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mardi 17 décembre 2013

Big Data is watching you

NSA : Non, on ne savait pas

 J’étais en Allemagne fin octobre lorsque fut révélée l’écoute par la NSA des communications d’Angela Merkel. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les dirigeants allemands, au moins dans leur communication, n’ont pas réagi sur un mode vaguement cynique, du type « on le savait déjà, ça se fait depuis toujours etc. » mais n’ont pas hésité à faire part de leur surprise et de leur indignation. Oui, il y avait un programme d’écoute et de surveillance anti-terroriste, mais ce que révélait le transfuge de la NSA Edward Snowden, allait évidemment bien au-delà, un au-delà qu’ils avouaient naïvement inimaginable, qu’en tous cas, ils n’avaient pas imaginé, et qui les scandalisait profondément, de nature à rompre la tradition de confiance entre l’Allemagne et les USA.

Faut-il le dire ? Je trouve cette réaction beaucoup plus naturelle et intéressante que celles des faux intelligents, faux informés, faux cyniques et vraies dupes  qui fut celle de notre gouvernement et d’un certain nombre d’autres.

Surtout si au-delà de l’indignation, la reconnaissance de ce qui s’est passé, des capacités d’écoute inouïes de la NSA permet une prise de conscience citoyenne et de bâtir une réponse européenne à ce qu’il faut bien informer l’impérialisme américain sur l’information, le seul peut-être qu’ils puissent encore se permettre, mais aussi le seul- peut-être-, désormais important.

Il faudra d’ailleurs tout de même songer à accorder un asile politique (en attendant un prix Nobel de la Paix ?) à Edward Snowden là où il le souhaitera ; il est assez étrange que ce héros de la liberté et de la démocratie se trouve contraint à résider en Russie.

 L’impérialisme numérique américain

 Résumons très succinctement les révélations de Snowden : chaque jour, les opérateurs Verizon, British Telecom, Vodafone, Global Crossing, Viate, Interoute  livrent  à la NSA la totalité de leurs données téléphoniques, internes aux USA et USA étranger. La NSA a accès aux serveurs de Microsoft, Yahoo, Google, Facebook, Apple…et peut surveiller les communications des internautes grâce à des portes d’entrée placées dans les logiciels des principales compagnies américaines. 97 milliards de données issues des réseaux téléphoniques et internet ont été collectées. La NSA a pénétré les grands axes de communications chinois via les routeurs, ce qui leur donne accès aux communications de centaines de milliers d’ordinateurs sans avoir besoin d’en pirater un seul.  L’oranisme a piraté des services de messageries chinois et collecte des millions de sms, ainsi que la prestigieuse université TsinHua.  Les services secrets US interceptent le trafic de plus de deux cents câbles de télécommunication sous-marins -ce programme Tempora collecte les emails, messages Facebook, historiques de recherche passant par ces câbles. La NSA a accès à toutes les données des smartphones iPhone, Blackberry, Androids.  Les ambassades (ainsi que leurs représentations à l’ONU) de France, d’Italie, de Grèce, du Brésil, du Japon, du Mexique, de l’Inde, de la Corée du Sud sont systématiquement écoutées, ainsi que plusieurs bureaux de l’Union Européenne, y compris son siège à Bruxelles, ainsi que près d’une centaines de leaders mondiaux, dont la chancelière allemande Angela Merckle, la présidente brésilienne Dilma Youssef. En France, le ministère des affaires étrangères et la présidence ont fait l’objet d’intrusions.

Les entreprises et compagnies d’état brésiliennes et indiennes ont fait l’objet de surveillances systématiques. La France, l’Inde, Le Brésil (des pays éminemment suspects de menées terroristes contre les USA) sont parmi les plus espionnés par la NSA  On s’est moqué de la gigantesque collecte de communications effectuée par la NSA entre décembre 2012 et janvier 2013 en France (70 millions de communications téléphoniques). C’est que le but n’est évidemment pas la lutte contre le terrorisme, mais une cartographie systématique des contacts et réseaux.

Les prétendues nécessités de la lutte contre le terrorisme ont abouti à un véritable marché de dupes, qui a permis aux services américains d’organiser un espionnage numérique systématique pour des raisons commerciales… et principalement contre des alliés.

Et si la NSA a efficacement organisé un espionnage numérique universel, elle ne parvient même pas à protéger des données stratégiques : ainsi, le Financial Times du 29 octobre 2013 dévoile qu’un citoyen britannique est poursuivi pour vol massif de données qui lui auraient permis de pouvoir établir des milliers de faux documents d’identité de services officiels américains… attrapé pour avoir été un peu trop bavard sur les réseaux : « You have no idea how much we can fuck with the US government ».

Non, personne avant les révélations de Snowden ne soupçonnait vraiment l’ampleur de ces écoutes, la tromperie des USA et le véritable dévoiement de la lutte anti-terroriste vers un impérialisme américain numérique. Pas les Allemands, pas les Brésiliens, pas les Indiens, qui se sont indignés, et la confiance de tous les pays, et singulièrement de leurs ex-alliés, envers les USA sera durablement affectée ; et sans doute pas même les Chinois, qui ont en urgence doublé le nombre de leurs agents affectés à la « protection » numérique.

Alors, il serait sans doute temps que l’Europe décide de la meilleure façon de protéger ses intérêts numériques et cesse de se faire piller ; et que les citoyens européennes décident de ce qu’ils veulent ou ne veulent pas en matière de Big Data.

 Les facteurs de résistance

 Certes les citoyens de toutes nations, aux USA mêmes, se mobiliseront (en passant, Snowden n’est nullement un gauchiste ou un communiste, mais se rattache plutôt au courant libertarien) contre les plus atteintes les plus grossières aux libertés ; des associations, des réseaux efficaces, des militants, des activistes mèneront un combat utile et parfois efficace. Snowden n’est pas seul, il a été activement soutenu, mais ce soutien, face aux capacités d’action des USA est forcément limitée. Ainsi, le service de messagerie Lavabit, qui permettait à Snowden de communiquer de manière cryptée, a refusé toute collaboration avec la NSA… mais a dû fermer son site.

Les activistes du net et défenseurs des  libertés publiques joueront un rôle extrêmement utile, parfois héroïque, d’alerte et de dénonciation, mais il est clair qu’ils ne pourront pas empêcher la collecte massive de données, tout simplement parce qu’il s’agit aussi d’une évolution technique porteuse d’immenses potentialités et progrès, d’un axe majeur de développement de nos économies. Entretenant une indispensable conscience citoyenne, ils peuvent tout de même complètement disqualifier les firmes ou institutions qui feraient un usage inadmissible des données collectées.

Ce qui nous amène à un autre facteur de résistance important : les Vérizon, Google, Facebook, Vodafone, Blackberry ont été très mortifiés de la révélation par Snowden de leurs relations avec le NSA ; et cela n’est pas bon pour leurs affaires.

Néanmoins, le Big Data fascine les mathématiciens, sociologues, économistes, par les observations qu’il leur permet sur les comportements ; et aussi les épidémiologistes, les médecins, les chercheurs qui veulent faire progresser la médecine prédictive, la médecine personnalisées, étudier l’influence de l’environnement sur la santé etc. (cf le numéro de décembre 2013 de La Recherche sur le Big Data.

Oui, mais des chercheurs sont parvenus assez facilement à identifier des donneurs d’ADN anonymes pour le projet 1,000 génomes ; la société Netflix, qui propose des films en streaming, a rendu publique l’activité d’un demi-million d’utilisateurs anonymisés pour améliorer sons système de recommandation. Il n’a pas fallu très longtemps à deux chercheurs de l’Université du Texas pour démontrer qu’ils pouvaient remonter à l’identité et aux préférences politiques et orientations sexuelles de plusieurs utilisateurs.

Comme l’écrit Adelyne Decuyper (La Recherche,décembre 2013), nous acceptons que notre banque en sache beaucoup sur nous : salaire, allocations familiale, cotisations syndicales ou politiques, consultations médicales, et nous fournissons ces informations de manière volontaire et en confiance.

