Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



Rechercher dans ce blog

mardi 11 mai 2021

L’ASN devant le Sénat : le nucléaire a besoin de prises de décisions !

 Audition  devant le Sénat du Président de l’ASN, Bernard Doroszczuk. le 7 avril 2021. Extraits

Prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs de 900 MW

« L'hypothèse prise à la conception des réacteurs était, pour les cuves, une durée de vie de quarante ans, sans risque pour la sûreté. C'est important car le matériau de la cuve est exposé à un rayonnement, qui conduit à son affaiblissement à travers le temps. Dépasser cette durée de vie théorique est industriellement faisable, moyennant une justification, des études et des contrôles, ce qu'a réalisé EDF à notre demande. C'est aussi faisable du point de vue légal, puisque la France n'a pas prévu, dans sa législation, de limitation de la durée de vie des centrales nucléaires, comme cela peut être le cas parfois à l'étranger. Une fois que l'exploitant est autorisé à fonctionner, il n'y a pas de limite mais une obligation d'examen de sûreté tous les dix ans.

« Il existe cependant déjà des pays, y compris en Europe, qui ont accepté de prolonger la durée de vie de leurs centrales au-delà de quarante ans - la Grande-Bretagne, la Suisse et la Suède -, pour des durées allant de quelques années à une dizaine d'années. C'est aussi le cas aux États-Unis, où la quasi-totalité des réacteurs sont autorisés par mon homologue américain à fonctionner jusqu'à soixante ans.

Cette opération de prolongation constitue un investissement assez rentable pour EDF car le coût des opérations du « Grand carénage » - qui vont au-delà du simple réexamen de sûreté - est évalué à cinquante milliards d'euros. L'objectif proposé par EDF est ambitieux : il s'agit de viser un rapprochement des réacteurs de 900 mégawatts avec le niveau de sûreté des réacteurs de troisième génération, et donc en France avec les EPR. À la suite d'un long travail entre l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'ASN et EDF, nous sommes arrivés à définir des avancées très significatives en matière de sûreté. »

Une condition du succès : veiller au maintien des capacités industrielles et une vraie opportunité pour la réindustrialisation 

« Il existe un réel sujet de capacité industrielle à suivre le calendrier de réalisation des visites décennales et des travaux d'amélioration de la sûreté qui ont été prescrits et qui conditionnent la poursuite de fonctionnement des réacteurs nucléaires pendant dix ans. Ce point de vigilance est d'autant plus important que nous sommes confrontés à une situation économique tendue, liée à la crise sanitaire, et qu'un certain nombre de prestataires d'EDF se trouvent en situation difficile, du fait de la crise économique, en particulier dans le secteur aéronautique. Il faut également être vigilant aux restructurations industrielles de grands groupes qui décident parfois de se séparer de leur activité nucléaire. Il est important de trouver des repreneurs pour maintenir cette activité. »

« Les besoins industriels nécessaires à la réalisation des travaux liés au réexamen de sûreté constituent certes un point de vigilance, mais également une formidable opportunité en termes de restructuration de l'industrie mécanique, avec six fois plus de travaux dans les cinq ans qui viennent. Cela lui permettra de faire face, plus tard, au projet du nouveau nucléaire. C'est une opportunité à saisir ; je suis convaincu que ce défi est accessible pour l'industrie française, qui en a relevé de bien plus importants que celui-là »

« Il faut faire attention au rapport de force dans l'industrie nucléaire entre les grands exploitants et les autres entreprises. La reconquête d'un tissu industriel ne peut se faire que si ces industriels ont des perspectives et peuvent gagner leur vie. Il faut donc être vigilant à la politique des achats et des contrats des grands groupes, qui parfois jouent contre eux. Ils poussent certaines entreprises à ne pas entretenir suffisamment la compétence. C'est un sujet en débat au sein du GIFEN. Il est utile que les exploitants se posent la question de la manière de contractualiser pour entretenir des filières de prestataires. »


Une situation tendue et dangereuse dans les prochaines années

« Le second point de vigilance est lié à la réduction des marges et aux décisions à prendre sur le long terme. La situation actuelle de tension sur les capacités de production électrique rencontrée cet hiver - qui pourrait se reproduire sur les deux ou trois prochaines années et qui est en partie liée aux décisions gouvernementales en matière de politique énergétique et au décalage de la programmation des arrêts de tranches - nécessite de prendre des décisions pour reconstituer ces marges à court terme mais également à moyen et long termes. Il ne faudrait pas que l'absence de marge par rapport aux besoins en électricité pèse sur les décisions à prendre en cas de risque sur la sûreté » À court terme, il faut donc rester vigilant, compte tenu des décisions qui ont été prises en termes de réduction des capacités disponibles de production électrique.

