L’Inde dispose du Fast Breeder Test Reactor (FBTR), réacteur expérimental d’une puissance de 40 MW, et qui comprend un cœur de 50 kg of plutonium de qualité militaire (ce qui est plutôt une bonne façon de l’utiliser).
Le Japon dispose du réacteur expérimental Jōyō qui a fonctionné  de juillet 2003 à 2007, avec une puissance thermique de 140 à 150 mégawatts. Il est à l’arrêt depuis 2007. Le Japon participait à Astrid, mais s’en est semble-t-il retiré.

Et nous, et nous, et nous ? Rien en France, le pays qui a le plus développé le nucléaire civil ?

Astrid faisait de plus partie d’un programme international sur le nucléaire du futur. En 2000, le Forum international Génération IV (GIF) est né de la volonté de créer un cadre de R&D international sur le nucléaire du futur et de faire émerger plus rapidement les technologies les plus performantes à maîtriser. Ce consortium a regroupé douze pays (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Japon, Royaume-Uni, Russie, Suisse) plus Euratom.
En 2002, six technologies ont été retenues par les membres du Forum international Génération IV. Elles apportent toutes des avancées notables en matière de développement énergétique durable, de compétitivité économique, de sûreté et de fiabilité, de résistance à la prolifération et aux agressions externes.
Trois de ces technologies concernent des Réacteurs à Neutrons Rapides : GFR (Gas-cooled Fast Reactor), réacteur à neutrons rapides refroidi au gaz (très hypothétique) ; SFR (Sodium- cooled Fast Reactor), réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (Astrid); LFR (Lead-cooled fast Reactor), réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb.

Et nous, et nous, et nous : on arrête tout ?

En complément de la filière à neutrons rapides, 3 types de réacteurs sont aussi étudiés : VHTR (Very High Temperature Reactor), réacteur à très haute température; SCWR (Supercritical Water-cooled Reactor), réacteur à eau supercritique ; MSR (Molten Salt Reactor), réacteur à sels fondus

L’abandon d’Astrid en catimini est un scandale inacceptable. La filière nucléaire française n'aura pas de réacteur de quatrième génération

Compte-tenu de ses enjeux, de ses promesses (un nucléaire pratiquement sans déchet), des étapes de validation qu’il a déjà franchi, avec Superphénix en France, avec les réacteurs de la même filière en Russie et en Chine, l’arrêt en catimini d’Astrid est incompréhensible et scandaleux.
Il est en effet incompréhensible que ce programme d’avenir et du plus haut intérêt pour une énergie future pratiquement illimitée et décarbonée, assurant à la France et à l’Europe une pleine souveraineté énergétique, soit ainsi arrêté sans une évaluation sérieuse, scientifique et internationale, et une évaluation politique devant le Parlement. Il est scandaleux et inquiétant qu’aucune piste ne soit indiquée pour le nucléaire du futur en France.

Pense-t-on réellement que l’approvisionnement en uranium ne pose et ne posera aucun problème dans un avenir d’une trentaine d’année ? Ce serait prendre un sacré pari sur les instabilités et les tensions géostratègiques … Et sur l’accroissement des besoins en combustible nucléaire, avec le développement important de l’électricité nucléaire dans le monde.

Y-a-t-il des arguments techniques pour favoriser une autre technologie, comme les Réacteurs à Neutrons Rapides au plomb ? Dans ce cas, il faut le dire et le faire valider par l’expertise.

Cette décision prise en catimini, sans expertise publique, sans débat parlementaire laisse craindre le pire : que, comme Superphénix, Astrid ne soit victime de sombres et honteuses manœuvres politiciennes, que l’on n’ose même pas vouer publiquement
D’où un étranglement discret par les financement ( tout comme l’Unon Européenne, refuse d’inclure le nucléaire dans la taxonomie verte.
Est-ce ainsi que le CEA, organisme unique d’excellence dans le domaine atomique, Ets-ce ainsi que le nucléaire français mourra ? Par étranglement.

N.B. ; pour les réactions politiques, signalons une excellente tribune de Raphaël Schellenberger sur Lenergeek ( « Cet abandon est la démonstration que la raison et la science ont quitté le rang des éléments constitutifs d’une décision publique… Le plus grave, c’est que cela se passe dans l’indifférence la plus totale. C’est que le débat politique est étouffé sur le sujet, c’est que cela se fait en catimini. »)
Et la réaction de Marine Le Pen dénonçant « un crime économique, technologique et écologique ».

Il faut une commission d’enquête parlementaire.


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Benoïarsk

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