Utilisation des documents internes : une judiciarisation dangereuse
Que la justice américaine fasse n’importe quoi, on y est
habitué. La société Monsanto a été condamnée par la justice californienne,
vendredi 10 août, à verser 289,2 millions de dollars (248 millions d’euros) à
un jardinier américain, Dewayne « Lee » Johnson. Agé de 46 ans et père de deux
enfants, il est en phase terminale d’un cancer du système lymphatique qu’il
attribue à son exposition à des herbicides contenant du glyphosate.
Comme souvent aux USA, le jugement ne s‘est pas basé sur
la réalité de la mise en cause, sur la démonstration de la responsabilité du
glyphosate dans l’apparition de cancers en général, ni , en particulier, de
celui dont est atteint M. Dewayne. Les diverses dépositions des experts,
honnêtement menées, contradictoires n’ont absolument pas permis d’aboutir à
cette conclusion. Ce qui a emporté la conviction du jury, ce sont des documents internes de Monsanto
tendant à montrer que celle-ci a cherché à dissimuler des éléments pouvant
mettre en cause le glyphosate et à recruter et à influencer des experts allant
dans le sens de ses intérêts. En particulier, était en cause un mail dans lequel une responsable
de la recherche de Monsanto critiquait une responsable de la communication affirmant que le
glyphosate était un produit sûr en lui rétorquant qu’elle ne pouvait
l’affirmer, puisque Monsanto n’avait pas fait les études permettant de le
prouver.
Scandaleux ? ça dépend du contexte, et, à vrai dire, ce
que je trouve plutôt scandaleux, c’est l’utilisation que l’on fait de ce mail-
et peut-être le moyen dont on se l’est procuré. S ’il s’agit de rappeler à des
responsables de la communication un peu trop enthousiastes qu’aucune étude
jamais ne démontrera qu’un produit est sûr, mais ne pourra qu’éliminer des
facteurs connus de risque, où est le scandale ? S’il s’agit de divergences de
vue en interne sur la significativité et la pertinence de telle ou telle étude,
où est le scandale ?
Les contempteurs du progrès et de l’industrie triomphent,
ils ont bien tort. Car la conséquence certaine de cette affaire sera dans des
milliers d’industrie d’ôter toute liberté d’expression aux chercheurs et
d’interdire tout débat interne, l’expression de tout doute sur tel ou tel
méthode ou résultat. Aller à l’encontre de ce que souhaite entendre la
direction deviendra un motif légitime de licenciement, tant les conséquences
risquent d’en être importante pour la compagnie. Personne n’y gagnera, et
surtout pas la santé et la sécurité publique
Selon les connaissances scientifiques actuelles, le glyphosate est peu dangereux
Non, la
dangerosité du glyphosate pour les agriculteurs, n’est pas établie, et encore
moins pour le reste de la population. Car il faut distinguer les tests de
toxicologie conduits, in vitro ou sur des rongeurs soumis à de fortes doses,
des système modèles dans lesquels on cherche à voir un effet pour
éventuellement définir une dose sûre d’utilisation des études épidémiologiques
menées sur des population pour évaluer le risque en cas d’exposition, à des
doses réalistes, dans les conditions d’utilisation.
La santé des agriculteurs (et heureusement, et encore
insuffisamment) est surveillée dans de nombreux pays (par exemple, étude AHS
aux USA sur 54000 agriculteurs pendant 20 ans et prenant en compte 22 types de
cancers, étude Agrican en France –
180.000 personnes depuis 2005). Aucune de ces études n’ a mis en évidence une
responsabilité du glyphosate dans le déclenchement de cancers. Pourtant, des
résultats significatifs et inquiétants ont été incontestablement établis.
Ainsi, il existe bien une augmentation chez les agriculteurs de la maladie de
Parkinson par rapport à une population générale analogue (13% en moyenne, 18%
chez les 60-84 ans) et les molécules impliquées sont les fongicides
thiocarbamates et dithiocarbamates. Il y a contrairement à ce qu’on croit,
moins de cancer chez les agriculteurs que dans le reste de la population- mais
certains cancers sont plus représentés et clairement liés à certains
expositions, par exemple le cancer de la prostate, lié à des pesticides à des chlorés et phosphorés (Aldrine,
Lindane, Heptaclore, Fonofos), du poumon (Atrazine, DDT, Parathion, diazinon,
arsenic), de la vessie (Arsenic, Alachlor, imazaquin). Et, bonne nouvelle, les
agriculteurs semblent relativement moins atteints que la population générale par
l’asthme.