Le Big Data se développera ; mais dans ce nouvel espace numérique, dans ce nouvel ouest à conquérir, il faudra des règles. L’impérialisme américain ne peut continuer à se déployer sans contrôle et à piller sans opposition ses concurrents ; les libertés, la privauté de chacun ne peuvent être constamment menaçées.

Il est temps que l’Europe s’intéresse au sujet, si nous voulons décider par nous même de ce que nous acceptons ou refusons, et non nous le faire imposer par d’autres
 
 
 

lundi 2 décembre 2013

Electricité : vers le grand noir !

Vers 1905, le citoyen Pataud, anarcho-syndicaliste fondateur du syndicat des électriciens rêvait de plonger Paris dans le noir afin de déclencher le grand soir, une alliance de fait entre écologistes exploitant la phobie nucléaire et les ultra-libéraux de la Commission Européenne est en train de réaliser les fantasmes du citoyen Pataud

Le RTE (réseau de transport électrique) a prévenu : en 2016,  le réseau approchera de la congestion et des régions entières pourraient être plongées dans le noir et le chaos.(cf. Le Monde 19 novembre 2013)

Eole, c’est du vent !

Une des raisons principales en est l’absurde politique éolienne : la production éolienne ultra subventionnée et prioritaire sur le réseau, cette énergie produite lorsque le vent le veut bien et non lorsqu’on en a besoin, ne permet absolument pas de faire face aux demandes électriques. Plus il y a d’éoliennes, plus il faut de centrales à gaz –génial pour le bilan climatique, et les centrales à gaz, nous les avions fermées. Ajoutons à cela l’existence d’un véritable lobby écolo-affairiste, nourris aux tarifs subventionnés et aux niches fiscales, se ruant sur les maries rurales auxquelles ils font miroiter le nouveau pactole dans le vent, entraînant une multitude de prises illégales d’intérêts de certains élus (Jean-Louis Butré, Fédération environnement durable Marianne, 30 novembre 2013). Une autre raison ; le frein mis en France à la construction nucléaire – et bientôt ; nous serons incapable de construire une centrale sans les Chinois, qui, eux avancent à grands pas. De plus, l’énergie éolienne est chère, et entraîne une véritable écotaxe électrique, géante à côté de la trop fameuse écotaxe routière, qui se chiffrera par plus d’une centaine d’euros par an pour chaque consommateur. Enfin l’abandon par l’ Allemagne du nucléaire a été catastrophique, et a déséquilibré le système européen, entraînant même le remplacement des très utiles centrales à gaz par des centrales à charbon, moins chères, mais plus polluantes.

La politique Européenne

Cette politique a été bien caractérisée (et exécutée) par Claude Mandil, directeur de l’agence internationale de l »énergie de 2003 à 2007 : « la Commission Européenne, obsédée par le marché, a failli sur la question de la sécurité d’approvisionnement. La marché intérieur a été progressivement bâti depuis vingt ans, sous forte pression idéologique, avec la conviction que l’on se porterait d’autant mieux qu’on confierait plus aux marchés et moins au politique. Résultat : il ne permet plus bien entre autres de prendre en compte les investissements de sécurité, de développer des marchés de capacité pour faire face à l’explosion des énergies renouvelables intermittentes. Une réforme en profondeur s’impose »

Pourtant, une saine  compréhension des lois économiques de base indique qu’il existe des monopoles de faits ( par la géographie, la technique, l’intensité capitalistique, le service public) ; et de nombreux et catastrophiques exemples ont montré que chaque fois que par idéologie, on veut imposer le marché et la concurrence, le remplacement de ces monopoles étatiques par des oligopoles privés conduit tout simplement à la pénurie, les nouveaux gérants n’ayant aucun intérêt à réaliser les investissements massifs nécessaires et se contentent de voir monter le prix d’une ressource qu’ils raréfient jusqu’à la pénurie. La privatisation de l’électricité en Californie, celle des transports ferroviaires en Angleterre l’a prouvé à l’envie.


Stop à la privatisation de l’hydroélectrique !

Pourtant, les ayatollah libéraux de la Commission ne l’ont toujours pas compris, au point qu’ils veulent encore imposer la concurrence sur l’énergie hydroélectrique, et cela se joue en ce moment, et c’est extrêmement grave ! Là aussi, 1) c’est un marché naturellement monopolistique – on ne peut pas construire autant de barrages que l’on veut. 2) C’est une industrie où la sécurité est primordiale et le profit ne peut être le seul moteur – les barrages ont tué plus que le nucléaires. 3) C’est un secteur qui a été relativement négligé ces dernières années et qui nécessite de gros investissements, pour la sécurité et aussi pour augmenter la productivité, et évidemment les opérateurs privés ne les feront pas. 4) Enfin, l’énergie hydroélectrique constitue une énergie durable et écologique au plus haut point, et une énergie d’appoint mobilisable à volonté lorsqu’une pénurie menace, justement ce dont nous avons le plus grand besoin !

Toujours, partout, un monopole public remplacé par un oligopole privé, c’est la pénurie et l’explosion des prix assurées! On ne peut se permettre cela pour cette ressource précieuse qu’est l’énergie hydroélectrique

A noter que les Allemands ont gentiment expliqué à la Commission que leurs monopoles régionaux équivalent à une concurrence au niveau national, et que donc, ils ne feraient rien ; que les Portugais se sont dépêchés de faire passer leurs concessions de service public sur l’hydroélectrique à cent ans etc ; et nous nous n’avons rien fait !

Au contraire même, la Cour des Comptes a cru bon d’appuyer la demande européenne de mise en concurrence des barrages hydroélectriques ; ils connaissent tellement bien le sujet qu’il a d’ailleurs fallu leur expliquer gentiment que la concession, pour des raisons techniques évidentes, ne pouvait se faire barrage par barrage, mais par vallées entières. (La Cour des Comptes, qui a pourtant un immense travail de comptable, de vérification des comptes publics à accomplir a trop tendance ces derniers temps à se mêler de tout, voire de stratégie industrielle et de recherche, et les chercheurs qui ont eu l’immense bonheur de voir ses auditeurs débarquer dans leurs instituts en ont généralement gardé un immense dégoût devant tant d’incompétence et de morgue). A-t-on jamais vu des comptables décider d’une stratégie industrielle ou d’une politique de recherche ?)

Pas d’industrie sans électricité !

Face à la menace imminente de pénurie d’électricité, le Ministère du redressement productif doit d’urgence s’occuper du dossier : pas d’industrie sans électricité ! Il faut stopper immédiatement la mise en concurrence sur l’hydroélectrique, définir une politique énergétique européenne qui tienne compte des modes de consommation et de production propres à chaque pays, renforcer les interactions internationales, engager de nouvelles unités de production, notamment nucléaires.

Et préparer la transition énergétique du siècle prochain, qui reposera sur la seule énergie massivement durable, le solaire !

mercredi 20 novembre 2013

Diego Rivera_Frieda Kahlo Un art positiviste

Un Mexique Positiviste

La France et le Mexique étant réconciliés, l’Orangerie accueille Diego Rivera et Frieda Kahlo pour une exposition émouvante et très courue, tant ce couple d’artiste bénéficie d’une faveur et même d’une ferveur d’un large public, et ce dans tous les pays.

Les commentaires de l’exposition nous apprennent que Frieda Kahlo a rencontré Diego Rivera lorsqu’il peignait la première de ces grandes peintures murales qui ont fait sa célébrité, et ceci dans l’amphithéâtre de l’Ecole Nationale Préparatoire, où Frieda étudiait.

Mais on ne nous dit rien sur cette Ecole Nationale Préparatoire, institution qui joua un grand rôle dans le Mexique moderne. Fondée en 1868 par Gabilo Barreda, ami et conseiller de Benito Juarez dans les bâtiments du couvent San Ildefonso, elle avait pour vocation de former l’élite administrative et politique de la nouvelle république selon les principes du Positivisme. Le mot d’ordre positiviste «Amour, Ordre et Progrès » figurait  au fronton de l’Ecole, ainsi que  la devise « Savoir pour prévoir afin de pourvoir », et l’enseignement y suivait le programme pédagogique comtien, avec une importance notable accordée aux sciences ; mathématiques, physique, histoire naturelle, géographie, histoire, latin, grec et  français y constituaient les matières principales.

