Résumé des épisodes précédents
En mars 2020, le groupe d’experts étudiant la taxonomie verte européenne
(TEG, technical Expert Group), c’est-à-dire un instrument financier destiné à
favoriser et orienter les investissements vers les activités durables
reconnaissait que « la production d’énergie nucléaire entraine des
émissions de gaz à effet de serre proches de zéro dans la phase de production
d’énergie et peut contribuer aux objectifs d’atténuation du climat », mais
excluait, « à ce stade » l’inscription du nucléaire dans la taxonomie
parce qu’ « il n’a pas été en mesure de conclure que la chaîne de
valeur de l’énergie nucléaire ne cause pas de dommages importants à d’autres
objectifs environnementaux ».
Cette remarque visait en
particulier le problème des déchets nucléaires et le TEG, avouant son manque de
compétence sur ces sujets, laissait la porte ouverte à une expertise indépendante
ad hoc.
En mars 21, le JRC, service
scientifique interne de la Commission, rend son rapport et concluait
favorablement à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie pour les raisons
suivantes
1) Ses analyses n’ont révélé aucune preuve scientifique que l’énergie
nucléaire nuit davantage à la santé humaine ou à l’environnement que les autres
technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie en
tant qu’activités soutenant l’atténuation du changement climatique.…
2) À l’heure actuelle, il existe
un large consensus scientifique et technique selon lequel l’enfouissement des
déchets radioactifs de haut niveau et de longue durée dans les formations
géologiques profondes est considéré comme un moyen approprié et sûr de les
isoler de la biosphère pendant de très longues périodes.
3) La production d’électricité à base d’énergie nucléaire peut être
considérée comme une activité contribuant de manière significative à l’objectif
d’atténuation du changement climatique et tous les impacts
potentiellement nocifs des différentes phases du cycle de vie de l’énergie
nucléaire sur la santé humaine et l’environnement peuvent être prévenus et
dûment évités.
(cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/taxonomie-europeenne-rapport-du-joint.html)
Engagement
des syndicats, des politiques de la société civile
Dans la
même période, plusieurs syndicats européens de l’énergie (pour la France, l'interfédérale
FNME-CGT, CFE-CGC Énergies, FCE-CFDT, FO Énergie et Mines, CFE-CGC métallurgie)
auxquels se sont joints des syndicats bulgares, finlandais, belges, hongrois et
roumains) ont écrit à la Commission Européenne pour demander l’inclusion du nucléaire dans la
taxonomie :
« Exclure
l’énergie nucléaire de la taxonomie européenne conduirait donc à fragiliser
toute une filière (plus d’un million d’emplois en Europe dont 220 000 en
France) qui fournit pourtant actuellement près de la moitié de l’électricité à
faible teneur carbone dans l’Union Européenne, permettant ainsi d’économiser
annuellement l’émission de plus d’un demi-milliard de tonnes de CO2. En outre,
les secteurs utilisateurs de cette énergie, notamment les électrointensifs au
cœur de l’industrie européenne, seraient eux aussi fortement impactés….Pour la
CFE-CGC, la transition de l’Europe vers sa neutralité carbone ne peut se priver
de l’avantage du nucléaire, car c’est la clef de la réussite du Green Deal
porté par la Commission européenne. » Communiqué CFE-CGC, 03 - 02 – 2021)
Dans la foulée, l’interfédérale FNME-CGT, CFE
CGC Énergies, FCE-CFDT et FO Énergie et Mines écrivait au Président de la
République pour lui demander de s’engager résolument « pour éviter
l’exclusion du nucléaire de la taxonomie européenne, décision qui aurait des
conséquences très négatives pour l’industrie française et les engagements
climatiques français et européens. […]C’est en défendant la neutralité
technologique bas carbone de la taxonomie et donc l’inclusion du nucléaire que
la France apportera sa pierre à d’édifice d’un projet européen climatiquement
responsable qui fait de la sécurité énergétique, de la relance économique, de
l’ambition sociale et de la relocalisation industrielle ses priorités, tout en
préservant son autonomie stratégique en matière énergétique et industrielle. »
Communiqué CFE-CGC, 22 mars 2021)
Le 25 mars, le Président de la République, M. Emmanuel Macron et les
Chefs d’Etat et de Gouvernement de six autres pays européens (Hongrie, Pologne,
