Note précieuse de l’Académie des Technologies, reference : http://academie-technologies-prod.s3.amazonaws.com/2021/03/10/20/46/10/c568c3dc-9738-4a03-ba45-141e3b75c086/Avis_besoins_energie_2021.pdf
Une
stratégie nationale basse carbone et une PPE irréalistes !
La consommation annuelle d’électricité en France a été d’environ 470 TWh, décarbonée à plus de 90% ; dans le même temps, les consommations de pétrole et de gaz naturel ont été respectivement d’environ 900 TWh et 450 TWh. L’électricité ne représente aujourd’hui que le quart de la consommation d’énergie. Les seules économies d’énergie ne suffiront pas à sortir du pétrole et du gaz naturel : comme le prévoient également l’Allemagne et la Grande-Bretagne, le recours à l’électricité en France devra croître significativement pour se substituer aux consommations de pétrole et de gaz. Diverses estimations récentes sous-estiment cette croissance. Or des anticipations erronées affecteraient la sécurité de notre approvisionnement énergétique et la vie quotidienne des français.
Les
hypothèses de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC - 630 TWh en 2050) sont
trop basses !
Après économies d’énergie (50 % des consommations actuelles selon un objectif ambitieux), et en faisant l’hypothèse d’un potentiel de bioénergies de 425 TWh (jugé optimiste dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie ; les bioénergies représentent actuellement 180 TWh) ; la demande d’électricité (470 TWh actuellement) pourrait aller de 730 TWh à plus de 840 TWh en 2050 si l’on intègre un doublement de la demande d’hydrogène par rapport à son niveau actuel.
La demande d’électricité sera encore plus élevée si la part des renouvelables intermittents est élevée, et celle du nucléaire faible ou nulle. En effet un mix dominé par des énergies intermittentes nécessite un stockage important de méthane ou hydrogène, puis une conversion en électricité (Power-to-Power) ; le médiocre rendement de cette chaîne pèse sur le besoin primaire en électricité
En outre, la sortie du pétrole et du gaz naturel ne se fera pas « TWh pour TWh ». L’électrification d’une partie des usages permet de réduire la consommation d’énergie finale grâce au rendement élevé de certains processus électriques. A contrario, pour d’autres usages, il faudra développer des carburants de synthèse liquides ou gazeux à partir d'hydrogène produit par électrolyse et de gaz carbonique… Or les rendements des processus de production de carburants de synthèse à partir d’électricité ne dépassent que rarement 40 %. Les conséquences du couplage intersectoriel sur la demande totale d’électricité doivent être prises en compte…
Doublement de la consommation d’électricité par rapport à l’actuel : c’est aussi ce qu’estiment l’Allemagne et l’Angleterre !
L’Allemagne anticipe un quasi-doublement de sa consommation annuelle d’électricité en 2050 ; elle atteindrait 1 000 TWh. Selon le Gouvernement britannique, la consommation annuelle d’électricité devrait doubler d’ici 2050.
Commentaire : En 2015, l'Ademe estimait à 400 TWh la demande en électricité en 2050. Deux ans plus tard, elle évoquait une conso à plus de 500 TWh. La SNBC retient désormais 630 TWh. Pour l'Académie des technologies la demande pourrait même monter jusqu'à 850 TWh.
Nous sommes les seuls à anticiper une aussi faible augmentation de la production d’électricité, et c’est là-dessus, sur une PPE et une SNBC irréalistes que nous basons tout le reste, notamment les besoins en nucléaire et en extension de réseau. Ca le fait pas !
Et la conséquence s’impose : il va falloir jeter la PPE à la poubelle et tout refaire!
Le
problème de la pointe et la sécurité du réseau :
Pour dimensionner un système électrique avec une forte proportion d’énergies intermittentes, un autre paramètre essentiel est la puissance appelée à la pointe ; elle a dépassé en France 100 GW en 2012, et elle était de 89 GW dans les conditions climatiques fréquentes de début janvier 2021. On peut admettre qu’une meilleure gestion de la demande grâce notamment à des signaux tarifaires pertinents, une plus grande efficacité des moyens de chauffage et le développement de marchés de capacité permettront de contenir la croissance de la pointe en deçà de la croissance de la demande moyenne ; elle pourrait cependant atteindre, voire dépasser 130 GW d'autant que les pompes à chaleur directes, même si elles permettent une réduction de la consommation, connaissent une chute de rendement aux basses températures.
