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mardi 17 décembre 2013

Big Data is watching you

NSA : Non, on ne savait pas

 J’étais en Allemagne fin octobre lorsque fut révélée l’écoute par la NSA des communications d’Angela Merkel. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les dirigeants allemands, au moins dans leur communication, n’ont pas réagi sur un mode vaguement cynique, du type « on le savait déjà, ça se fait depuis toujours etc. » mais n’ont pas hésité à faire part de leur surprise et de leur indignation. Oui, il y avait un programme d’écoute et de surveillance anti-terroriste, mais ce que révélait le transfuge de la NSA Edward Snowden, allait évidemment bien au-delà, un au-delà qu’ils avouaient naïvement inimaginable, qu’en tous cas, ils n’avaient pas imaginé, et qui les scandalisait profondément, de nature à rompre la tradition de confiance entre l’Allemagne et les USA.

Faut-il le dire ? Je trouve cette réaction beaucoup plus naturelle et intéressante que celles des faux intelligents, faux informés, faux cyniques et vraies dupes  qui fut celle de notre gouvernement et d’un certain nombre d’autres.

Surtout si au-delà de l’indignation, la reconnaissance de ce qui s’est passé, des capacités d’écoute inouïes de la NSA permet une prise de conscience citoyenne et de bâtir une réponse européenne à ce qu’il faut bien informer l’impérialisme américain sur l’information, le seul peut-être qu’ils puissent encore se permettre, mais aussi le seul- peut-être-, désormais important.

Il faudra d’ailleurs tout de même songer à accorder un asile politique (en attendant un prix Nobel de la Paix ?) à Edward Snowden là où il le souhaitera ; il est assez étrange que ce héros de la liberté et de la démocratie se trouve contraint à résider en Russie.

 L’impérialisme numérique américain

 Résumons très succinctement les révélations de Snowden : chaque jour, les opérateurs Verizon, British Telecom, Vodafone, Global Crossing, Viate, Interoute  livrent  à la NSA la totalité de leurs données téléphoniques, internes aux USA et USA étranger. La NSA a accès aux serveurs de Microsoft, Yahoo, Google, Facebook, Apple…et peut surveiller les communications des internautes grâce à des portes d’entrée placées dans les logiciels des principales compagnies américaines. 97 milliards de données issues des réseaux téléphoniques et internet ont été collectées. La NSA a pénétré les grands axes de communications chinois via les routeurs, ce qui leur donne accès aux communications de centaines de milliers d’ordinateurs sans avoir besoin d’en pirater un seul.  L’oranisme a piraté des services de messageries chinois et collecte des millions de sms, ainsi que la prestigieuse université TsinHua.  Les services secrets US interceptent le trafic de plus de deux cents câbles de télécommunication sous-marins -ce programme Tempora collecte les emails, messages Facebook, historiques de recherche passant par ces câbles. La NSA a accès à toutes les données des smartphones iPhone, Blackberry, Androids.  Les ambassades (ainsi que leurs représentations à l’ONU) de France, d’Italie, de Grèce, du Brésil, du Japon, du Mexique, de l’Inde, de la Corée du Sud sont systématiquement écoutées, ainsi que plusieurs bureaux de l’Union Européenne, y compris son siège à Bruxelles, ainsi que près d’une centaines de leaders mondiaux, dont la chancelière allemande Angela Merckle, la présidente brésilienne Dilma Youssef. En France, le ministère des affaires étrangères et la présidence ont fait l’objet d’intrusions.

Les entreprises et compagnies d’état brésiliennes et indiennes ont fait l’objet de surveillances systématiques. La France, l’Inde, Le Brésil (des pays éminemment suspects de menées terroristes contre les USA) sont parmi les plus espionnés par la NSA  On s’est moqué de la gigantesque collecte de communications effectuée par la NSA entre décembre 2012 et janvier 2013 en France (70 millions de communications téléphoniques). C’est que le but n’est évidemment pas la lutte contre le terrorisme, mais une cartographie systématique des contacts et réseaux.

Les prétendues nécessités de la lutte contre le terrorisme ont abouti à un véritable marché de dupes, qui a permis aux services américains d’organiser un espionnage numérique systématique pour des raisons commerciales… et principalement contre des alliés.

