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jeudi 10 août 2017

Taine _ La Révolution- l’anarchie spontanée_38_ l’Etat et la religion- vers le totalitarisme

Important, magistral !: Tout par l’Etat : Pas de corps organisés qui ferait concurrence à l’Etat. Les prêtres comme fonctionnaires de  la morale. Tout pour l’Etat : la confiscation du patrimoine religieux et sa dissipation. Nous ferons une nouvelle religion : confusion des pouvoirs temporels et spirituels  
NB Pour tous les positivistes, la séparation des pouvoirs temporels et spirituels est un progrès essentiel résultant de l’évolution historique de Humanité et la véritable garantie de la liberté. Auguste Comte : « l’asservissement général du pouvoir spirituel au pouvoir temporel, principale cause de la plupart des aberrations, pousse spontanément à remplacer la persuasion par la violence »  (Cours de Philosophie Positive)

Pas de corps organisés qui ferait concurrence à l’Etat

C’est pourquoi, si l’on veut que les hommes restent égaux et deviennent citoyens, il faut leur ôter tout centre de ralliement qui ferait concurrence à l’État, et donnerait aux uns quelque avantage sur les autres. – En conséquence, on a tranché toutes les attaches naturelles ou acquises par lesquelles la géographie, le climat, l’histoire, la profession, le métier, les unissaient. On a supprimé les anciennes provinces, les anciens états provinciaux, les anciennes administrations municipales, les parlements, les jurandes et les maîtrises. On a dispersé les groupes les plus spontanés, ceux que forme la communauté d’état, et l’on a pourvu par les interdictions les plus expresses, les plus étendues et les plus précises, à ce que jamais, sous aucun prétexte, ils ne puissent se refaire  . On a découpé la France géométriquement comme un damier, et, dans ces cadres improvisés qui seront longtemps factices, on n’a laissé subsister que des individus isolés et juxtaposés. Ce n’est pas pour épargner les corps organisés où la cohésion est étroite, et notamment le clergé.
« Des sociétés particulières, dit Mirabeau  , placées dans la société générale, rompent l’unité de ses principes et l’équilibre de ses forces. Les grands corps politiques sont dangereux dans un État par la force qui résulte de leur coalition, par la résistance qui naît de leurs intérêts. » – Et celui-ci, de plus, est mauvais par essence ; car   « son régime est continuellement en opposition avec les droits de l’homme ». Un institut où l’on fait vœu d’obéissance est « incompatible » avec la Constitution. « Soumises à des chefs indépendants », les congrégations « sont hors de la société, contraires à l’esprit public ». – Quant au droit de la société sur elles et sur l’Eglise, il n’est pas douteux. « Les corps n’existent que par la société ; en les détruisant, elle ne fait que retirer la vie qu’elle leur a prêtée ». – « Ils ne sont que des instruments fabriqués par la loi . Que fait l’ouvrier quand son instrument ne lui convient plus ? Il le brise ou le modifie. » – Ce premier sophisme admis, la conclusion est claire. Puisque les corps sont abolis, ils n’existent plus. Puisqu’ils n’existent plus, ils ne peuvent être encore propriétaires. « Vous avez voulu détruire les ordres, parce que leur destruction était nécessaire au salut de l’État. Si le clergé conserve ses biens, l’ordre du clergé n’est pas détruit…

l’État, véritable colosse, seul debout. Les prêtres comme fonctionnaires de morale…

En aucun cas, les ecclésiastiques ne doivent posséder. « S’ils sont propriétaires, ils peuvent être indépendants ; s’ils sont indépendants, ils attacheront cette indépendance à l’exercice de leurs fonctions. » À tout prix, il faut qu’ils soient dans la main de l’État, simples fonctionnaires, nourris de ses subsides. Il serait trop dangereux pour une nation « d’admettre dans son sein, comme propriétaire, un grand corps à qui tant de sources de crédit donnent déjà tant de puissance. La religion appartenant à tous, il faut, par cela seul, que ses ministres soient à la solde de la nation. » Ils ne sont que « des officiers de morale et d’instruction », des « salariés », comme les professeurs et les juges. Ramenons-les à cette condition qui est la seule conforme aux droits de l’homme et prononçons que le « clergé, ainsi que tous les corps et établissements de mainmorte, sont dès à présent et seront perpétuellement incapables d’avoir la propriété d’aucuns biens-fonds ou autres immeubles   ». – De tous ces biens vacants, qui est maintenant l’héritier légitime ? Par un second sophisme, l’État, juge et partie, les attribue à l’État. « Les fondateurs ont donné à l’Eglise, c’est-à-dire à la nation  . » – « Puisque la nation a permis que le clergé possédât, elle peut revendiquer ce qu’il ne possède que par son autorisation. » – « Il doit être de principe que toute nation est seule et véritable propriétaire des biens de son clergé. » — Notez que le principe, tel qu’il est posé, entraîne la destruction de tous les corps ecclésiastiques et laïques avec la confiscation de tous leurs biens, et vous verrez apparaître à l’horizon le décret final et complet   par lequel l’Assemblée législative, « considérant qu’un État vraiment libre ne doit souffrir dans son sein aucune corporation, pas même celles qui, vouées à l’enseignement public, ont bien mérité de la patrie », pas même celles « qui sont vouées uniquement au service des hôpitaux et au soulagement des malades », supprime toutes les congrégations, confréries, associations d’hommes ou de femmes, laïques ou ecclésiastiques, toutes les fondations de piété, de charité, d’éducation, de conversion, séminaires, collèges, missions, Sorbonne, Navarre. Ajoutez-y le dernier coup de balai : sous la Législative, le partage de tous les biens communaux, excepté les bois ; sous la Convention, l’abolition de toutes les sociétés littéraires, de toutes les académies scientifiques ou littéraires, la confiscation de tous les biens, bibliothèques, muséums, jardins botaniques, la confiscation de tous les biens communaux non encore partagés, la confiscation de tous les biens des hôpitaux et autres établissements de bienfaisance  . — Proclamé par l’Assemblée constituante, le principe abstrait a révélé par degrés sa vertu exterminatrice. Grâce à lui, il n’y a plus en France que des individus dispersés, impuissants, éphémères : en face d’eux, le corps unique et permanent qui a dévoré tous les autres, l’État, véritable colosse, seul debout au milieu de tous ces nains chétifs

