Croissance et lutte
contre le réchauffement climatique : pas incompatibles !
En 2006, Lord Stern, ancien
économiste en chef de la Banque Mondiale publia un document sur les
conséquences économiques du changement climatique qui fit date. Le premier
rapport Stern estimait que, faute d’agir efficacement contre le réchauffement climatique,
le PIB mondial risquait de s’effondrer de 20% d’ici à 2050. Le rapport Stern de 2014 affirme que les « impacts
de la transition énergétique ont jusqu’à présent été surestimés, comme ont
été minimisés les bénéfices » et que
« lutte contre le changement climatique et croissance peuvent aller
de pair » . Recettes recommandées par le Pr Stern pour réduire les
gaz à effets de serre, limiter le réchauffement climatique à deux degrés sans crise dans les pays prospères, ni hypothéquer
le développement des moins développés :
1) La productivité de l’agriculture
sera critique pour assurer l’alimentation d’une population prévue pour
atteindre 8 milliards en 2030. La production de nourriture peut être accrue,
les forêts protégées, les émissions abaissées par la simple restauration des
terres dégradées (qui pourrait nourrir 200 millions d’habitants) et de nouvelles
technologies (voir ci-après)
2) Oeuvrer à La fin du charbon
comme source d’énergie et pour le développement du solaire et de l’éolien et d’autres
énergies non carbonées pour la production d’électricité
3) La fin de toute subvention des
énergies carbonées (dont le rapport précise qu’elles représentent encore 600
milliards de dollars contre 100 milliards de dollars d’aide aux énergies
nouvelles)
4) Intégrer les préoccupations du
réchauffement climatique dans tous les processus de décision politique
5) Un accord international sur le
climat fort, durable, équitable, susceptible de créer un climat de confiance
pour des politiques nationales
6) Un prix des énergies carbonées
élevé, fixe, prédictible qui envoie un signal clair à l’économie
7) Réduire le coût de financement
des énergies non carbonées, avec le développement d’instruments financiers
nouveaux pour les énergies nouvelles diminuant les risques perçus (risk
sharing, obligations vertes…) et financements étatiques
8) Construire des économies d’échelle
pour les énergies non carbonées et compatibles avec la lutte contre le
réchauffement climatique
9) Des villes plus compactes,
plus connectées, plus denses, avec un développement massif des transports
publics.
10) Stopper la déforestation et
la destruction des forêts naturelles complètement en 2030, restaurer 500 millions
d’hectare de forêts ou terres agricoles dégradées.
Ajoutons une onzième recommandation :
tripler les efforts de recherche développement consacrés à l’énergie et au
climat dans les économies développées pour atteindre plus de cent milliards par
an dans les années 2020.
De quelques cachoteries
J’aurais aimé trouver le rapport Stern convaincant, et la bonne
nouvelle est le soin avec lequel il entreprend de démontrer que croissance
économique et lutte contre le réchauffement climatique sont compatibles. Le
seul problème est qu’il est un rapport
exclusivement économique qui ignore superbement les défis scientifiques bien
réels, un rapport hypocrite dans sa volonté de masquer certaines conséquences,
un rapport très lié au contexte (et aux intérêts) anglo-saxons. Exemples :
En ce qui concerne la
densification urbaine, particulièrement intéressante est la comparaison entre Atlanta (5.25 millions d’habitants
répartis sur 4300 km2) et Barcelone (5.3 millions d’habitants sur 162 km2). En
fait la politique urbaine proposée par le rapport Stern vise surtout l’étalement
des conurbations américaines… pour se rapprocher des métropoles européennes. En
cette matière, l’Europe est déjà en ligne
avec ce que préconise le rapport, et a donc peu de marges de manœuvre.
En ce qui concerne la
productivité agricole, le rapport Stern souligne la réhabilitation en Chine des
plateaux de loess par des plantations d’arbres, ainsi que celle du Maradi et du
Zinder au Niger, mais insiste aussi sur le « scuba rice », une
nouvelle sorte de riz qui supporte d’être submergé, a été introduit en Inde en 2008 et adopté avec
succès par plus de 5 millions de cultivateurs. Donc, la nécessaire augmentation
de la productivité agricole passe par l’invention de nouveaux OGM… mais chut !,
le terme lui-même est hypocritement évité.
Grande perplexité lorsque le rapport
considère le gaz comme un très bon pont intermédiaire vers les énergies décarbonées…parce
qu’il peut remplacer le charbon, toute en réduisant le CO2 émis et la pollution
locale. Autant le dire,- mais il ne le dit pas ouvertement -, le rapport Stern est en faveur des gaz de
schistes. Par contre, il ne mentionne absolument pas la seule énergie
complètement décarbonée qui permette réellement la transition énergétique vers
les énergies renouvelables (- solaire essentiellement -) tout en permettant
croissance et progrès, le nucléaire. Curieuse, cette propension à défendre les
solutions qui conviennent aux USA, et à ne dire mot des solutions qui assurent
une bonne compétitivité à la France. La
Chine, qui fonce à toute vapeur - de charbon- vers le nucléaire
et le Japon, qui, malgré Fukushima, s’apprête à relancer son nucléaire ne s’ y
trompent pas ; ni Ségolène Royal qui a réaffirmé l’utilité du nucléaire
français pour la transition énergétique.
Tripler les efforts de recherche
développement pour les énergies renouvelables ? Fort bien, mais l’Europe a
été incapable, et a d’ailleurs renoncé à atteindre le taux de 3% du PIB en
recherche développement que préconisait l’agenda de Lisbonne pour l’ « Europe
de la Connaissance »
Nous déterminons notre futur !
Le rapport Stern est beaucoup plus convaincant
sur le thème du développement de « l’Economie circulaire ». Au lieu
du circuit linéaire allant de l’extraction des ressources primaires aux
déchets, en passant par le produit, il s’agit en fait de systématiser le
recyclage. Le rapport cite l’exemple de Cat Reman, la filiale de recyclage de
Caterpillar qui emploie 8000 salariés dans 15 pays et est bénéfique pour l’environnement
et… source d’importants profits pour Caterpillar,
en réutilisant tout ce qui peut l’être et valorisant au mieux le reste, proposant
à ses clients des matériels recyclés pour une fraction du prix originel.
Oui le rapport Stern a raison de
souligner que les investissements que nous ferons ou ne ferons pas dans les
quinze ans à venir détermineront le climat mondial futur ; que si nous ne
faisons rien, les catastrophes climatiques nous imposeront un coût bien
supérieur aux investissements que nous n’aurions pas voulu faire. De toute
façon, le coût humain et sociétal du réchauffement climatique et l’épuisement
des ressources ne nous laisse guère de choix : nous devons préparer l’économie
décarbonée, et ce défi devrait être déjà l’un des sujets majeurs de
préoccupation et d’action des gouvernements. Vive donc les ministères du
développement durable, et c’est une bonne idée que de les confier, comme en France,
à des hommes ou femmes politiques d’envergure.
Reste que les lobbies de tous acabits
seront à la manœuvre, et que cette politique, qui sera d’abord coûteuse, doit
être menée sur des bases scientifiques et économiques solides ; et que la politique
la mieux adaptée n’est pas nécessairement la même dans toutes les zones
géographiques. Il serait quand même bon
que nous ayons, en France et en Europe, des Etats généraux de l‘énergie, au cours
desquels les experts scientifiques s’accorderaient sur différents scénarios et
sur les priorités à mettre en œuvre, informeraient le public sur les
conséquences et les enjeux et permettaient aux décideurs, en toute transparence,
de mettre en œuvre la meilleurs transition possible.
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