République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont adressé à la
Commission Européenne « un appel d'urgence pour assurer des règles du jeu
équitables pour l'énergie nucléaire dans l'UE, sans l'exclure des politiques et
des avantages climatiques et énergétiques » demandant que « les politiques énergétiques et climatiques européennes soutiennent
toutes les voies vers la neutralité climatique, selon le principe de la
neutralité technologique » et soulignant « l'indispensable
contribution (du nucléaire) pour combattre le changement climatique » :
« Nous
sommes convaincus que toutes les technologies neutres ou à faibles teneur en
carbone qui contribuent à la neutralité carbone… devraient non seulement être
reconnues par l’UE, mais également soutenues activement […] C’est
particulièrement le cas du nucléaire, dont le développement est l’une des
priorités phares du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie
atomique (Euratom), contraignant les institutions de l’UE à le mettre en avant »
Le 15 avril, lors de la signature d’un avenant au contrat stratégique de filière
nucléaire, Bruno Le Maire confirmait : « La France se battra pour
que le nucléaire soit considéré comme une énergie décarbonée en Europe…Nous
pensons que c'est un atout considérable de compétitivité économique pour la
France, que nous ne pourrons pas réussir la transition écologique sans le nucléaire…Nous
souhaitons que le nucléaire soit présent dans la taxonomie européenne et nous livrerons ce combat avec la plus
grande détermination »
Dans les milieux politiques, une nouvelle organisation, PNC France (Patrimoine
Nucléaire et Climat) une association transpartisane regroupant notamment de nombreux politiques (Bernard Accoyer, Arnaud
Montebourg, Jean-Pierre Chevènement, Julien Aubert, Christian Bataille, André
Chassaigne, Sébastien Jumel, Gérard Longuet, Hervé Mariton, Hubert Védrine, Raphaël
Schellenberger..) et des experts ou acteurs du domaine (François-Marie Bréon,
Michel Cara, Sylvain Coutterand, Louis Gallois, Jacques Percebois…) a été aussi
fort active auprès des institutions françaises et européennes (Commission,
Conseil des Etats) :
« Les experts scientifiques européens réunis au sein du JRC ont
établi que l’énergie nucléaire respecte tous les critères permettant de
l’inscrire dans cette taxonomie. Malgré ce point essentiel, les lobbies
anti-nucléaires et les pays hostiles à cette énergie ont maintenu contre toute
logique leur pression insistante pour écarter cette énergie et admettre le gaz
alors que celui-ci émet 70 à 80 fois plus de CO2 !
Pressentant le risque d’approbation d’un acte délégué formalisant une
telle orientation, PNC-France s’est fortement mobilisée. En effet, l’enjeu est
fondamental pour le climat et pour l’ensemble de la filière nucléaire
française, car l’énergie nucléaire est très capitalistique…. Il est donc essentiel de pouvoir accéder aux modes
de financements privilégiés qu’apporte la taxonomie. Au-delà de cet effet
économique, les investisseurs privés seraient peu enclins à s’engager dans des
projets dont la rentabilité ne peut s’évaluer que sur le long terme, et soumis
en même temps aux aléas politiciens. Derrière cette perspective se dessinerait
en filigrane le risque d’abandon définitif de la filière, avec des conséquences
climatiques, économiques et sociales extrêmement graves…
PNC-France a donc alerté à nouveau par écrit le Président de la
République, le Premier ministre et les membres de l’exécutif concernés ainsi
que Mme la Présidente de la Commission européenne, les commissaires impliqués
dans cette décision, M. L’ambassadeur auprès du Conseil européen, les députés
français au Parlement européen, sans oublier les parlementaires français. »
Cette mobilisation politique et syndicale a été accompagnée d’une
mobilisation sociétale inédite :
une lettre ouverte a été signée par 46 organisations
non-gouvernementales issues de 18 pays appartenant à l’UE et hors UE:
Australie, Belgique, Canada, Corée du Sud, Danemark, États-Unis, Finlande,a
France, Grande-Bretagne, Italie, Norvège,
Pays-Bas, Philippines, Pologne, Suède, Suisse et Taïwan. Initiée par l’association Les Voix du Nucléaire, elle demande
l’intégration de l’énergie nucléaire dans la taxonomie de l’UE parce qu’ « exclure
l’énergie nucléaire soutient une stratégie de transition énergétique
notoirement insuffisante pour décarboner ».
