1) Résumé de la situation
La Commission européenne travaille sur une taxonomie verte, c’est-à-dire
une sorte de labellisation destinée à guider les investissements financiers
vers les secteurs et les activités les plus appropriés pour atteindre les
objectifs climatiques de l’Europe, la transition vers une économie bas-carbone
et un modèle de développement durable.
Dans une première version (premier acte délégué), le nucléaire est exclu de
la taxonomie. Ce n’est, sous l’influence d’une Allemagne très combative, qu’un
moyen très efficace d’étrangler le nucléaire en
le privant de financements à taux privilégiés ainsi que de l’accès au
financement européen des plans de relance.
Exclure l’énergie nucléaire de la taxonomie européenne conduirait à
fragiliser toute une filière (plus d’un million d’emplois en Europe dont 220
000 en France) qui fournit pourtant actuellement près de la moitié de
l’électricité à faible teneur carbone dans l’Union Européenne. En outre, les
secteurs utilisateurs de cette énergie, notamment les électrointensifs,
seraient eux aussi fortement impactés ; les fournisseurs qui feraient plus de
5% de leur CA avec le nucléaire se verraient privés de label vert.
Au-delà, cette décision contrevient au critère de neutralité technologique
que la taxonomie devait respecter, elle va à l’encontre de toute rationalité
technique, scientifique et économique, elle dénie le droit à chaque Etat le
droit de choisir son mix énergétique figurant pourtant parmi les Traités
européens.
Devant les protestations d’un certain nombre de gouvernements européens, de
syndicats, d‘ONG environnementales pro-nucléaires, la Commission s’est engagée
à promouvoir avant la fin de l’année un second acte délégué incluant le
nucléaire dans la taxonomie. Mais il semble qu’elle joue à nouveau la
procrastination et revienne sur ses
engagements. Le combat pour la rationalité continue !
Pour les épisodes précédents, cf.
https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/09/urgence-nucleaire-et-climatique-alerte.html
;
https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/dernieres-nouvelles-de-la-taxonomie.html
2) Protestation de la République tchèque, de la Bulgarie, de la Grèce, de
Chypre, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Slovaquie au Conseil
Environnement et Energie (10-11 juin 2021)
Réflexion sur la taxonomie de l’UE et d’autres mesures possibles :
La taxonomie de l’UE pour les activités durables est une législation
ambitieuse renforçant la transparence des flux de capitaux dans les
investissements durables. À l’origine, il était destiné à être utilisé
uniquement par les marchés financiers. Entre-temps, il est devenu un instrument
global qui affecte considérablement la plupart des secteurs de nos économies.
L’Acte délégué sur l’examen des critères techniques pour l’atténuation du
changement climatique et l’adaptation à celui-ci était censé fournir un outil
complet, scientifique, crédible et ciblé pour une transition durable.
Néanmoins, en n’incluant pas toutes les sources d’énergie, il apparait que
cette intention n’est pas réellement réalisée.
Conformément au règlement taxonomique, tout au long de la majeure partie du
processus conduisant à l’actuel projet d’acte délégué, les États membres ont
été impliqués par l’intermédiaire du groupe d’experts des États membres ainsi
que des parties prenantes concernées via des consultations publiques. Le sujet
est devenu très politisé et extrêmement sensible.
Malheureusement, la phase finale des négociations sur le projet d’acte
délégué a apporté des changements substantiels, en particulier en ce qui
concerne le secteur de l’énergie. Nous estimons que ces changements de dernière
minute ne tiennent pas suffisamment compte des positions des États membres.
L’exclusion de certaines technologies énergétiques du projet d’acte délégué ou
le report de leur inclusion pourrait entraîner une incertitude assez grave pour
les institutions financières, les investisseurs et les entreprises, ce qui
pourrait à son tour compromettre la transition énergétique nécessaire dans les
années à venir.
En outre, nous pensons que l’exclusion ou le report de certaines
technologies en ce qui concerne le projet d’acte délégué n’est pas conforme au
principe de neutralité technologique consacré à l’article 19.1 a) du règlement
taxonomie, ni à l’exigence énoncée à l’article 19.1 j) selon laquelle les
critères techniques couvrent toutes les activités économiques pertinentes dans
un secteur spécifique. C’est également un signe du manque d’ambition de l’UE dans
l’offre d’une voie de décarbonisation viable tant pour les acteurs du marché
que pour les États membres.
