Taxonomie et financement du nucléaire : le nucléaire a besoin d’argent bon marché !
Les enjeux de la taxonomie ont été un combat
récurrent de l’année 2020. La Taxonomie verte est un instrument sur lequel
travaille la Commission européenne, une
sorte de labellisation destinée à guider les investissements financiers vers
les secteurs et les activités les plus appropriés pour atteindre les objectifs
climatiques de l’Europe, la transition vers une économie bas-carbone et un
modèle de développement durable.
Cf sur ce blog https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/06/nouvelles-de-la-taxonomie-juillet-2011v2.html, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/10/taxonomie-les-pays-bas-poussent.html, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/09/urgence-nucleaire-et-climatique-alerte.html, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/dernieres-nouvelles-de-la-taxonomie.html,
Dans une première version (premier acte délégué),
votée l’année dernière et entrée en viguer en janvier 2022 , le nucléaire était tout bonnement exclu de
la taxonomie, alors qu’il est la seule source délectricité pilotable
abondate et décarbonée. Cette décision imposée par l’Allemagne (le Luxembourg
et l’Autriche) s’est heureusement heurtée à une forte mobilisation d’Etats
membres.
En effet, pour la France, et pour d’autres pays
européens ( Suède, Finlande, Tchéquie, Slovaquie, Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Pays-Bas, Pologne), une transition
climatiquement efficace, économiquement et socialement soutenable ne peut se
passer de l’énergie nucléaire ; et, comme l’utilisation de l’électricité
est amenée à augmenter et à se substituer à d’autres sources, la production
nucléaire d’électricité est aussi appelée à augmenter.
Que ce soit pour l’augmentation de la durée de vie
des centrales existantes (considérée comme l’option la plus économique par
l’AIE et l’OCDE ou pour de nouvelles centrales ( EPR, SMR, GENIV), le nucléaire a besoin de financements, et
de financements bon marché. Pour l’Europe,
les centrales nucléaires existantes nécessiteront à elles seules 50
milliards € d’ici 2030 et 500 milliards d’ici 2050 pour la nouvelle génération
(Thierry Breton). Par ailleurs, le coût du seul financement pour un projet
comme Hinkley Point (EPR) représente les deux tiers du coût total du
projet…Pour un ordre de grandeur, diminuez de 7 à 4% les taux d’intérêts, et le
coût du projet est divisé par deux
Non seulement
les Etats, mais aussi les syndicats ont fait entendre leurs voix. Ainsi les quatre fédérations syndicales
représentatives des salariés du secteur français de l’énergie (CFE-CGC,
CGT, FO, CFDT) ont mené une action au niveau national ( lettre au Président de
la République) mais aussi au niveau européen : première lettre à la Commission du 28 janvier 2021(Lettre des syndicats du secteur européen de
l’énergie, 12 syndicats de 6 pays européens) , deuxième lettre du 23
juillet 2021 (Lettre de suivi des
syndicats du secteur européen de l’énergie, 18 syndicats de 10 pays
européens) pour défendre l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie.
https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/08/nouvelle-initiative-de-syndicats.html,
https://twitter.com/EricSartori3/status/1420122844516823040
L’évolution
en cours : de l’exclusion à une inclusion bancale
La Commission
européenne a transmis en toute fin d'année 2021 un projet d'acte délégué
complémentaire sur l’intégration du nucléaire et du gaz dans la taxonomie
européenne. Cet acte complète le premier
acte délégué, entré en vigueur en janvier 2022, et qui excluait le nucléaire.
Ce projet d’acte délégué
(59 pages denses
et touffues déposées le 31 décembre, quelques heures avant minuit ) doit être discuté par la plate forme des
Experts et les représentants des Etats qui ont jusqu’au 21 janvier
(initialement le 123 !!!) pour examiner le projet et proposer leur
contribution.
