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mardi 21 avril 2020

Taxonomie verte : Consultation Européenne sur le rapport du groupe d’experts


J’ai déjà abordé ce sujet de la taxonomie verte dans un précédent blog, Urgence nucléaire et climatique, alerte ! : l’énergie nucléaire exclue de la taxonomie verte.


La Commission européenne travaille sur une taxonomie verte, c’est-à-dire une sorte de labellisation destinée à guider les investissements financiers vers les secteurs et les activités les plus appropriés pour atteindre les objectifs climatiques de l’Europe, la transition vers un économie bas-carbone et un modèle de développement durable. Le nouveau ici est qu’un groupe d’expert a rendu son avis et qu’à ce stade, il recommande que le nucléaire soit exclu de la taxonomie, c’est-à-dire n’ait pas à accès à des financements privilégiés alors que c’est la première source d’énergie décarbonée en Europe, et la seule, à part l’hydraulique, qui soit pilotable c’est-à-dire disponible quand on en a besoin, et pas quand il fait beau et que le vent souffle – un détail apparemment aux yeux de certains écolos et des bureaucrates européens ! Sous une forme assez technique, c’est un véritable coup de force, un diktat allemand qui pénalise de nombreux états, l’industrie nucléaire et ses utilisateurs.

Si le groupe d’expert reconnait le caractère fortement décarboné de l’électricité nucléaire, il l’élimine provisoirement au titre d’un critère DNSH (Do Not Sgnificantnly Harm), principalement en raison de la question des déchets. Le groupe d’expert laisse cependant une porte ouverte en reconnaissant son incompétence sur le sujet, et en proposant une expertise ciblée sur la question.
C’est là une opportunité importante dont il faut se saisir, et, par ailleurs, le rapport du groupe d’expert fait l’objet d’une consultation européenne à laquelle tout citoyen ou partie prenante peut participer avant le 27 avril ! Site de la consultation : Urgent, Mobilisez-vous !


NB : Jean-François Brette sur tweeter a publié une excellente compilation des réponses envoyées ; et il ya quelque chose d’assez réconfortant, c’est qu’ enfin les jours du  nucléaire bashing semblent derrière nous !

Un syndicat français de salariés, la CFE-CGG Energie a répondu à la consultation de manière très argumentée. Extraits

Résumé et points principaux de friction

« L’Union Européenne, par le « Green Deal », a confirmé sa volonté de parvenir à l’horizon 2050 à une économie neutre en carbone, et, pour aller au-delà des vœux pieux, de tracer une feuille de route concrète et responsable pour y parvenir. Le règlement sur la taxonomie est le moyen de mettre en place un cadre orientant les investisseurs et facilitant des flux d’investissement importants vers les innovations, les technologies et les projets les plus pertinents pour permettre d’atteindre cet objectif. En tant qu’organisation représentative de salariés du secteur de l’énergie, second syndicat du secteur en France, membre des fédérations syndicales européennes EPSU et Industriall, la CFE-CGC Énergies souhaite légitimement apporter dans le document ci-joint sa contribution à l’évaluation du Technical Expert Group (TEG) sur la taxonomie et relayer un certain nombre de critiques ou d’inquiétudes exprimées par ses mandants concernant :

 Le non-respect de la neutralité technologique bas carbone,
• L’exclusion « à ce stade » du nucléaire de la taxonomie dite verte,
Les contraintes irréalistes sur le gaz et l’hydroélectricité
 • La responsabilité des États dans leur mix énergétique,
• La prise en compte des aspects sociaux et stratégiques par les critères DSNH. Finance durable et « taxonomie verte » -

 Position de la CFE-CGC Énergies sur le rapport du Technical Expert Group (TEG) Avril 2020

« L’Union Européenne, par le « Green Deal », a confirmé sa volonté de parvenir à l’horizon 2050 à une économie neutre en carbone, et, pour aller au-delà des vœux pieux, de tracer une feuille de route concrète et responsable pour y parvenir. Le règlement sur la taxonomie est le moyen de mettre en place un cadre orientant les investisseurs et facilitant des flux d’investissement importants vers les innovations, les technologies et les projets les plus pertinents pour permettre d’atteindre cet objectif. En tant qu’organisation représentative de salariés du secteur de l’énergie, second syndicat du secteur en France, membre des fédérations syndicales européennes EPSU et Industriall, la CFECGC Énergies souhaite légitimement apporter sa contribution à l’évaluation du Technical Expert Group (TEG) sur la taxonomie et relayer un certain nombre de critiques ou d’inquiétudes exprimées par ses mandants.