Gabino Barreda était un positiviste convaincu qui avait suivi les cours de Comte lors de ses études de médecine en France. A l’effondrement de l’Empire au Mexique, il joua un rôle primordial dans l’établissement de la République, notamment par son Oracion Civica qui définit les grandes orientations du programme de Juarez. Durant le Porfiriat (1870-1910), la République mexicaine se voulut comme une république soeur de la France. L’élite Positiviste formée par Barreda – les Cientificos-, y jouaient un rôle primordial, avec des personnalités comme l’inamovible ministre des finances, José Yves Limantour, un descendant de Lorientais qui réussit l’exploit de redresser  les finances mexicaines, Justo Sierra, Président de la Cour Suprême et Ministre de l’Education et des Beaux-Arts, Pablo Macedo, maire de Mexico, et son frère Miguel, qui réforma le code civil…etc. Lors de l’inauguration de la statue d’Auguste Comte en 1902 sur la pace de la Sorbonne à Paris, les Mexicains, loin devant les Brésiliens, furent parmi les principaux contributeurs étrangers.

Diego Rivera, inaugurant son art mural par la peinture du grand amphithéâtre de l’Ecole Nationale Préparatoire, a-t-il pu échapper à cette atmosphère intensément positiviste ?

Art et  Positivisme

Le Positivisme donne pour mission à l’Art d’illustrer et de faire aimer les grands êtres collectifs, la Famille, la Patrie et surtout l’Humanité ; d’illustrer en quelque sorte le lien social, le système d’opinion partagée, les valeurs spirituelles qui définissent une société donnée.

« Il n’ y a d’esthétiques que les émotions profondément senties et spontanément partagées. Quand la société manque de tout caractère intellectuel et moral, l’art destiné à la retracer n’en aurait avoir non plus, et il se réduit à la vague culture de facultés trop naturelles pour devoir rester inactives, même lorsqu’elles n’ont aucun grand but. (Système de Politique Positive, Tome 1, p.300 , Paris, 1853). « Les beaux-arts, destinés surtout aux masses, doivent  en effet, par leur nature, éprouver l’indispensable besoin de s’appuyer sur un système convenable d’opinions familières et communes… C’est le défaut d’une telle condition, trop rarement accomplie dans l’art moderne, qui permet d’y expliquer le peu d’effets réels de tant de chefs d’œuvres conçus sans foi et appréciés sans convictions » (Cours de Philosophie Positive, 53ème leçon)

Pour le Positivisme, l’histoire est une science sacrée et « les vivants sont de plus en dominés par les morts » ; l’Art doit montrer, en sachant susciter l’émotion, cette solidarité des vivants entre eux, il doit aussi montrer ce lien avec le passé, et aussi l’avenir comme un destin partagé ; selon le mot de Renan : « avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore ».

La présence du passé et des morts, et celle aussi du présent et de l’ avenir, le défilement des générations d’un peuple, un art qui rend hommage aux grands hommes, et aussi au labeur et à l’héroïsme des masses, un art populaire et raffiné, qui fait appel à l’intelligence et à la culture et suscite l’émotion, immédiatement compréhensible et cependant au symbolisme profond et sophistiqué,  qui sait parler de classes sociales et de nations sans les opposer à l’Humanité, qui parle à tous, émeut tout  le monde ; c’est bien l’art de Diego Rivera, un art conforme aux conceptions positivistes.

Vasconcelos, le ministre des beaux arts du nouveau régime issu de la Révolution qui mit fin au Porfiriat, et qui lança le mouvement muraliste dont Diego Ribera fut le représentant le plus éminent, voulait créer une nouvelle culture et une nouvelle identité mexicaine,  donna aux artistes comme mot d’ordre : « Par ma race parlera l'esprit ».

Certes la Révolution se voulait bien l’adversaire du Porfiriat, Vasconselos pouvait bien moquer ces positivistes, ces cientificos dépourvus de lyrisme, Diego Rivera pouvait bien se revendiquer du communisme et non du positivisme- mais où y-a-t-il jamais eu un art communiste équivalent ? ; cet art de Diego Ribera est tout de même profondément marqué par les conceptions positivistes ; et consciemment ou non, il constitue l’exemple le plus convaincant d’un art positiviste.
 
 

lundi 4 novembre 2013

L’Ecole Polytechnique, la pantoufle et les députés

Deux députés, un UMP M. Cornut Gentille, et un socialiste, M Launay viennent, contre l’avis du gouvernement, de priver l’Ecole Polytechnique d’une subvention de 500.000 euros pour faire pression de façon à modifier le système de la pantoufle, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles ils doivent rembourser leurs études. Depuis les années 1970, les Polytechniciens ne sont contraints de rembourser leurs études que s’ils n’effectuent pas une année complémentaire de formation, s’ils rentrent dans le service public et le quittent avant dix ans
 
« Les sciences, dans leur dernier état »
 
A Polytechnique, selon les vœux de ses fondateurs (Monge, Laplace, Berthollet, Carnot, Prieur) et de Napoléon qui y prit un intérêt particulier, on enseignera « les sciences dans leur dernier état ». Est-ce donc pour en faire de simples militaires, de simples administrateurs destinés à construire ponts, routes et ronds-points ? Non, bien sûr. Et Napoléon traita plutôt sèchement les généraux qui se plaignaient du niveau inutile des études scientifiques et réclamaient les polytechniciens aux armées ; ses polytechniciens ne devaient pas servir de chair à canon. Le but de l’Ecole a été clairement indiqué par Gaspard Monge, défendant – déjà- l’Ecole contre des députés qui attaquent l’Ecole en ces termes : « c’est peine perdue que d’y enseigner des objets totalement inutiles, le calcul différentiel et le calcul intégral… Pour construire une fortification, cela n’est nullement nécessaire » Réponse de Monge : « Lorsqu’on a créé l’Ecole, on voulait à la vérité, préparer des officiers et des ingénieurs, mais on avait un but bien plus vaste et bien plus élevé, celui de stimuler tout d’un coup le génie français, de rappeler l‘attention vers les sciences, de ranimer l’amour de l’étude, de rendre à la France un éclat non moins solide que celui de nos armées, de tirer la nation française de la dépendance où elle a été jusqu’à présent de l’industrie étrangère » Le but de l’Ecole, dès son origine, n’a pas été l’armée ou le service de l’Etat, il a été très clairement ce que l’on appelle aujourd’hui le redressement industriel. Dès les premières générations de polytechniciens figuraient Arago, Cauchy, Gay-Lussac, Poisson et bien d’autres. Des militaires ? des fonctionnaires ? Non, mais des savants, des ingénieurs, des industriels qui ont selon le vœu de Napoléon et de Monge donné pour un temps à la France une suprématie scientifique, technique, industrielle.
 