Ensuite le projet sera considéré comme définitif et examiné
par le Conseil et le Parlement européen durant une période de 4 à 6 mois. A ce stade, la seule possibilité sera
l’adoption ou le rejet, à la majorité simple pour le Parlement, à la majorité
qualifiée pour le Conseil (20 Etats membres représentant 65% de la population. Selon la Commission, il n’y aura pas
d’autres consultations : « une
analyse d’impact et une consultation publique ne sont pas nécessaires, car les
activités couvertes par le plan d’action
pour le développement ont déjà fait l’objet d’une évaluation et d’une
consultation détaillées »
Ce sera donc à
prendre ou à laisser
La réaction
officielle française a plutôt été à l’autocongratulation (« L’inclusion du
nucléaire dans la taxonomie verte, un victoire diplomatique pour la France »
https://www.ladiplomatie.fr/2022/01/04/linclusion-nucleaire-taxonomie-victoire-diplomatique-france/)
Mais les opposants au
nucléaire se sont aussi réjouis :
« Taxonomie :
une déconvenue pour la France, un recul pour l’environnement » selon
Greenpeace
En réalité, il s’agit
d’un compromis très politique et très peu scientifique : l’Allemagne a
négocié dans la taxonomie le gaz (443 gCO2e/kWh) contre le nucléaire (6g CO2e/kWh).
Restons sur le nucléaire :
Des avancées réelles
A) les points positifs
On ne peut que se réjouir
de la
reconnaissance du rôle du nucléaire pour atténuer le changement climatique et
de son inclusion dans la taxonomie européenne, à la fois à travers divers type
de réacteurs existants, troisième génération (EPR et EPR2), les futurs de
quatrième génération et les SMR. Les points suivants apparaissent
particulièrement significatifs
1) La Commission
reconnait que l’énergie nucléaire peut apporter une contribution substantielle
à la lutte contre le dérèglement climatique, et respecte le critère DNSH (Do
not significatly harm) en ne provoquant pas de dommages significatifs aux
objectifs environnementaux de la Taxonomie, pourvu que certains critères
techniques ( TSC technical Screening criteria ) soient respectés;
2) Elément également très important : l’enfouissement
géologique profond, considéré comme très problématique lors de la
préparation du premier acte délégué, est maintenant
reconnu comme une solution sûre et praticable pour isoler définitivement les
déchets radioactifs à longue vie de la biosphère : « l’enfouissement géologique profond représente , dans l’état actuel des
connaissances, la solution de pointe largement
acceptée par la communauté d’experts du monde entier comme l’option la plus sûre, la plus durable et
techniquement disponible pour ’isoler les déchets fortement radioactifs de la
biosphère sur le très long temps nécessaire »
3) Des technologies
existantes appropriées permettent
de prévenir les impacts environnementaux
négatifs potentiels du nucléaire ou d’en mitiger les conséquences. La
conformité aux stipulations du traité Euratom permet avec une confiance
suffisante d’assurer que les éventuels impacts sur les humains et l’environnement restent en dessous du seuil de dommages
significatifs. Donc, la Commission reconnait que le fameux critère DNSH est
respecté.
4) La production
d’électricité nucléaire génère des
émissions de gaz à effet de serre proches de zéro et fournit une énergie de
base pilotable qui facilite le déploiement des énergies renouvelables intermittentes
et n’handicape pas leur développement ; que les preuves de sa
contribution substantielle potentielle aux objectifs climatiques sont convaincantes et variées. (clear and
extensive). La Commission reconnait l’intérêt de l’énergie nucléaire « pour produire de l’électricité et/ou de la
chaleur industrielle, y compris à des fins de chauffage urbain ou pour des
procédés industriels tels que la production d’hydrogène ».
Selon l’article
10(2) du règlement EU 2020/852, le
nucléaire contribue substantiellement
aux objectifs climatiques et soutient la transition vers une économie
neutre pour le climat, avec une voie permettant de limiter l’augmentation de la
température à 1,5 ° C au-dessus des niveaux préindustriel »
Et c’est là que commencent
les problèmes sérieux car cette référence à l’article 10(2) laisse à penser que
la Commission considère le nucléaire comme une « énergie de transition »
sans que ce soit clairement explicité ; mais aussi comme une énergie
durable, bien que non renouvelable.
B) des points de vigilance sérieux et inquiétants
1) L’acte délégué
entretient une fâcheuse ambiguïté sur le classement de l’énergie
nucléaire ; si elle n’est pas expressément qualifiée d’énergie de
transition, elle est pourtant rattachée au paragraphe 10.2, qui définit les
énergies de transition, et nombre des problèmes subséquents viennent de cette
qualification.