 La CFE-CGC Énergies soutient les objectifs de la Commission européenne et l’initiative de financement durable qui en constitue un outil essentiel, aux conséquences importantes qui doivent être donc soigneusement pesées. Notre organisation partage le consensus international sur les technologies à embarquer pour réussir le Green Deal, l’AIE appelant les pays industrialisés à privilégier les énergies renouvelables (EnR), le nucléaire et le gaz, ce dernier en substitution des énergies fossiles plus carbonées que sont le pétrole et le charbon (de manière transitoire le gaz naturel et demain le biogaz comme énergie renouvelable neutre en carbone lorsqu'il sera suffisamment compétitif d’un point de vue économique pour remplacer le gaz naturel).

En conséquence, elle souhaite apporte des précisions sur les points suivants.

1) La neutralité technologique bas carbone n’a pas été respectée Seule une approche technologique agnostique permet d’identifier le résultat le plus efficace et le plus pertinent. Or, le rapport du TEG ne suit pas cette méthode, en particulier, il n’impose pas que toutes les sources d’énergie sans exception soient évaluées sur l’intégralité de leur cycle de vie, selon une méthodologie dont la rigueur est validée et internationalement reconnue (par exemple, normes ISO 14040 et 14044).

Tout choix a priori qui ne serait pas soutenu par ce type d’analyse porte gravement atteinte à la crédibilité de ce texte. Le fait que les EnR en soient exemptées et que, pour le nucléaire, il ne soit pas reconnu que la faiblesse des émissions de gaz à effet de serre ne concerne pas que la phase d’exploitation, mais bien tout le cycle de vie (12gCO2/kWh selon le 5ème rapport du GIEC), constitue une violation flagrante du principe de neutralité technologique qui doivent être corrigées.

Enfin, le critère DSNH (Do Not Significantly Harm), s’il est indispensable, est plus vague et doit lui aussi être appliqué selon le critère de neutralité technologique et l’état des connaissances scientifiques, et non selon des critères dépendant du résultat souhaité. Cela visiblement n’a pas été toujours le cas, en particulier pour les déchets nucléaires (voir ci-après). Ceci semble refléter la prise en compte d’agendas non techniques et très politiques de certains pays ou organisations qui n’ont nullement le monopole de l’écologie scientifique, ce qui nuit gravement à la pertinence du rapport du TEG.

2) L’exclusion « à ce stade » du nucléaire de la taxonomie dite verte. Si le nucléaire est bien identifié comme une source d’énergie très décarbonée (6g CO2/kWh dans l’industrie française, selon l’évaluation de l’ADEME), il n’est pas suffisamment souligné qu’il est non intermittent et flexible et qu’il n’a pas besoin d’être combiné avec d’autres moyens de production d’électricité ni de stockage à grande échelle pour assurer la sécurité du système électrique ; sa faible incidence sur, notamment, la pollution atmosphérique, la consommation de matières premières, l’utilisation des sols n’est pas non plus soulignée, et, de façon générale, le manque de prise en compte de ces critères constitue une faiblesse méthodologique générale et importante du TEG sur la taxonomie.

 L’exclusion du nucléaire, à ce stade, proviendrait du fait que la gestion de ses déchets ne répondrait pas au critère DNSH. La CFE-CGC Énergies s’inscrit en faux contre cette allégation qui ignore visiblement les réalités technologiques et l’état de la science. Les déchets radioactifs sont gérés selon de stricts protocoles, leur gestion est encadrée par les autorités de sûreté nationales et ils font l’objet de nombreuses spécifications du traité Euratom ; il conviendrait tout de même que la taxonomie n’ignore pas les traités européens existants ! En ce qui concerne les déchets de faible activité, il existe un consensus européen pour définir un seuil de libération à partir duquel ces matériaux peuvent être considérés comme des matériaux ordinaires : AIEA (guide RS-G-1.7), directive 2013/59/ Euratom. De plus, le recyclage du combustible nucléaire usé peut être étendu pour mieux utiliser les ressources en uranium et réduire les déchets.

