Europe et Eurokom
Dans
un de mes précédents blogs, je m’enflammais sur les propos de Macron à Epinal
sur « l’Europe qui nous a donné la Paix ». Face aux politiciens truqueurs qui
sciemment mélangent l’Europe, réalité géographique, historique, culturelle et
la Communauté européenne et ses institutions (notamment la Commission
européenne), vouées uniquement à construire un grand marché selon le dogme
d’une véritable secte libérale, je propose donc de différencier l’Europe réelle
des peuples et des nations et l’Eurokom, les institutions de la Communauté
Européenne.
L’agenda de Lisbonne .
Plouf ! Echec complet !
De
tous les sujets traités dans cette série de blogs, c’est peut(être celui qui me
touche de plus prêt, et ce sera la plus simple à écrire et le plus rapide tant
l’échec est patent. Souvenons-nous ! En mars 2000 était organisé un
Conseil européen à Lisbonne, au cours duquel était affirmé l’ « agenda de
Lisbonne », soit l'objectif de
« faire de l'économie de l'Union européenne l’économie de la connaissance la plus
compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d’une
croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et
qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »
Une
priorité des priorités était fixée, devant
permettre d’atteindre ces objectifs : celle de consacrer 3% du PIB à la recherche et au développement
(R&D). Un objectif indispensable critique, qui n’avait rien de trop
ambitieux ; il laisse cependant l'UE loin derrière le Japon (3,8 %) et les
USA, par exemple.
Parmi
les initiatives phares de l’agenda de Lisbonne figurait l'Union de l'innovation. Présentée en octobre
2010 par la Commission, elle devait concentrer les efforts de l’Europe (et sa
coopération avec les pays tiers) sur des défis tels que le changement
climatique, la sécurité énergétique et alimentaire, la santé et le
vieillissement de la population. Elle
devait permettre au secteur public
d’intervenir pour stimuler le secteur privé et pour lever les obstacles qui
empêchent les idées d'accéder au marché (manque de financement, morcellement
des systèmes de recherche et du marché, sous-utilisation des marchés publics
pour l’innovation…)
Ah,
et aussi, pour rempli le défi de l’Europe de la connaissance, il était affirmé
que l’Europe avait besoin d’un million de chercheurs
supplémentaires…
Et
aussi ceci : Le financement de la R&D par le secteur privé devra
passer de 56%, valeur enregistrée en 2002, à 66% de l’investissement total dans
la R&D
Où en sommes-nous ?
La
Suède (3,25% du PIB) et l'Autriche (3,09% du PIB) sont les deux seuls pays parmi les 22 qui ont atteint les objectifs de
Lisbonne ( lesquels, rappelons-le devaient être atteint en 2010 !!). Elles sont suivies de l'Allemagne (2,94%
du PIB). A l'inverse, la Lettonie (0,44%), la Roumanie (0,48%), et Chypre
(0,50%) se placent en bas de tableau. Pour la France, Eurostat indique que les
dépenses ont représenté 2,22% du PIB selon des données pour 2015 ( ce qui fait
que, en France, les dépenses en R&D n’ont pas augmenté depuis 1996 ( 20 ans
de perdus pour la mirifique Europe de la Connaissance !) La moyenne européenne se situe à 2,03%- bien,
bien loin des 3% !
Nous avons perdu vingt ans ; Pendant ce temps, quel que
soit leur président les USA ont continué à nous surpasser (2.80%), le Corée et
le Japon nous écrasent (respectivement 4.23% et 3.29% du PIB) et la Chine nous
a dépassé (2.07%). Vous avez pas remarqué la disparition de Nokia, remplacé par
Samsung et maintenant HuaWei ?
Le
financement de la R&D par le secteur privé en France (et ce n‘est pas le
pire !- ni le meilleur) est….toujours de 59 %, soit une augmentation d’un
poil de iota en 18 ans. Et attention : il y a là dedans (et heureusement )
5.2 milliards d’euros de crédit impot recherche (donc avancés par l’Etat)- sur
46.4 milliards de dépenses totales de recherche développement.
Autre
exemple : l’agenda de Lisbonne devait permettre au secteur public d’intervenir pour stimuler le secteur privé. Fruit
d’un rapport présenté en 2004 par M. Jean-Louis Beffa, la France avait mis en
place une Agence de l’innovation
industrielle (AII), qui devait susciter, identifier et sélectionner des
programmes susceptible de conduire à des innovations de rupture (programmes
mobilisateurs pour l’innovation industrielle,PMII), pour lesquels les
financements publics et privés sont défaillant,
participer à leur financement et procéder au contrôle et à l'évaluation
périodique de ces programmes. C’était un pas dans la bonne voie, et que croyez-vous
qu’il arriva ? Au nom de la concurrence libre et non faussée, et des
« distorsions de concurrence » que ce programme pouvait, selon elle,
entrainer, la Commission européenne, et tout particulièrement la Commissaire à
la concurrence n’a cessé d’entraver le fonctionnement de l’AII qui a jeté
l’éponge au bout de deux ans pour revenir à la vielle habitude inoffensive du
saupoudrage type Oseo.
Et
il n’y a aucun signe que cela va changer.
