Recherche pharmaceutique : les fusions désastreuses
Le cri d’alarme d’un ancien directeur de la recherche de Pfizer
John La Mattina , ex-président de Pfaizer Global research traite dans Nature Reviews/ Drug Discovery d’un sujet peu abordé : l’impact des fusions sur la recherche des entreprises et sur l’innovation dans tout un domaine, celui de la recherche pharmaceutique. Et sa vision est plutôt pessimiste et invite, dans l’intérêt de la recherche et du bien commun international qu’est la santé, à veiller aux conséquences stratégiques des fusions : « Bien que les fusions et acquisitions dans le domaine pharmaceutiques ont paru être rationnellement justifiées dans une optique financière à court-terme, leurs conséquences sur l’activité de recherche et développement des firmes concernées ont été dévastatrices ».
De moins en moins de firmes pharmaceutiques font de moins en moins de recherche…
La communauté scientifique et médicales, les Etats, les autorités de régulation, les patients, tous s’inquiètent à juste titre d’une baisse des mises sur le marché de médicaments nouveaux. Dans la décennie 90, il y avait 31 nouveaux médicaments (nouvelles entités chimiques) par an ; dans les premières années 2000, nous sommes tombés à 24 et ce chiffre diminue encore d’années en années. Les firmes pharmaceutiques mettent en avant le fait qu’elles s’attaquent à des pathologies plus difficiles et se heurtent à des exigences réglementaires et de sécurité plus contraignantes ; mais elles s’exonèrent ainsi de leurs choix stratégiques et financiers, et de leurs conséquences.
L’un des facteurs principaux des succès de la recherche thérapeutiques des années 90 ( antiviraux, statines contre l’athérosclérose, antagonistes de l’angiotensine contre l’hypertension…) était en effet le grand nombre de compagnies pharmaceutiques actives dans cette période. La plupart des médicaments sortis dans ces années provenaient de firmes qui ont aujourd’hui disparu : des 42 firmes pharmaceutiques US existant en 1988, il n’en reste aujourd’hui que 11 : 75 % ont disparu ! Et les firmes biotechnologiques n’ont pas pris le relais ; lorsqu’elle réussissent, c’est un avec un portefeuille de médicament très réduit et concentré sur une aire thérapeutique.
Or, et l’étude a été faite sur une période plus longue de 60 ans : le nombre de nouveaux médicaments est très fortement corrélé au nombre de firmes pharmaceutiques en activité.
La rentabilité immédiate et l’augmentation de l’action avant tout !
Les fusions et acquisition ont été encouragées parce qu’elles sont supposées produire des synergies, des réduction de coût et permettre l’élimination de doublons. Au début des années 90, les fusions (dont l’exemple était la fusion Bristol Myers/Squibb) obéissaient à une stratégie d’innovation : il s’agissait de diminuer les coût d’opération des firmes de façon à augmenter la recherche et ainsi assurer l’avenir par un constant enrichissement du « pipe-line » de nouvelles molécules. Les activités de recherche et développement n’étaient pas réduites.
Ceci a changé de manière dramatique dans la dernière décennie. Dans les grandes firmes, les fusions et acquisitions sont impulsées par la recherche d’une rentabilité immédiate (jusqu’à récemment, il fallait présenter 15 % de croissance par an_ comment y parvenir sans fusion !) et d’une augmentation du cours de l’action, et non par l’avenir de la société, et encore moins, la mission de soigner les patients. En conséquence, les fusions s’accompagnent d’un désengagement dans la recherche, activité par excellence non rentable immédiatement, et souvent maintenant la première touchée). L’archétype ici a été Pfizer, avec sa stratégie d’acquisitions démentielles (Warner-Lambert, Pharmacia, Wyeth, Searle…) et la fermeture complètes de centres de recherches qui avaient pourtant fait la preuve de leur capacité par la découverte, par exemple, de l’atorvastatine, de l’amlodipine…ou du Viagra ( Kalamazoo, Ann Harbor, Sandwich… sans compter l’ancien site de recherche de Jouveinal à Fresne !). Ce sont des dizaines de milliers d’emplois scientifiques qui ont disparu !