« La représentation faussée dont l’énergie nucléaire, la plus
importante source d’énergie pauvre en carbone de l’Union européenne, est
l’objet, contribue à empêcher son déploiement, et oblige à maintenir en
activité des centrales fossiles, pénalisant les efforts pour lutter contre le
changement climatique, préserver la souveraineté de l’Europe et bénéficier d’un
air plus sain ». Les ONG signataires demandent que « toutes les sources d’énergie
à faible émission de carbone soient équitablement prises en considération dans
les discussions actuelles et futures de la Commission européenne, y compris sur
la taxonomie et que l’UE soutienne l’évaluation objective de toutes les options
qui s’offrent à elle et apportent des faits scientifiques correctes sur
l’énergie nucléaire. »
« Si l'énergie nucléaire n’est pas intégrée dans la taxonomie de
l’UE, les ONG estiment que la Commission devra porter la responsabilité de
l’encouragement d'une stratégie notoirement insuffisante pour décarboner
l'économie et préserver le climat et les populations ». (9 avril 2021)
La Commission tente le passage en force. Le jeu dangereux ( et
déloyal ?) de Pascal Canfin
La Commission envisagerait envisagerait ainsi d’exclure le gaz et le
nucléaire de la taxonomie, qui serait validée actuellement et de présenter au quatrième trimestre de
2021 « une proposition législative distincte» couvrant
spécifiquement ces activités, auxquelles pourrait s’ajouter la bioénergie. L’exécutif
européen aurait en outre décidé d'abandonner, pour ces industries, le plus
grand pouvoir que lui conférait la procédure des actes délégués et de recourir
à la procédure législative ordinaire en codécision afin de mettre les Etats
membres et le Parlement européen face à leurs responsabilités. Bruxelles entend
ainsi permettre « aux colégislateurs de mener un débat transparent sur la contribution du
gaz naturel et des technologies nucléaires aux objectifs de décarbonation ».
Cette décision a été approuvée par Pascal Canfin qui en revendique même la
paternité : « Remettre à plus tard le traitement du gaz et du nucléaire est la solution
que je suggérais moi-même à la Commission. Cela permet d’éviter de laisser ces
deux énergies polémiques prendre en otage l’ensemble de l’acte délégué »
Cette décision est inacceptable sur le fond et sur la forme. Il est inacceptable, anticlimatique, antiscientifique de mettre sur le même plan le nucléaire (6g CO2 /kWh en France, 12g ailleurs) et le gaz (440 gCO2/kWh) sur le même plan. Il est inacceptable de remettre l’accès au financement du nucléaire à des calendes qu’on n’ose même pas appeler grecques, selon un calendrier indéterminé et un processus d’approbation complexe et incertain. Ce n’est ni plus ni moins qu’un étranglement hypocrite du nucléaire en dépit de toutes les évidences scientifique de son rôle majeur dans le combat contre le dérèglement climatique et de son éligibilité à la taxonomie, évidences reconnues par la Grande-Bretagne, les USA, la Russie, la Chine qui l’intègrent dans les équivalents nationaux de leur taxonomie
(https://www.euractiv.fr/section/energie/interview/pascal-canfin-je-mets-en-garde-les-pro-nucleaires-contre-la-ligne-dure-francaise/)
D’autres affirmations de Pascal Canfin éclairent le contexte et le scandale absolu que serait le non-prise en compte du nucléaire dans la taxonomie, le plus vite possible :
P. Canfin : « A l’heure actuelle, tout le monde est d’accord pour dire que le gaz ou le nucléaire ne sont pas dans la catégorie « verte »…
Non, pour le nucléaire : tout le monde chez les experts est d’accord pour dire que le nucléaire contribue significativement à la lutte contre le réchauffement climatique et respecte le critère d’innocuité (Do Not Significantly Harm) d’inclusion dans la taxonomie. Y compris sur le problème des déchets qui a fait l’objet de nombreux rapports ( cf ; l’avis du JRC mais aussi un rapport très complet de la NEA.
JRC report : https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/taxonomie-europeenne-rapport-du-joint.html
NEA report : https://www.oecd.org/publications/management-and-disposal-of-high-level-radioactive-waste-33f65af2-en.htm
https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/09/le-probleme-des-dechets-ultimes-du.html
En revanche, si tout le monde signifie tout le monde chez les
écolos bigots, les khmers verts hostiles à toute rationalité scientifique….
(https://twitter.com/GrudlerCh/status/1382692971779342340)
Résultat des courses, tout chaud (21 avril 2021) ! Vers un autre acte délégué ?
« Conformément au cadre juridique et à nos engagements passés, la Commission adoptera un acte complémentaire délégué du règlement de l’UE sur la taxonomie couvrant des activités qui ne sont pas encore couvertes par la loi de l’UE sur les délégués au climat en matière de taxonomie, telles que l’agriculture, certains secteurs de l’énergie et certaines activités manufacturières.
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