1) l’Allemagne manipule l’Europe avec son plan hydrogène
Remarquable article de Michel Gay : https://www.contrepoints.org/2023/08/09/461428-lallemagne-manipule-leurope-avec-son-plan-hydrogene
Extraits : L’Allemagne annonce la construction de presque 24 gigawatts (GW) de centrales « à hydrogène » qu’elle veut faire subventionner par l’Union européenne.
Après avoir supprimé environ 20 gigawatts (GW) de nucléaire bas carbone (17 réacteurs), l’Allemagne comptait sur les énergies renouvelables intermittentes (EnRI) pour les remplacer. Mais les productions fatales de ces dernières étant insuffisantes, ce pays a conservé son parc pilotable au gaz et au charbon qui reste indispensable en soutien
« Pour masquer l’échec de sa transition énergétique (Energiewende) et obtenir en plus des subventions de l’Union européenne, l’Allemagne a donc imaginé ce projet ubuesque de 24 GW de centrales électriques, dites « à hydrogène ».
En réalité, ce sont des centrales à gaz capables de brûler aussi de l’hydrogène, mais qui doivent être subventionnées, car leur fonctionnement intermittent en complément des productions elles-mêmes intermittentes des EnRI, va limiter leur rentabilité. »
NB : là-dessus, ne pas hésiter à aller sur le compte
parodique RACG @charbongaz (il faut bien préciser parodique parce qu’ils
ont eu des problèmes) qui traite très bien de cette problématique
« Dans cet objectif, l’Allemagne prévoit, dès 2024, de lancer des appels d’offres pour près de 9 GW de nouvelles centrales à gaz censées fonctionner dès le départ à l’hydrogène. »
Et quand bien même ces centrales hydrogen ready fonctionneraient à l’hydrogène, la question à plusieurs milliards reste :
« Et d’où viendrait l’hydrogène consommé dans ces centrales « à gaz » ?
Selon l’Allemagne, l’électricité requise serait majoritairement produite par des éoliennes en mer…
McKinsey estime à 30 GW au moins le manque de moyens
pilotables en Allemagne à l’horizon de 2030. Ce cabinet d’experts doute que les conditions pour
la construction des nouvelles centrales soient remplies en temps voulu. Notamment, la bascule vers un hydrogène « vert » à un prix raisonnable reste incertaine, voire illusoire.
La capacité nationale de production d’énergies éolienne
et solaire (estimée à environ 100 TWh en 2030) ne suffira pas à couvrir le
besoin d’électricité pour la production d’hydrogène dont les importations
seront indispensables, comme les importations de gaz méthane aujourd’hui.
Ben c’est pas grave et c’est là que c’est rusé ; parce qu’en attendant Godot hydrogène vert, ces centrales hydrogène ready pourront très bien fonctionner… et même se rentabiliser au gaz classique…tout en étant financée au nom de la transition écologique et par des crédits verts. Rusé !
D’où le titre de l’article de Michel Gay : « l’Allemagne manipule l’Europe avec son plan hydrogène » :
« Si les subventions pour ces centrales à gaz « dites à hydrogène » sont attribuées par l’Europe, il s’agira de la deuxième arnaque du siècle réussie par l’Allemagne, après avoir fait croire que les énergies éolienne et solaire pouvaient assurer son avenir énergétique !
Pendant
ce temps, la France bataille pour que l’Union européenne l’aide financièrement
à prolonger ses centrales nucléaires (émettant moins de carbone (4 g CO2/kWh) que l’éolien ou le
solaire), et à en construire de nouvelles. »
Pas
mieux !
Quasi-simultanément,
Jean-Marc Jancovici publie un post linked dans lequel il critique un rapport de
Deloitte, très proche de la vision allemande : L’hydrogène vert : un accélérateur de transition
vers la neutralité carbone Analyse mondiale du marché de l’hydrogène vert à
horizon 2050.
