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jeudi 22 avril 2021

Dernières nouvelles de la taxonomie

 Résumé des épisodes précédents

En mars 2020, le groupe d’experts étudiant la taxonomie verte européenne (TEG, technical Expert Group), c’est-à-dire un instrument financier destiné à favoriser et orienter les investissements vers les activités durables reconnaissait que « la production d’énergie nucléaire entraine des émissions de gaz à effet de serre proches de zéro dans la phase de production d’énergie et peut contribuer aux objectifs d’atténuation du climat », mais excluait, « à ce stade » l’inscription du nucléaire dans la  taxonomie parce qu’ « il n’a pas été en mesure de conclure que la chaîne de valeur de l’énergie nucléaire ne cause pas de dommages importants à d’autres objectifs environnementaux ».

 

 Cette remarque visait en particulier le problème des déchets nucléaires et le TEG, avouant son manque de compétence sur ces sujets, laissait la porte ouverte à une expertise indépendante ad hoc.

En mars 21,  le JRC, service scientifique interne de la Commission, rend son rapport et concluait favorablement à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie pour les raisons suivantes

 

1) Ses analyses n’ont révélé aucune preuve scientifique que l’énergie nucléaire nuit davantage à la santé humaine ou à l’environnement que les autres technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie en tant qu’activités soutenant l’atténuation du changement climatique.…

 

 2) À l’heure actuelle, il existe un large consensus scientifique et technique selon lequel l’enfouissement des déchets radioactifs de haut niveau et de longue durée dans les formations géologiques profondes est considéré comme un moyen approprié et sûr de les isoler de la biosphère pendant de très longues périodes.

 

3) La production d’électricité à base d’énergie nucléaire peut être considérée comme une activité contribuant de manière significative à l’objectif d’atténuation du changement climatique et  tous les impacts potentiellement nocifs des différentes phases du cycle de vie de l’énergie nucléaire sur la santé humaine et l’environnement peuvent être prévenus et dûment évités.

(cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/taxonomie-europeenne-rapport-du-joint.html)

 

Engagement des syndicats, des politiques de la société civile

 

Dans la même période, plusieurs syndicats européens de l’énergie (pour la France, l'interfédérale FNME-CGT, CFE-CGC Énergies, FCE-CFDT, FO Énergie et Mines, CFE-CGC métallurgie) auxquels se sont joints des syndicats bulgares, finlandais, belges, hongrois et roumains) ont écrit à la Commission Européenne pour  demander l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie :

 

« Exclure l’énergie nucléaire de la taxonomie européenne conduirait donc à fragiliser toute une filière (plus d’un million d’emplois en Europe dont 220 000 en France) qui fournit pourtant actuellement près de la moitié de l’électricité à faible teneur carbone dans l’Union Européenne, permettant ainsi d’économiser annuellement l’émission de plus d’un demi-milliard de tonnes de CO2. En outre, les secteurs utilisateurs de cette énergie, notamment les électrointensifs au cœur de l’industrie européenne, seraient eux aussi fortement impactés….Pour la CFE-CGC, la transition de l’Europe vers sa neutralité carbone ne peut se priver de l’avantage du nucléaire, car c’est la clef de la réussite du Green Deal porté par la Commission européenne. » Communiqué CFE-CGC,  03 - 02 – 2021)

 

 Dans la foulée, l’interfédérale FNME-CGT, CFE CGC Énergies, FCE-CFDT et FO Énergie et Mines écrivait au Président de la République pour lui demander de s’engager résolument « pour éviter l’exclusion du nucléaire de la taxonomie européenne, décision qui aurait des conséquences très négatives pour l’industrie française et les engagements climatiques français et européens. […]C’est en défendant la neutralité technologique bas carbone de la taxonomie et donc l’inclusion du nucléaire que la France apportera sa pierre à d’édifice d’un projet européen climatiquement responsable qui fait de la sécurité énergétique, de la relance économique, de l’ambition sociale et de la relocalisation industrielle ses priorités, tout en préservant son autonomie stratégique en matière énergétique et industrielle. » Communiqué CFE-CGC, 22 mars 2021)

 