Les spolations_ Nous pourrions changer la religion

« Au mois de mai 1789, dit Necker, le rétablissement de l’ordre dans les finances n’était qu’un jeu d’enfant. » Au bout d’un an, à force de s’obérer, d’exagérer ses dépenses, d’abolir ou d’abandonner ses recettes, l’État ne vit plus que du papier qu’il émet, mange son capital nouveau, et marche à grands pas vers la banqueroute. Jamais succession si large n’a été si vite réduite à rien et à moins que rien.
En attendant, dès les premiers mois, on peut constater l’usage que les administrateurs sauront en faire et la façon dont ils vont doter le service auquel elle les astreint. – De tout le bien confisqué, aucune portion n’est réservée à l’entretien du culte, aux hôpitaux, aux asiles, aux écoles. Non seulement tous les contrats et tous les immeubles productifs tombent dans le grand creuset national pour s’y convertir en assignats, mais nombre de bâtiments spéciaux, tout le mobilier monastique, une portion du mobilier ecclésiastique, détournés de leur emploi naturel, viennent s’engloutir dans le même gouffre : à Besançon  , trois églises sur huit, avec leurs biens-fonds et leur trésor, le trésor du chapitre, le trésor de toutes les églises conventuelles, vases sacrés, châsses, croix, reliquaires, ex-voto, ivoires, statues, tableaux, tapisseries, habits et ornements sacerdotaux, argenterie, orfèvrerie, meubles antiques et précieux, bibliothèques, grilles, cloches, chefs-d’œuvre d’art et de piété, tout cela brisé et fondu à la Monnaie, ou vendu à l’encan et à vil prix ; c’est ainsi qu’on exécute les intentions des fondateurs et donateurs…
Visiblement, tous les établissements de bienfaisance et d’éducation dépérissent, depuis que les sources distinctes qui les alimentaient viennent se confondre et se perdre dans le lit desséché du trésor public  . – Déjà en 1790, l’argent manque pour payer aux religieux et aux religieuses leur petite pension alimentaire. Dans la Franche-Comté, les capucins de Baume n’ont pas de pain et sont obligés, pour vivre, de revendre, avec la permission du district, une partie des approvisionnements séquestrés de leur maison. Les Ursulines d’Ornans subsistent d’aumônes que des particuliers leur font pour conserver à la ville son seul établissement d’éducation. Les Bernardines de Pontarlier sont réduites à la dernière misère : « Nous sommes persuadés, écrit le district, qu’elles n’ont rien à mettre sous la dent ; il faut que nous-mêmes boursillions au jour le jour pour les empêcher de mourir de faim  . » – Trop heureuses, quand l’administration locale leur donne à manger ou tolère qu’on leur en donne ! En maint endroit, elle travaille à les affamer ou se plaît à les vexer. Au mois de mars 1791, malgré les instances du district, le département du Doubs réduit la pension des Visitandines à 101 livres pour les choristes et à 50 pour les converses. Deux mois auparavant, la municipalité de Besançon, interprétant à sa fantaisie le décret qui permet aux religieuses de s’habiller comme elles veulent, enjoint à toutes et même aux hospitalières de quitter leur ancien costume, que beaucoup d’entre elles n’ont pas le moyen de remplacer. – Impuissance, indifférence ou malveillance, voilà les dispositions qu’elles rencontrent dans les nouveaux pouvoirs chargés de les nourrir et de les défendre. Pour déchaîner la persécution, il suffit maintenant d’un décret qui mette en conflit l’autorité civile et la conscience religieuse. Le décret est rendu, et, le 12 juillet 1790, l’Assemblée établit la constitution civile du clergé.

C’est que, malgré la confiscation des biens et la dispersion des communautés, le principal corps ecclésiastique subsiste intact : soixante-dix mille prêtres, enrégimentés sous les évêques, autour du pape leur général en chef. Il n’en est pas de plus solide, de plus antipathique et de plus attaqué. Car il a contre lui des rancunes invétérées et des opinions faites, le gallicanisme des légistes qui, depuis saint Louis, sont les adversaires du pouvoir ecclésiastique, la doctrine des jansénistes qui, depuis Louis XIII, veulent ramener l’Eglise à sa forme primitive, la théorie des philosophes qui, depuis soixante ans, considèrent le christianisme comme une erreur et le catholicisme comme un fléau. À tout le moins, dans le catholicisme, l’institution cléricale est condamnée, et l’on se croit modéré si l’on respecte le reste : « Nous pourrions changer la religion », disent des députés à la tribune  .

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