2) Le rapport de Deloitte : L’hydrogène
vert : Analyse mondiale du marché de l’hydrogène vert à horizon 2050
Extraits
« La
demande européenne en hydrogène décarboné pourrait atteindre jusque 95 millions
de tonnes en 2050. A cet horizon, l’Europe serait le quatrième marché régional
de l’hydrogène en valeur, générant presque 200 milliards de dollar de revenus
par an. »
« L’Europe
pourra s’appuyer sur ses propres ressources pour produire des volumes
conséquents d’hydrogène décarboné, en
particulier pour les usages en hydrogène pur, plus difficile à transporter sur
de longues distances. Deloitte estime que la production européenne pourrait
atteindre 55 millions de tonnes par an d’ici à 2050. Du fait de ses
caractéristiques géographiques, il lui sera cependant difficile de satisfaire
l’intégralité de sa demande à un coût abordable. L’Europe pourrait ainsi
s’appuyer sur des partenaires nord-africains, du Moyen-Orient, d’Afrique
sub-saharienne, ou nord-américains pour fournir jusqu’à 40 % de sa demande
globale. »
« D'ici
à 2050, les principaux exportateurs devraient être l'Afrique du Nord (110
milliards de dollars par an), l'Amérique du Nord (63 milliards de dollars),
l'Australie (39 milliards de dollars) et le Moyen-Orient (20 milliards de
dollars). »
3) La réponse de Jancovici :
il manque le principal : faire quelques règles de trois
https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7095161561777848320/
Extraits : « Deloitte publie
un rapport sur "l'hydrogène vert, qui est repris par Les Echos avec un
titre très emphatique. Exit le pétrole, voici l'hydrogène vert !... »
« Le
travail de Deloitte évoque une production de 600 millions de tonnes d'H2 vert
en 2050. Le contenu énergétique de l'hydrogène est de 33 kWh par kg. 600
millions de tonnes d'H2 ont donc un contenu énergétique de 20.000 TWh (1 TWh =
1.000.000.000 kWh). C'est le contenu énergétique de 40% de la production
mondiale actuelle de pétrole, ou 50% de celle de gaz. Là ca semble déjà plus
impressionnant ! »
Le
rendement de l'électrolyse est d'environ 70%. Pour produire ces 600 millions de
tonnes d'H2 il faut donc environ 28.000 TWh d'électricité, soit... la totalité de la production électrique
mondiale actuelle, ou environ 3,5 fois la production ENR actuelle en incluant
l'hydro (et bien évidemment si on prend cette électricité pour faire de
l'hydrogène, elle n'est plus disponible pour ses usages actuels). »
« Parlons
argent : le rapport évoque un marché de 280 milliards de dollars pour les
exportateurs de cet hydrogène vert. Au vu du contenu énergétique évoqué
ci-dessus… ca semble peu. Accessoirement se risquer à évoquer un prix à la
tonne dans 27 ans me paraît un poil osé…
Si
l'on se limite à parler coût de revient, il faut alors "prévoir" le
coût futur des dispositifs solaires et éoliens qui seront mobilisés. Or, les
coûts actuels de production de ces dispositifs sont obtenus dans un monde où
l'industrie est extraordinairement productive grâce aux combustibles et les
transports très faciles grâce au pétrole.
Que
restera-t-il de cette "productivité" dans un monde dépourvu de
combustibles fossiles, ce qui est l'hypothèse implicite légitimant de produire
de l'hydrogène “vert” ? »
« Autre question : pourquoi
les pays d'Afrique du Nord ou d'Amérique du Sud affecteraient en priorité leurs
ENR à fournir en H2 des européens ou des asiatiques ne souhaitant pas devenir
sobres, plutôt qu'à leur propre décarbonation ? » (cf ci -après l'écocolonialisme)
« Deloitte
évoque 3 points de vigilance pour les pouvoirs publics. Il me semble qu'il manque le principal : faire quelques règles de
trois et se poser quelques questions avant de prendre nos paris ! La
production électrique a certes un peu plus que doublé sur les 27 dernières
années. Mais.... cela s'est surtout fait avec du charbon et du gaz ! »
Sur
ce point de l’hydrogène et de sa bulle éventuelle, un auteur est
particulièrement intéressant à suivre : Samuele Furfari
,
cf. par exemple
4)S.
Furfari : Hydrogène vert, un siècle
et toujours du vent. L’écocolonialisme.
https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/hydrogene-vert-un-siecle-et-toujours-du-vent-950641.html
https://www.science-climat-energie.be/2021/11/07/lecocolonialisme-au-pays-du-surrealisme/
Extraits
« Les
sympathiques idées de John Haldane le sont toujours après un siècle, de sorte
que l'hydrogène restera toujours l'énergie du futur. L'hydrogène est
indispensable à la vie d'une société moderne. Il n'est pas du tout nécessaire
pour la politique énergétique. Il restera l'éternelle utopie. » ( JBS
Haldane, généticien et biologiste britannique qui s’est risqué en 1923 dans un
discours à Cambridge à prédire une socitété basée sur l’hydrogène renouvelable) »
« Parler de
l’hydrogène est la dernière trouvaille des politiques pour faire croire qu’ils
maîtrisent la technique en promouvant un produit propre « dont la combustion ne
produit que de l’eau » suivant le slogan d’un constructeur automobile ; cette
référence est particulièrement déplacée, dans la mesure où le rendement
énergétique d’une voiture électrique à batterie est trois fois supérieur à
celui d’une voiture à hydrogène. »
« On aimerait connaître le prix de l’hydrogène produit en Namibie ; dans
plusieurs publications récentes, avec mon collègue italien Alessandro Clerici,
nous montrons dans un article publié par
Science-climat-énergie que la production d’hydrogène dit vert est
une aberration économique, car le coût
de production est exorbitant. Même à partir de solaire dans les Émirats arabes
unis le coût de production en 2030 serait de 2 €/kg avec un très haut
rendement d’électrolyse de 69 %, un discounted rate de 8 % et un
CAPEX de 450 €/kW. »
On aimerait savoir quel est le coût de l’hydrogène rendu au port d’Anvers, le pôle
pétrochimique qui a bien besoin de cette molécule noble. …transporter
de l’hydrogène ce n’est pas comme transporter du gaz naturel. C’est bien plus
compliqué à cause de la nature chimique de la molécule.
