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mercredi 31 janvier 2024

Quelles perspectives énergétiques pour la biomasse ?

 Rapport du Comité de prospective en énergie de l’Académie des sciences - Janvier2024 (https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/180124_Biomasse.pdf)

1)     Résumé  exécutif : surestimation du potentiel, sous-estimation des difficultés et des inconvénients

Les utilisations actuelles de la biomasse en France sont évaluées et comparées aux perspectives envisagées à l’horizon 2050 au regard du potentiel réellement mobilisable, pour lequel il existe une grande variation dans les estimations proposées, et des technologies nécessaires à sa transformation, qui restent, pour la plupart, coûteuses et de faible maturité. Ainsi, cette analyse montre notamment que le besoin d’énergie non-électrique, tel qu’il est défini dans le scénario de référence fourni par Réseau de transport d’électricité (RTE), sera difficile – pour ne pas dire impossible - à atteindre avec la seule biomasse produite en France : le bouclage énergétique 2050 passera nécessairement par un maintien d’importations de gaz naturel et par de nouvelles importations de biomasse et/ou de bioénergie introduisant des dépendances nouvelles et exportant les risques associés à leur utilisation massive.

Le rapport rappelle que la bioénergie reste l’énergie la moins favorable en termes d’empreinte spatiale et que la biomasse a, sur toute la chaîne des valeurs, un faible retour énergétique. Sa plus grande mobilisation, qui ne devra pas se faire au détriment de la sécurité alimentaire humaine et animale, ni au détriment des éco-services rendus par la biosphère, aura des impacts environnementaux certains qu’il faudrait estimer avec rigueur. Enfin, le remplacement de la pétrochimie industrielle par une nouvelle « carbochimie biosourcée » va nécessiter des efforts considérables d’adaptation des procédés et de recherche et développement dans le domaine de la catalyse, de la chimie de synthèse et des biotechnologies.

Ces conclusions conduisent le CPE à formuler des recommandations concernant :

1.La nécessaire amélioration de la concertation entre les divers organismes et agences pour aboutir à une estimation rigoureuse et convergente des ressources potentielles,

2.La réalisation de bilans carbone des diverses filières et d’analyses en termes de retour énergétique des investissements envisagés, pour s’assurer de la soutenabilité et du gain en carbone qui ne sont pas acquis pour le moment,

3.Le soutien au déploiement de la recherche et développement des filières de biocarburants de seconde génération pour accroitre leur maturité industrielle,

4.La poursuite du développement d’une chimie organique de synthèse biosourcée,

5.La priorité à établir dans l’utilisation de la biomasse pour les usages qui ne pourront être décarbonés par l’électricité, passant par une politique publique permettant de résoudre les conflits d’usages,

6.La nécessité de concertation des politiques énergétique et agroalimentaire de notre pays.

2) 450 TWh en 2050, dont 250 TWh pour la biomasse agricole, ça va pas le faire !

Rappel des scenarios RTE : comme RTE en convient aujourd’hui , trois grandes tendances apparaissent dans ce scénario à l’horizon 2050

1.Une diminution de la consommation d’énergie finale (de 1600 TWh5 aujourd’hui à 1100 TWh) dont l’ampleur, discutable, ne sera pas traitée ici ;

2.Une augmentation très importante, mais probablement insuffisante, de la consommation finale d’électricité (de l’ordre de 600-650 TWh dans le scénario de référence) faisant passer la part de l’électricité dans la consommation d’énergie de 25% aujourd’hui à plus de 55% ;

3.En conséquence, une diminution drastique de la part non-électrique de la consommation, qui atteindrait au moins 450 TWh, et une substitution totale des énergies fossiles par des EnR, essentiellement carbonées, sous les états solide, liquide ou gazeux.

La SNBC, par exemple, prévoit un potentiel énergétique en biomasse atteignant 450 TWh en 2050, dont 250 TWh pour la biomasse agricole (soit 5 fois plus qu’aujourd’hui, où elle équivaut à 45 TWh), 100TWh pour la biomasse forestière (comme aujourd’hui) et 100 TWh pour les déchets (soit 7 fois plus qu’aujourd’hui). Ces biomasses sont transformées pour les besoins de l’industrie, du transport et du bâtiment en 160 TWh de biogaz, 110 TWh de combustible solide (bois essentiellement) et 100 TWh de biocarburants liquides. Des valeurs comparables ont été fournies par l’ADEME

Si le poids de la biomasse forestière dans la SNBC est conforme aux attentes, le niveau des disponibilités en biomasse agricole et en déchets semble peu raisonnable, comme l’a conclu, pour la biomasse agricole, une étude de France Stratégie parue en 2021. Ce rapport établit, avec l’hypothèse d’un scénario dans lequel les pratiques agricoles restent proches des pratiques existantes, un potentiel supplémentaire de 82 TWh (64 TWh méthanisable et 18 TWh non méthanisable) qui donne au maximum un potentiel total de 130 TWh, soit pratiquement la moitié des estimations de la SNBC.

Avec 124 TWh supplémentaires de biomasse agricole qui s’ajoutent à 45 TWh utilisés actuellement, le potentiel total maximal ne dépasse néanmoins pas 170 TWh, très en dessous des 250 TWh estimés par la SNBC


Le bois énergie : Une analyse récente menée par France-Stratégie montre que l’évaluation des disponibilités en bois-énergie est extrêmement difficile à établir… L’objectif de la version 2020 de la PPE de 160 TWh de chaleur à partir du bois en 2028 (110 TWh aujourd’hui), apparaît irréaliste.