D’où les recommandations de l’Académie des Technologies sur la prévision de consommation :
- Préparer une forte croissance de la production d’électricité ; La sortie du pétrole et du gaz naturel va nécessiter une croissance de la production d’électricité de 55 % à 85 %.
- La pointe augmentera de plus de 30 %.
- Les hypothèses à long terme concernant les moyens de production et les réseaux doivent prendre des marges pour ne pas risquer de contraindre la disponibilité et le coût de l’énergie
La construction d’hypothèses de coût
“Certaines études récentes projettent une décroissance régulière du coût d'investissement des énergies renouvelables intermittentes. Il est vrai que ces énergies ont connu d'importantes réductions de coûts ces vingt dernières années ; mais des extrapolations à des horizons lointains et sans asymptote sont discutables. En outre les études publiées ne prennent pas généralement pas en compte les coûts induits pour le renforcement des réseaux. »
« Il conviendra d'être particulièrement sensible à l'anticipation du coût des moyens de stockage et de conversion d'énergie (Power-to-Power). Ces moyens sont indispensables pour garantir la fourniture d’électricité (énergie consommée mais aussi puissance appelée) lorsque les énergies intermittentes produisent peu ce qui peut durer plusieurs jours voire semaines consécutives ; les ordres de grandeur des capacités à installer peuvent dépasser 80 GW pour satisfaire les pointes, avec des facteurs de charge très faibles et donc des coûts élevés »
« Les hypothèses de coûts d’un nouveau nucléaire «
ne peuvent se fonder sur le seul coût de réalisation d’unités prototypes comme
les EPR finlandais et français, alors que l’écosystème d’approvisionnement
avait disparu et que l’expérience de conduite de grand projet s’est perdue (pas
de construction pendant quinze ans »
référence
indiquée : OECD NEA - Unlocking Reductions in the Costs of Nuclear: A
Practical Guide for Stakeholders - https://bit.ly/3b1TF1
« Comme le propose RTE de multiples scénarios doivent être investigués ; il ne faudra cependant pas que les décisions soient prises au seul vu de simulations économiques nécessairement très incertaines ; mais il faudra intégrer les risques de dimensionnements insuffisants (sécurité énergétique) ou de réalisations tardives des investissements, qui pèseraient sur la croissance. En outre les défaillances de réseau (pannes) ont un coût direct et immédiat. »
Commentaire : certains se spécialisent dans les hypothèses de coût systématiquement favorables aux ENR et tout autant systématiquement défavorables au nucléaire. Particulièrement visés ici Quirion et al, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3592447
Et finalement les recommandations de l’Académie des
Technologies :
- Anticiper des
évolutions de coût raisonnables et justifiées
- Ne pas prolonger à l’infini les baisses de coût des
énergies renouvelables. Admettre des baisses par apprentissage et effet de
série pour les autres modes de production d’énergie (NB : le nouveau
nucléaire)
- Prendre en compte le coût de la chaîne Power to Power
requise dans les scénarios à forte composantes d’énergie intermittente (forte
capacité, faible utilisation).
- Intégrer dans les décisions les coûts directs, mais
aussi les coûts induits (sécurité d’approvisionnement).
