Après le blog précédent (« Le
grand maléfice : pourquoi plus il y a de renouvelable, plus le prix de
l’électricité augmente !)
un autre aspect des dépositions devant une
Commission parlementaire du très grand et indispensable Jean-Marc Jancovici,
repris dans deux interviews données à Energgeek
(https://lenergeek.com/2018/11/05/jean-marc-jancovici-petrole-politique-energetique/;
https://lenergeek.com/2018/10/26/jean-marc-jancovici-nucleaire-climat-environnement-accord-paris/)
Extraits :
Deux
priorités incompatibles : combattre le réchauffement climatique ou baisser
la part du nucléaire ?
« Dans son interview au Monde du 10 septembre
2018, le nouveau ministre de Rugy évoque un mix électrique à 50% EnR et 50%
nucléaire dans la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), que
pensez-vous de cette déclaration ?
Cette
déclaration de François de Rugy atteste d’une mauvaise appréhension des
priorités du gouvernement. Après avoir déclaré l’importance de décarboner l’économie,
commencer par se focaliser sur la baisse du nucléaire, qui n’aura strictement aucun
impact sur nos émissions, ne correspond à rien de logique.
Si la première déclaration de
François de Rugy avait été « je vais m’occuper des transports », ou
« de la rénovation des bâtiments », ça aurait clairement montré
qu’Emmanuel Macron avait compris que la question climatique était ailleurs que
dans le nucléaire. Le fait
que le président laisse dire au nouveau ministre de l’environnement, dans sa
première interview au Monde, « je vais
commencer par m’occuper du nucléaire », même s’il précise qu’il souhaite
pacifier le débat, illustre que rien n’a changé dans la mauvaise gestion des
priorités. La démission de Nicolas Hulot n’y aura rien changé : le
nucléaire reste le passage obligé de tout discours environnemental du
gouvernement, et la place qu’il occupe dans les esprits et les débats annihile
tout débat environnemental sérieux…
Attaquer sur
le nucléaire est donc avant tout une erreur stratégique et tactique, car cela signifie que l’on va continuer à
regarder ailleurs que là où sont les vrais problèmes. Il n’y a qu’à voir,
la loi mobilités vient de passer de 130 à 30 articles, mais personne chez les
écologistes ou ailleurs ne proteste…
Cette
obsession autour du nucléaire vient peut-être de ce que ni François de Rugy, ni
le président, ne disposent des leviers d’action pour agir sur les autres
déterminants majeurs du système énergétique qui concerne la France, à savoir
l’ouverture des mines de charbon en Chine ou en Indonésie, l’exploitation des
gisements de gaz russes et le développement de l’activité des foreurs de shale
oil aux États-Unis… Car c’est là que sont les grands facteurs déterminants de
notre système énergétique depuis que nous sommes entrés dans une civilisation
thermo-industrielle, où les machines produisent à notre place. Face à ce
constat, le chef de la cinquième république française a finalement assez peu de
possibilités d’agir à court terme.
Malgré toujours plus de
renouvelables, nous ne sommes pas du tout sur la bonne trajectoire : les
GES réaugmentent.
Avec l’Accord de Paris et l’exemplarité du nouveau champion de la Terre
et du climat, Emmanuel Macron, peut-on tout de même croire que nous sommes sur
une bonne trajectoire ?
Malheureusement, comme la plupart
des pays qui ont adopté l’Accord de Paris, nous ne faisons pas les efforts qui
correspondent à ces déclarations. Que fait-on pour lutter réellement contre nos
émissions ? Pas grand-chose, et d’ailleurs elles ont augmenté en France en 2017. Quand on regarde les postes d’émission et les ordres
de grandeur pour estimer ce qu’il faudrait faire, on ne peut pas dire qu’on
tienne compte de l’Accord de Paris. On
ne s’occupe sérieusement ni des transports, ni du bâtiment par exemple. En
Allemagne c’est pareil, les constructeurs automobiles sont vent debout contre
la réduction des émissions, les industriels sont vent debout sur la baisse des
quotas à distribuer, les électriciens sont vent debout contre la baisse du
charbon… L’Allemagne ne peut absolument pas être citée en exemple : ils vont certes dépenser 500 milliards
d’euros dans les énergies renouvelables, mais cela n’aura quasiment rien changé
à leur trajectoire
sur les émissions de CO2.
En France, nous finançons
essentiellement des investissements « de transition » qui ne
correspondent pas à la question climatique. D’après un récent rapport de la Cour des comptes, à fin 2017 120
milliards d’euros ont été engagés dans l’énergie solaire et les éoliennes (sans
compter les 25 milliards promis pour l’offshore à l’été 2018), sans modifier la
part non fossile de la production d’électricité française, qui est à 90% depuis
1987. Question : à quoi ont servi les dépenses dans ces énergies renouvelables
électriques intermittentes, si ce n’est à préparer une transition énergétique à
l’allemande, c’est-à-dire pour faire moins de nucléaire, alors que ce dernier
ne contribue pas aux émissions ? La plus
grande confusion règne sur les objectifs, et elle est entretenue par une partie
du monde politique qui met dans un même sac les énergies fossiles et le
nucléaire. Au point que récemment encore, un sondage indiquait qu’environ
deux tiers des Français pensent que le nucléaire est un contributeur
significatif aux émissions de gaz à effet de serre, alors que c’est évidemment
inexact. Ce qui est sûr, c’est que les
slogans simplistes nuisent à la compréhension correcte des dossiers
scientifiques !
