Octobre 2019 : En Californie, on coupe le courant pour prévenir les
incendies
En 2018, la
Californie a connu l’un de ses pires et plus violents incendies avec le « Camp Fire », le
8 novembre 2018, qui a détruit
la localité de Paradise et fait 85 morts, le bilan le plus lourd que l’Etat ait
connu. Les experts l’avaient attribué à un défaut d’entretien des lignes électriques
(un départ de feu sous l’une de ses lignes à haute tension)
Donc, Cette année, PG & E a
anticipé. En prévision de l’arrivée des vents d’automne, venus de la Sierra
Nevada, qui chaque année se renforcent en puissance en se frottant à l’air
chaud de la vallée centrale, la compagnie a pris la mesure de précaution la
plus sûre : couper l’électricité. Sans courant, pas de risque d’étincelle
attisée par le vent.
Mercredi 9 octobre, 500 000 résidents de l’Etat qui a rang de cinquième
économie du monde, se sont donc vus privés de courant, à titre préventif,
principalement dans le nord de l’Etat, de Sacramento aux contreforts de la
Sierra. 250 000 habitants de la baie de San Francisco devaient subir le même
sort dans la nuit, les météorologues ayant annoncé des vents violents et
décrété une « alerte rouge ». Vingt-neuf des 58 comtés californiens étaient
affectés par la décision de PG&E de ne plus prendre le risque de servir ses
clients.
Il faut dire que PG&E s'est mise en
faillite en janvier, faisant face à des milliards de dollars de dettes
potentielles en raison de sa responsabilité dans le «Camp Fire», qui
a ravagé en novembre 2018 la bourgade californienne de Paradise, faisant au
moins 86 morts et détruisant 18.000 bâtiments, ainsi que dans des feux de forêt
en 2017.
Histoire d’une faillite annoncée : la libéralisation du marché de l’électricité
Comment ne pas voir dans cette situation la
conséquence ultime de deux causes : 1) la politique absurde de
libéralisation de l’électricité ; 2) un mix électrique toxique ne
comprenant quasiment pas de nucléaire, un hydraulique vieillissant et des
énergies nouvelles non maitrisées, plus une forte dépendance au gaz que la
Californie doit importer. Car ce n’est pas la première fois que PG&E,
géant historique de l’électricité en Californie, espèce d’EDF si l’on veut, se
trouve ainsi réduit à la faillite et dans l’incapacité de servir ses clients.
Echec de la libéralisation et première mort d’un géant
En 1852 fut fondée la San
Francisco Gas Company, qui fusionna au cours du demi-siècle suivant avec
d'autres compagnies jusqu'à la création de Pacific Gas and Electric Company
(PG&E) en 1905. Les grands travaux Rooseveltiens, avec la construction du Barrage Hoover de 1931 à 1936,
dont la Californie reçoit plus de la moitié de la production d'électricité
marquèrent la montée en puissance en Californie d’un service public de l’électricité
dont PG&E était l’un des fleurons. PG&E devint l'un des plus grands fournisseurs de gaz et d'électricité américains
avec 5,4 millions de clients pour l'électricité et 4,3 millions pour le gaz,
dans les régions nord et centre de la Californie. Bien que cotée en bourse,
elle avait un statut de service public (public utility), très réglementé depuis
le Public Utility Holding Company Act de 193 - elle était soumise à la
supervision de la California Public Utilities Commission (CPUC). Elle gérait le
réseau électrique de son territoire de desserte et produisait de l'électricité nucléaire
dans sa centrale de Diablo Canyon, la seule en Californie.
PG&E accompagna la
transformation de la Californie en un Etat puissant à la tête de la révolution
informatique…qui a besoin de pas mal d’énergie…Tout se passait bien jusqu’en 1996
et PG&E fournissait benoitement à toute la Californie l’énergie abondante
dont celle-ci avait besoin à coût très raisonnable, jusqu’à la décision de l’administration
Bush 1 sous l’influence des doctrines libérales et de certains intérêts amicaux,
d'entreprendre la dérégulation de son secteur électrique qui était jusque-là,
pour l'essentiel, sous le contrôle de l'Etat.
Et ce fut un festival !
On sépara le réseau et l’on créa de deux
marchés de gros, ce qui permettait plus d’occasion de spéculation. Les
producteurs de courant, autrement dit les centrales électriques, ont adopté une
politique attentiste. Contrairement à leurs engagements, ils n’ont entrepris la construction d'aucune des centrales qu'ils
avaient pourtant dans leurs cartons et qu’ils s’étaient engagé à construire.
Leur seule vraie crainte, la menace suprême pour eux, c’était la surproduction,
et ils n’avaient aucun intérêt à investir et à augmenter une production… dont la rareté assurait leur profit –
elle était la garantie pour eux de
pouvoir imposer des tarifs élevés et maximiser leurs bénéfices sans investissements. Mais dans le même temps, dans cette
Californie où les industries de pointe bourgeonnent, où chaque ménage multiplie
les équipements électriques et électroniques, la demande n'a cessé de croître.
Affaires en or pour les centrales, catastrophes pour les particuliers et les
industriels avec augmentations de prix et pannes.
Conclusion : envol exponentiel des prix de gros. Et
quand je dis exponentiel : les prix de gros de l'électricité, qui étaient à 30
$/MWh en avril 2000 , passèrent à 100 $/MWh, puis atteignirent en novembre 250
à 450 $/MWh, soit plus de 100% d’augmentation !
