Une
étude critique des défis de la transition énergétique allemande, à partir de
données et de critiques d’organismes allemands …et des leçons à en tirer pour
la France. Extraits et commentaires :
auteur : Hartmut Lauer, Ingénieur diplômé et Docteur – Ingénieur (Université technique de Hanovre). A travaillé plus de 35 ans dans le secteur de l´électricité en France et en Allemagne. Ancien dirigent d´un grand énergéticien allemand, il a également été membre des comités consultatifs et techniques dans plusieurs entreprises spécialisées dans le domaine de l´énergie.
Les
contraintes techniques d’une forte pénétration des renouvelables
1) Le forte
proportion et la très grande variabilité des énergies intermittentes menacent
la stabilité du réseau allemand et européen
« Le gouvernement allemand s´est fixé comme
objectif d´ici 2030 d´atteindre une part de 30% des énergies renouvelables dans
la consommation énergétique finale et de 65% dans la consommation brute
d´électricité. La priorité est donnée au développement des énergies éolienne et
photovoltaïque intermittentes. »
« Bien que les résultats lissés sur l´année des
énergies renouvelables intermittentes soient remarquables, c´est l´instant qui
compte pour sécuriser l´approvisionnement en électricité et non pas la
production lissée sur une période donnée. »
« La capacité nette installée des énergies
renouvelables intermittentes (éolien et photovoltaïque) représente environ la
moitié de la capacité totale installée en Allemagne fin 2019. Cependant, éolien
et photovoltaïque ont produit moins de 30% du courant en 2019, ce qui correspond à un facteur de charge
d´environ 18% » (A titre de comparaison, le nucléaire allemand, qui
représente avec 9,5 GW environ 4,7% de la capacité installée en 2019, a produit
12,4% du courant (75,1 TWh). Cela correspond à un facteur de charge moyen de
plus de 90%)
« La
production très variable des énergies renouvelables intermittentes menace la
stabilité du système électrique. Compte tenu des moyens de stockage très
limités, les gestionnaires de réseau doivent en effet maîtriser en permanence
l´équilibre du système électrique en s´appuyant notamment sur la flexibilité du
système électrique, ce qui oblige à recourir régulièrement à un management du
réseau accru. Depuis 2015, ces mesures
de stabilisation du réseau ont gagné en importance et les coûts induits sont
devenus significatifs, dépassant un milliard d´Euros par an. »
« Un
autre défi des énergies renouvelables intermittentes est la répétition
régulière des périodes de faible production.
L´expression courante, « Il y a
toujours du vent quelque part » ne correspond pas à la réalité. L’Europe
occidentale se comporte souvent comme une zone venteuse assez homogène, dominée
par l’influence des grands courants océaniques ou continentaux. Le foisonnement de l´éolien au niveau
européen se révèle donc peu efficace et le foisonnement solaire est lui-même
limité parce que l´Ouest européen ne couvre que 1,5 fuseau horaire. Les
énergies renouvelables intermittentes ne peuvent à elles seules assurer la
sécurité d´approvisionnement. »
« Trois scenarios sont possibles et se produisent effectivement : Production
aléatoire soumise à une forte variation qui peut excéder la valeur de
consommation maximale ; Chute brutale de la production sur une courte
période ; Longues périodes de
production quasiment nulle ; »
Dans la semaine du 19 janvier au 26 janvier 2019, la
production d’électricité à base d´énergies renouvelables a été particulièrement
faible pendant 6 jours. La majeure partie de l’électricité a été fournie par
des centrales conventionnelles.
Les trois scenarios ne sont pas une fiction
théorique, ils sont bien réels. L´association européenne des producteurs
d’électricité et de chaleur VGB PowerTech e.V. a publié deux études sur la
performance des éoliennes en Allemagne et en Europe (VGB 2017b, 2018, 2017a). Le résultat des études sur la fréquence des
épisodes de production quasi nulle d´éolien et de solaire montre entre 2010 et
2016 environ 160 épisodes de 5 jours avec une production éolienne inférieure à
5 GW et pour chaque année un épisode de 10 à 14 jours de vents faibles.
En pointe,
le Photovoltaïque c’est zéro, l’éolien 1% !
