Qui veut la peau d’EDF ?
Hercule, il ne s’agit pas du demi-Dieu grec, mais du projet
de réforme, et peut-être de démembrement d’EDF, déjà abordé sur ce blog à
https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/05/edf-le-projet-hercule-ne-nous-rendra.html
Après plusieurs mois de lutte entre la direction
d’EDF, le gouvernement français, les syndicats et la Commission Européenne, une
situation toujours bloquée. Rien que l’incertitude que cela fait peser sur une
entreprise de majeure importance pour la France, qui assure l’essentiel du
service public de l’électricité en France (et qui fournit l’une des électricités
les plus décarbonées et les moins chère d’Europe est inacceptable. Un
remarquable article de Dominique Finon (Directeur de recherche émérite au CNRS,
chercheur associé à la chaire European Electricity Markets et au CIRED) fait le
récit d’un gâchis et d’un chaos institutionnel très inquiétants quant à ses
conséquences possibles.
Texte complet :
https://www.telos-eu.com/fr/economie/edf-pourquoi-senteter-sur-hercule.html?s=09
Extraits :
un projet totalement bloqué par le refus par Bruxelles…
« Le très contesté projet Hercule de
réorganisation d'EDF n'est pas du tout incontournable, parce que ses objectifs
sont discutables. Se
crisper dessus, comme le font les dirigeants d'EDF nommés pour procéder à ce
plan, relève d'un entêtement d'autant plus coupable qu'il provoque un conflit
majeur avec le personnel et les syndicats. Le gouvernement vient pourtant
de réaffirmer, le vendredi 9 avril, son engagement à procéder au projet Hercule dans une
lettre envoyée aux syndicats pour rechercher leur appui dans son conflit avec
Bruxelles. Il leur donne des garanties sur la préservation de leur statut dans
cette réorganisation, le maintien de l'entité privatisable dans la sphère
publique et la poursuite du développement du nucléaire dont le financement
serait facilité par cette réforme. Ce soutien du gouvernement contribue à
l'entêtement à maintenir un projet
totalement bloqué par le refus par Bruxelles de cette réorganisation jugée
insuffisante pour accepter la nouvelle régulation du nucléaire plus
favorable à EDF que l'ARENH actuel, et sans qu'il y ait de plan B. »
L’origine de la situation : la libéralisation du marché
de l’électricité
« La situation à
laquelle on est arrivé est le résultat d'une longue histoire où les pouvoirs
successifs ont cherché à résister à la mise en œuvre du modèle de marché
prescrite par les directives successives. Pour faire bénéficier les consommateurs de la rente nucléaire, ils en ont fait
à chaque fois le moins possible. On a ainsi retardé la disparition des tarifs règlementés de vente (TRV)
le plus longtemps possible, malgré les directives de 2004 et 2009. Comme les
tarifs rendent difficiles les entrées de fournisseurs alternatifs qui doivent
s'alimenter sur le marché de gros sur lesquels les prix sont le plus souvent
supérieurs aux TRV, le gouvernement a
cherché à créer une concurrence artificielle avec le dispositif de l'ARENH mis
en place en 2011 qui consiste à céder aux fournisseurs alternatifs une partie
de la production nucléaire (jusqu'à 25%) à prix coûtant (42 €/MWh) pendant les
périodes de prix élevés. Ces dispositions ont privé EDF d'une grande partie
de ses marges. Par exemple en 2019, l'ARENH combiné au maintien du TRV sur le
secteur résidentiel a pu coûter à EDF
près de 1,5 à 1,7 milliards d'€ en 2019 (900 millions pour le TRV sur 133
TWh et 800 millions pour l'ARENH). En fait on pourrait abandonner ce projet de
nouvelle régulation tout en abandonnant l'ARENH actuel et les tarifs
règlementés de vente (TRV), tarifs sur lesquels, rappelons-le, s'est construit
l'ARENH pour faciliter les entrées des fournisseurs alternatifs. «
Commentaire : cette absurdité qu’est l’ARENH a été
ainsi résumée par Marcel Boiteux : « il ne s’agit plus d’ouvrir la
concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour favoriser
la concurrence ». De fait, dans la réalité, le démantèlement des monopoles
publics de distribution en vigueur dans de nombreux pays européens a fait les
prix de vente des énergies aux particuliers aboutissant à une hausse à trois
chiffres des prix de l’électricité en Espagne. Elle a également été
particulièrement douloureuse au Danemark, en Suède et au Royaume-Uni..