L’Europe sous domination allemande.
Pauvre démagogie des politiciens français. Pour quoi le fermeture de Fessenheim
relève de l’imposture.
Pourquoi nos
responsables politiques n’ont pas su faire un choix pertinent pour le pays au
lieu d’essayer de singer les Allemands qui sont partis dans le décor…
Finalement, au regard de ces éléments, comment
expliquez-vous les choix énergétiques français depuis ces dernières
années ?
Pour moi, l’Europe est allemande, et
donc l’Europe de l’énergie… est allemande. Le nucléaire c’est mal, le charbon
on verra plus tard, le gaz (pourtant fossile et contributeur
aux émissions) c’est bien, et le pétrole est en dehors des esprits. Au nom
de l’axe franco-allemand, nous cherchons à les imiter en tout… Or, de l‘autre
côté du Rhin, il y a une haine viscérale du nucléaire qui existe depuis
longtemps, pour des raisons qui ne sont pas techniques. Le nucléaire rappelle
tout d’abord les fusées Pershing, la présence militaire américaine sur le
sol allemand, donc la « honte » de la Seconde Guerre mondiale. Ces
fusées rappellent aussi l’époque où il y avait deux Allemagne, et que tout le
monde essaie d’oublier aujourd’hui. Une experte de l’énergie m’a aussi fait
remarquer un jour que l’énergie nucléaire est une énergie fédérale, et que dans
un pays dominé par les Lander, elle sera moins bien vue que l’éolien qui est
présenté comme une énergie locale (comme le charbon !). En France, nous
n’avons pas tous ces éléments « culturels », donc nous voyons aussi
la situation différemment.
Chez nous,
cette focalisation sur le nucléaire a aussi des déterminants culturels. Les
Français adorent l’Etat, mais adorent aussi s’en plaindre. Ils sont très
attachés à avoir des hôpitaux publics tout en critiquant dès qu’ils le peuvent
la qualité de l’accueil, très attachés au système public ferroviaire tout en se
gaussant des retards des trains (alors que notre système ferroviaire nous est
envié par nombre de pays étrangers), très attachés à l’école publique tout en
critiquant l’enseignement, etc.
Dans cet
ensemble, ils sont aussi très attachés à EDF tout en critiquant le système
technique mis en place. Il faut savoir dépasser cet esprit de « village
gaulois » pour faire des choix pertinents, et ni Sarkozy ni Hollande n’ont
su le faire. Sarkozy a délibérément évité de parler du nucléaire au moment du
Grenelle de l’Environnement, mais du coup il a laissé le champ libre aux
anti-nucléaires et aux gaziers pour proposer que ce soient les ENR électriques
(couplées au gaz !) qui montent en puissance dans le mix électrique.
Hollande a
voulu séduire les 2% d’électeurs pour qui la baisse du nucléaire est un des
premiers déterminants du bulletin de vote en annonçant la baisse à 50% en 2025
(il n’avait pas d’autre idée en tête que de se faire élire, ce chiffre rond ne
correspondait à aucune analyse technique sérieuse) et la fermeture de
Fessenheim, qui relève de l’imposture. Sur ce dernier
point, que l’Etat, actionnaire d’EDF, lui impose, quelle que soit la raison, de
fermer un réacteur, peut être vu comme une bêtise, mais cela reste dans le
cadre des droits de l’actionnaire majoritaire. Par contre, que Monsieur François Hollande affirme, sans tenir compte
de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), que c’est Fessenheim qu’il faut fermer
car c’est la plus vieille et donc la plus dangereuse, cela relève de
l’hypocrisie. Cela laisse croire que Monsieur Hollande est plus compétent
que l’ASN ou que les ingénieurs d’EDF pour arbitrer entre tous les
réacteurs en fonctionnement, alors qu’il n’a pas la compétence pour. En fait,
la seule raison de cette décision était de réaffirmer l’autorité du
gouvernement sur EDF, exactement comme un gamin sur la plage montre à un autre
gamin qu’il est le plus fort en allant piétiner son château de sable. Voilà où
nous en sommes rendus en matière de « clairvoyance » de l’Etat sur
les arbitrages de ce qui constitue le sang de nos sociétés modernes, l’énergie.
Et encore,
ici nous n’avons parlé essentiellement que d’électricité, mais cette dernière
ne constitue que le quart à la moitié de notre consommation énergétique (selon
la façon de compter, primaire ou final), et notre société dépend tout autant du
pétrole, qui est un des angles morts majeurs de la politique énergétique
européenne et française. »
Conclusion :
Si l’objectif est de remplir nos engagements climatiques, diminuer la part du
nucléaire dans le mix électrique est une imbécillité, une erreur monstrueuse, d’autant
plus que la consommation d’électricité va considérablement augmenter. L’électricité
peut être la plus décarbonée des énergie si elle est produite de la façon la
plus décarbonée, c’est-à-dire le nucléaire, l’hydraulique plus des
renouvelables en taux acceptables pour la stabilité du réseau (f ; l’Australie
du Sud pour un contre-exemple). Mais pour un certain nombre d’écologistes (pas
tous) fanatiques et misologues, l’objectif principal est la diminution du
nucléaire, et ils sont suivis par des politiciens démagogues – il semble
malheureusement que M. De Rugy soit de
leur côté.
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