Ce n’est donc pas sans raison que les GRT utilisent
dans leurs bilans prévisionnels de l’équilibre offre-demande (GRT 2019a) une
approche déterministe conservative, en
accordant au photovoltaïque une
disponibilité de 0% et 1% à l´éolien dans la gestion des périodes de pointe
pouvant atteindre une demande de ~ 82 GW.A noter toutefois que le bilan
prévisionnel des GRT est une démarche théorique et suppose la simultanéité
d’événements relativement improbables comme une situation de pointe combinée
avec une production extrêmement faible d’énergies renouvelables, et ne tient
pas compte des importations possibles dans une situation difficile.
Dans ses bilans prévisionnels annuels, RTE utilise une approche probabiliste moins
conservative et considère que la puissance minimale garantie des éoliennes
terrestres a 90% de chances d’être supérieure à 10 % de la puissance installée
(Sapy 2018). »
Même l´approche plus optimiste de RTE ne change pas
substantiellement la conclusion que l´éolien
et le photovoltaïque contribuent très peu à la production en situation de
pointe lors des vagues de froid et des conditions météorologiques peu
favorables. De plus il ne s´agit pas d´un événement exceptionnel mais d´une
situation qui se répète régulièrement. »
Rôle des
interconnexions pour les échanges d´énergies renouvelables intermittentes- le
mythe du foisonnement
Selon l´UE,
les interconnexions peuvent faciliter les échanges d’électricité entre
États membres et, partant, réduire la congestion et rendre les énergies
renouvelables plus rentables dans certaines régions. Avec un objectif de 10 %
de la capacité installée de production d’électricité d’ici à 2020 et de 15 %
d’ici à 2030, les interconnexions permettront non seulement de faciliter les
échanges d’électricité et d’améliorer les signaux transmis par les prix, mais
aussi de renforcer la sécurité de l’approvisionnement et de garantir une
approche européenne de l’électricité d’origine renouvelable.
Selon une étude française de 2014 (Flocard et al.
2014) « … le foisonnement de l’éolien au
niveau européen se révèle peu efficace. L’Europe de l’Ouest se comporte souvent
comme une zone venteuse assez homogène, dominée par l’influence des grands
courants océaniques ou continentaux. La similitude entre les productions
horaires est grande. . » …. » ..Le foisonnement solaire est lui-même limité
parce que l’Ouest européen ne couvre que 1,5 fuseau horaire… « .
VGB Power Tech a démontré (VGB 2018) que la production éolienne dans 18 pays
européens correspond en moyenne à 24% de la puissance installée (170 GW en
2017) et peut temporairement baisser à 4% – 5% (6 – 8 GW). Pour le transport et
la distribution du lieu de production au consommateur il faut en plus tenir
compte des pertes de réseau d´environ 7% à l´intérieur de chaque pays. Cela
veut dire que le foisonnement, déjà assez limité, se réduit d’autant plus avec
l’éloignement.
Les
ingénieurs du VGB concluent que l’éolien et le photovoltaïque ne seront pas en
mesure d´assurer à eux seuls la sécurité d´approvisionnement en Europe
occidentale.
Compte tenu du stockage d’électricité de masse, encore largement hors de
portée, techniquement comme économiquement, il faut maintenir une importante
capacité de centrales conventionnelles hautement flexibles en backup.
Modernisation
du réseau électrique : échec et mat !
Sur 3600 km
de réseau supplémentaire prévus en 2015, seuls 17% étaient réalisés en 2019!
Un approvisionnement d´électricité basé sur des sources d’énergies renouvelables
recèle de nouveaux défis pour les réseaux. Dorénavant, une grande partie de
l’électricité sera injectée de manière décentralisée dans les réseaux
électriques et transportée en partie sur de longues distances. On observe en
effet l’accroissement d´un déséquilibre dans la production d’électricité en
Allemagne. Tandis que la production dans le nord et l’est du pays équivaut
pratiquement au double de la demande, il y a un déficit dans le sud et
l’ouest où entre un quart et la moitié
de la consommation annuelle d’électricité doit être assurée par des
importations depuis d’autres régions.