Le volume des déchets de forte activité, après retraitement, représente en France 3 % des déchets radioactifs, soit l’équivalent d’une piscine olympique pour l’ensemble du parc français depuis sa création. Pour ces déchets ultimes, l’enfouissement profond dans des dépôts géologiques (de stabilité supérieure à 150 millions d’années contre une radioactivité détectable de 15.000 ans pour les déchets retraités) constitue une solution validée par les autorités de sûreté de nombreux pays (France, Finlande, Suisse pour l’Europe, mais aussi USA, Japon, Canada, Russie, Chine). Pour la France, la CFE-CGC Énergies soutient le projet CIGEO.

Il est à noter que le TEG, après sa position de principe sur l’exclusion du nucléaire, reconnaît cependant son manque de compétence sur le sujet et ouvre la porte à une expertise internationale. La CFE-CGG Énergies appelle à suivre cette recommandation et à nommer un groupe d’experts pour évaluer le caractère durable et l’aspect DNSH des solutions pour le traitement des déchets nucléaires, en respectant la neutralité technologique. Ce groupe devrait être constitué d’experts des autorités de sûreté nationale, d’agences publiques en charge de la gestion des déchets radioactifs, de représentants d’organismes de recherche actifs dans les sciences et techniques nucléaires, et la radioprotection.

La CFE-CGC Énergies insiste sur l’importance de traiter rationnellement et rapidement ce problème. Le rapport du TEG traite ainsi bien légèrement une énergie abondante, compétitive, fortement contributive au PIB et qui est actuellement la première source d‘énergie décarbonée en Europe ! Il est par conséquent nécessaire d’éliminer l’incertitude actuelle sur le nucléaire : d’abord tant pour son importance propre dans le défi climatique (rappelons que par ailleurs l’électricité est amenée à se substituer massivement à certains utilisations des énergies fossiles) ; et ensuite parce que l’exclusion de la taxonomie verte impacterait aussi fortement toutes les industries utilisatrices qui se verraient refuser l’accès à des financements privilégies pour optimiser leurs process dans le sens de la transition énergétique.

 3) Des contraintes irréalistes sur le gaz et l’hydroélectricité ; Toutes les activités de stockage et de transport d’énergies fossiles sont exclues de la taxonomie verte de fait. Un projet de production d’énergie à partir de combustibles fossiles gazeux ou liquides ne peut ainsi être étudié que s’il émet moins de 100 g de CO2 équivalent par kilowattheure et ce chiffre sera réduit par tranches de cinq ans pour arriver à 0 g CO2/kWh d’ici 2050. Là encore, la CFE-CGG Énergies s’interroge sur le bien-fondé de décisions peu fondées technologiquement et qui ignorent les réalités industrielles et des pans entiers d’activité. Dans le domaine énergétique, la décision proposée par le TEG est nettement contreproductive. Elle risque de ralentir la suppression des centrales à charbon ou lignite qui constituent encore une part importante de la production de certains pays. Les convertir en centrales au gaz constitue le moyen le plus rapide de réduire drastiquement leur empreinte carbone à court terme, même si d’autres technologies seront nécessaires à l’avenir pour atteindre ensuite le « zéro émission nette ». C’est la seule solution qui permette à court terme à ces pays de diminuer leur empreinte carbone tout en gardant une source d’énergie pilotable abondante et économique, ce que ne permettent absolument pas les EnR électriques (alors que le biogaz, lorsque sa production sera compétitive, pourra être plus facilement transporté et stocké). C’est aussi ignorer le rôle important et irremplaçable du gaz dans toute une gamme d’industries chimiques, agrochimiques, pharmaceutiques qui seraient exclus de l’accès aux financements privilégies pour optimiser leurs process dans le sens de la transition énergétique, de l’efficacité énergétique et de la décarbonation…