Et sur un plus long terme, il faut…anticiper ! 

« À long terme, le point principal de préoccupation porte sur l'horizon 2035-2040, au moment où la durée de fonctionnement des réacteurs les plus anciens sera entre cinquante et soixante ans. Il faudra anticiper. Au cours des quelques années qui précèderont cette échéance si, dans le cadre des perspectives visées en matière de politique énergétique, les prévisions ne sont pas au rendez-vous, la question pourrait se poser, pour conserver des capacités de production électrique pilotables, de maintenir au-delà de soixante ans le fonctionnement des centrales nucléaires actuelles. On ne peut pas attendre 2035 pour savoir si, cinq ans après, les réacteurs pourront aller au-delà de soixante ans. Aujourd'hui, rien ne permet de garantir qu'aller au-delà de cinquante ou de soixante ans sera possible…

Un récent rapport du Haut-Commissariat au plan mentionne que l'ambition en matière de transformation énergétique de la France devait reposer sur un plan réaliste (NB en creux, aujourd’hui, il ne l’est pas).  Ce plan réaliste doit absolument intégrer les problématiques de sûreté et il s'avère nécessaire d'anticiper car il ne faudrait pas que la poursuite du fonctionnement des réacteurs de 900 mégawatts se pose de manière subie ou hasardeuse. ( en effet !) »

Sur l’EPR : la capacité du réacteur à assurer sa fonction est démontrée

« Début 2019 s'est posée la question d'accepter ou non la mise en service de l'EPR qui était affecté de défauts de soudure en partie difficilement accessibles. Nous avons pris en juin 2019 la décision d'imposer à EDF ces réparations. Depuis lors, un certain nombre d'étapes ont été franchies de manière favorable. Tout d'abord, le programme d'essai - car pour mettre en service un réacteur nucléaire, il faut réaliser près d'un millier d'essais qui permettent d'en valider le fonctionnement - est quasiment achevé et a démontré la capacité du réacteur à assurer sa fonction, mais plusieurs écarts ont été détectés, dont certains sont importants et demanderont des modifications qui pourraient être réalisées soit juste avant le démarrage, soit au cours des premières années après son démarrage »

Sur les soudures : lorsqu’on qualifie les modes opératoires et les soudeurs, on y arrive…

« Le sujet le plus important et le plus médiatisé a trait aux soudures. Une centaine de soudures n'est pas conforme et doit faire l'objet de justifications de la part d'EDF. Certaines d'entre elles pourront faire l'objet d'une justification sans réparation après étude mais une cinquantaine de soudures devront être réparées ou entièrement reprises. Les procédés de soudage ont été définis et ont fait l'objet d'essais sous la surveillance de l'ASN et les réparations ont démarré. Début mars 2021, une petite dizaine de soudures du circuit secondaire ont été réparées selon le mode opératoire qualifié et ces réparations se sont très bien déroulées, sans reprise. On doit généralement reprendre pour arriver à la qualité nécessaire, mais, ici, cela a fonctionné du premier coup, ce qui démontre que lorsque l'on qualifie les modes opératoires et les soudeurs, on y arrive »

Sur l’EPR2 ; satisfaisant ! EDF  trop exigeant sur l’exclusion de rupture des soudures ?

« S'agissant des nouveaux réacteurs, EDF souhaite voir le gouvernement décider de la construction de six EPR de nouvelle génération ou « EPR 2 », qui tirent parti du retour d'expérience de la construction de l'EPR de Flamanville et des EPR étrangers et qui comportent plusieurs évolutions non négligeables en termes de conception. À titre d'exemple, il y a deux enceintes sur l'EPR de Flamanville et une sur l'EPR 2, avec une paroi métallique interne. Ce sont là des changements significatifs. Nous nous sommes prononcés en 2019 sur les options de sûreté de ce nouveau réacteur EPR 2, que nous avons trouvées dans l'ensemble satisfaisantes. Nous avons néanmoins soulevé un point de préoccupation principal, qui n'est pas réglé à ce jour, à savoir la décision prise par EDF d'appliquer à l'EPR 2, comme il l'a fait sur l'EPR de Flamanville, l'hypothèse d'exclusion de rupture, c'est-à-dire de viser un tel niveau de qualité de réalisation que la démonstration de sûreté n'aurait pas besoin d'étudier la rupture de certaines parties du circuit primaire ou du circuit secondaire. C'est exactement les problèmes que nous avons rencontrés sur l'EPR. Or le retour d'expérience de la difficulté de mise en oeuvre de cette très haute qualité de fabrication doit être tiré. Pour retenir une hypothèse d'exclusion de rupture, il faut que cela représente des avantages en termes de sûreté »