A aucun moment, le glyphosate n’est mis en cause. Rien,
aucun signal.Ajoutons qu‘un pays comme la Suède, pionnier de ce type d’étude et
qui prend généralement au sérieux l’épidémiologie et la prévention a voté en
faveur de l’extension de cinq ans du glyphosate.
Essayons d’être rationnel, mais c’est probablement peine perdue
- Selon toutes les connaissances actuelles, le glyphosate
est peu toxique, moins que la plupart des autres produits phytosanitaires.
C’est un désherbant extraordinairement efficace et qui permet de bonnes
pratiques de protections des sols, telle l’agriculture de conservation
(agriculture-de-conservation.com/A-tous-ceux-qui-veulent-bannir-le-glyphosate.html)
- Se passer du glyphsate entraineune perte de rendement
de 5 à 15% selon les cultures, sans compter un travail beaucoup plus important.
Nous avons tout de même 7,55 milliards d’hommes à nourrir
- 92 % des agriculteurs français affirment qu’ils
appliqueront des traitements herbicides supplémentaires si le glyphosate venait
à être interdit.
Simple question aux croisés de la lutte anti-glyphosate,
du moins à ceux de bonne foi, par exemple Stéphane Foucart, du Monde, dont j’ai
souvent dit du bien dans ce blog,:Sur la base des connaissances actuelles, ne
pensez vous pas que l’interdiction du
glyphosate aura un effet néfaste sur la santé des agriculteurs, sur la
production et l’économie agricole et se soldera par des centaines, voire des
milliers de mort, si le glyphosate est remplacé, comme probable, par des
produits plus toxiques ou moins évalués ?
- Je crois que l’on pourrait se mettre d’accord sur au
moins une constatation : oui, les
pouvoirs publics doivent mieux évaluer les effets des produits chimiques
d’usage courant sur la popualtion, et en
particulier pour leur usage professionnel. Et la dévalorisation de la médecine
du travail, son démantèlement sournois et continu ne vont pas dans le bon sens
!
Les agences publiques compétentes devraient être
informées des études et résultats des
industriels, même non publiées.
Mais je crains fort que ce soit peine perdue, tant le
débat sur la glyphosate a pris un tour irrationnel qui ne peut que rappeler les
procès de sorcières. Personne n’a été brûlé vif, mais si des décisions
irrationnelles sont prises, il y aura des morts. Monsanto est devenu, c’est la
rançon du succès, et peut-être aussi d’une certain arrogance, une nouvelle
forme du diable, de Méphistophélès, de Belzébuth, des succubes, des incubes- je
ne suis pas expert en démonologie, et tout ce que ses scientifiques font ou
disent est inaudible ou exploité uniquement à charge, comme dans les procès de
sorcière. Ce n’est pas tolérable pour la qualité du débat public.
Le Monde du 13/08/2018 donne benoitement un autre élément
de compréhension – et merci de cet aveu:
« Le glyphosate n’est pas le pire des poisons, comme on l’affirme souvent, et
de nombreux autres pesticides sont bien plus problématiques. Mais il est le
plus utilisé au monde, il est omniprésent et est devenu, en deux décennies, la
pierre angulaire d’une agriculture productiviste qui demeure malgré tout.. » En fait, et justement parce
que c’est un bon produit très efficace et très peu toxique, le glyphosate est
devenu la cible privilégiée de tous ceux qui veulent s’en prendre à «
l’agriculture productiviste » !
Reste à savoir si l’on veut une agriculture non
productive ! Nous avons tout de même 7,55 milliards d’hommes à nourrir, dont
beaucoup souhaitent manger de la viande une fois par jour !
Autre conclusion : que ce soit pour le glyphosate ou pour
la politique énergétique, M. Hulot fait preuve d’incompétence, d'ignorance, de sectarisme,
de paresse dans l’étude de de ses dossiers à un niveau insupportable et
dangereux pour la France. Il est temps qu’il prenne des vacances, et très
longues.
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