Le 25 mars, le Président de la République, M. Emmanuel Macron et les Chefs d’Etat et de Gouvernement de six autres pays européens (Hongrie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont adressé à la Commission Européenne « un appel d'urgence pour assurer des règles du jeu équitables pour l'énergie nucléaire dans l'UE, sans l'exclure des politiques et des avantages climatiques et énergétiques »  demandant que  « les politiques énergétiques et climatiques européennes soutiennent toutes les voies vers la neutralité climatique, selon le principe de la neutralité technologique » et soulignant « l'indispensable contribution (du nucléaire) pour combattre le changement climatique » : «  Nous sommes convaincus que toutes les technologies neutres ou à faibles teneur en carbone qui contribuent à la neutralité carbone… devraient non seulement être reconnues par l’UE, mais également soutenues activement […] C’est particulièrement le cas du nucléaire, dont le développement est l’une des priorités phares du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), contraignant les institutions de l’UE à le mettre en avant »

 

Le 15 avril, lors de la signature d’un  avenant au contrat stratégique de filière nucléaire, Bruno Le Maire confirmait : «  La France se battra pour que le nucléaire soit considéré comme une énergie décarbonée en Europe…Nous pensons que c'est un atout considérable de compétitivité économique pour la France, que nous ne pourrons pas réussir la transition écologique sans le nucléaire…Nous souhaitons que le nucléaire soit présent dans la taxonomie européenne  et nous livrerons ce combat avec la plus grande détermination »

 

Dans les milieux politiques, une nouvelle organisation, PNC France (Patrimoine Nucléaire et Climat) une association transpartisane regroupant notamment  de nombreux politiques (Bernard Accoyer, Arnaud Montebourg, Jean-Pierre Chevènement, Julien Aubert, Christian Bataille, André Chassaigne, Sébastien Jumel, Gérard Longuet, Hervé Mariton, Hubert Védrine, Raphaël Schellenberger..) et des experts ou acteurs du domaine (François-Marie Bréon, Michel Cara, Sylvain Coutterand, Louis Gallois, Jacques Percebois…) a été aussi fort active auprès des institutions françaises et européennes (Commission, Conseil des Etats) :

 

« Les experts scientifiques européens réunis au sein du JRC ont établi que l’énergie nucléaire respecte tous les critères permettant de l’inscrire dans cette taxonomie. Malgré ce point essentiel, les lobbies anti-nucléaires et les pays hostiles à cette énergie ont maintenu contre toute logique leur pression insistante pour écarter cette énergie et admettre le gaz alors que celui-ci émet 70 à 80 fois plus de CO2 !

Pressentant le risque d’approbation d’un acte délégué formalisant une telle orientation, PNC-France s’est fortement mobilisée. En effet, l’enjeu est fondamental pour le climat et pour l’ensemble de la filière nucléaire française, car l’énergie nucléaire est très capitalistique…. Il est donc essentiel de pouvoir accéder aux modes de financements privilégiés qu’apporte la taxonomie. Au-delà de cet effet économique, les investisseurs privés seraient peu enclins à s’engager dans des projets dont la rentabilité ne peut s’évaluer que sur le long terme, et soumis en même temps aux aléas politiciens. Derrière cette perspective se dessinerait en filigrane le risque d’abandon définitif de la filière, avec des conséquences climatiques, économiques et sociales extrêmement graves…

 

PNC-France a donc alerté à nouveau par écrit le Président de la République, le Premier ministre et les membres de l’exécutif concernés ainsi que Mme la Présidente de la Commission européenne, les commissaires impliqués dans cette décision, M. L’ambassadeur auprès du Conseil européen, les députés français au Parlement européen, sans oublier les parlementaires français. »

 

Cette mobilisation politique et syndicale a été accompagnée d’une mobilisation sociétale inédite :  une lettre ouverte a été signée par 46 organisations non-gouvernementales issues de 18 pays appartenant à l’UE et hors UE: Australie, Belgique, Canada, Corée du Sud, Danemark, États-Unis, Finlande,a France,  Grande-Bretagne, Italie,  Norvège,  Pays-Bas,  Philippines,  Pologne, Suède,  Suisse et Taïwan. Initiée par l’association Les Voix du Nucléaire, elle demande l’intégration de l’énergie nucléaire dans la taxonomie de l’UE parce qu’ « exclure l’énergie nucléaire soutient une stratégie de transition énergétique notoirement insuffisante pour décarboner ».