; Mais dans le même temps, les autorités politiques craignaient l’effet des
hausses massives du prix de détail sur les petits consommateurs (lesquels commençaient
à se manifester bruyamment) et bloqua ceux-ci. Donc au début 2001, des coupures
tournantes durent être organisées, puis
les deux principales compagnies ex-publiques (PG&E, Pacific
Gas and Electric Company et SCE, Southern California
Edison) firent
faillite, ainsi que quelques centaines de leurs fournisseurs dans leur chute. L’Etat fut contraint de les reprendre,
ce qu’avait parfaitement anticipé cyniquement, le
PDG d'Enron, Jeff Skilling,: «Quand les compagnies seront trop endettées, nous
limiteront l'énergie livrée à la Californie et l'Etat sera contraint d'aider
ces sociétés.»
Ah oui, car dans ce festival, il y a eu Enron, la
plus gigantesque escroquerie de ces années ; Enron, qui gérait le Path 26, la seule connexion entre
Californie du nord et Californie du Sud, Enron et ses congestions fantômes. Voilà ce qu’ils ont fait, expliqué à une
Commission d’Enquête Sénatorial par un employé : « les courtiers
d'Enron ont engorgé cette ligne artificiellement pour qu'ensuite, quand les
gens auraient besoin de cette ligne, Enron fasse monter ses prix ». Ainsi, le
14 et 15 juin 2000, en pleine vague de chaleur, les courtiers d'Enron ont
engorgé le «Path 26»,. Ils ont créé un goulot d'étranglement qui a bloqué la
transmission de l'électricité vers «Path 15» en direction du nord de l'Etat.
«On a surchargé la ligne qui nous appartenait chaque fois qu'il y avait une
vague de chaleur, reconnaît maintenant un courtier. Résultats : des
black-outs à San Francisco, Los Angeles et dans la Silicon Valley au cours des
étés 2000 et 2001, jusqu’à ce que les autorités locales acceptent de payer à
Enron le prix qu’ils exigeaient.
Et bien d’autres manœuvres encore, par exemple le
«blanchiment de mégawatts». Comme les prix étaient plafonnés en Californie,
Enron achetait du courant dans cet Etat, le transférait dans les Etats voisins
et le revendait au prix fort en Californie. Un exemple d'escroquerie imité
ensuite par d'autres compagnies La peur des black-outs a aussi forcé les
entreprises à signer des contrats à long terme avec Enron pour plus d'un
milliard de dollars. (cf. Quand Enron
éteignait la Californie. Libération, Annette Lévy-Willard, 21 mai 2002)
Le
mix énergétique californien
Le secteur de l'électricité en
Californie se caractérise par une proportion importante d'énergies décarbonées
: 53,9 % en 2018 (8,7 % de nucléaire et 45,2 % d'énergies renouvelables :
hydraulique 12,4 %, géothermie 5,7 %, biomasse 2,7 %, éolien 6,5 %, solaire
photovoltaïque 17,8 %, solaire thermodynamique 1,2 %), mais les combustibles
fossiles ont encore une part élevée : 44,7 % (presque uniquement gaz naturel),
et la production ne couvre que 72 % de la demande, le reste étant importé des
États voisins et du Mexique. Les énergies décarbonées produites localement ne
couvrent donc que 39 % de la consommation d'électricité… La part des énergies renouvelables (EnR) n'a pas
progressé de 1990 à 2018, la forte progression de l'éolien et du solaire ayant
été presque compensée par l'effondrement de l'hydroélectricité due à une
succession d'années de sécheresse, ainsi que par le recul de la géothermie et
des centrales à bois.
Californie
d’aujourd’hui, Europe de demain.
Donc un service public qui fonctionnait plutôt bien. Une libéralisation, au nom de la sacro-sainte concurrence,
disaient les promoteurs de cette politique, qui devait exercer une pression à
la baisse sur les prix, dont bénéficieraient les consommateurs ; sans
vraiment se poser la question si les obligations de service public de l’énergie,
si le caractère de monopole naturel du transport et de certains des modes de
production, si l’intensité capitalistique et donc la vision à long terme
nécessaires ne rendent pas la privatisation absolument inadaptée.
A l’arrivée, un ex-service public qui fait deux
fois faillite et ne peut plus assurer sa mission, des Californiens modestes
matraqués et révoltés, des black-out à répétition, des incendies géants par
manque d’entretien et d’investissement, d’autres black-out, des énergies renouvelables
non pilotables qui fragilisent le réseau, pas un poil de décarbonation,
quasiment pas de nucléaire, une dépendance énergétique intacte, en particulier
au gaz ( merci pour le CO2) et ceci dans l’une des premières économies du monde.
Qui ne voit que c’est exactement là où nous emmène
l’Europe, avec sa libéralisation de l’électricité, avec le démantèlement imposé
des services publics et en particulier d’EDF, la contrainte fait à EDF de céder près de 30% de
son énergie à prix coûtant à ses concurrents via l’ARENH, des concurrent qui,
comme en Californie, n’ont pas investi dans la moindre production pilotable et
se contentent de piller EDF, les
manipulations des margoulins de l’éolien,
Et
les premiers prémices des black out : ainsi, lundi 7 octobre 2019, RTE a
dû recourir au dispositif d’effacement des électrointensifs et couper
l'électricité à 22 sites industriels pour éviter le black out, à cause d'une
seule turbine de Gravelines déconnectée. Imaginez dans
le futur une suite de nuits sans vent….
NB : pour la suite, et d'autres black out, voir
https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/08/canicule-covid-enr-et-nucleaires-qqs.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentaires
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.