  Pour la Patrie, la Science et la Gloire
 
C’est la devise donnée à l’Ecole par ses fondateurs. Pour la Patrie, la Nation s’y l’on préfère, mais pas nécessairement l’Etat. Et, au fait, les Elèves de l’Ecole, comme d’ailleurs tous les fonctionnaires, ne sont pas payés par l’Etat, ils sont payés par la Nation, et l’Etat dans cette affaire là n’est qu’un caissier.
Sert-on davantage la Nation aujourd’hui, en étant fonctionnaire, ou bien chercheur, directeur d’entreprise, fondateur de start-up (jeune entreprise innovante), en bataillant dans une grande entreprise ou une PME pour s’imposer sur des marchés étrangers ?
Être fonctionnaire pendant dix ans, est-ce vraiment l’idéal pour remplir les fonctions d’une Ecole vouée dès sa naissance au redressement industriel, à l’excellence scientifique, technique, managériale ?
La règle sur la pantoufle de 1970 a été instituée pour encourager les jeunes polytechniciens à se lancer dans les eaux aventurées du privé plutôt que les carrières plus paisibles de la haute fonction publique. Ce besoin aurait-il disparu ?
Et que préfère-t-on ? Les Ecoles du travail ou celles de la connivence, des relations ? Celles de la compétence ou celles de la soumission aux idéologies du moment ? Celles du courage et de l’intelligence, ou celles de la duplicité et de la servilité ?
Et s’il l’on parle de pantouflage des expériences trop souvent répétées n’ont-elles pas montré la nocivité du pantouflage de fonctionnaires récompensés pour leur docilité à l’égard du pouvoir politique par des postes dans de grandes entreprises ? Ne devrait-on pas au contraire ne nommer dans les postes principaux de la haute fonction publique que des femmes ou des hommes ayant eu une expérience significative du privé – ou du moins, en imposer un quota significatif ?
Oui, c’est la tradition méritocratique de la Révolution, de l’Empire et de la République, de ce qu’il en reste malgré la dureté des temps : en France, les meilleures écoles payent leurs élèves sélectionnés après un dur concours et beaucoup de travail et d’engagement, les moins bonnes sont gratuites, les encore moins bonnes sont payantes. Nos collègues étrangers s’en étonnent d’abord ; lorsqu’on leur explique, ils admirent.
Alors doit-on forcer les Polytechniciens thésards, industriels, boursiers, créateurs d’entreprise, qui prennent le risque du privé à rembourser leurs études ? Polytechnique , c’est l’école par excellence, l’école par vocation, l’école historique du redressement industriel. Et cette manœuvre de Cornut Gentille, neveu de son oncle ministre, est celle, au choix multiple, de l’ignorance, de la bêtise, de l’envie, de la démagogie, de la médiocrité, du sabotage.
 
 

mercredi 9 octobre 2013

L’idolâtrie des index

On a pu lire et entendre partout qu’il existait un indicateur de compétitivité de Davos, et que ce méchant indicateur indiquait justement que la compétitivité (industrielle, des services, touristique ?) de la France avait encore diminué, qu’elle se situait maintenant derrières celle des Emirats Arabes Unis ( pour l’industrie pétrolière, c’est sûr), bref qu’il y  avait le feu au lac.

Il serait quand même indispensable et de saine hygiène mentale, qu’avant de commenter  a satiété de tels « index ou indicateurs », media et hommes politiques expliquent comment ils sont faits. Dixit le cher Auguste (Comte), qui dénonce « l’usage spécieux du langage algébrique, si souvent employé de nos jours à déguiser la médiocrité intellectuelle sous la prétendue profondeur…, susceptible comme tout autre, et même davantage de dégénérer en un verbiage vide d’idées ». Vide d’idées, mais souvent plein d’intentions manipulatoires !

Donc se méfier de tout prétendu index dont on ne sait pas comment il a été construit. Et un grand merci à  l’économiste Michel Husson, du conseil scientifique d’Attac, qui remplit son rôle indispensable d’enseignement populaire en décrivant dans le Monde du 13 septembre la manière dont est construite cet « indicateur de compétitivité ».
Il s’agit simplement d’interview de dirigeants d’entreprises de chaque pays considéré (et non d’étrangers, ce qui serait peut-être plus intéressant). Donc, les patrons français reconnaissent bénéficier d’infrastructures de qualité (France 4ème), mais sont entravés par une fiscalité défavorable à l’investissement privé (France 137ème sur 148 !). Mais peut-être que l’un est la conséquence de l’autre ?

Les patrons français  se plaignent des relations conflictuelles avec leurs salariés (France 135ème ???), des règles trop strictes de licenciement (144ème rang), des charges sociales (127ème rang)
Par contre, ils trouvent que leur (celle des dirigeants) culture d’entreprise est bonne (21éme rang) , qu’ils (les dirigeants) sont innovants ( 19ème rang - ils innovent tout seuls ?) et adoptent facilement les nouvelles technologies ( 17ème rang)

Cet index est sans doute révélateur… mais davantage sur l’état d’esprit des patrons que sur la compétitivité. D’autant qu’il ne semble pas mentionner un des principaux problèmes français : le manque de financement de la recherche, du développement et de l’innovation (capital risque, accès difficile au crédit, saupoudrage public, amorçage…)

lundi 2 septembre 2013

Brevets sur le Vivant ; l’Europe n’existe pas !

Industrie de la santé : une découverte n’est pas une invention
 
  A la fin des années 1990, la société de biotechnologie Myriad Genetics, a obtenu aux Etats-Unis plusieurs brevets sur les gènes BRCA1 et 2, gènes dont les mutations sont associées à un risque élevé de cancers du sein et de l'ovaire. Depuis, Myriad Genetics a exercé aux Etats-Unis un monopole sur le marché des tests de prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire, monopole qu'elle a tenté d'imposer en Europe. En 2004, la fronde de généticiens européens, lancée dès 2001 par l'Institut Curie, a conduit l'Office européen des brevets (OEB) à révoquer ou réduire les brevets en Europe de Myriad Genetics. La décision de l’OEB était assez acrobatique, basée sur une description jugée insuffisante, et non sur le fond : la question centrale de la non-brevetabilité des gènes, sur laquelle l’Office et la Commission européenne n’ont pas de position, voire sont plutôt favorables.
 En 2013, après un long combat de 4 ans mené par des associations de médecins et de patients qui est allé jusqu’à la Cour Suprême des USA, celle-ci a tranché sur le fond. Un brevet est une invention, par conséquent sont non valables tous les brevets qui revendiquent tout ou partie d'un génome isolé de son environnement, qu'il soit humain ou non, qu'il soit ou non le siège de variations, mutations délétères ou polymorphismes, apparus spontanément. C'est une très bonne nouvelle pour les patients et les médecins qui auront un accès plus facile à des tests génétiques qui ne pourront plus faire l’objet de monopoles (les brevets initiaux de Myriad interdisaient tout autre test de détection basé sur la découverte, qui ne constitue pas une invention, du rôle dans le cancer des gênes BRCA1 et 2, même si celui-ci était différent, voire supérieur au test Myriad)
En revanche, la Cour Suprême américaine a rappelé sa position sur la brevetabilité de la bactérie Chakrabarty, obtenue en laboratoire par croisement entre deux bactéries. Ce nouveau micro-organisme capable de digérer les pollutions pétrolières est brevetable, car absent de la nature et né de l'ingéniosité de l'homme.
De même, elle a validé la brevetabilité des ADN complémentaires (ADNc), molécules d'ADN synthétiques copiées in vitro à partir des ARN messagers transcrits des gènes, et qui permettent la synthèse de protéines utilisées comme médicament, accordant ainsi une sécurité juridique à l’invention et au développement de ces protéines médicaments (hormone de croissance, insuline, interférons, anticorps contre le cancer…) C’est aussi une bonne nouvelle pour le développement de ces thérapeutiques sophistiquées et coûteuses. La présence d’une sécurité juridique et de règles saines de propriété intellectuelle constitue une nécessité première pour favoriser la recherche et l’innovation. C’était une des premières brique indispensable pour l’Europe de la recherche proclamée par le traité de Lisbonne, un domaine dans lequel les institutions européennes auraient pu et dû avancer rapidement. Ca ne coûte rien ou pas grand chose, ça rapporte beaucoup. Or, rien n’a été fait .
 