Un fonctionnement bureaucratique…
Quand une présidente du Conseil Européen de la Recherche pète les plombs…
« Le
travail de l'agence de financement scientifique de l'Europe a été marqué par
les tensions actuelles avec la Commission et des règles bureaucratiques
"stupides", ont affirmé des représentants de l'agence aux
eurodéputés. Helga Nowotny, qui a été nommée présidente du Conseil européen de
la recherche (CER) le mois dernier, souhaite que l'organisation naissante
devienne une installation autonome et permanente dans le paysage scientifique
complexe de l'UE. Elle a affirmé que le travail de l'agence avait été entravé par
la bureaucratie bruxelloise. S'adressant à la commission de l'industrie, de la
recherche et de l'énergie du Parlement cette semaine (7 avril), elle a affirmé
que la structure du CER était défectueuse à la base. Selon ses propos, cela a
conduit à une relation compliquée entre les parties scientifique et
administrative de l'agence et a créé des problèmes entre le CER et la Direction
Générale recherche de la Commission européenne. Elle a décrit la transition du
CER en tant qu'agence exécutive de plutôt douloureuse et a blâmé l'esprit
bureaucratique de la Commission européenne…
Yves
Mény, auteur d‘un rapport sur le CER, parle d’ une bureaucratie fondée sur la
méfiance, et a mis l'accent sur les frustrations dues aux règles
"stupides" de la bureaucratie imposées aux chercheurs et aux
rédacteurs. Les efforts effectués pour que le CER entre en concurrence avec le
National Science Foundation (NSF) américain vont échouer à moins que le
problème de la bureaucratie ne soit combattu. Si l'agence exécutive a juste
pour rôle de servir une bureaucratie encore plus large, ce n'est même plus la
peine d'y penser – l'agence ne deviendra pas une organisation de recherche
reconnue, a-t-il prévenu.
Depuis
ces critiques de 2012, il ne semble pas que le Conseil Européen de la recherche
se soit, en quoi que ce soit, hissé au niveau de la NSF….
Les financements par projets-
inefficace et bureaucratique
La
secte libérale a depuis les années 80 progressivement imposé son idéologie et
sa méthode, la nouvelle gestion publique
(new public management) qui nie, ou en tous cas minimise, toute différence de
nature entre gestion publique et gestion privée. Dans le domaine de la
recherche, où il est particulièrement peu adapté, cela se traduit par la
suppression quasi-totale des financements récurrents et le recours
quasi-exclusif au financement par projets.
Alors
s’enclenche une catastrophe bureaucratique : la réduction des budgets
récurrents des unités de recherche pousse de plus en plus les équipes à monter
des projets ; les volumes financiers ne suivant pas – ou étant même en
réduction – le taux moyen de réussite s’effondre ; un temps considérable est
investi par les équipes pour monter des projets qui ont très peu de chances
d’aboutir ; le mécanisme de sélection est très lourd ; le montant moyen des
projets financés est en baisse. L’efficience globale s’effondre. Bien plus, le
formatage des projets de recherche amène à privilégier la faisabilité
opérationnelle à l’intérêt scientifique.
On
oblige du coup de plus en plus de chercheurs à monter des projets
institutionnellement complexes pour répondre à des appels concurrentiels pour
des recherches ne nécessitant pas forcément de monter de tels projets ; et
ensuite on ne donne pas à ces mécanismes de financement sur projet les moyens
cohérents avec leurs ambitions. C’est un mécanisme inefficace il a été estimé que plus de 35% des
ressources sont dépensées en gestion bureaucratique avant même le début du
projet…). Dès lors que l’équilibre entre
financement structurel et financement par appel à projets est déséquilibré, que
le rapport entre projets déposés et projets retenus est déraisonnable, que les
volumes unitaires de chaque projet sont faibles et ne permettent pas de
« rentabiliser » le coût de sélection sur un volume financier
suffisant, c’est la recette pour l’enlisement, le gâchis et la démotivation.
Et c’est aussi pour cela que l’Europe de la recherche s’est
ensablée ! Et ce n’est pas un hasard si l’un des rares succès en matière
d’Europe de la recherche, l EMBL (laboratoire européen de biologie
moléculaire), a été créé en 1974 sur des principes totalement différents, voire
opposés….
Une logorrhée
insupportable
L’Europe de la recherche, l’Europe de la connaissance, à l’aune
même des objectifs qu’elle s’était fixée à Lisbonne est un échec complet. Cela
n’empêche pas les institutions européennes de produire une vérité diarrhée
textuelle, une logorrhée verbale et écrite, qui devient de plus en plus
insupportable tant elle s’éloigne de toute réalité. Extraits :
« Le
programme Horizon 2020, doté de 80 milliards d'euros pour la période 2014-2020,
s'axe par ailleurs autour de trois grands piliers : l'excellence scientifique,
qui doit permettre de renforcer la position de l'UE dans le domaine
scientifique, la primauté industrielle, afin de renforcer l'innovation
industrielle et les défis de société. »
« L'Espace
européen de la recherche définit la voie européenne vers l'excellence dans la
recherche et est un moteur essentiel de la compétitivité européenne à l'ère de
la mondialisation. »
« Afin
d'atteindre les objectifs fixés par l'Union européenne en matière d'excellence
scientifique et d'innovation, plusieurs organes ont été créés : le centre
commun de recherche (JRC), le Conseil européen de la recherche, l'Agence
exécutive pour la recherche, l'agence exécutive pour les PME, l'agence
exécutive "Innovation et réseaux" et enfin l'Institut européen
d'innovation et de technologie »
(Ah,
oui, en matière de créations de machins bureaucratiques, l’ Union
Européenne doit être championne du monde)
Il
serait peut-être intéressant de se pencher sur ce que fait la Chine, qui nous
dépasse n. Le Conseil des affaires d’Etat, principal organe administratif et
politique de Chine, qui définit la
politique nationale et étrangère, prépare le plan et le budget de l’Etat et
joue un rôle central dans la définition de la stratégie nationale de recherche.
Au plus haut niveau. Eux croient à la recherche !
Il
faut sortir de cette Europe là.
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