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samedi 11 février 2023

Commission Schellenberger-Paroles de syndicalistes (2)-M. Jacky Chorin, FO

Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France -réunion 30, 25 janvier 2023

CM. Jacky Chorin, représentant de la Fédération nationale de l’énergie et des mines (FNEM-FO), ancien administrateur EDF

Une politique absurde de la concurrence imposée par l’Europe au profit de l’Allemagne

« Après avoir écouté nombre des intervenants devant votre Commission, FO constate que beaucoup d’entre eux rejoignent les syndicats pour considérer que la concurrence est absurde dans l’électricité. Yves Bréchet, ancien Haut-Commissaire à l’énergie atomique, a ainsi indiqué que « cest une erreur fondamentale de penser que lon peut faire un marché dun bien non stockable », ajoutant qu’« on a fabriqué un outil qui est un outil de spéculation pure. On a fait gagner de largent à des gens qui nont pas produit un électron ».

De même, plusieurs intervenants, notamment Henri Proglio, estiment que cette concurrence a été l’outil de la Commission européenne et de l’Allemagne pour casser EDF et la découper en morceaux, afin de fragiliser le nucléaire et l’hydraulique. FO partage cette analyse. EDF a été, en effet, une véritable obsession de la Commission, comme en témoigne sa mise en demeure de 2015 contre la France sur l’hydraulique, au motif qu’EDF n’avait pas perdu encore assez de parts de marché.

Il est vrai aussi que les gouvernements français successifs ont aussi une lourde responsabilité dans ce désastre. Ils ont d’abord voté la concurrence en Europe et, quand les prix ont augmenté, ils ont mis en place des mesures ouvertement contraires aux engagements pris, suscitant en retour des réactions de la Commission. »

Le désastre de la loi NOME : Arenh, TRV, industrie

C’est par exemple à la fin du second mandat de Jacques Chirac, fin 2006, qu’a été créé le tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché (TARTAM), tarif de retour au marché pour les entreprises, qui devaient faire face déjà à une hausse des prix de l’électricité. Les mêmes avaient pourtant voté l’ouverture des marchés en 2004. La conséquence a été redoutable : la Commission a menacé d’intenter des procès contre la France et le gouvernement Fillon s’est finalement incliné sans combattre, avec la loi sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME) de 2010.

Ce texte institue cette machine infernale contre EDF qu’est l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) en créant de toutes pièces une concurrence factice, puisqu’EDF est contrainte d’aider ses concurrents, qui plus est avec un prix bloqué à 42 euros du fait de la Commission européenne. En conséquence, Jean-Bernard Lévy l’a rappelé, la dette augmente mécaniquement de 3 à 4 milliards par an.

Cette loi a aussi prévu deux autres dispositions structurantes et désastreuses applicables à partir de 2016. La première a mis fin aux tarifs jaune et vert pour les industriels, rejetés dans la main invisible du marché. Ces entreprises sont victimes de ce lien, dénoncé par tous, établi au niveau européen entre le marché du gaz et celui de l’électricité.

La seconde concerne le mode de calcul des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE) pour les consommateurs domestiques et les TPE : avec le principe de contestabilité, le niveau des TRVE n’est plus fixé en fonction du coût de production d’EDF, mais de la capacité des fournisseurs alternatifs à concurrencer EDF. Il s’agit là d’une absurdité, dénoncée par l’Autorité de la concurrence. Les promoteurs de la concurrence avaient prétendu que celle-ci ferait diminuer les prix, le résultat est inverse : on augmente les prix que la concurrence subsiste.

Comme je l’ai déjà indiqué, la CRE propose d’accroître les TRVE de 100 %, alors que les coûts du mix électrique français ont très faiblement augmenté. Même si le gouvernement limite la hausse à 15 %, celle-ci sera reportée sur les années suivantes.

Le nécessaire retour à la souveraineté passe par la maitrise du marché

Pour sortir de cette impasse qui broie notre pays, la seule solution consiste à reprendre notre souveraineté et à revenir à une fixation des tarifs en fonction du coût du mix électrique français, pour tous les Français. Du reste, l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), trop souvent oublié, indique que le marché intérieur « n’affecte pas le choix d’un État membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie ».

Les Allemands ont décidé de promouvoir une Energiewende fondée sur un mix fossiles/EnR qui fragilise toute l’Europe. Mais ils ne doivent pas demander à notre pays, qui a opéré des choix judicieux, de compenser la perte de compétitivité des industriels allemands en augmentant les prix payés par les Français. En effet, si le choix de la France en faveur du nucléaire ne se traduisait pas par des prix le prenant en compte, l’adhésion des Français à cette énergie indispensable pour respecter notre trajectoire bas carbone et la sécurité d’approvisionnement de notre pays risquerait de se fragiliser.