Cette question du transport de
l’hydrogène en mer a déjà été étudiée sur toutes ses facettes par les
fonctionnaires européens dans les recherches mentionnées ci-dessus. Par
exemple, afin d’importer dans l’UE de
l’hydrogène qui aurait dû être produit par l’abondante hydroélectricité du
Québec, un protocole d’accord entre le ministère des Ressources naturelles
de la province canadienne et la Commission européenne a été signé en 1988. Les
calculs ont montré que les solutions envisagées étaient impraticables : 54 % de perte d’énergie à cause de
la transformation chimique du toluène en méthylcyclohexane dans le sens Canada
UE, et inversement. De plus, transporter à vide 92 kg de toluène pour
transporter 2 kg d’hydrogène est bien évidemment une aberration.
« La ministre explique que la
moitié de l’hydrogène restera sur place en Namibie. Si c’est pour l’utiliser à
la production d’engrais pour donner à manger à la population on peut s’en
réjouir, puisque c’est là un usage incontournable de l’hydrogène. Mais ils
pourraient très bien aussi le produire à moindre coût à partir de gaz naturel… »
« Lorsque les chercheurs du Centre
commun de recherche de la Commission Européenne ont travaillé sur l’hydrogène,
c’était pour le faire à partir de l’électricité nucléaire, la bête noire de la
ministre belge. Mes calculs avec Alessandro Clerici publiés par Science-climat-énergie ont montré que la seule façon de limiter les coûts de la
production d’hydrogène – mais toujours plus cher qu’à partir du gaz naturel –
est avec l’électricité produite par les centrales nucléaires existantes »
« Dernier
point, gardé pour la fin, car il est le plus honteux. En 2019 d’après la Banque mondiale 55 % de la population de la
Namibie est connectée au réseau électrique. Et comme partout en Afrique, le
système électrique est très instable ce qui occasionne des coupures
d’alimentation récurrentes (la principale source pour la production
d’électricité pour les personnes nanties en Afrique est le diesel qui alimente
les groupes électrogènes domestiques). »
« Comment peut-on seulement penser à aller
produire de l’hydrogène pour un souci de pays surréaliste, en l’occurrence la
Belgique, dans un pays pauvre ? Cela est aussi indigne que l’idée saugrenue
allemande du projet Desertec pour produire de l’électricité dans le Sahara à
transporter en Allemagne. L’échec éthique et économique de ce projet n’a pas
suffi à l’Allemagne qui envisage à présent de produire de l’hydrogène au Maroc.
Est-ce parce que la Namibie est son ancienne colonie que l’Allemagne laisse la
place à la Belgique ? «
« La Commission
européenne ― toujours prête à copier l’Allemagne ― dans sa stratégie hydrogène
du 7 juillet 2020 a osé proposer l’écocolonialisme par l’hydrogène en Afrique,
mais heureusement le Conseil européen du 11 décembre 2020 a refusé d’entériner
cette faute éthique. »
« Si l’on veut que l’Afrique se développe, une chose
est à faire en premier : doter le continent d’une production d’énergie
abondante et bon marché. Un
article du 5 novembre 2021 qui me cite lors du colloque «Le paradoxe africain»,
tenu le 10 juin dernier à l’École militaire de Paris, rappelle fort
opportunément que « nous autres Européens consommons 6 100 kWh/an par personne,
et les Africains 530 kWh/an par personne, soit 12 fois moins. De plus, nous
savons que si la population africaine va augmenter de façon importante dans les
prochaines années, elle aura besoin d’encore plus d’énergie ».
"La Belgique
surréaliste préférerait ainsi capturer l’électricité des Africains en situation
de pauvreté énergétique. . L’écocolonialisme est-il le nouveau colonialisme à
la belge? »
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