La recherche thérapeutique en péril
Les fusions financières dans l’industrie pharmaceutique ralentissent mécaniquement la recherche ; pendant la fusion, les programme sont réexaminés, et cette opération complexe, qui prend souvent un an, s’accompagne toujours d’un gel des investissements, des recrutements, et de l’apparition de nouveaux programmes.
L’effet des dernières vagues de fusion a été dévastateur sur l’introduction de nouveaux médicaments et se ressentira bientôt sur la santé des patients. Dans les décennies précédentes, plusieurs firmes en compétition lançaient chacune leur médicament lorsque la recherche avait permis d’ouvrir une voix nouvelle (cf le nombre de statines mises sur le marché après la découverte du rôle de la 3HMG COA réductase) ; et c’était très bien ainsi parce que la pharmacologie et la médecine n’étant pas des sciences aussi exactes que les mathématiques, le rêve de la panacée n’étant qu’un rêve, cela permettait de remédier à certains inconvénients chez certain patients, cela permettait aux médecins de mieux adapter le traitement à leur patient, aux patients d’être mieux soignés. Aujourd’hui, avec la diminution dramatique du nombre de compétiteurs, la santé des patients est en cause.
Les fusions ont été désastreuses pour l’effort de recherche thérapeutique. Longtemps les firmes pharmaceutiques se sont vantées de leur effort de recherche, et en effet, avec des investissements en recherche de l’ordre de 20% de leurs revenus, elles assuraient une mission de recherche à la limite du fondamental. Pour les grandes firmes – Pfizer notamment-, les dépenses de recherches sont aujourd’hui plus proches de 10%. Ainsi, avant la fusion avec Wyeth, Pfizer et Wyeth avaient des dépenses de recherche de 7.95 et 3.37 millards de dollars ; après la fusion, elles ont été réduites à 6.5 milliards, soit une diminution de près de la moitié. Seules des firmes plus petites, moins soumises à la dictature des cours de bourses, gardent un niveau d’investissement en recherche élevé, comme, en France, les firmes familiales Servier et Pierre Fabre.
Les fusions financières sont encore désastreuses pour les patients en raison du désinvestissement massif dans des domaines jugés peu rentables car plus difficiles : maladie d’Alzheimer ou plus généralement neurodégénératives, le diabète – pourtant en explosion-, les anti-infectieux- alors que le nombre de souches résistantes se multiplie et commence à poser de sérieux problèmes.
Les fusions et acquisitions ont été désastreuses en France pour l’emploi scientifique : disparus les centres de recherche de Jouveinal après l‘absorption par Pfizer, d’Upsa, après l’absorption par BMS, de Lafont, après le rachat par Céphalon, de Novexel après le rachat par Astra Zeneca et c’est maintenant l’ancien Fournier ( inventeur du « block-buster fénobrate contre l’athéroscérose) qui est menacé après son rachat par Abbot). Quelques PDG, comme ceux de Merck ou de Lilly vont à contre-courant et ont réaffirmé la pérénité de leur investissement en recherche pour assurer le futur et la croissancede leurs firmes
En ce qui concerne la France , il faut arrêter d’être naïf et s’assurer que l’absorption de firmes françaises par des firmes étrangères n’entraîne pas la disparition de la recherche et la perte d’un capital essentiel de connaissance et d’innovation en France, et ceci n’est pas valable que pour l’industrie pharmaceutique, même si celle-ci a été particulièrement touchée ; au besoin, il faut contraindre les firmes qui ont massivement détruit de l’emploi scientifique à le recréer.
En matière de recherche thérapeutique, il faut que la recherche industrielle soit encouragée et le désinvestissement en recherche sanctionné, notamment par l’action sur le prix des médicaments. Il faut à nouveau rendre l’investissement en recherche attractif, cela peut passer par une extension de la durée de protection des brevets pour tenir compte de la difficulté accrue de la recherche et des exigences de sécurité.
Ref :John La Mattina , Nature reviews drug discovery, vol10 august 2011
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