L’hydroélectricité constitue un outil majeur pour atteindre la neutralité carbone, mais qui est nécessairement limité par la géographie de chaque pays. Là encore, le TEG a imposé des contraintes techniquement irréalistes, qui marquent une ignorance certaine des réalités industrielles. C’est notamment le cas en exigeant que le critère de zéro émission nette soit atteint sur le seul périmètre de chaque projet hydroélectrique. Une plus grande clarté est aussi nécessaire concernant les petites centrales hydroélectriques (moins de 10 MW) que le TEG appelle à ne pas favoriser, donc à ne pas rendre éligibles aux financements verts. Cela ne repose sur aucune rationalité technique, les effets positifs et négatifs d’une centrale hydraulique étant spécifiques à un site et à une masse d’eau donnés, indépendamment de sa taille, et cela revient à brider le développement de l’hydroélectricité dans des pays (et c’est assez généralement le cas en Europe) où tous les sites importants sont déjà exploités. Par ailleurs, la production électrique issue d’une centrale hydroélectrique ne constitue qu’un aspect de tout un service public de l’eau qui a des répercussions sur l’alimentation en eau, l’agriculture et l’aménagement du territoire. Pour cette raison, la CFE-CGC Énergies rappelle son opposition à la mise en concurrence des concessions hydrauliques, qui ne garantit nullement l’accomplissement des missions de service public, ni la réalisation d’investissements à long terme allant dans le sens de la transition énergétique.

4) La responsabilité des États dans leur mix énergétique La CFE-CGC Énergies rappelle que la politique énergétique est de la responsabilité des ÉtatsMembres qui ont des contextes géographiques, économiques et historiques très différents, et qui doivent pouvoir choisir leur palette d’outils bas carbone et faire leurs propres choix technologiques pour réussir leur transition énergétique.

Ici encore, le respect de la neutralité technologique est essentiel, car si des États se voyaient interdire, via une taxonomie trop restrictive, l’accès à des financements verts pour des projets bas carbone importants et structurants selon des critères technologiquement injustifiés (par exemple dans le cas des projets nucléaires en Finlande, Tchéquie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Hongrie), c’est l’adhésion au projet européen qui s’en trouverait affectée à un moment où l’Union européenne (UE) fait face à une crise d’une gravité sans précédent.

5) Les critères DSNH doivent prendre en compte des aspects sociaux et stratégiques. Un investissement vert ne peut pas être un investissement qui violerait les garanties sociales minimales reconnues par les États-Membres, ou qui provoquerait de graves difficultés d’emplois, même temporaires, sans offrir de solutions satisfaisantes de reconversion. Par ailleurs, la crise actuelle du COVID-19 nous oblige impérativement à revoir notre dépendance industrielle et technologique vis-à-vis des pays tiers et à entamer une véritable politique de réindustrialisation.

Les investissements verts doivent prendre en compte les aspects négatifs d’une mondialisation non régulée, ainsi que les aspects stratégiques. Les financements verts européens ne doivent donc pas entraîner un surcroît de dépendance vis-à-vis d’États extérieurs à l’UE, dont chacun peut maintenant constater la dangerosité, ils ne doivent pas servir à financer des chaînes de valeurs industrielles quasi-exclusivement installées en dehors de l’UE. Enfin, il serait absurde de labelliser verts des financements qui auraient pour simple résultat d’externaliser les incidences négatives (émissions de CO2, pollutions, conséquences sanitaires, coût et externalités négatives du transport) hors d’Europe. Les leçons d’un développement non piloté de l’éolien et surtout du solaire par l’Europe et les États-Membres qui a conduit, par le choix d’EnR de plus en plus lowcost, à une création importante de valeur et d’emplois principalement en Chine doivent être prises en compte.

Pour cette raison, la CFE-CGC Énergies considère que les aspects sociaux et stratégiques doivent être pris en compte dans la taxonomie verte, possiblement au titre des critères DSNH.

La taxonomie verte représente un outil important pour la réussite d’une transition énergétique climatiquement efficace, économiquement favorable et socialement juste. Ses potentialités sont immenses, ses conséquences doivent être soigneusement évaluées. La CFE-CGC Énergies estime essentiel le respect de la neutralité technologique dans tous ses aspects, sans quoi cet outil perdra toute légitimité et se heurtera à l’incompréhension des salariés européens. Elle espère que les futures discussions sur la taxonomie incluront des aspects sociaux et stratégiques, qu’elles seront transparentes et ouvertes aux parties prenantes et qu’elles permettront de développer un modèle européen d’entreprises plus responsables environnementalement et socialement. Ce sont des conditions essentielles pour que la taxonomie atteigne ses objectifs et soient effectivement utiles pour orienter les investissements vers une transition énergétique réussie et conforme au Green Deal

La place du nucléaire dans les pays européens

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