Étant donné que la taxonomie en général a un impact significatif sur tous
les secteurs de l’économie, nous souhaitons inviter la Commission à proposer un
ensemble non seulement ambitieux mais aussi réaliste de critères d’examen
technique pour le secteur de l’énergie. En ce sens, nous apprécierions que la
Commission informe les États Membres de l’état d’avancement des préparatifs de
l’acte délégué complémentaire, qui devrait être publié sans retard inutile.
L’acte délégué complémentaire et la législation qui pourrait l’accompagner
devraient tenir compte du fait que les États membres ont des points de départ
différents et qu’ils ont l’intention d’utiliser différentes technologies à
faible intensité de carbone et à zéro émission de carbone qui impliquent
diverses voies de décarbonisation. Il doit donc laisser suffisamment de
souplesse pour tenir compte du développement technologique actuel, de l’infrastructure
existante et des bouquets énergétiques actuels, tout en offrant des
perspectives réalisables pour les sources et technologies énergétiques à faible
émission de carbone et à zéro émission de carbone.
Les secteurs économiques et les États membres doivent être habilités, grâce
à des critères de sélection adéquats, y compris pour les activités de
transition, à s’engager sur des voies de transition progressives et
réalisables, conformément aux objectifs définis par l’UE en matière d’énergie
et de climat.
Si cette protestation tchèque figure à l’ordre du jour du Conseil de
l’Energie du 11 juin 2011, le compte-rendu du lendemain n’en fait semble-t-il
aucune mention.
3) Implications de la taxonomie de l’UE pour la transition vers une
économie durable - Informations de la délégation tchèque, soutenues par les
délégations bulgare, grecque, chypriote, hongroise, roumaine et slovaque-Note
au Conseil des Etats
Décidément très active, la République Tchèque a aussi adressé une note sur la taxonomie au
Conseil des Etats. Extraits :
« Dans le cadre législatif actuel, la taxonomie fournit un outil de
transparence afin d’empêcher le greenwashing lorsque des produits et services
financiers « durables » ou « verts » sont établis et promus. Parallèlement à la
directive sur l’information en matière de durabilité des entreprises récemment
proposée (révision de la directive sur l’information non financière), elle
rendra également l’alignement des entreprises sur les objectifs de durabilité
et de climat de l’UE plus visible et plus transparent.
La taxonomie facilite l’identification des activités qui apportent une
contribution positive substantielle aux objectifs environnementaux, tout en ne
faisant pas de dommages significatifs dans d’autres domaines environnementaux
et en respectant des garanties sociales minimales. Le cadre actuel de la
taxonomie comporte plusieurs limites :
- Les critères de taxonomie n’autorisent en fin de compte qu’une approche
unique (one size fits all) qui est très controversée en ce qui concerne son
efficacité pour l’atténuation du
changement climatique. L’interprétation des activités de transition pour
l’atténuation du changement climatique a été trop étroite et n’a pas permis à
chaque pays de proposer des voies différentes vers la décarbonation.
- Même si les critères en cours d’élaboration sont censés être fondés sur l’état de la science et neutres
sur le plan technologique, plusieurs critères essentiels sont fondés sur des
indicateurs et des mesures qui ne tiennent pas compte de la faisabilité
technologique et économique, ce qui entraîne l’exclusion injustifiée de
certaines activités de transition.
- L’idée de définir uniquement des activités durables qui contribuent
activement à la réalisation d’objectifs environnementaux est largement mal
comprise par le public, les décideurs et les entreprises, y compris le secteur
financier. Tout ce qui n’est pas inclus dans la taxonomie est généralement
considéré comme nuisible à l’environnement. Même si ce n’est pas le cas d’un
point de vue juridique, les conséquences pratiques pour les options de
financement et d’assurance peuvent être préjudiciables dans de nombreux
domaines où une approche individuelle et une évaluation spécifique sont
nécessaires.
Nous sommes d’avis que ces lacunes devraient être corrigées et que la
taxonomie ne devrait être appliquée qu’en tant qu’outil de transparence.