Agriculture : brevets contre COV
 
Et cela ne concerne pas seulement la santé, mais aussi l’agriculture, avec des implications économiques énormes. Ainsi Monsanto vient d’obtenir un brevet européen sur un brocoli dont la tête allongée facilite la récolte ; et il y a aussi la tomate ridée, qui contenant moins d’eau, se prête mieux à la fabrication de tomates séchées, des melons plus résistants à certains parasites etc.
En France, le Haut Conseil des Biotechnologies a condamné la possibilité de breveter des gênes ou caractères natifs et rappelé que pour les nouvelles variétés de végétaux existe depuis longtemps en France un système qui fonctionne fort bien, le certificat d’obtention végétal, et qui est reconnu par plus de 70 Etats. On arrive à des décisions absurdes, comme celle obligeant un semencier français (Gautier semences) à payer une redevance pour des laitues qu’il commercialise depuis longtemps, parce qu’elles contiennent un gène de résistance aux pucerons, existant dans la nature, qu’une société néerlandaise vient de faire breveter !
 En accordant sans réflexion, sans doctrine, sans évaluation, sans reconnaissance du droit existant, des brevets sur des végétaux, les Offices Européens et la Commission européenne jouent contre l’Europe. En ces domaines, soit l’Europe n’existe pas, soit quand elle se manifeste, c’est pour se tirer une balle dans le pied.
 

samedi 17 août 2013

Oliver Sachs, Oncle Tungstene

Parlons sans détours : trop souvent la chimie est la science sacrifiée de l’enseignement secondaire, celle dont on rogne les horaires, (en cas de besoin pour la physique, par exemple), qui suscite généralement le moins d’intérêt chez les élèves, et parfois chez les professeur eux-mêmes. Comment donc faire aimer la chimie, car rien ne s’enseigne, ni ne s’apprend sans passion ? La période estivale m’a permis de découvrir une réponse qui est semble-t-il, passée assez inaperçue, et plutôt inattendue, puisqu’elle provient du célèbre neurologue Oliver Sachs auteur de L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau , Seuil 1988.
 
 Dans Oncle Tungstène, Olivers Sachs raconte « ses mémoires d'une enfance chimique », celle d’un petit juif londonien né en 1933, entre oncle Tungstène, qui dirigeait une usine d’ampoule sélectrique, oncle Wolframm, le géologue, oncle Etain qui possédait une mine, et dont la chimie fut la première passion.
 
Quelles recettes ? Une seule peut-être finalement, l’émerveillement. L’émerveillement qui passe d’abord par le sensations : les couleurs de l’or, du cuivre, du zinc, le poids du plomb ou du tungstène, la densité de la liqueur de Clerici, la froideur du diamant, et ce qui se passe lorsqu’on touche un glaçon avec un diamant tenu à la main, les cris de l’étain ou du zinc lorsqu’on les plie, les odeurs des esters acétiques, des amines et des sulfures , les métaux nobles et ceux qui sont passés de vils à nobles (le platine), ou au contraire, ceux qui, grâce à l’industrie ont perdu leur noblesse (où l’on apprend que Napoléon III dînait dans de la vaisselle d’aluminium tandis que ses invités n’avaient droit qu’à l’or…), puis la découverte de la fluorescence, des spectres d’émission des éléments – Oliver Sachs ne sortant jamais sans un spectrographe de poche). L’émerveillement toujours devant la diversité du monde minéral et l’ingéniosité chimique des hommes depuis la plus haute antiquité pour en isoler les métaux, puis les expériences spectaculaires de combustion de divers métaux dans divers gaz, de précipitations de jardins chimiques. L’émerveillement ensuite devant les techniques que la chimie a permis de développer, la photographie et ses multiples possibilités de virage (à l’or, au sélénium, au platine, au palladium…), la dissection des piles et la constructions de piles à lapomme de terre et ou au citron, la galvanoplastie…
 L’émerveillement qui mène à l’admiration devant les Boyle, Hooke, Scheele, Lavoisier, Davy, devant aussi l’ordre qui, malgré le désordre apparent règne dans la nature et qu’il faut trouver, et c’est toute l’histoire de la théorie atomique, de Dalton et Prout à Rutherford , Moseley, Bohr, en passant par Avogadro, Cannizzaro, Mendeleïev, les Curie, car Oncle Tungstène est aussi une excellente histoire de la chimie (malgré peut-être une sous-représentation des chimistes français) Parmi d’autres découvertes du livre, la lutte entre les lampes à incandescence (à filament de divers métaux) et les lampes à gaz à manchons de zircone, magnésie ou thorine), les machines à rayons X des marchands de chaussure, les spinthariscopes…
 Oui, cette autobiographie d’une enfance sous le signe de la chimie est un émerveillement contagieux, à partager…
 

jeudi 4 juillet 2013

L’industrie nucléaire deux ans après Fukushima

Intéressant  dossier  dans  La Jaune et La Rouge (Juin2013), revue de l’Ecole Polytechnique, sur l’industrie nucléaire deux ans après Fukushima

Le nucléaire n’est pas en déclin, bien au contraire

Fukushima n’a pas sonné le début du déclin du nucléaire, bien au contraire.  Au printemps 2013, soixante-huit réacteurs étaient en construction (soixante-cinq en mars 2011), et cent soixante et un étaient planifiés (cent cinquante-neuf en 2011).  Si L’Allemagne a décidé l’arrêt immédiat de sept réacteurs nucléaires et l’arrêt complet de tous ses réacteurs nucléaires d’ici 2022, si l’Autriche, la Belgique, l’Italie et la Suisse se désengagent,  si le Japon hésite, la Finlande, le Royaume-Uni, la République Tchèque et la Suède maintiennent l’option nucléaire, voire relancent leur programme ; la Chine (plus du tiers des centrales en construction), la Russie, l’Inde, la Corée du Sud maintiennent leurs projets, voire accélèrent… Les Émirats arabes unis, la Turquie, l’ Arabie Saoudite , la Pologne (qui revient de ses rêves à propos du gaz de schiste) ont annoncé leur intention d’accéder prochainement à l’énergie nucléaire.
Plusieurs raisons à cela : notre planète aura besoin en 2050 de deux fois plus d’énergie qu’aujourd’hui. Grâce au nucléaire, la France a un taux d’indépendance énergétique voisin de 50 %. Les Français payent l’électricité moins cher que les autres Européens, en moyenne 27% de moins pour les ménages et 33% de moins pour les entreprises. Grâce au nucléaire, un Français émet en moyenne 1,8 fois moins de CO2 qu'un Allemand et 2,9 fois moins qu’un Américain ; et encore, en abandonnant le nucléaire, les Allemands, pour des raisons politiciennes internes, ont déserté le combat contre le réchauffement climatique, et la nécessaire remise en route de centrales à gaz va encore dégrader leur bilan carbone.