Par ailleurs, nous contestons vigoureusement les propos de Bruno Le Maire selon lequel, « si on était sortis aujourd’hui du marché européen de l’énergie, nous n’aurions pas eu l’électricité allemande dont nous avons eu besoin pour faire tourner les fours des boulangers ». Les interconnexions ont existé bien avant le marché européen ; elles existent aussi avec des pays qui sont en dehors de l’Union. De plus, à l’exception de la période récente, la France est structurellement exportatrice d’électricité. Il est inutile de faire peur aux Français en faussant sciemment le débat : ce sont bien les pays alentour qui ont besoin la plupart du temps de notre électricité et non l’inverse.

Le retour à un tarif de l’électricité fondé sur le coût du mix français est donc le point majeur pour assurer notre souveraineté énergétique. L’État touche aujourd’hui les limites de ce qu’il peut faire en termes de bouclier tarifaire, simplement parce que nous appliquons des règles de marché absurdes. Il est donc urgent de modifier ces règles et de suspendre l’ARENH, suspension explicitement prévue par le Code de l’énergie en cas de circonstances exceptionnelles.

Non à la politique allemande des ENR contre le nucléaire

Mais il nous faut aller plus loin encore. La Commission a fait de la promotion des énergies renouvelables (EnR) intermittentes l’alpha et l’oméga de la politique européenne, au point que des objectifs toujours plus élevés sont proposés. Paradoxalement, la France va être condamnée à une amende de 500 millions d’euros pour ne pas avoir respecté ses objectifs en matière d’EnR, alors qu’elle est bien plus vertueuse que la plupart des autres pays européens en matière d’émissions de CO2. Cette plaisanterie doit cesser. Notre objectif commun consiste à protéger la planète et non à implanter des éoliennes partout, avec des moyens de production non pilotables qui n’assurent pas la sécurité d’approvisionnement de notre pays.

La Commission européenne s’est alignée là encore sur les positions anti-nucléaires allemandes, mais nous ne pouvons en rester là et il faut maintenant mettre en avant des objectifs de moyens de production bas carbone, dont le nucléaire est l’élément principal et non des objectifs fondés sur les seules EnR.

Au demeurant, le manque de résistance du gouvernement sur ce sujet s’explique sans doute par le fait que la conversion pro-nucléaire du Président de la République est récente. Lors de son premier mandat, Emmanuel Macron a mis ses pas dans les orientations désastreuses de François Hollande, en fermant Fessenheim, en arrêtant le projet Astrid, en faisant voter une loi pour fermer quatorze réacteurs d’ici 2035, certes avec une échéance reportée de dix années, et en maintenant l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique.

Certes, le Président a fait volte-face dans son discours de Belfort il y a un an. FO soutient évidemment l’annonce d’un programme d’EPR 2, souhaitant qu’il soit mené jusqu’à quatorze réacteurs. Nous voulons également le prolongement des centrales existantes et rejetons la fermeture de centrales pour des raisons politiques. Pour autant, nous avons perdu cinq ans et la gestion de ce dossier lors du premier mandat a fragilisé notre filière nucléaire. Je rappelle qu’il s’agit là de la troisième filière industrielle de France avec 220 000 travailleurs. Vous me permettrez, à ce sujet, d’avoir une pensée pour les salariés de Fessenheim, qui ont assuré jusqu’au bout un service public exemplaire et qui ont été sacrifiés sur l’autel d’une idéologie prétendument verte.

Stopper la mise en concurrence de concessions hydrauliques

Ensuite, l’hydraulique est, de loin, la première énergie renouvelable de France, verte et pilotable. Sur ce point, le bilan des gouvernements successifs est également mauvais, puisque les investissements sont bloqués alors qu’EDF estime pouvoir développer trois à cinq gigawatts supplémentaires en dix ans. Depuis 2006, les gouvernements se sont inscrits dans l’ouverture à la concurrence demandée par l’Europe. Il y a là encore matière à scandale, car il est essentiel de maintenir l’hydraulique au sein d’une EDF intégrée avec une optimisation amont-aval telle qu’elle existe aujourd’hui, plutôt que d’initier une nouvelle destruction-désoptimisation de l’entreprise comme le prévoyait le projet Hercule.

Lorsque la loi française de 2015 a permis de prolonger certaines concessions existantes contre des travaux, la Commission a refusé le projet EDF de la Truyère pourtant fondé sur des objectifs de transition énergétique, au motif que cela n’était pas permis par la directive Concessions. Un important potentiel hydroélectrique, énergie renouvelable, n’est pas exploité uniquement pour des raisons idéologiques.