Le gaz :   Dans le rapport ADEME/GRDF/GRTgaz de 2018, le potentiel total de ressources primaires renouvelables pour la production de gaz renouvelable est estimé à 620 TWh, qui se traduit en 460 TWh effectivement consommables et injectables dans le réseau.

Ces 620 TWh sont répartis de la façon suivante : 390 TWh de biomasse (230 TWh du bois et de ses dérivés, 130 TWh de l’agriculture, 15 TWh de déchets industriels et alimentaires et biodéchets, 15 TWh d’algues), 205 TWh d’électricité pour la production de e-méthane, 25 TWh d’énergies de récupération. Le gaz utilisable proviendrait pour 30% de la méthanisation (jusqu’à 140 TWh), pour 40% de la pyrogazéification (jusqu’à 180TWh) et pour 30% de la stratégie power-to-gas (140 TWh). La valeur de 460 TWh de gaz renouvelable consommable est très supérieure aux 200 TWh, déjà critiquables, de la SNBC et semble peu réaliste.

Notons, par ailleurs, que le chiffre de 205 TWh d’électricité pour la production de emethane  est colossal puisqu’il correspondrait à environ une trentaine de réacteurs nucléaires de 0,9 GW, ou une vingtaine de réacteurs EPR de 1600 GW, pour la seule production de e-méthane. Aussi, l’affirmation selon laquelle 205 TWh d’électricité produirait 140 TWh d’e-méthane est inexacte : en réalité, c’est au mieux 50 à 70 TWh d’e-méthane qui pourraient être produits


3)     Quelques données physiques

3a) L’EROI de la biomasse n’est pas très bon.

3b) Le contenu énergétique de la biomasse n’est pas très bon

La biomasse est une ressource pauvre en atomes d’hydrogène (H), ce qui en fait un mauvais candidat pour la production d’ H2,et riche en oxygène, ce qui réduit sa densité énergétique massique. Elle peut  être représentée par une molécule moyenne de formule  C6H9O4, doté d’un rapport H/C de 1.5, mais comportant, en masse, 50% de carbone (C), 6% d’H,44% d’oxygène (O).


3c) densité d’énergie surfacique

Le premier inconvénient réside dans la faible densité d’énergie surfacique, étroitement liée au faible rendement de la photosynthèse naturelle. Ainsi, si la production de bioénergies devait être appelée à se développer massivement, cela nécessiterait une utilisation massive, probablement difficilement acceptable par nos sociétés, de la surface terrestre pour la production de biomasse dédiée. Pour donner un ordre de grandeur, si l’objectif était donné de remplacer le pétrole par des biocarburants pour alimenter la moitié du parc automobile (~30 millions de véhicules au total), en faisant l’hypothèse que la moitié de ce parc resterait thermique et l’autre moitié serait électrique, il faudrait y dédier 25% de la SAU ( Surface Agricole Utilisable) ce qui est évidemment inacceptable.



Attention : échelle logarithmique, ce qui signifie en gros , à égalité de puissance, que la biomasse exige 10.000 fois plus d’espace que le nucléaire et 5.000 fois plus que le gaz.

4)  Recommandations finales :

Poursuivre l’estimation précise des ressources, avec une analyse détaillée des différentes biomasses,

Évaluer rigoureusement, ce qui est encore très insuffisamment le cas, le bilan carbone de chacune des filières ainsi que leurs retours énergétiques sur investissement

Déterminer les limites d’utilisation de la biomasse en termes de surface disponible dédiée à la production d’énergie, sachant que cette source d’énergie possède la plus faible densité énergétique (environ 0,001 TWh/km2) et que la production des bioénergies ne devrait pas se faire aux dépens de la production alimentaire ou des éco-services assurés par la biosphère.

Limiter, d’une manière générale, la production/consommation de carburants de première génération, qui restent associés à de faibles retours énergétiques sur investissement. En conséquence, poursuivre les efforts en R&D dans le domaine des biocarburants de seconde génération, ou biocarburants avancés, encore loin de la maturité industrielle.

Soutenir la recherche et le développement visant à améliorer les procédés de conversion de la biomasse encore insuffisamment matures comme la pyrogazéification (qui a l’avantage de traiter des sources lignocellulosiques souvent difficiles à convertir),

Développer une nouvelle chimie organique de synthèse à partir de précurseurs/substrats issus de la biomasse, une « carbochimie biosourcée », par des efforts accrus en recherche fondamentale, technologique et industrielle

En raison des nombreux conflits d’usage et des limites objectives des gisements de biomasse (il n’y en aura pas assez pour tous les usages), établir un ordre de priorité pour son utilisation. Cette liste devrait comporter les usages qui ne pourront pas être décarbonés par l’électricité, comme une partie de la production de chaleur à haute température dans l’industrie, l’approvisionnement des réseaux de chaleur, la mobilité lourde (maritime et aérienne), la production de composés organiques à haute valeur ajoutée, aujourd’hui principalement issus de la pétrochimie.

5) Remarques 

La première partie du Cours de Marc Fontecave au Collège de France début 2024 était consacrée à la biomasse.  

Il en ressort que les estimations de la SNBC et de l’Ademe manquent de sérieux, que chaque fois qu’il faut une énergie non électrique pour décarboner,  la tendance est de considérer que la biomasse le fera, et cela non plus n’est pas très sérieux, que les mêmes intrants sont comptés plusieurs fois (déchets végétaux et lisier pour amender les sols et produire de  l’énergie, fourrage pour nourrir et pourla biomasse), que certains contradictions sont assez cocasses (diminuer l’élevage mais disposer de plus de lisier, augmenter la biomasse mais restreindre la consommation d’eau, augmenter les cultures de couvertures mais sans glyphosate) 

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