 

« La représentation faussée dont l’énergie nucléaire, la plus importante source d’énergie pauvre en carbone de l’Union européenne, est l’objet, contribue à empêcher son déploiement, et oblige à maintenir en activité des centrales fossiles, pénalisant les efforts pour lutter contre le changement climatique, préserver la souveraineté de l’Europe et bénéficier d’un air plus sain ». Les ONG signataires  demandent que « toutes les sources d’énergie à faible émission de carbone soient équitablement prises en considération dans les discussions actuelles et futures de la Commission européenne, y compris sur la taxonomie et que l’UE soutienne l’évaluation objective de toutes les options qui s’offrent à elle et apportent des faits scientifiques correctes sur l’énergie nucléaire. »

 

« Si l'énergie nucléaire n’est pas intégrée dans la taxonomie de l’UE, les ONG estiment que la Commission devra porter la responsabilité de l’encouragement d'une stratégie notoirement insuffisante pour décarboner l'économie et préserver le climat et les populations ». (9 avril 2021)

 

La Commission tente le passage en force. Le jeu dangereux ( et déloyal ?)  de Pascal Canfin

 

La Commission envisagerait  envisagerait ainsi d’exclure le gaz et le nucléaire de la taxonomie, qui serait validée actuellement et  de présenter au quatrième trimestre de 2021 « une proposition législative distincte» couvrant spécifiquement ces activités, auxquelles pourrait s’ajouter la bioénergie. L’exécutif européen aurait en outre décidé d'abandonner, pour ces industries, le plus grand pouvoir que lui conférait la procédure des actes délégués et de recourir à la procédure législative ordinaire en codécision afin de mettre les Etats membres et le Parlement européen face à leurs responsabilités. Bruxelles entend ainsi permettre « aux colégislateurs de mener un débat transparent sur la contribution du gaz naturel et des technologies nucléaires aux objectifs de décarbonation ».

 

Cette décision a été approuvée par Pascal Canfin qui en revendique même la paternité : « Remettre à plus tard le traitement du gaz et du nucléaire est la solution que je suggérais moi-même à la Commission. Cela permet d’éviter de laisser ces deux énergies polémiques prendre en otage l’ensemble de l’acte délégué »

 

Cette décision est inacceptable sur le fond et sur la forme. Il est inacceptable, anticlimatique, antiscientifique de mettre sur le même plan le nucléaire (6g CO2 /kWh en France, 12g ailleurs) et le gaz (440 gCO2/kWh) sur le même plan. Il est inacceptable de remettre l’accès au financement du nucléaire à des calendes qu’on n’ose même pas appeler grecques, selon un calendrier indéterminé et un processus d’approbation complexe et incertain. Ce n’est ni plus ni moins qu’un étranglement hypocrite du nucléaire en dépit de toutes les évidences scientifique de son rôle majeur dans le combat contre le dérèglement climatique et de son éligibilité à la taxonomie, évidences reconnues par la Grande-Bretagne, les USA, la Russie, la Chine qui l’intègrent dans les équivalents nationaux de leur taxonomie

(https://www.euractiv.fr/section/energie/interview/pascal-canfin-je-mets-en-garde-les-pro-nucleaires-contre-la-ligne-dure-francaise/)

D’autres affirmations de Pascal Canfin éclairent le contexte et le scandale absolu que serait le non-prise en compte du nucléaire dans la taxonomie, le plus vite possible :

P. Canfin : « A l’heure actuelle, tout le monde est d’accord pour dire que le gaz ou le nucléaire ne sont pas dans la catégorie « verte »…

Non, pour le nucléaire : tout le monde chez les experts est d’accord pour dire que le nucléaire contribue significativement à la lutte contre le réchauffement climatique et respecte le critère d’innocuité (Do Not Significantly Harm) d’inclusion dans la taxonomie. Y compris sur le problème des déchets qui a fait l’objet de nombreux rapports  ( cf ; l’avis du JRC mais aussi un rapport très complet de la NEA.

JRC report  : https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/taxonomie-europeenne-rapport-du-joint.html

https://lnkd.in/euD-fHb

NEA report : https://www.oecd.org/publications/management-and-disposal-of-high-level-radioactive-waste-33f65af2-en.htm

https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/09/le-probleme-des-dechets-ultimes-du.html

En revanche, si  tout le monde signifie tout le monde chez les écolos bigots, les khmers verts hostiles à toute rationalité scientifique….