-Prendre en compte l’augmentation du coût du réseau de transport et de distribution (faibles économies d’échelle ; longs délais de réalisation)
Commentaires :
Sur les coûts et l’acceptabilité du réseau : Il faudrait tirer les leçons de l’Energiewende,- les Allemands nous ont déjà précédés sur ce chemin et se sont plantés, et en beauté/. En 2018, ils prévoyaient 52 milliards d’euros, maintenant, ils annoncent 110 milliards d’euros pour 2050. En fait, depuis le début, les estimations ont été multipliées par 5. Et pour l’acceptabilité : L’Allemagne s’est certes hérissée d’éoliennes et elle accueille des milliers de km2 de panneaux solaires. Mais beaucoup ne sont pas reliés au système de distribution, ou pas convenablement, faute que le réseau ait suivi. Sur 3600 km de réseau supplémentaire prévus pour 2015, seuls 17% étaient réalisés en 2019! Or l’ Energiewende complète exigerait 11.000 km…
Sur le stockage : Non seulement on est très loin de prévoir quelque coût que ce soit, mais même la faisabilité technique…on est loin d’une approche réaliste. Ainsi la batterie géante de Tesla en Australie occupe un hectare pour stocker… 8 min de fonctionnement d’une centrale nucléaire typique de 1 000 MW.
cf https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/08/le-stockage-de-lelectricite-realites-et.html
Sécurité du réseau et situation de court terme (2020-2030). Urgence de décider pour le nucléaire
Comme France Stratégie, l’Académie des Technologies s’inquiète de la baisse de la production pilotable en Europe et recommande :
- d’anticiper le déclassement rapproché d’unités de production européennes
- d’évaluer finement les conséquences du déclassement
d’unités de production charbon, lignite ou gaz de pays limitrophes.
-d’actualiser le potentiel d’importation lors des pointes
de demande française au regard de la capacité des lignes et de l’offre
européenne.
-d’ accélérer le développement des marchés de capacités,
et la gestion de la demande
Commentaire : France Stratégie - Quelle sécurité d’approvisionnement électrique en Europe à horizon 2030 ? Étienne Beeker avec la participation de Marie Dégremont – janvier 2021 ; https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/02/note-de-france-strategie-quelle.html
Quelques certitudes sur l’avenir : des décisions urgentes à prendre !
1) Il n’y aura pas d’industrie française des moyens de production d’énergie sans une vision claire et stable du futur. Actuellement, la valeur ajoutée des équipements solaires et éoliens ainsi que des batteries est pour l’essentiel importée.
2) un très fort renforcement du réseau électrique sera nécessaire pour permettre l'acheminement d’une puissance électrique fortement augmentée, depuis des sites éloignés du réseau actuel (éolien en mer) et/ou très diffus (énergie solaire, alimentation d’électrolyseurs pour la production d’hydrogène ou la charge rapide des véhicules électriques, etc.); l'expérience montre de sérieuses réticences des territoires concernés par la réalisation de nouvelles lignes électriques haute, moyenne ou basse tension.
3) le développement envisagé des énergies intermittentes va requérir des moyens de stockage ; il faut rapidement prendre une option sur les technologies requises qui comprendront certainement des batteries, mais aussi probablement du stockage sous forme de molécules gazeuses (H2 ou méthane). Une chaîne de stockage passant par le méthane (méthanation) présente l'important bénéfice d'utiliser des installations existantes, mais elle est pénalisée par un rendement plus faible qu’une chaîne H2.
4) Il faut décider la place future de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique au regard des coûts, des risques et des bénéfices. Elle peut garantir une continuité de fourniture d’électricité décarbonée et pilotable. Elle permet donc de fortement réduire les quantités d’énergies à stocker pour faire face à la variabilité des énergies intermittentes, mais aussi de réduire les coûts de renforcement et d’extension du réseau ; et elle contribue de manière très significative à la stabilité du système électrique. Attendre n’est pas une option, compte tenu de l’inéluctable disparition des compétences et de l’outil industriel nucléaire en l’absence de projets nouveaux.
Compte-tenu des constantes de temps, il faut préciser sans attendre des choix raisonnés pour la transition énergétique !
Recommandations : décisions rapides nécessaires !
- Décider des grands choix technologiques (notamment nucléaire et stockage intersaisonnier d’énergie).
- Bâtir une politique industrielle associée à la transition énergétique.
- Anticiper l’extension du réseau électrique haute tension et le renforcement des réseaux électriques basse, moyenne et haute tension.
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