Cependant, la taxonomie devient progressivement une nouvelle norme pour les
politiques de l’UE, grâce à sa mise en œuvre progressive par la Commission
Européenne. Nous ressentons le besoin d’engager un large débat sur son
application en dehors du champ d’application initial. Certaines implications
découlent de l’évolution actuelle de la situation.
- Nous reconnaissons pleinement la nécessité de cesser de financer des
activités nuisibles à l’environnement conformément au principe « ne pas nuire »
(DNSH) du pacte vert pour l’Europe et au principe « ne pas nuire de manière
significative » du règlement taxonomie. Toutefois, il est essentiel d’avoir une
discussion appropriée sur les limites de l’utilisation des critères taxonomique
comme système de référence pour le financement public. Le financement du
secteur public diffère à bien des égards du financement privé. La taxonomie n’a
pas été élaborée en vue de devenir la seule norme de financement, ni la norme
législative.
- Il y a une incohérence dans la façon dont la Commission comprend et
applique les critères « ne pas causer de dommage significatif » et, dans
certains cas, « contribution substantielle »
se transforme en « seuil obligatoire », ce qui élimine indûment certains
investissements ayant des incidences positives sur l’environnement.
- Il est largement reconnu que la taxonomie n’est pas un outil complet pour
la transition et qu’elle ne peut pas servir d’indicateur pour la transition
énergétique. La transition, du point de vue d’un État Membre, est une question
d’interdépendances complexes entre l’économie et les politiques publiques dans
une période et un contexte spécifiques, et des voies particulières vers la
décarbonation.
- Des investissements transitoires sont nécessaires pour atteindre les
objectifs ambitieux en matière d’atténuation climatique. Les approches
individuelles adoptées par les États membres devraient être expliquées et
comprises, mais ces approches individuelles ne peuvent être mises en œuvre sans
une réelle neutralité technologique et une réelle souveraineté sur le bouquet
énergétique. Les parcours de transition sont et seront différents selon les
États Membres. Nous respectons pleinement nos obligations environnementales,
mais nous ne serons pas en mesure de les respecter sans investissements transitoires
privés et publics.
Nous demandons à la Commission Européenne et aux États Membres:
- d’examiner, au niveau des experts
appropriés ainsi que dans les forums politiques, les limites de la taxonomie et
de ses critères, notamment le « ne pas
causer de dommage significatif » en tant que système de référence pour le
financement de l’UE;
- de reconnaître que la transition
ne peut être réalisée avec une approche unique et que la taxonomie doit être un
outil flexible pour toutes les voies de transition;
- d’évaluer les conséquences de
l’application pratique de la taxonomie, qui sont déjà plus larges que prévu à
l’origine;
- de veiller à ce que les critères de la taxonomie soient fondés sur la
science, technologiquement neutres, mais aussi réalistes compte tenu de l’état
de la technique dans différents secteurs et États membres.
4) La Roumanie mise sur le nucléaire pour tenir ses objectifs climatiques
Pour la Roumanie, le recours au nucléaire semble la seule voie possible
pour décarboner la production d’électricité et fermer les centrales au gaz et
au charbon. La Roumanie soutient l’intégration du nucléaire dans la taxonomie
verte. La Roumanie fait partie des nombreux pays de l’Est de l’Europe, membres
de l’Union Européenne, et qui ont décidé d’investir dans le nucléaire pour
tenir leurs objectifs climatiques, aux côtés de la Pologne, la République
tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Bulgarie.
Pour Teodor Chirica, président du conseil d’administration de
Nuclearelectrica, à Bucarest, ce choix d’investissement dans le nucléaire s’impose pour tenir les
engagements de la Roumanie dans l’Accord de Paris :. « Aujourd’hui, on parle de
18 à 20% de nucléaire dans notre mix énergétique ; 30 à 35% est une part
atteignable d’ici à 2050 si on reste sur la progression que nous avons
aujourd’hui ».
Teodor Chirica espère par ailleurs que le nucléaire sera intégré à la
taxonomie verte, et critique la posture des opposants à cette décision : “Les
uns sont dans une posture politique, idéologique et les autres s’appuient sur
la science. Si dans le pire des cas, la liste de référence de l’Union
européenne, la taxonomie, n’intègre pas le nucléaire, cela ne veut pas dire que
nous ne pourrons pas développer le nucléaire. Le problème, c’est que nous ne
pourrons pas avoir accès à des financements abordables comme dans le cas des
autres énergies et cela pourra pénaliser l’aspect économique du projet”.