Les défis de l’avenir

C’est dire que le nucléaire a plutôt le vent en poupe, et qu’en fait il est un des  éléments cruciaux de l’inévitable transition énergétique, de la sortie des énergies carbonées. La recherche et le développement dans le nucléaire ont encore de beaux jours devant eux et des défis à résoudre :
- La sécurité avec le déploiement des  réacteurs de 3e génération (EPR), le seul réacteur  à avoir été certifié par quatre autorités de sûreté, en France, en Finlande, en Chine et en Angleterre. Reste à savoir le construire efficacement et économiquement – les Chinois semblent y arriver mieux que nous.
- Un plan post Fukushima de dix milliards d’euros (mesures relatives aux risques naturels, à la défaillance des systèmes de sécurité et à la gestion des accidents graves) articulé avec  un «grand carénage EDF» (cinq milliards d’euros d’investissements par an jusqu’en 2025) afin d’assurer la pérennité du parc nucléaire au-delà de quarante ans.
Ce plan étant avalisé par l’ Autorité de Sureté, il va falloir choisir clairement  ; car évidemment, il ne faudrait pas investir plus de cinquante milliards d’euros pour ensuite arrêter les centrales…
- L’amélioration de l’utilisation de l’uranium par le développement des filières à neutrons rapides. Cette filière permettra de recycler tout le plutonium sans limitation du nombre de recyclages, d’utiliser l’uranium appauvri déjà présent en France et ne nécessitera plus d’approvisionnement en uranium naturel.
Deux filières possibles sont étudiées : les réacteurs refroidis au sodium (actuellement la filière de référence : projet Astrid mené par le CEA en collaboration avec EDF, Areva, Bouygues, Alstom, Astrium, Toshiba, Comex nucléaire, Jacobs, Rolls Royce et en collaboration internationale Inde, Japon, Russie, Corée du Sud, Chine, États-Unis). Bien que différents des réacteurs Phenix et Superphenix arrêtés par Lionel Jospin (et qui nous auraient permis d’avancer en pionniers dans cette voie), ils bénéficient des retours d’expérience de ces programmes. Inde, Chine, Russie veulent s’en doter dès 2035. Ferons-nous le choix d’être  significativement présents dans cette voie qu’impose la raréfaction prévisible des ressources en uranium ?
La filière des réacteurs refroidis au gaz est une option à plus long terme (projet Allegro) pour lequel il reste des verrous technologiques importants.
- Le développement  de « Small Modular Reactors » (250 MW) à sûreté passive, avec un cycle de rechargement de 24 mois et dont l’enceinte nucléaire peut être entièrement fabriquée en usine et transportée sur site. Il y a là un potentiel de développement extraordinaire pour des pays ne possédant pas la technologie nucléaire ; ces équipements seraient soumis à une législation internationale similaire à celle des transports de matières radioactives.
Et il reste aussi à développer les activités de stockage de déchet (projet Cigéo) et le démantèlement, pour lequel les USA sont plutôt en pointe.  Un intérêt technique majeur, mais de grandes inconnues en terme délais et de coûts – le  démantèlement ne constituera une filière durable et continue qu’à l’horizon 2025.
Le nucléaire reste pour le siècle qui vient l’industrie énergétique de choix  - la seule - qui permettra de sortit de l’économie carbonée, tout en permettant de contrôler le réchauffement climatique. Fukushima n’ a nullement remis en cause cette donnée majeure tout en imposant une rigueur accrue – et pas seulement technique, mais aussi en termes humain, avec des remarques sévères des autorités de sûreté sur les politiques de sous-traitance.   Il représente pour la France un atout compétitif majeur, et plus de 400 000 emplois directs et indirects, qui sont voués à augmenter.
Stop ou encore ? Encore évidemment, tout en investissant aussi en recherche et développement massivement dans le solaire, la seule énergie vraiment renouvelable.

dimanche 30 juin 2013

Art et sciences à la Fondation EDF


La Fondation EDF (rue Récamier) a déjà proposé quelques expositions croisant art et sciences, mais la dernière, En vie, aux frontières du design  est une des plus novatrices et des plus réussies, et sans équivalent en France.
« Imaginez un monde dans lequel la manufacture traditionnelle est remplacée par la fabrication biologique : les plantes font pousser des produits de consommation, et les bactéries sont génétiquement reprogrammées pour devenir des raffineries de biocarburant ou des fabriques de soie ; de véritables ‘usines’ du vivant. Ce nouveau monde existe déjà en laboratoire, et un nombre grandissant de designers et d’artistes commencent à s’en inspirer, soit en se rebellant contre ces techniques transgénique, soit en explorant le potentiel de l ‘ingénierie de la vie. Ainsi, un nouveau genre de design est en train de naître » Carole Collet, commissaire de l’Exposition
 Elle s’organise autour de quatre thématiques :
 1 – Les plagiaires: La nature en tant que modèle, ou le biomimétisme. L’une des œuvres les plus réussies, Radiant soil (Philip Beesley) propose une sorte de forêt composée de dizaines de milliers de composants légers, conçus numériquement et équipés de microprocesseurs, de matériaux polymériques élaborés, d’alliages à mémoire de forme ; des plumes bougent en réponse aux mouvements des visiteurs, entretenant la croissances de cellules biologiques ou chimiques
2 – Les nouveaux artisans : La nature en tant que collègue de travail
Ces designers et architectes collaborent avec la nature à l’état « naturel ». Ils travaillent avec des abeilles, des champignons, des bactéries, des algues ou des plantes afin de développer de nouvelles techniques pour fabriquer des produits de consommation, par exemple, entre autres surprises, des textiles interactifs fusionnant  une technologie artificielle intelligente (des matériaux à mémoire de forme) avec du bois et des fibres naturelles afin d’imiter le comportement d’une pomme de pin et réagissant en fonction des changements de température ou de l’humidité (Elaine Ng Yan Ling)
3-Les bio-hackers : La nature génétiquement reprogrammée, dite « synthétique »
E. chromi est peut-être le projet le plus fascinant de l’exposition . Durant l’été 2009, sept étudiants de l’Université de Cambridge (artistes et scientifiques) ont développé une bactérie qui sécrète des pigments colorés, visibles à l’œil nu. Ils ont conçu des séances d’ADN standardisées (BioBricks), et les ont introduites dans la bactérie E. coli. Chaque part de BioBricks contient des gènes issus d’organismes existants, permettant aux bactéries de produire une gamme de couleurs : rouge, jaune, vert, bleu, brun ou violet. En dehors de produire des composés et des compositions colorés inédits, les nouvelles  E. chromi  pourrait être programmées pour faire des choses utiles : indiquer si une eau est potable ou non (au contact de l’eau la bactérie deviendrait rouge, ce qui signifierait une présence toxique). Elles pourraient être aussi ingérées pour servie de diagnostic de maladies intestinales.  (Alexandra Daisy Ginsberg and James King)
4 – Les nouveaux alchimistes : La nature hybridée (fusion de la biologie, la chimie, la robotique et les nanotechnologies pour créer de nouveaux organismes hybrides) et 5 – Les agents provocateurs, dont le travail de prospective encourage un débat sur les questions éthiques liées à ces nouvelles relations possibles avec la nature et la notion d’écologie high-tech Ils combinent le vivant avec le non-vivant. Par exemple, lorsque des nanoparticules magnétiques sont absorbées par les racines, une plante devient contrôlable par un aimant externe et sa croissance peut être dirigée dans une certaine mesure ; ou, plus inquiétant peut-être, des cactus génétiquement manipulés pour exprimer des protéines de kératines ( protéine de structure des cheveux humains)
Une exposition audacieuse donc, et réellement innovante, et qui a eu l’immense mérite de faire travailler ensemble scientifiques et artistes. Et un regret : la quasi-absence d’artistes, de designer, de scientifiques français. Et une bonne raison ; ces interactions semblent se produire beaucoup plus facilement dans les Universités américaines, canadiennes, chinoises, que dans nos campus mal conçus et nos Ecoles trop compartimentées. Peut-on rêver que chacun de nos Grands Instituts de recherche, chaque Pôle Universitaire soit incité à accueillir dans ses laboratoires un certain nombre d’artistes ?

dimanche 16 juin 2013

Teva, furosémide, somnifère – Etrangeté médiatique et administrative

Dans l’affaire du remplacement d’un diurétique (Furosémide) par un somnifère – un accident rarissime- dans une installation du laboratoire Teva, géant des médicaments  génériques, il existe une vraie étrangeté médiatique et administrative.
L’Agence du médicament (ANSM)  n’a relevé « aucun dysfonctionnement dans l'usine de Sens ». Les media n’ont pas mis ce diagnostic en cause et ont rapporté de façon peu critique l’hypothèse d’un acte de malveillance mis en avant par la direction de l’usine.
Sur un site pharmaceutique, il y a une personne responsable légalement, administrativement, c’est le pharmacien responsable, mission lourde, difficile, stressante.
Or que dit le pharmacien responsable du site de Teva ? Ou plutôt, que disait-il, car il a démissionné. Dans un article du mardi 11 juin, Le Figaro a révélé que dans un courrier adressé en novembre 2011 au président du laboratoire, l'ancien pharmacien responsable indiquait  qu'il ne peut plus « accepter d'être associé aux pratiques de l'entreprise en matière de qualité qui sont insuffisantes au regard de la taille de celle-ci ». Le Figaro évoquait également un rapport d'expertise réalisé par le cabinet Capital Santé et remis à la direction de Teva début 2013. Ce document soulevait le problème d'un « malaise général » notamment dû à l'expansion rapide du groupe qui n'a pas été sans conséquence. Face à la surcharge de travail, des horaires à rallonge, les salariés souffrent de leurs conditions de travail. Résultats : les démissions représentaient 20% des départs de l'entreprise en 2011 et le taux d'absentéisme (16%) y est quatre fois élevé que la moyenne nationale dans le privé (3,84%).
Ce seraient donc bien le fonctionnement et le management de l’entreprise qui sont en cause. Et aussi, la pression intense à la baisse sur les prix des médicaments et la politique de génériques obligatoires, même si dans certains cas, les patients les supportent moins bien.
Si ces informations sont avérées, alors cela signifie qu’un pharmacien responsable peut dire au directeur d’usine que ses pratiques sont dangereuses, peut refuser de les approuver, peut même démissionner pour les dénoncer, et que l’agence du médicament l’(ANSM) et ses pharmaciens inspecteurs trouvent que c’est un fonctionnement normal !
Si j’avais envie d’être ironique, je dirai quel manque de confraternité ! Mais comme je suis en colère, je dirai  plutôt qu’a l’ANSM, malgré le troisième changement de nom, ces gens n’ont toujours pas compris et pas changé et que des comptes doivent être rendus.