Sur les arrêts de tranche : hommage à EDF, situation hivernale tendue en raison d’une trop faible marge pilotable

« Effectivement, la première période de confinement a conduit à des travaux plus lents sur les réacteurs nucléaires, avec davantage de précaution et une réduction du personnel présent. Cela a eu un impact sur ces travaux en arrêts de tranches. Toute une série d'opérations de déprogrammation et de reprogrammation a été réalisée par EDF. Le programme d'arrêts de tranches, avec cinquante-six réacteurs, constitue un véritable château de cartes. Lorsqu'un arrêt est déplacé, cela crée un effet domino sur l'ensemble du château. La déprogrammation et la reprogrammation concerneront le parc pendant au moins cinq ans, d'où l'attention particulière sur les deux à trois années à venir, en termes de capacité de production. Les choses sont relativement maîtrisées et nous n'avons pas de grief particulier. Nous travaillons de manière étroite avec EDF. La reprogrammation entraîne parfois des décalages par rapport à des contrôles qui étaient réglementairement prévus. Nous avons les moyens d'ajuster, en fournissant des justificatifs, et pour le moment, nous n'avons pas de difficulté à accepter ce décalage. En revanche, l'incidence de ce décalage de programmation en arrêts de tranches porte sur la capacité à assurer la production électrique nécessaire pour faire face notamment aux pics hivernaux »

Sur le démantèlement des réacteurs

Vous avez à la fois évoqué la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) avec l'objectif des 50 % en 2035 et l'arrêt de quatorze réacteurs dont les deux de Fessenheim déjà arrêtés. Il reste donc 12 réacteurs à arrêter si les conditions le permettent. Aujourd'hui, il relève de la loi et du choix d'EDF de désigner les réacteurs qui seront à l'arrêt…

S'agissant de Fessenheim, c'est le premier chantier de démantèlement de réacteur de 900 mégawatts. Le réacteur de Chooz A, plus petit réacteur à eau sous pression, a fait l'objet d'opérations de démantèlement qui ont permis de valider plusieurs modes opératoires. Des réacteurs à eau sous pression existent ailleurs dans le monde et ont déjà fait l'objet de démantèlements, la méthodologie est donc connue, ce qui conduit EDF à raisonnablement pouvoir maîtriser le démantèlement de Fessenheim sur une période de quinze ans. Pour le moment, nous sommes à l'étape préparatoire du plan de démantèlement, comme l'évacuation de la matière combustible en la retirant et en la laissant refroidir quinze ans en piscine, avant de l'envoyer à la Hague… Le site est très mobilisé. Il était déjà exemplaire en termes de fonctionnement. L'ASN a toujours souligné que les performances de Fessenheim étaient parmi les meilleures sur l'ensemble des sites.

Sur les déchets nucléaires : la tendance est à la procrastination, maintenant il faut prendre des décisions

« Nous nous sommes exprimés à travers des avis sur toutes les filières de gestion - très faiblement radioactive, hautement radioactive, à vie longue -, lesquels soulignent des points de vigilance ou des problèmes de sûreté à traiter. Il ressort cependant, de manière transversale, qu'il faut choisir des solutions. Nous en sommes au 5e plan et les plans précédents ont défini de nombreuses études, demandé des comparaisons, des hypothèses, des avantages et des inconvénients, mais la tendance a plutôt été à la procrastination et aucune décision n'a été prise. Or, aucune filière de gestion des déchets ne sera opérationnelle dans vingt ans si nous ne prenons pas de décision dans les cinq ans à venir… »

« Quant à la filière des déchets de haute activité et à vie longue (HA-VL), porté par le projet Cigéo, à Bure, la décision n'est pas encore totalement prise. Pourtant, il y a eu des lois, des discussions, des débats. »

« Pour les déchets de faible activité et à vie longue (FA-VL) - bitumés, graphites -, de nombreuses études ont été menées et un site d'accueil a été fléché il y a dix ans, celui de Soulaines, mais aucune décision n'a encore été prise. Un jour, les élus diront qu'ils ne sont plus d'accord… »

