Il
s’agit d’un rapport écrit en 2013 pour un ministre des affaires étrangères plutôt actif et qui se soucie de renouveler
et étendre l’action de son ministère ; bravo, et l’on est flatté que le
quai d’Orsay réalise qu’il y a autre chose à promouvoir en France que le
tourisme et la gastronomie, ou même, la
littérature. Le rapport dégage trois missions principales : soutenir la
place de nos chercheurs et de nos entreprises dans la compétition internationale,
associer plus étroitement le monde scientifique aux enjeux de politique
étrangère, intéresser les chercheurs aux enjeux de développement, par la
formation et la valorisation des capacités scientifiques des pays du Sud. Résumé
et remarques :
Le
rapport signale tout d’abord la place de la recherche française (5ème
au monde en 2009 en termes de dépenses
(42,7 milliards d’euros, soit 2,26% du PIB – NB l’agenda de Lisbonne pour l’Europe
de la Connaissance et de l’Innovation prévoyait 3% minimum) et 6e en termes de
publications, mais avec seulement 4.1% des publications mondiales ; et
également la « percée» des brics (Brésil, Inde, Russie, Chine) et des
Civets ( Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie)
Remarque : Complètement à rebours des préoccupations sur la
valorisation de la recherche, le rapport ne cite pas une fois, pas une seule
fois, le mot brevet, et ne donne aucune indication sur la position de la France
et le contexte international. Pourtant, pour qui consulte les bases de brevet,
depuis que la Chine est rentrée dans le système international… c’est une explosion
de brevets chinois, aux standards internationaux, qui indique une stratégie
impressionnante.
Action des
pouvoirs publics : « Alors
que la croissance économique des États se fonde de plus en plus sur la
construction de sociétés de la connaissance, l'appui des pouvoirs publics à l'internationalisation
de la recherche française et au renforcement de l'attractivité du territoire et
des institutions de recherche nationaux auprès des chercheurs étrangers est
crucial. En liaison directe avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de
la Recherche (MESR), le ministère des Affaires étrangères (MAE) participe, par
la mobilisation de son réseau, au déploiement à l’international de la Stratégie
nationale de recherche et d’innovation (SNRI) tant dans ses priorités
thématiques (santé et biotechnologies, urgence environnementale et écotechnologies,
sciences et technologies de l’information et de la communication (STIC) et nanotechnologies)
que géographiques (BRIC, Japon, Corée du Sud) ». Pour cela, le ministère s’appuie
sur les services scientifiques des ambassades, notamment : 255 personnels
expatriés (conseillers, attachés, scientifiques, volontaires internationaux), et
27 instituts français de recherche en sciences humaines et sociales regroupant
146 chercheurs.
Remarque :
Santé biotechnologie, environnement, STIC, physique théorique et nucléaire (le
rapport cite brièvement le CEN et ITER ) ??? Oui, mais le seul encart
du rapport et la plus grande partie du texte concerne… la recherche
archéologique. Instrument important certes, prestigieux, historique pour le
rayonnement culturel de la France - le rapport mentionne qu’elle sert aussi « au maintien des relations entre États
quand la diplomatie traditionnelle trouve ses limites », et cite
expressément la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA), seule
institution archéologique internationale permanente dans ce pays. La
diplomatie scientifique archéologique est un point fort de la diplomatie et de
l’influence française, et compte-tenu des menaces islamistes sur un patrimoine,
non seulement des pays concernés, mais de toute l’humanité, il doit être
évidemment maintenu et cultivé. Mais on souhaiterait que le Ministère s’intéresse
au moins autant aux secteurs scientifiques d’avenir…
Le rapport insiste justement sur l’établissement de liens avec l'
étranger. « La mise en place d’un titre de séjour scientifique rénové
en 2008, délivré sur la foi d’une convention d’accueil signée par
l’établissement ou l’organisme de recherche de destination, a visé à simplifier
l’accueil de chercheurs étrangers en France. Au total, plus de 48 000
chercheurs étrangers sont annuellement employés en France, dont environ 25 000
doctorants. »
Remarque : oui, mais. Pour les post doc, ils ont en général choisi leur laboratoire
d’accueil sur un thème assez précis, ils savent (à peu près) où ils vont, pas
de problèmes, sinon des tracas administratifs parfois trop lourds et à
simplifier. Mais avant ? L’accueil des étudiants étrangers est assez
souvent catastrophique, et il faudrait vraiment veiller à ce que seules les
équipes et formations qui les encadrent et les suivent correctement soient habilités
à en recevoir. C’est l’image de la France qui est en cause lorsqu’on expédie telle
étudiante chinoise (du sud) à Nancy en plein hiver, dans une formation littéraire
alors que sa connaissance de la langue française est plutôt rudimentaire, et
sans aucun guide dans le maquis universitaire local. Ou lorsque dans certaines
écoles (de commerce notamment), les étudiants (les Chinois là encore font de
bonnes victimes…) peuvent acheter leurs diplômes. Le Ministère des Affaires
étrangères et celui de l’Enseignement supérieur doivent travailler ensemble
pour que les étudiants étrangers soient traités dignement. Et l’obligation de
suivi pourra éviter ce qui est parfois mis en cause, des étudiants fantômes qui
ne cherchent en réalité qu’une filière d’immigration.
