J’ai dit à quel point l’initiative
No
Fake Science me paraissait la plus intelligente, la plus utile, la plus
indispensable, la plus juste, la plus courageuse des initiatives
intellectuelles et médiatiques depuis longtemps et déjà publié quelques réflexions
à ce sujet sur ce blog (cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/search?q=No+Fake+Science)*
Bon un peu de promo personnelle sur ce blog. J’ai
apporté ma contribution à la cause, contribution certainement intello il est
vrai (mais la science et la technique elles aussi réfléchissent) sous la forme d’un
article intitulé Théologie naturelle et Sélection
Naturelle ; les traités Bridgewater ou pourquoi il faut enseigner le Dessein
Intelligent paru dans l’excellente revue Alliage (n°80, été 2019),
une des rares revues où scientifiques, écrivains, artistes, philosophes peuvent
s’exprimer côte à côte et dialoguer.
Si vous voulez savoir qui
était le Comte de Bridgewater, l’histoire de son legs et ce que sont les
traités Bridgewater, reportez-vous à Alliage (n°80, été 2019).
Je vais juste ici m’expliquer
sur le titre, afin qu’il ne prête pas à confusion : il ne s’agit évidemment
pas d’enseigner le Dessein Intelligent (Intelligent
Design), doctrine créationniste, en parallèle à la théorie de l’évolution,
mais dans une perspective d’histoire et de philosophie des sciences, comme une
étude de cas particulièrement révélatrice, pour que les élèves apprennent à distinguer ce qui est de la science de ce
qui n’en n’est pas encore, n’en n’est plus ou n’en n’a jamais été ; et
qu’ils sachent que cette distinction, à un instant donné, n’est pas toujours
aisée, en particulier pour une science émergente, mais qu’il existe cependant des critères que
l‘histoire des sciences et qu’une culture minimale permettent de mettre en
évidence.
« Que
nous apprend l’histoire de la théologie naturelle et des traités
Bridgewater , parus entre 1833 « et 1840? Les arguments des partisans du Dessein Intelligent ont été exprimés dès
cette époque dans leur plus haute perfection et n’ont pas depuis varié d’une
virgule. Au contraire, la théorie de l’évolution a pris en compte les objections
qu’on lui a faites et a elle-même…évolué. Ainsi, la théorie synthétique de
l’évolution a intégré les apports de la génétique et expliqué, notamment grâce
à la découverte des gènes homéotiques, pourquoi, contrairement à ce que pensait
Darwin, la nature fait des sauts évolutifs – tous les chainons manquants
n’existent pas […]. C’est une première différence entre un dogme
théologique, immuable sauf intervention divine, et une théorie scientifique.
La théorie de l’évolution prédit correctement
le résultat d’expériences de génétique, on attend toujours des expériences à
l’appui du Dessein Intelligent.
L’admiration
d’une prétendue perfection de la nature est un présupposé qui repose souvent
sur une ignorance réelle ou volontaire ; si elle constitue un sentiment
esthétique parfaitement admissible (et sans lequel peut-être aucun naturaliste,
Darwin le premier, n’exercerait son métier !), elle n’est pas une démarche
scientifique acceptable. Comte appelait ainsi à la méfiance envers
« l‘admiration aveugle et illimitée qu’inspire l’ordre général de la nature »
et notait ironiquement : « Lorsque des astronomes se livrent
aujourd’hui à un tel genre d’admiration, il porte sur l’organisation des
animaux, qui leur est essentiellement étrangère, tandis que les anatomistes, au
contraire, qui en connaissent toute l’imperfection, se rejettent sur
l’arrangement des astres dont ils n’ont aucune idée approfondie »[1].
Lorsqu’un
savant indique que, dans son domaine, il est plus pertinent de considérer les
moyens et les fins que les causes et les effets, c’est là encore le signe d’une
dérive théologique. L’échelle encyclopédique des sciences de Comte et la
dépendance, mais aussi la différence irréductible, de ses barreaux successifs
(mathématique, physique, chimie, biologie, sociologie) mérite d’être prise au
sérieux. Un biologiste qui affirme que les phénomènes biologiques échappent aux
lois chimiques, ou un chimiste, que les phénomènes chimiques ne sont pas soumis
aux lois physiques etc. s’apprêtent à sortir de la science. De même pour les
doctrines finalistes : un physicien qui affirme que les lois de la
physique sont faites pour que les atomes puissent s’organiser en molécules
complexes ou un chimiste qui affirme que les lois de la chimie sont faites pour
favoriser la vie, dérivent vers la théologie. A l’inverse, les réductionnistes
qui affirment que la biologie peut se réduire à la chimie, ou la chimie à la
physique, quittent également le domaine scientifique, cette fois en direction
des idéologies matérialistes.
Enfin,
lorsque l’intelligence des savants est au moins autant employée à développer
des arguments selon lesquels leurs découvertes sont conformes à certains dogmes
qu’à l’observation et à l’expérimentation, c’est encore là une marque assez
sûre d’une dérive théologique. »
Deux derniers mots
1) J’ai parlé d’histoire
des sciences, de philosophie ; n’ayez pas peur ! J‘aurais dû dire qu’il
s’agit de proposer aux futurs scientifiques une réflexion minimale nécessaire
sur leur activité, et, à tous les futurs citoyens, certains moyens de distinguer la vraie science de la
fausse science.
2) Attention professeurs :
lorsque la théorie de l’Evolution, comme
pour beaucoup, au moins de ma génération, m’a été présentée pour la première
fois, on m’a invité à m’extasier sur l’extraordinaire beauté et diversité des
ailes de papillon, les couleurs des fleurs, les prouesses des caméléons etc ;
extraordinaires adaptations qui ne pouvaient résulter que de la sélection naturelle.
L’émerveillement n’est pas interdit, sans lui aucune activité intellectuelle ne
serait sans doute possible. Sauf que c’est exactement le type d’argument qui
fait la force et la séduction des théologiens rétrogrades et des créationnistes ;
comme l’expliquait Gould, la sélection naturelle est mise en évidence au
contraire, lorsqu’elle bricole de manière assez approximative un pouce
opposable du Panda à partir d’excroissances osseuses nullement designées pour cela.
Et beaucoup d’autres
articles intéressants dans Alliage (n°80, été 2019), notamment
sur Renan la science et le peuple ; s’approprier la science, sur l’art
mathématique de Paladino, etc. Merci à Jean-Marc Lévy-Leblond de faire vivre
cette délicieuse aventure intellectuelle.
Et No Fake Science !
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