 P. Canfin : « Si on crée un acte délégué pour inclure le gaz et le nucléaire dans la taxonomie, certains diront que cela discrédite l’ensemble de la taxonomie. »

 Ben non. Ce qui discréditerait la taxonomie, ce serait si elle ne tenait aucun compte des évidences scientifiques sur le nucléaire, et surtout qu’il s’agit de la seule source d’énergie pilotable (disponible quand le besoin s’en fait sentir) et économique. Et l’Europe serait une fois de plus ridicule, et les ingénieurs et les financiers ayant horreur de l’absurde, ce serait finalement une autre taxonomie, sans doute la taxonomie américaine qui fixerait les règles . Brillant !

 P. Canfin : « si la Commission choisissait la voie d’un règlement, qui serait donc débattu, négocié et amendé par le Parlement et le Conseil, la ligne rouge pour moi serait de toucher au seuil du principe d’innocuité, le « do no significant harm » en anglais »

 Encore là, vous vous fichez du monde. Le «  Do Not Significantly Harm pour le nucléaire a été établi par la JRC sur l’ensemble du cycle de vie du nucléaire. En revanche, cela n’a été ni établi, ni exigé, ni même demandé pour le solaire et l’éolien. Et il y aurait beaucoup à dire sur leur véritable durabilité, les conditions d’extractions de certaines matières premières, la sensibilité  à certaines ressources rares et leur épuisement, de l’espace occupé etc. La neutralité technologique, qui devait être à la base de la taxonomie a été bafouée du début à la fin.

 P. Canfin : Un acte délégué irait beaucoup plus vite qu’un nouveau règlement qui mettra au moins douze mois à être voté.

 Merci de cet aveu !

 A noter que la position prise par Christophe Grudler   : « Avec près de 30 collègues eurodéputés, nous demandons à la Commission de ne pas publier l’acte délégué, et de prendre le temps d'avoir une classification de TOUTES les énergies bas carbone » est en contradiction complète avec la position de Pascal Canfin.  Avec le rapport publié par les groupes Renew Europe et ECR Vers la neutralité climatique de l’UE d’ici 2050 /Empreinte spatiale de l’énergie éolienne/solaire et nucléaire et leurs coûts respectifs (https://roadtoclimateneutrality.eu/Energy_Study_Full.pdf) très favorable au nucléaire, ceci confirme que Canfin, pourtant à la tête de la Commission ENVI ne représente plus du tout les positions de Renew, ni celles de la France et se laisse emporter par son dogmatisme antinucléaire. Il serait assez logique qu’il démissionne !

(https://twitter.com/GrudlerCh/status/1382692971779342340)

Résultat des courses, tout chaud (21 avril 2021) ! Vers un autre acte délégué ?

« Conformément au cadre juridique et à nos engagements passés, la Commission adoptera un acte complémentaire délégué du règlement de l’UE sur la taxonomie couvrant des activités qui ne sont pas encore couvertes par la loi de l’UE sur les délégués au climat en matière de taxonomie, telles que l’agriculture, certains secteurs de l’énergie et certaines activités manufacturières.

 Cette loi complémentaire déléguée couvrira l’énergie nucléaire sous réserve et conforme aux résultats du processus d’examen spécifique en cours conformément au règlement de l’UE sur la taxonomie. Ce processus est basé sur le rapport technique indépendant et scientifique publié en mars 2021 par le Centre commun de recherche, le service scientifique et de connaissance de la Commission européenne. Un examen de ce rapport est en cours par l’intermédiaire de deux groupes d’experts, un  groupe d’experts  Euratom et le Comité scientifique sur la santé, l’environnement et les risques émergents (SCHEER), pour compléter l’évaluation scientifique et il sera finalisé en Juin 2021. »

 Bon, c’est pas encore tout à fait clair, clair, mais cela semble beaucoup plus favorable que les positions précédentes. Mais que cette avancée vers la rationalité  scientifique, technique, climatique, économique et sociale a été pénible et… énergivore ! Et surtout, peut-on avoir encore confiance dans cette Commission et ses engagements, vu sa mauvaise volonté évidente et  sa procrastination ? Certains le pensent ( eg Grudler, Renew) d'autres restent sur la position de refuser le premier acte délégué et de le reporter jusqu'à inclusion du nucléaire ( députés français du PPE et plueirs pays de l'Est). A suivre..

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