(https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/11/le-grand-echec-de-la-liberalisation-de.html)
Revenons au texte de
Dominique Finon
1 er objectif d’Hercule :la fin de l’ARENH
« Le premier
objectif est de faire accepter par Bruxelles une nouvelle règlementation du
prix de la production nucléaire plus favorable à EDF que l'ARENH actuel qui ne
porte que sur le quart de la production et n'est conçu que pour aider les
fournisseurs concurrents d'EDF. Cette nouvelle régulation, paraît-il, romprait
avec cette situation qui « ne garantit pas suffisamment (…) la
couverture des coûts et ne lui permet pas de réaliser les investissements
nécessaires à la poursuite de l’exploitation optimale du parc
nucléaire » selon le texte de la lettre précitée. Pour faire
accepter cette nouvelle régulation, on sépare dans Hercule les activités de
production nucléaire des activités de commercialisation regroupées avec les
productions EnR et les réseaux, pour mettre sur le même pied "EDF
commerce" et les fournisseurs alternatifs pour leurs achats sur le marché
de gros. Bruxelles refuse cette nouvelle régulation s'il n'y a pas éclatement
complet d'EDF avec séparation totale entre les futures entités pour empêcher
toute circulation de ressources financières et toute coordination entre elles.
La fin d'EDF en quelque sorte, ce que le gouvernement ne peut accepter »
Les objectifs financiers :la situation financière d’EDF critiquée de manière très intéressée et
excessive. Un muret d’investissement, pas un mur !
Les deux autres objectifs du projet Hercule
sont financiers. Ils ne répondent pas non plus à des problèmes objectifs,
relativisés par une prise de distance par rapport aux règles du jeu et aux
représentations de la finance. Le premier est la recherche d’un meilleur cadre de financement pour les projets
nucléaires futurs en regroupant les actifs nucléaires dans une entité
totalement publique dédiée à la production. Le second est la recherche d'une meilleure capitalisation boursière
pour l'entité isolée du nucléaire en lui permettant d'avoir une stratégie
alignée sur celle des autres énergéticiens européens (Iberdrola, ENEL, le danois Orsted,
notamment) portés aux nues par les milieux financiers.
Mais ce ne sont que
des construits relevant de la vision étriquée des milieux financiers qui ne
cessent de critiquer EDF, de dénigrer le nucléaire et de mettre en avant leur
vision de la transition énergétique calée sur la bien-pensance bruxelloise
La justification du
projet Hercule s'est en effet établie sur fonds d'exagération de la situation
d'endettement d'EDF et de perception négative des coûts et des risques
financiers du nucléaire. Elle se fait aussi sur fonds de mythification des
stratégies "à la mode" de ces énergéticiens dans la mise en scène d'un
marché international très concurrentiel de contrats EnR.
Les institutions
financières, les agences de notation, les medias spécialisées n'ont de cesse de
reprocher à EDF ses mauvaises performances financières qui seraient dues à ses
erreurs de stratégies et à son entêtement dans le nucléaire. On ne compte pas
les articles critiques consacrés à la dette abyssale d'EDF, à ses errements
stratégiques, et à son incapacité à pouvoir faire face à un soi-disant "mur"
d'investissements alors qu'il s'agirait plutôt d'un muret. Prenons la dette
d'EDF: elle n'a rien d'abyssal au regard de ce qu'elle a été pendant la période
de développement du programme nucléaire dans les années 80 et 90 où elle est
montée jusqu'à 34 milliards d'€, soit une fois et demie son chiffre d'affaires de
l'époque, alors que les 42 milliards de € actuels correspondent à 60% de son
CA.
Certes on peut évidemment arguer que le ratio dette/EBITDA,
la référence des prêteurs pour garantir le remboursement de nouveaux emprunts, est au-dessus du
sacro-saint 2,5. Mais
on peut tout de même s'interroger sur la pertinence de ce ratio qui reflète le court-termisme des institutions
financières. Est-il vraiment adapté pour juger d'emprunts destinés à financer
des équipements à très longue durée de vie qui rapporteront encore bien au-delà
de l'horizon des préteurs?
Quant au soi-disant
mur d'investissements dans le nucléaire, il se composerait des investissements
annuels dans le grand carénage qui se monteront au maximum à 1 milliard d'€ par an et des investissements de 2,5 milliards dans le futur programme de six EPR 2 (estimé à 47
milliards et étalés sur 20 ans), auquel s'ajoute l'engagement annuel d'1
milliard dans Hinkley Point C. Au total ces cinq milliards d'€ par an ne
correspondent qu'au tiers de
l'enveloppe annuelle d'investissements d'environ 15 milliards prévus par le
groupe EDF de faire au cours des années 2020, dont 2 à 3 milliards dans les EnR
prévus selon le plan stratégique CAP 2030 défini pour installer 30 GW d'ici
2030. On ne peut donc pas parler de mur d'investissement, tout au plus de
quelques haies à enjamber, dont celle de la mise en place de contrats de
garanties de revenus avec l'Etat pour les futurs EPR2 qui reporterait une
grande partie des risques sur l'Etat »
Le dénigrement
permanent d'EDF n'a pas manqué de provoquer la chute régulière de la valeur de
l'action EDF, ce qui réduit sa capitalisation boursière à 35 milliards et
limite les possibilités de financement par le marché des actions par
augmentation de capital….