Le nucléaire doit être considérée comme
durable et non comme une simple énergie de transition (jusqu'à quand ?,
transition vers quelle autre énergie de base pilotable ?) Avec le développement
de la génération IV, qui permet la fermeture du cycle du combustible, il
pourrait même être considéréecomme une
énergie renouvelable…
2) L'existence de
clauses de caducité : ainsi la prolongation des réacteurs doit être décidée
avant 2040 et la construction de nouveaux réacteurs avant 2045 pour être
cohérent avec la taxonomie.
Ces clauses semblent
difficilement compatibles avec les horizons d'investissement pour les nouveaux
projets nucléaires, en particulier pour la génération 4 (surgénérateurs). A
terme, elles semblent même conduire à des absurdités : sur la période
2040-2045, un nouveau réacteur nucléaire serait éligible à la taxonomie, mais
pas les investissements nécessaires à son exploitation comme un réacteur
existant. Elles n'ont aucune justification.
3) La Commission
semble exiger un droit de regard sur les critères de sélection technique, ce
qui ne relève pas de sa compétence et doit rester strictement du ressort des
autorités nationales de sûreté nucléaire. Nous pouvons voir à quels problèmes
cela conduit lorsque la Commission impose comme critère l'utilisation de l'ATF
(Accident Tolerant Fuel) qu'elle prétend être disponible alors qu'il n'existe
aucune norme, aucune décision des Autorités de sûreté à ce sujet, aucun retour
d’expérience, simplement la communication promotionnelle d’un fabricant. De plus, il semble que l'ATF soit
un combustible développé pour accroître la sécurité et le fonctionnement des
réacteurs nucléaires anciens, et non une exigence de sécurité dans les
réacteurs modernes. En tout état de cause, il appartient aux Autorités de
sûreté de se positionner ;
Si cette exigence
d’utilisation d’un combustible encore inexistant et dont le développement se
situe à l’échelle de la dizaine d’année voire plus était maintenue, elle bloquerait
le financement de tout projet nucléaire durant la période correspondante…
Au-delà le statut
d’énergie de transition suppose des réexamens scientifiques et techniques tous
les trois ans et un rapport détaillé
tous les 5 ans. La Commission prendrait ainsi la main sur les programmes nucléaires nationaux, avec
tous les risques de blocages bureaucratiques ou politiques que cela entraine,
et entrainerait un climat de
justification permanent difficilement compatible avec un développement
industriel ;
4) L'échéance de 2050
pour construire un dépôt en couche géologique profonde est très problématique
pour certains pays européens. Pour des pays comme la Pologne qui n'ont pas
d'énergie nucléaire actuellement et qui décideraient de construire des
centrales nucléaires, cela n'a tout simplement aucun sens. Il y a là au surplus
un risque politique d’éclatement du front nucléaire entre les pays qui
pourraient satisfaire à ce critère (France, Finlande, Suède) et les autres ;
5) Les
investissements de pays de l'UE dans des projets nucléaires en dehors de l'UE
doivent également être considérés comme conformes à la taxonomie, ce qui n’est
pas le cas actuellement. C’est injustement handicaper le développement à
l’international de nos industries nucléaires, c’est priver les pays qui le
désirent d’une source d’électricité indispensable au combat contre le
dérèglement climatique, sauf à les jeter dans les bras de concurrents étrangers
aux très larges ambitions géopolitiques (Chine, Russie, USA) ;
6) Le cycle du
combustible nucléaire devrait être inclus en tant qu'activité habilitante. De
même, la production de chaleur et d'hydrogène à partir des centrales nucléaires
existantes et des technologies avancées doivent être clairement couvertes par
la taxonomie ;
7) L’obligation pour les investisseurs de déclarer de manière
distincte leurs investissements
nucléaires n’est pas conforme au principe de neutralité technologique-
seul le nucléaire y est soumis. Cette exigence de divulgation présente un
caractère discriminatoire et stigmatisant anti- nucléaire, qui est décidément
la marque de cette Commission ou du poids de certains Etats dans son action.
Au-delà de son rôle
dans l’orientation des investissements dans le secteur énergétique, la
taxonomie portera effet sur l’éligibilité aux fonds européens, les
conditions des aides d’Etat, les « green bonds », les plans de
relance, les écolabels…
Il va donc falloir
être vigilant
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