La Roumanie envisageait au départ d’agrandir Cernavodă via un partenariat
avec la Chine et le Canada, un projet piloté par China General Nuclear Power
(CGN). Mais ces discussions ont été rompues, et c’est un consortium dirigé par
la société d’ingénierie américaine AECom, avec des partenaires canadiens,
français et roumains (dont Orano) qui développera l’extension de la centrale
nucléaire, pour un total de 8 milliards de dollars
https://sfenral.fr/index.php/lire-la-suite-actus-semaine/216-actu-2021-24#:~:text=Ce%20vendredi%2011%20juin%202021,pour%20atteindre%20ses%20objectifs%20climatiques.&text=La%20Roumanie%20soutient%20d'ailleurs,nucl%C3%A9aire%20dans%20la%20taxonomie%20verte.
5) Pays-Bas : Le Parlement néerlandais a voté une motion pour soutenir
l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie
Le Parlement néerlandais a maintenant demandé au gouvernement de soutenir
l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie ! Un geste essentiel qui fait du
bien non seulement aux Pays-Bas mais aussi à nos alliés européens qui
souhaitent également investir dans la nouvelle énergie nucléaire pour lutter
contre les émissions de carbone !
Motion proposée par Silvio Erkens :
La Chambre, après avoir entendu les délibérations, constate que la
taxonomie de l’UE doit être neutre sur le plan technologique et devrait être
établie sur la base de faits scientifiques; que l’énergie nucléaire est une
source d’énergie à faible intensité de carbone; que, dans son rapport du début
de cette année, le Centre commun de recherche indique que les effets de
l’énergie nucléaire sont largement comparables à ceux de l’hydroélectricité et
des sources d’énergie renouvelables et que cette évaluation permet d’ajouter
l’énergie nucléaire à la taxonomie de l’Union Européenne; invite le Cabinet à
collaborer avec la France et d’autres
États membres engagés dans l’énergie nucléaire
pour intégrer l’énergie nucléaire dans la taxonomie.
6) Finlande : déclaration de Riku Huttunen (Dg, Ministède de l’économie et
de l’emploi, Nordic Nuclear Forum (NNF), 8–10 June 2021
Dans son discours d’ouverture, Riku Huttunen, du ministère des Affaires
économiques et de l’Emploi, a souligné le rôle clé de l’énergie nucléaire en
tant que source d’énergie sans émissions dans la lutte contre le changement
climatique. Il a également mis l’accent sur le principe de la « sécurité
d’abord » dans la réglementation et l’utilisation de l’énergie nucléaire et
dans le développement de nouvelles technologies.
« L’énergie nucléaire joue un rôle important et croissant en tant que
source d’énergie en Finlande. Pour que la Finlande atteigne la neutralité
carbone d’ici 2035, nous devons être en mesure d’utiliser toutes les
technologies d’énergie propre »
“Les politiques et la législation devraient être neutres lorsqu’il s’agit
de choisir entre des sources d’énergie durables. C’est pourquoi il est alarmant
de suivre le débat européen sur le financement durable et la taxonomie. Il
devrait être évident pour tous que les mêmes critères de durabilité
s’appliquent à toutes les sources d’énergie ».
“Toutefois, la Commission européenne a scindé son acte délégué sur la
taxinomie en deux en reportant les règles sur le gaz et l’énergie nucléaire à
un stade ultérieur. Il est donc très difficile de procéder à une évaluation
globale de l’acte et aux États Membres de l’UE de prendre position à son sujet.
Au lieu de considérations politiques, la neutralité technologique devrait être
le principe directeur «
https://tem.fi/en/-/director-general-huttunen-at-launch-of-nnf2021-developing-nuclear-energy-requires-closer-international-regulatory-cooperation
Et la France ? Beaucoup d’Etats Européens comptent sur elle pour défendre
l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie, elle est semble-t-il muette ! Non
seulement nous ne disons rien, ou pas grand-chose, mais nous laissons un Pascal
Canfin à la tête de la Commission Envi saboter leurs efforts.
Une réaction @renew europe, @Christophe Grudler ?