L’électricité éolienne produite dans le nord doit être amenée à des centres de consommation électrique dans le sud et dans l’ouest de l’Allemagne. Par conséquent, le développement des grands réseaux de transport suprarégionaux et des réseaux de distribution locaux est une tâche essentielle.
L’électricité éolienne produite dans le nord doit être amenée à des centres de consommation électrique dans le sud et dans l’ouest de l’Allemagne. Par conséquent, le développement des grands réseaux de transport suprarégionaux et des réseaux de distribution locaux est une tâche essentielle.
C’est pourquoi 65 projets d’extension du réseau THT
(très haute tension), pour un total de 7656 km, ont été décidés en 3 tranches :
1655 km en 2009, 2494 km en 2013 et 3507 km en 2015 (BNetzA 3, 2019b). L´épine
dorsale est constituée par plusieurs tracés nord – sud en courant continu d´une
longueur totale d´environ 2100 km.
Or la construction des lignes est lente. Outre les
contraintes administratives, l’installation de nouvelles lignes se heurte aux
refus des riverains et des associations de protection de la nature. Les
autorités ont pris la décision de la mise en souterrain du réseau électrique pour
une grande partie, sans parvenir à calmer toutes les résistances. Environ 17 % (1278 km) étaient réalisés fin
2019.
Une nouvelle loi (BMWi 2018c), approuvée en avril
2019 par le parlement, prévoit d’accélérer la procédure d’autorisation des
lignes électriques. De plus, le gouvernement fédéral et les Länder se sont mis
d´accord en mai 2019 sur un planning précis de mise en œuvre. Mais, en l’état actuel des choses, les lignes à courant
continu ne seront pas opérationnelles avant 2025/2026. La situation devrait
donc s´améliorer après 2025…
Or l’ Energiewende
complète exigerait 11.000 km…
Sauf que suite au nouvel objectif d´une part de 65% d´énergies renouvelables à
la consommation d´électricité d´ici 2030, les besoins d’extension des réseaux
électriques de transport sont plus importants. Il faut ajouter environ 3600 km
de lignes THT aux projets actuels dont la plupart seront des renforcements de
lignes existantes. Le besoin passera
donc à plus de 11200 km. Entre autres des nouvelles lignes à haute tension
en courant continu doivent être construites d’ici 2030 entre le
Schleswig-Holstein, la Basse-Saxe et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, notamment
pour transporter le courant produit par les éoliennes en mer du nord vers les
centres de consommation plus au sud
En fait : « La très lente modernisation du réseau électrique qui ne suit pas le
rythme du développement des énergies renouvelables. En attendant, le
système européen est mis à contribution. Des flux appelés « loop flows » traversent les pays limitrophes pour acheminer du
courant du nord au sud de l´Allemagne, perturbant les réseaux des pays voisins
parfois fragiles. »
Sécurité
d´approvisionnement : tant que le Parc allemand est doublement redondant,
ça va , ùais quid avec la sortie du nucléaire en 2022 et du charbon en
2038 ?
« La poursuite de l’expansion des énergies
renouvelables intermittentes, prioritaires sur le réseau, se révèle malgré tout
exigeante pour le système électrique. La compensation des variations de la
production éolienne et photovoltaïque demande une flexibilité accrue du système
électrique, actuellement assurée par le recours au pilotage de la consommation
(demande-site-management), l´écrêtement de la production des énergies
renouvelables intermittentes et une importante capacité de centrales
conventionnelles à réaction rapide en backup. Et ceci en tenant compte de la
qualité de l’alimentation (respect de la tension et de la fréquence).
C´est pourquoi
l’Allemagne a conservé jusqu´à maintenant un parc conventionnel confortable
pouvant à lui seul faire face à une situation de pointe d´environ 82 GW. Il
s´agit donc d´une vraie redondance pour suppléer aux énergies renouvelables
intermittentes lors des périodes de faible production.