Publication scientifique, communication et éthique

Véracité, certitude, précision : un problème général

Rassembler l’ensemble de la bibliographie pour préparer une publication est certainement l’une des tâches les plus fastidieuses qui puisse incomber à un chercheur, mais François Gonon, Erwan Bezard, Thomas Borau (CNRS) en ont fait quelque chose d’utile, d’intéressant, sinon amusant. Etudiant le TDAH (ou HDAD, trouble de l’attention avec hyperactivité) et s’étonnant que les 2/3 des programmes  télévisés aient présenté des affirmations en contradiction avec le consensus scientifique actuel (une inflation de diagnostics et de traitements non justifiés), ils en ont trouvé la source dans les pratiques de la communauté scientifique elle-même.
Ainsi, dans les publications scientifiques, trois types de biais sont couramment trouvés: des contradictions entre les faits et les conclusions sont évacuées, des conclusions fermes sont données dans le résumé alors que les données expérimentales sont moins concluantes, des perspectives thérapeutiques fascinantes sont extrapolées de données biologiques fondamentales de façon inadéquate.
Les données génétiques en particulier sont surévaluées. Ainsi, sur 159 publications mentionnant une association entre une altération (un polymorphisme) du récepteur de la dopamine D4 et l’ADHD, simplement 25 mentionnent que le risque associé est très faible. Toujours en neurobiologie, une étude de 2003 publiée dans Science montrait un lien entre une mutation d’un récepteur de la sérotonine  et la dépression ; cette étude a été invalidée une première fois en 2006 sur un nombre de sujets cinq fois supérieurs, puis en 2009 par une méta-analyse…mais c’est la première étude qui est toujours la plus citée dans les media.
Ce problème ne touche pas que le domaine difficile de la neurobiologie. Une étude publiée dans le Lancet en 1994 associait une mutation d’un gêne (BCRA1) à une risque multiplié par 4 de cancer du colon. Une méta analyse publiée en 2005 ramène le facteur de risque à 1.2. Ce n’est pas sans incidence sur les choix thérapeutiques ou de dépistages.
Les données analysées par une  équipe californienne (John Ioannidis, 2011) montrent que, dans le domaine biomédical, trois études initiales sur quatre sont, soit complètement réfutées, soit largement atténuées par les études suivantes.
Il faut apprendre à faire avec, car c’est sans doute assez inévitable et intrinsèquement lié à la recherche : un premier résultat spectaculaire, mais incertain, est ensuite tempéré par des travaux qui aboutissent à un consensus plus fiable ou de moindre portée… et qui nécessitent souvent plusieurs années ; mais ce qui plus gênant et plus évitable,  c’est la persistance médiatique des études invalidées ou minorées.

Causes et remèdes

Plusieurs facteurs l’expliquent. Les premières études constituent une découverte, elles indiquent forcément un résultat positif et elles sont publiées dans les revues les plus prestigieuses. Les études qui les réfutent, parfois longtemps après,  ne bénéficient pas de la même aura, et sont souvent publiés dans des revues moins importantes.
Les éditeurs des journaux les plus prestigieux devraient donc être incités à accorder davantage de place aux réfutations. Sinon, il apparaîtra, et c’est déjà le cas, que le prestige d’une revue n’est pas un gage de la fiabilité des études qu’elle publie (et ce pourrait même devenir l’inverse !). A défaut, domaine, par domaine, une revue consacrée aux études de consensus devrait avoir un grand avenir.
On pourrait même imaginer que cela devienne un service public de la connaissance. Dans le domaine du médicament, avec les efforts récents faits en termes de communication et de vulgarisation scientifique par l’ANSM (l’agence du médicament) sur son site internet, nous n’en sommes pas très loin .
Il existe une véritable course et compétition à la publication. Dans le domaine des sciences de la vie, cela se traduit par des extrapolations optimistes sinon abusives de la recherche fondamentale aux applications thérapeutiques. C’est assez humain et compréhensible de la part des chercheurs, mais les éditeurs de revue et les « referees » devraient se montrer plus stricts (« les auteurs doivent présenter leurs données de façon à minimiser la possibilité que le lecteur ne soit induit en erreur quant à ce qui est réellement observé », une consigne peut-être pas assez respectée…)
Un  financement de la recherche trop axé sur projet est aussi à mettre en cause. Il n’encourage clairement pas les chercheurs à investiguer et à faire connaître  tout ce qui va à l’encontre des résultats préliminaires qui leur ont valu un financement.
Au sein même de la communauté des chercheurs, le  travail plus humble de ceux qui s’efforcent de valider ou d’invalider par des expériences bien menées des hypothèses initiales doit certainement être plus valorisé, au moins autant que celui de ceux qui lancent des idées audacieuses encore peu étayées.
Il en va tout de même de la crédibilité des chercheurs en général (The Economist, taclant ses confrères , faisait remarquer que si toutes les découvertes relatées par la presse concernant le cancer avaient été confirmées, celui-ci serait vaincu depuis longtemps !) : et, dans le domaine des sciences de la vie, d’implications graves sur la santé des patients !
Encore une fois, dans le domaine biomédical, trois études initiales sur quatre sont, soit complètement réfutées, soit largement atténuées par les études suivantes. Les media doivent le savoir et en tenir compte. De façon générale, une meilleure connaissance de la réalité de la recherche scientifique par les media est nécessaire. Un dispositif intéressant existait aux USA : quelques bourses distribuées chaque année pour qu’un journaliste ou un écrivain s’immerge pendant six mois ou un an, dans la vie d’un laboratoire. Ce dispositif pourrait exister dans chacun des grands organismes de recherche
François Gonon, Thomas Borau
 Le Monde, 5 juin 2013

dimanche 2 juin 2013

Pourquoi les économistes n'ont pas vu venir la crise

Conférence AJEF 15 mai  2013: Les économistes n'ont pas vu venir la crise. Pour une approche plus globale des problèmes de notre temps. Alain Caillé professeur d'économie à Paris X Nanterre et fondateur de la revue du MAUSS.

