J’étais en Allemagne fin octobre lorsque fut
révélée l’écoute par la NSA
des communications d’Angela Merkel. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les
dirigeants allemands, au moins dans leur communication, n’ont pas réagi sur un
mode vaguement cynique, du type « on le savait déjà, ça se fait depuis
toujours etc. » mais n’ont pas hésité à faire part de leur surprise et de
leur indignation. Oui, il y avait un programme d’écoute et de surveillance
anti-terroriste, mais ce que révélait le transfuge de la NSA Edward Snowden,
allait évidemment bien au-delà, un au-delà qu’ils avouaient naïvement
inimaginable, qu’en tous cas, ils n’avaient pas imaginé, et qui les
scandalisait profondément, de nature à rompre la tradition de confiance entre
l’Allemagne et les USA.
Faut-il le
dire ? Je trouve cette réaction beaucoup plus naturelle et intéressante
que celles des faux intelligents, faux informés, faux cyniques et vraies
dupes qui fut celle de notre
gouvernement et d’un certain nombre d’autres.
Surtout si au-delà
de l’indignation, la reconnaissance de ce qui s’est passé, des capacités
d’écoute inouïes de la NSA
permet une prise de conscience citoyenne et de bâtir une réponse européenne à
ce qu’il faut bien informer l’impérialisme américain sur l’information, le seul
peut-être qu’ils puissent encore se permettre, mais aussi le seul- peut-être-,
désormais important.
Il faudra
d’ailleurs tout de même songer à accorder un asile politique (en attendant un
prix Nobel de la Paix ?)
à Edward Snowden là où il le souhaitera ; il est assez étrange que ce
héros de la liberté et de la démocratie se trouve contraint à résider en Russie.
L’impérialisme numérique américain
Les entreprises et
compagnies d’état brésiliennes et indiennes ont fait l’objet de surveillances
systématiques. La France ,
l’Inde, Le Brésil (des pays éminemment suspects de menées terroristes contre
les USA) sont parmi les plus espionnés par la NSA On
s’est moqué de la gigantesque collecte de communications effectuée par la NSA entre décembre 2012 et
janvier 2013 en France (70 millions de communications téléphoniques). C’est que
le but n’est évidemment pas la lutte contre le terrorisme, mais une
cartographie systématique des contacts et réseaux.
Les prétendues
nécessités de la lutte contre le terrorisme ont abouti à un véritable marché de
dupes, qui a permis aux services américains d’organiser un espionnage numérique
systématique pour des raisons commerciales… et principalement contre des
alliés.
Et si la NSA a efficacement organisé un
espionnage numérique universel, elle ne parvient même pas à protéger des
données stratégiques : ainsi, le Financial Times du 29 octobre 2013
dévoile qu’un citoyen britannique est poursuivi pour vol massif de données qui
lui auraient permis de pouvoir établir des milliers de faux documents
d’identité de services officiels américains… attrapé pour avoir été un peu trop
bavard sur les réseaux : « You have no idea how much we can fuck with
the US government ».
Non, personne avant
les révélations de Snowden ne soupçonnait vraiment l’ampleur de ces écoutes, la
tromperie des USA et le véritable dévoiement de la lutte anti-terroriste vers
un impérialisme américain numérique. Pas les Allemands, pas les Brésiliens, pas
les Indiens, qui se sont indignés, et la confiance de tous les pays, et
singulièrement de leurs ex-alliés, envers les USA sera durablement
affectée ; et sans doute pas même les Chinois, qui ont en urgence doublé
le nombre de leurs agents affectés à la « protection » numérique.
Alors, il serait
sans doute temps que l’Europe décide de la meilleure façon de protéger ses
intérêts numériques et cesse de se faire piller ; et que les citoyens
européennes décident de ce qu’ils veulent ou ne veulent pas en matière de Big
Data.
Les activistes du
net et défenseurs des libertés publiques
joueront un rôle extrêmement utile, parfois héroïque, d’alerte et de
dénonciation, mais il est clair qu’ils ne pourront pas empêcher la collecte
massive de données, tout simplement parce qu’il s’agit aussi d’une évolution
technique porteuse d’immenses potentialités et progrès, d’un axe majeur de
développement de nos économies. Entretenant une indispensable conscience citoyenne,
ils peuvent tout de même complètement disqualifier les firmes ou institutions
qui feraient un usage inadmissible des données collectées.
Ce qui nous amène à
un autre facteur de résistance important : les Vérizon, Google, Facebook,
Vodafone, Blackberry ont été très mortifiés de la révélation par Snowden de
leurs relations avec le NSA ; et cela n’est pas bon pour leurs affaires.
Néanmoins, le Big
Data fascine les mathématiciens, sociologues, économistes, par les observations
qu’il leur permet sur les comportements ; et aussi les épidémiologistes,
les médecins, les chercheurs qui veulent faire progresser la médecine
prédictive, la médecine personnalisées, étudier l’influence de l’environnement
sur la santé etc. (cf le numéro de décembre 2013 de La Recherche
sur le Big Data.
Oui, mais des
chercheurs sont parvenus assez facilement à identifier des donneurs d’ADN
anonymes pour le projet 1,000 génomes ; la société Netflix, qui propose
des films en streaming, a rendu publique l’activité d’un demi-million d’utilisateurs
anonymisés pour améliorer sons système de recommandation. Il n’a pas fallu très
longtemps à deux chercheurs de l’Université du Texas pour démontrer qu’ils pouvaient
remonter à l’identité et aux préférences politiques et orientations sexuelles
de plusieurs utilisateurs.
Comme l’écrit
Adelyne Decuyper (La Recherche ,décembre 2013), nous acceptons que
notre banque en sache beaucoup sur nous : salaire, allocations familiale,
cotisations syndicales ou politiques, consultations médicales, et nous fournissons
ces informations de manière volontaire et en confiance.
Le Big Data se
développera ; mais dans ce nouvel espace numérique, dans ce nouvel ouest à
conquérir, il faudra des règles. L’impérialisme américain ne peut continuer à
se déployer sans contrôle et à piller sans opposition ses concurrents ;
les libertés, la privauté de chacun ne peuvent être constamment menaçées.
Il est temps que
l’Europe s’intéresse au sujet, si nous voulons décider par nous même de ce que
nous acceptons ou refusons, et non nous le faire imposer par d’autres
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