Il importe donc de régler rapidement cette question dans l’intérêt général et de renoncer à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques, tout en préservant l’intégrité d’EDF, qui passe par le rejet du plan Hercule et du Grand EDF. Il faut reconstruire un service public ; les salariés n’en peuvent plus de toutes ces décisions erratiques, qu’elles viennent de l’Europe ou de la France.

L‘écoeurement des salariés

Malgré cette casse programmée et les milliards d’euros dépensés pour détricoter ce système intégré qui fonctionnait parfaitement, les salariés ont continué à assurer un service public de qualité dans des conditions de plus en plus difficiles. Mais quand ils voient les résultats de ce gâchis, ils sont écœurés.

Travailler pour des concurrents qui s’en mettent plein les poches grâce à l’ARENH sans prendre aucun risque ne doit plus être l’avenir du service public de l’électricité, si nécessaire à notre pays. Voir les entreprises mettre la clé sous la porte en raison de la hausse faramineuse des tarifs électriques, alors que le coût du mix électrique français est resté pratiquement stable n’est pas soutenable. L’État assaille EDF d’injonctions contradictoires, le paroxysme étant la décision inique du gouvernement d’augmenter le plafond de l’ARENH alors qu’EDF avait soldé ses positions, ce qui a entraîné une perte de 10 milliards d’EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement).

Aujourd’hui, nous avons véritablement besoin d’un État qui soit à l’écoute, qui retrouve la voie du service public et qui dise enfin à EDF ce qu’il attend d’elle, par exemple au travers d’un contrat de service public qui devrait être débattu au Parlement.

C’est pourquoi FO demande les éléments suivants :

- la suspension immédiate de l’ARENH avant son abandon pur et simple ;

- la fin de la concurrence dans les concessions hydroélectriques pour débloquer les investissements nécessaires ;

-la transformation des objectifs de moyen de production renouvelables en objectifs incluant toutes les énergies bas carbone ;

- l’application sans délai de la relance du nucléaire annoncée à Belfort ;

- l’instauration d’un tarif de l’électricité fondé sur le coût du mix électrique français.

Force Ouvrière soutient en outre la proposition de loi de nationalisation d’EDF émise par le député Brun, garantissant le caractère intégré d’EDF, premier pas vers le retour à l’EPIC.

Nous sommes en désaccord avec l’OPA lancée sur EDF : nous voulons une loi de nationalisation. Nous sommes en effet contre le statut de société anonyme, qui ne protège en rien le caractère intégré de l’entreprise publique. FO souhaite en réalité une nationalisation démocratiquement choisie par le parlement, avec à la clef un contrat de service public définissant enfin les attentes de l’État et de la représentation nationale vis-à-vis d’EDF.

Aujourd’hui, EDF connaît le plus mauvais des deux mondes : d’une part, la logique financière liée à la cotation ; et d’autre part l’augmentation de l’AREHN, qui s’est traduite par 10 milliards de perte d’EBITDA. Cela n’est plus possible.

Nous voulons refonder le service public de l’électricité à travers un vrai débat national. À cet égard, nous saluons la constitution de cette commission, qui nous permet de mener un débat politique sur une vraie loi de nationalisation.

Sur le gaz : revenir aux contrats de long terme

M. Jacky Chorin. Le gaz est de moins en moins présent en Europe. La Commission européenne ne croyait que dans les vertus du marché a fait tout ce qu’elle a pu pour casser les contrats à long terme (contrats take or pay) et a supprimé le monopole d’importation de Gaz de France. Comme M. Grillat l’a évoqué plus tôt, les monopoles d’importation ont été brisés mais les monopoles d’exportation ont été maintenus. La Commission avait ainsi poussé à son paroxysme une vision libérale qui est allée in fine à l’encontre des intérêts des Européens. Désormais, les contrats à long terme et les achats groupés qui devraient constituer une hérésie pour la Commission européenne reviennent en grâce.

À une époque, des organisations syndicales se sont battues pour fusionner EDF et Gaz de France, mais le choix politique a été différent. La loi du 9 août 2004 a ouvert le capital d’EDF et Gaz de France à hauteur de 30 %. Deux ans après, Gaz de France a été absorbé par Suez, qui a imposé son mode de fonctionnement. À l’époque, les députés croyaient à la création d’un champion national. Mais le gaz a été très peu été développé et la filière d’exploration production a été vendue. Aujourd’hui, le géant du gaz s’appelle Total.

Sur Fessenheim

L’État voulait fermer Fessenheim, la troisième centrale la plus sûre de France, mais ne voulait pas le dire dans un texte officiel, car il aurait alors dû régler des indemnités.  l’ASN fixe les règles les plus exigeantes du monde, en imposant le meilleur standard, le plus proche de l’EPR, lors de ses visites décennales. Aucun autre pays du monde n’est aussi rigoureux que nous. Il est objectivement stupide de dire que Fessenheim était la centrale la plus vieille centrale de France.

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