L’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire d´ici
2022. A cela s’ajoute la sortie progressive des centrales à charbon et à
lignite à l´horizon de 2038. Au cours de cette transformation, des défis
majeurs se manifesteront pour le maintien de la sécurité d’approvisionnement en
Allemagne et en Europe…
« Le
stockage d´énergie ne remplit pas encore les conditions techniques et
économiques requises pour être utilisé à grande échelle et ainsi pouvoir
répondre aux besoins physiques du système. Le développement de l’infrastructure de
stockage d´énergie nécessaire pour une production « 100% d’énergie renouvelable
» n’est pas une question d’années, mais de décennies. À très long terme, il
faudrait encore des centrales conventionnelles pilotables pour compenser les
fluctuations de la production des éoliennes et du solaire et assurer les services système. »
Les ingénieurs du VGB Power Tech ont calculé qu´il
faudrait, en supprimant le parc conventionnel en support, une capacité de stockage
de l´ordre de 21 TWh pour assurer
l´approvisionnement lors d´un épisode de 2 semaines de vents faibles en hiver.La
capacité de stockage actuellement disponible est de 0,04 TWh.. (soit 0/2%...)
Les
contraintes économiques d’une forte pénétration des renouvelables
La loi sur les énergies renouvelables, entrée en
vigueur en 2000, est le moteur du développement des renouvelables. Cette loi a prévu la garantie d´un tarif de
rachat sur 20 ans et l´obligation pour le gestionnaire de réseau d’acheter en priorité
cette électricité.Les conditions très avantageuses des tarifs de rachat garanti
ont attiré des investissements considérables, conduisant au développement massif des énergies renouvelables et à des
coûts importants pour le consommateur. La hausse des épisodes avec des prix
négatifs au marché spot, avec une part d´énergie renouvelable croissante,
contribue également à l´augmentation des coûts.
Le prix du kWh payé par le ménage allemand est parmi
les plus élevés d’Europe. La fiscalité représente plus de la moitié du prix du
kWh. La majeure partie de la fiscalité est constituée par les charges de
soutien aux énergies renouvelables qui ont pour le ménage allemand plus que
triplé depuis 2010. Leurs coûts totaux annuels ont dépassé les 24 milliards
d´Euros.
Cette loi EEG a été fortement critiquée : « Concernant l´adaptation régulière de la loi sur les énergies renouvelables électriques, on peut reprocher au gouvernement allemand cette navigation à vue et la prise de décision tardive pour stopper la hausse des coûts de soutien aux énergies renouvelables…. La Commission d’experts sur la recherche et l’innovation mise en place par le gouvernement fédéral se montre encore plus critique vis-à-vis du rôle joué par la loi « EEG ». Selon son rapport 2014 (EFI 2014) « … la loi sur les énergies renouvelables ne contribue pas à la protection du climat, mais la rend plus onéreuse et ne montre aucun impact mesurable sur l’innovation. De ce fait, il n’existe aucune justification pour un maintien de ce dispositif de soutien aux énergies renouvelables… ».
Donc, fin des prix garantis : « Selon le
Ministre Fédéral de l´Économie et de l´Énergie, les nombreuses révisions de la
loi sur les énergies renouvelables (EEG) et notamment la mise en place des appels d´offres depuis 2017 ont
contribué à limiter la tendance haussière des charges de soutien. Les
tarifs d’achat étant valables vingt ans, les premiers contrats d´éolien
terrestre et de photovoltaïque arriveront à échéance fin 2020, ce qui à partir
de cette date, chaque année, «sortira » du soutien les anciennes installations,
les plus coûteuses.
« Cependant, à court terme, la situation
pourrait se dégrader suite la crise sanitaire liée au Coronavirus. La baisse du
prix sur le marché de gros à cause de la baisse de la consommation pourrait
augmenter mécaniquement la charge de
soutien de 25% à plus de 84,5 €/MWh en 2021 selon une récente étude (EWI
2020), même si l’on inclut les mesures de limitation déjà prévues dans le
paquet sur la protection du climat… »
Il n’y a pas qu’en France où les margoulins de
l’éolien ont aussi été des profiteurs du Covid ! (cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/04/les-enr-renouvelables-electriques-le.html)
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