Et si la NSA a efficacement organisé un espionnage numérique universel, elle ne parvient même pas à protéger des données stratégiques : ainsi, le Financial Times du 29 octobre 2013 dévoile qu’un citoyen britannique est poursuivi pour vol massif de données qui lui auraient permis de pouvoir établir des milliers de faux documents d’identité de services officiels américains… attrapé pour avoir été un peu trop bavard sur les réseaux : « You have no idea how much we can fuck with the US government ».

Non, personne avant les révélations de Snowden ne soupçonnait vraiment l’ampleur de ces écoutes, la tromperie des USA et le véritable dévoiement de la lutte anti-terroriste vers un impérialisme américain numérique. Pas les Allemands, pas les Brésiliens, pas les Indiens, qui se sont indignés, et la confiance de tous les pays, et singulièrement de leurs ex-alliés, envers les USA sera durablement affectée ; et sans doute pas même les Chinois, qui ont en urgence doublé le nombre de leurs agents affectés à la « protection » numérique.

Alors, il serait sans doute temps que l’Europe décide de la meilleure façon de protéger ses intérêts numériques et cesse de se faire piller ; et que les citoyens européennes décident de ce qu’ils veulent ou ne veulent pas en matière de Big Data.

 Les facteurs de résistance

 Certes les citoyens de toutes nations, aux USA mêmes, se mobiliseront (en passant, Snowden n’est nullement un gauchiste ou un communiste, mais se rattache plutôt au courant libertarien) contre les plus atteintes les plus grossières aux libertés ; des associations, des réseaux efficaces, des militants, des activistes mèneront un combat utile et parfois efficace. Snowden n’est pas seul, il a été activement soutenu, mais ce soutien, face aux capacités d’action des USA est forcément limitée. Ainsi, le service de messagerie Lavabit, qui permettait à Snowden de communiquer de manière cryptée, a refusé toute collaboration avec la NSA… mais a dû fermer son site.

Les activistes du net et défenseurs des  libertés publiques joueront un rôle extrêmement utile, parfois héroïque, d’alerte et de dénonciation, mais il est clair qu’ils ne pourront pas empêcher la collecte massive de données, tout simplement parce qu’il s’agit aussi d’une évolution technique porteuse d’immenses potentialités et progrès, d’un axe majeur de développement de nos économies. Entretenant une indispensable conscience citoyenne, ils peuvent tout de même complètement disqualifier les firmes ou institutions qui feraient un usage inadmissible des données collectées.

Ce qui nous amène à un autre facteur de résistance important : les Vérizon, Google, Facebook, Vodafone, Blackberry ont été très mortifiés de la révélation par Snowden de leurs relations avec le NSA ; et cela n’est pas bon pour leurs affaires.

Néanmoins, le Big Data fascine les mathématiciens, sociologues, économistes, par les observations qu’il leur permet sur les comportements ; et aussi les épidémiologistes, les médecins, les chercheurs qui veulent faire progresser la médecine prédictive, la médecine personnalisées, étudier l’influence de l’environnement sur la santé etc. (cf le numéro de décembre 2013 de La Recherche sur le Big Data.

Oui, mais des chercheurs sont parvenus assez facilement à identifier des donneurs d’ADN anonymes pour le projet 1,000 génomes ; la société Netflix, qui propose des films en streaming, a rendu publique l’activité d’un demi-million d’utilisateurs anonymisés pour améliorer sons système de recommandation. Il n’a pas fallu très longtemps à deux chercheurs de l’Université du Texas pour démontrer qu’ils pouvaient remonter à l’identité et aux préférences politiques et orientations sexuelles de plusieurs utilisateurs.

Comme l’écrit Adelyne Decuyper (La Recherche,décembre 2013), nous acceptons que notre banque en sache beaucoup sur nous : salaire, allocations familiale, cotisations syndicales ou politiques, consultations médicales, et nous fournissons ces informations de manière volontaire et en confiance.

Le Big Data se développera ; mais dans ce nouvel espace numérique, dans ce nouvel ouest à conquérir, il faudra des règles. L’impérialisme américain ne peut continuer à se déployer sans contrôle et à piller sans opposition ses concurrents ; les libertés, la privauté de chacun ne peuvent être constamment menaçées.

Il est temps que l’Europe s’intéresse au sujet, si nous voulons décider par nous même de ce que nous acceptons ou refusons, et non nous le faire imposer par d’autres
 
 
 

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