Pourquoi l’économie n’a-t-elle pas permis de prévoir les dernières crises :

Parce que l’économie n’est pas une science. Elle n’est que le commentaire perpétuel, avec un usage sophistiqué des mathématiques,   d’une tautologie « les hommes préfèrent ce qu’ils préfèrent «  qui évolue en « un marché à l’équilibre est équilibré »
Parce que les économistes, même lorsqu’ils le critiquent, sont incapables de renoncer à ce mensonge anthropologique qu’est l’ « homo oeconomicus » uniquement mû par le calcul rationnel de son intérêt personnel. Or, l’homme réel vit en société, c’est un animal donneur  « altruiste » ; ceci dit, cela ne crée pas pour autant automatiquement un paradis sociétal : tout don appelle un contre-don et l’on entre dans un réseau complexe où se reflètent à l’infini  égo et besoins de reconnaissance ; mais ignorer les aspects non économiques et pourtant prédominants du comportement humain ne peut conduire qu’à l’incapacité de « savoir pour prévoir »
Ceci est bien mis en évidence par l’étude de Robert Solow (Contribution to the Theory of Economic Growth) ; le facteur travail et le facteur capital expliquent 20% de la croissance…et le reste (80% !) est une  « une manne tombée du ciel », non économique : facteurs moraux, organisation de la société, externalités dus à l’investissement public
Parce que l’économie est mal enseignée ; dans les programmes de licence, l’histoire des théories économiques compte pour 2%, l’histoire économique pour 2% :un bon économiste calcule et construit des modèles et ne réfléchit pas.
Et encore, il calcule mal. Toutes les politiques d’austérité sont fondées sur une publication (Reinhart, C. and Rogoff K. (2009) : “Growth in a Time of Debt”, American Economic Review Papers and Proceedings, December 31.) affirmant qu’avec une dette supérieure à 90% du PIB, la croissance devient impossible et la récession s’installe. Or, ce résultat longtemps admis sans vérification est faux et résultait d’une erreur de tableur excel… De façon analogue, l’économiste en chef du FMI vient d’avouer que son organisation avait longtemps sous-estimé, d’un facteur 5 le multiplicateur traduisant l’effet de la diminution de la dépense publique sur la croissance.
Parce que considérant comme discrédités le libéralisme, l’anarchisme, le communisme, le socialisme (tous basés sur l’utilitarisme), les économistes et les intellectuels en général n’osent plus penser aucune idéologie (laquelle peut pourtant être considérée dans le domaine des sciences sociales comme l’équivalent de la théorie dans celui des sciences exactes). Alors, l’économie traditionnelle se présente comme un empirisme sans idéologie et triomphe faute d’adversaire ;

Pour une approche plus globale- le convivialisme

Cette absence d’idéologie crée un sentiment absolument délétère, surtout dans un pays comme la France qui est essentiellement politique. Lorsqu’une société n’a aucune idée sur l’endroit où elle va, elle ne sait littéralement pas où elle en est et connaît un présent désespérant
Nous avons aussi besoin d’une idéologie qui nous permette de résoudre un problème radicalement nouveau : la croissance des services marchands, du PIB n’est plus soutenable au rythme passé. Alain Caillé prend le pari que nous ne connaîtrons jamais plus dans les pays évolués des croissances supérieures à 3%.
Pour autant, il ne partage ni l’objectif, ni le vocabulaire des partisans de la décroissance. Il nous faudra adapter notre économie et notre société à un « monde stationnaire dynamique »,  notamment résoudre le problème de l’emploi dans un monde  sans croissance marchande. Il faudra définir un nouveau type de croissance.
Le vieux problème fondamental de toute société- comment s’opposer sans se combattre- réglé historiquement par la stratégie du bouc émissaire, ou la construction de sociétés hiérarchisées, ou par la démocratie en période de croissance, exigera une théorie nouvelle. L’absence de croissance met en effet en péril une démocratie fondée sur la partage des fruits de la croissance marchande.
Alain Caillé propose de bâtir cette théorie (le « convivialisme ») à partir des éléments fondamentaux communs aux théories alternatives au libéralisme économique. Elle est basée sur un sentiment d’appartenance à l’Humanité, le respect de la dignité de chacun, le refus de l’hybris, le droit au développement individuel et nécessite une régulation morale (« presque religieuse ») par l’opinion publique (honte, indignation). En tous ces points, elle ressemble fortement à la Religion de l’Humanité d’Auguste Comte et des positivistes, en version modernisée.
Pour un manifeste du convivialisme , Alain Caillé, Le Bord de l’Eau

Miel, abeilles et néonicotinoides : moratoire ou piège ?

Le dossier scientifique des effets des insecticides néonicotinoides sur les abeilles paraissant maintenant bien solide, et après une lutte acharnée des apiculteurs las  de voir leurs abeilles mourir en masse, la Commission européenne s'est officiellement décidé à imposer un moratoire de deux ans  .
Ces décisions sont néanmoins en retrait sur les préconisations du Parlement français et les apiculteurs appellent à ne pas baisser la garde, voire dénoncent un piège. En effet, ces insecticides les plus dangereux (Gaucho, Régent…)  seront interdits pour une durée-test de deux ans à l'issue de laquelle les autorités sanitaires contrôleront si l'interdiction a mis un terme au massacre des abeilles, et s'il faut ou non interdire définitivement les néonicotinoides.
Or, cette interdiction risque de n’avoir aucun effet sur la santé des abeilles ! Ces pesticides seront interdits seulement quelques mois par an... et largement utilisés tout le reste de l'année – sur près de 85% des céréales, et sur une grande partie des cultures de fruits, légumes et herbes aromatiques. De plus, de nombreuses études ont montré que ces substances peuvent rester présentes dans le sol jusqu'à trois ans après le traitement, et que les cultures non-traitées replantées sur le même terrain révèlent des traces de néonicotinoïdes jusque dans leur pollen…
 A la fin de la période-test de deux ans, il est donc probable que rien ne pourra être prouvé et que certains pourront même alors annoncer triomphalement que l’interdiction est sans effet !

 La France importe du miel- d’où ?

La production de miel  (chiffres 2011_source FranceAgrimer septembre 2012) se répartit ainsi :
-91% des producteurs sont familiaux (moins de 30 ruches), 5% pluriactifs (31 à150 ruches), 4% professionnels (plus de 150 ruches)
Les professionnels détiennent 55% des ruches et fournissent les 2/3 de la production.
- Sur la période 2004-2010, 40% des producteurs ont arrêté leur activité!-, le nombre de ruches a baissé de 20% et la production de 28 % 
Quel secteur a subi sans que l’on s ‘en émeuve d’un tel recul ?
Au fait, si des abeilles ont la mauvaise idée de s’installer dans votre maison, les pompiers ne viennent plus. Donc, vous avez intérêt à ce qu’il y ait un apiculteur à proximité !
Un secteur économique qui certes ne pèse pas lourd face à la grande industrie agroalimentaire Donc un secteur économique qui ne peut se battre contre les céréaliers, mais qui concrene tout de même beaucoup de monde.
A commencer par les consommateurs !
De 2004 à 2010, la consommation est restée stable autour de 40,000 tonnes. La France n’est pas auto-suffisante en miel : en 2004, elle importait 36% de sa consommation, en 2010 : 56%.
La France pourrait quand même être autosuffisante, voire exportatrice en miel- l’Allemagne l’est bien !
D’où vient le miel importé ? Six pays fournisseurs représentent plus de 80 % des importations françaises de miel en volumes : l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique, la Hongrie, l’Argentine et l’Italie.
Avec quelques étrangetés : une grande partie du miel de Belgique vient en réalité de Chine ; pour l’Espagne, on ne sait pas, mais ce que l’on sait, c’est que la Chine est le premier fournisseur de miel de l’Espagne, qui est le premier fournisseur de la France
Il faudrait certainement que ces chiffres soient plus connus, que l’on enquête sur les circuits du miel et sa qualité, que l’on impose une meilleure traçabilité de façon à mieux valoriser la production française – et à la développer.
Le délai d’interdiction des néonicotinoides pris par la Commission Européenne ? Une victoire, très partielle ? Un piège ?
Dans l’idéal, il devrait être mis à profit pour rechercher des solutions alternatives ; le dossier scientifique des effets nocifs des néonicinoïdes  pour les abeilles semble maintenant bien solide et l’INRA a proposé des méthodes d’évaluations. Aux industriels de  rechercher maintenant des  produits ne présentant les inconvénients du Gaucho et du Régent. Et aussi, pourquoi pas, des composés permettant de lutter contre Nosema cerema, le principal parasite décimant les ruches. Plutôt que de continuer un combat douteux pour le Gaucho et le Régent, gageons que la firme qui reconnaîtra les problèmes posés par ces insecticides et investira pour découvrir un produit meilleur remportera un succès bien mérité.