Un modèle de l’ « électricien avisé » qui l’est
fort peu : stratégie purement financier et court-tremiste, incapable de
répondre aux enjeux de la transition énergétique
Mais en, fait
explique Dominique Finon, il faut critiquer ce modèle de l’ électricien avisé
porté aux nues par les marchés financiers..
« Est-ce que
l'Italie et l'Espagne trouveront pour autant avec leurs champions nationaux
focalisés sur l'international et les technologies EnR, un moyen suffisant pour
réussir leur transition vers la neutralité carbone d'ici 2050 ? Ne doit-on
pas sortir de ce modèle surfait de
"l'énergéticien avisé", en se distanciant des représentations
dominantes de la transition bas carbone qui ne misent que sur ces technologies
non pilotables et peu denses, sans défendre l'originalité de la transition
électrique française à dominante nucléaire ? Pour l'heure ce n'est pas du tout
dans l'air du temps quand on voit des ministres commander des scénarios 100%
EnR pour se démarquer d'EDF, et des agences
publiques (RTE, ADEME) ratiociner à l'infini sur la façon de réduire la
part du nucléaire au-delà de 50% après 2035 en promouvant sans limite les
EnR. »
Une solution est possible :fin des TRV et de l’ARENH, et
Bruxelles n’a plus rien à dire !
« En fait on
pourrait abandonner ce projet de nouvelle régulation tout en abandonnant
l'ARENH actuel et les tarifs règlementés de vente (TRV), tarifs sur lesquels,
rappelons-le, s'est construit l'ARENH pour faciliter les entrées des
fournisseurs alternatifs. Objectif qui s'est pleinement réalisé avec les
entrées massives de Total, Engie et ENEL, ce qui justifierait déjà en soi
l'abandon de l'ARENH, ce qui serait possible
si on abandonne les TRV. Et, en abandonnant le projet de nouvelle
régulation du nucléaire, on éviterait de se soumettre au contrôle mortifère de
Bruxelles… »
« On peut se
passer du projet Hercule et s'en tenir à l'organisation actuelle d'EDF, ce qui
mettrait déjà fin au conflit social. EDF bénéficie de la garantie implicite de
l'Etat pour emprunter, et quoiqu'on en dise, elle garde des "poches
profondes", certes un peu rétrécies actuellement mais c'est parce qu'on dramatise à dessein sa
situation financière. En abandonnant les
TRV et l'ARENH qui lui coûtent les deux plus d'un milliard par an, EDF verrait
ses marges restaurées en partie. La France ne ferait qu'adopter
intégralement le modèle de marché de l'amont à l'aval prescrit par les
directives, comme l'ont fait de longue date les autres Etats membres. En étant
enfin "dans les clous" de ce
modèle européen, la France serait légitime pour promouvoir de façon efficace à
Bruxelles de nouvelles règles permettant
de réformer le régime de marché électrique pour faciliter les investissements
dans toutes les technologies »
« Même en partie
privatisée, EDF est une entreprise au service de la politique d'indépendance
énergétique et de préservation du climat. Il en est le principal outil en
France avec le maintien de son engagement dans le nucléaire pour garantir les
faibles émissions de carbone du secteur électrique. EDF est aussi le meilleur
outil de préservation d'une filière industrielle de pointe dans laquelle la
France a excellé et pourrait exceller de nouveau pour ne pas dépendre dans le
futur du nucléaire chinois. Elle peut rester une entreprise au service de
l'intérêt public sans chercher à s'aligner aveuglément sur les énergéticiens
européens »
« Il y a une autre voie que le projet Hercule pour restaurer les marges d'EDF et d'autres chemins pour répondre au défi du financement des investissements futurs dans le nouveau nucléaire et les EnR.
Ceci implique que l'Etat sorte de son ambigüité sur le nucléaire et qu'il ait
foi dans l'originalité de la transition à la française à dominante nucléaire
loin des sirènes allemandes et bruxelloises, qu'il ait foi aussi en
"son" entreprise électrique en cessant de ne prêter l'oreille qu'aux
seuls milieux financiers »
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