Renforcer la lisibilité de la recherche française à
l’étranger : « la prépondérance des organismes de
recherche dans la recherche publique française constitue une spécificité qu’il convient
d’expliquer à nos partenaires…Par ailleurs, les organismes de recherche français
(CNRS, IRD, Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM),
École française d’Extrême-Orient (EFEO), etc.) disposent de nombreux bureaux de
représentation à l’étranger qui ne sont pas mutualisés et donnent une image
fragmentée de notre dispositif, malgré le travail de coordination entrepris par
nos postes. La mise en place de plateformes communes, voire d’un point d’entrée
et d’orientation unifié, pourrait être étudiée. Les actions de communication
des services scientifiques des ambassades méritent par ailleurs d’être
renforcées et encouragées.
Remarque : Oui, et ce n’est rien à côté des Classes préparatoires et des Grandes
Ecoles, scientifiques ou littéraires, qui n’ont que peu d’équivalents à l’étranger
et dont la particularité peut être difficile à expliquer… et mérite pourtant de
l’être. Or la formation pluridisciplinaire et de haut niveau théorique des « ingénieurs
à la française » suscite, lorsqu’elle est connue, un réel intérêt dans
bien des pays qui ne considèrent pas forcément le système américain comme un
modèle universel et efficace (Chine, Inde, Russie, Amérique Latine, Pays Arabes…)
Il faut ici signaler l’action remarquable de l’ancien proviseur
de Louis Le Grand, M. Joël Vallat, et de quelques-uns de ses collègues qui
depuis plus de quinze ans organisent des examens en Inde, en Chine, au Maghreb
pour recruter des étudiants au niveau des classes préparatoires – Louis Le
Grand accueillait 150 étudiants étrangers sur 900 et était renommé pour sa « classe
orientale ». Volontaire et optimiste, M. Vallat considérait que « nous
sommes trop autocritiques sur la lisibilité du système français ! Nous avons
tous les atouts pour attirer les étudiants étrangers. Il faut prendre le temps
d’expliquer notre système et surtout apprendre à le vendre ». Il serait
souhaitable que de telles initiatives soient continuées, soutenues, encouragées ;
ce peut être un atout formidable pour la France.
« Assurer la
promotion de l’image d’excellence scientifique et technologique de notre
pays, contribuer à son attractivité auprès
des chercheurs étrangers ; Renforcer l'image scientifique et technologique
de la France auprès du grand public, grâce à la diffusion de la culture
scientifique et technique : les moyens dédiés à la diffusion de la culture
scientifique et technique se voient considérablement renforcés à la faveur de
la dévolution à l'Institut français de cette mission (création de nouveaux
instruments : appel à projets, plans d'aide à la publication et à la traduction
d'ouvrages français de vulgarisation scientifique, programme d'invitation à
l'étranger de grands chercheurs français) »
Remarque : oui, mais le rapport ne dit rien de l’histoire
scientifique de la France, un atout formidable. En 1816, rendant visite à
Laplace, Berthollet et les savants français groupés autour d’eux, la
physicienne anglaise Mary Sommerville constatait : « j’avais un peu
de mal à suivre la conversation générale, mais lorsqu’on parlait de science, c’était
beaucoup plus facile, car tous mes livres de science étaient en français ».
Tout le monde connait les grands poètes, écrivains, artistes français, mais peu
connaissent les grands scientifiques français, pourtant nombreux. J’ai été très
heureux que grâce à un conseiller culturel dynamique, mon ouvrage Histoire des grands scientifiques français ait été traduit en
tchèque et fasse ainsi mieux connaître Paré, Viète, Descartes (l’œuvre
scientifique), Fermat, Laplace, Cuvier, Arago, Cauchy, Ampère, Poincaré etc. Un
exemple à suivre ? D'autre part, les ressources muséographiques scientifiques sont aussi importantes.