«  Les déchets très faiblement radioactifs, qui sont les plus importants en volume - les métaux, les gravats, des terres - et dont la quantité va considérablement augmenter avec les opérations de démantèlement, vont saturer le seul centre de stockage existant à horizon 2028. Aucune solution n'est prévue, au-delà de cette date, pour le moment. Les hypothèses d'un centre unique, de centres décentralisés, de valorisation des déchets - notamment métalliques au technocentre de Fessenheim - ont été évoquées. Elles n'ont pas fait l'objet de décisions. »

« Concernant les déchets, et notamment la valorisation de ceux qui sont métalliques, il s'agit d'une piste pour réduire le volume des déchets très peu radioactifs à stocker. Y a-t-il un problème de santé ? Est-ce dangereux ? Telles que les normes sont aujourd'hui définies, en France comme à l'étranger, le niveau final de radioactivité de ces produits serait infinitésimal, car il faut pouvoir les valoriser dans des filières industrielles : l'enjeu est ainsi de faire un four de refusion pour retraiter ces déchets, séparer la partie pouvant être la plus radioactive du reste, et contrôler le niveau. Le risque sanitaire de leur utilisation serait infinitésimal, bien inférieur à celui de l'exposition au rayonnement naturel. Il existe un effet psychologique, mais pas de raison de santé publique d'avoir une objection majeure par rapport à cette valorisation de produits. »

Sur Cigéo, sur ce blog, voir notamment https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/cigeo-expertise-de-landra-contre.html


Il y a un bel avenir pour le nucléaire

« S'agissant de l'accord de Paris sur le climat, relatif à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, cela rejoint les questions sur la politique énergétique de la France et ne relève donc pas de l'ASN. Il est en revanche fondamental d'anticiper la présence d'une composante pilotable de production d'électricité dans notre mix énergétique, qui peut être le nucléaire, y compris nouveau, peut-être le SMR. Il n'existe pas de contrindication en termes de sûreté au choix du nucléaire »

« La France réussira-t-elle à construire des centrales ? Oui, je suis convaincu que c'est possible. Nous savons construire des avions, des fusées. Les compétences sont tout à fait accessibles, mais elles doivent être planifiées, organisées. Je n'ai absolument aucune appréhension face à ce défi industriel. Il faut saisir les opportunités ; le volume de travaux généré par les réexamens le permet. Tout ce qui a été fait dans la filière nucléaire récemment, avec le GIFEN ou le « Plan Excell », va dans le bon sens. Il faut à présent réussir »

Encore faut-il un contexte favorable,  un peu de courage politique et des perspectives

Un certain nombre de grandes entreprises du secteur nucléaire sont aujourd'hui en souffrance, elles n'ont pas de perspective. Cela n'est pas lié à l'absence de travaux mais à un désengouement pour le nucléaire et aux incertitudes sur les choix gouvernementaux. On ne sait pas s'il va y avoir du travail, une filière. Cette période d'incertitude est néfaste pour la constitution du tissu industriel : on peut acquérir des compétences, mais il faut des perspectives. Aucun entrepreneur ne s'engagera sans visibilité et sans perspective, d'ailleurs de gagner, de l'argent. Il faut le dire ; c'est fondamental. »

Cette audition a fait l’objet d’un compte-rendu de la SFEN très bien fait.

https://www.sfen.org/rgn/asn-senat-nucleaire-besoin-prises-decisions#:~:text=13.04.2021-,L'ASN%20devant%20le%20S%C3%A9nat%20%3A%20le%20nucl%C3%A9aire%20a,besoin%20de%20prises%20de%20d%C3%A9cisions&text=Auditionn%C3%A9%20par%20la%20commission%20des,%C3%A9lucid%C3%A9%20toutes%20les%20questions%20pos%C3%A9es. 

« Tous les sujets abordés sur l’énergie nucléaire en France ont un point commun : ils ont tous fait l’objet d’études approfondies et l’heure a sonné pour le gouvernement et les politiques, aujourd’hui, qui doivent prendre des décisions. Autrement dit, l’absence de décision et d’anticipation en matière de politique énergétique, l’absence de choix concernant l’énergie pilotable qui intégrera le paysage français demain, l’indécision sur le nouveau nucléaire, sur les solutions relatives aux déchets, l’absence de visibilité pour le tissu industriel français, etc., auront très clairement des conséquences irréversibles d’ici 2035/2040. Un discours transparent, souligné par la commission, sans concession sur la responsabilité du gouvernement et des politiques sur cette question cruciale qu’est la politique énergétique française et le devenir de la filière industrielle nucléaire française. (Cécile Crampon, Sfen) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaires

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.