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dimanche 28 janvier 2018

Louis Ferdinand Céline – Merde aux censeurs

Rééditer les pamphlets

La veuve de Louis Ferdinand Céline a longtemps refusé de faire reparaitre trois pamphlets de Céline (« Bagatelles pour un massacre » (1937), « L’École des cadavres » (1938) et « Les Beaux draps » (1941) (les « pamphlets antisémites ») - rappelons que la réédition de ces pamphlets ne fait pas et ne peut faire l’objet d’une interdiction dans la législation actuelle. Au Québec, où les droits d’auteurs sont de 50 ans, l’ensemble des pamphlets de Céline ont été édités aux Éditions 8 sous le titre Ecrits Polémiques, rassemblés et commentés par un professeur de littérature française à l’Université de Nantes, Régis Tettamanzi. L’avocat de Céline, Mtre François Gibault a convaincu Lucette Destouches de ne plus s’opposer  à la réédition en France et Gallimard a annoncé son projet de reprendre  l‘édition québécoise, complétée par une préface de Pierre Assouline – d’autres textes antisémites ont été réédités sans susciter trop d’opposition, et les pamphlets sont disponibles sous le manteau à partir d’éditions illégales.

Eh bien raté ! après un mois d’intenses polémiques, après un concours assez pitoyable sur le thème oui, les pamphlets de Céline  doivent pouvoir reparaître, mais pas sans ma préface à moi, le grand littérateur, à moi, le grand historien, à moi, le grand et seul vrai spécialiste de l’antisémitisme, Gallimard a jeté l’éponge. Il n’est pas possible de se procurer légalement en France ces ouvrages importants de Céline. Et, amis céliniens, pas la peine de vous précipiter au Québec : tout est épuisé.

Yann Moix et Sollers

Je n’attendais pas Yann Moix de ce côté du terrain, mais j’ai apprécié sa tribune libre dans Le Monde du 12 janvier 2018…où il demande la réédition des pamphlets dans la Pléîade.  Citations :

« La moindre des choses, concernant les pamphlets de Céline, eût été de ne jamais tenir compte du refus de l’auteur de les voir republier. Retrancher à l’œuvre une part importante de l’œuvre, c’est en modifier l’ADN, c’est en truquer la vérité, c’est en modifier la portée. « Tout » Céline « moins » les écrits antisémites, c’est inventer un Céline qui n’existe pas, n’a jamais existé, est une chimère, une licorne. Il fallait, dès après sa mort, en 1961, publier l’intégrale de l’œuvre dans « La Pléiade » et dans l’ordre chronologique ; le classement thématique (d’un côté les romans acceptables et géniaux, de l’autre les pamphlets inadmissibles et nauséeux) produit une idée fausse de l’homme qu’il fut.
Céline se déploie dans le temps, il n’y a que dans le temps, époque par époque, dans le déroulement des événements, que tenter de le « suivre » (je n’ai pas dit de le « comprendre ») est possible….Quant au fameux appareil critique des pamphlets, je prétends pour ma part qu’il ne devrait pas être plus épais, plus scrupuleux que l’appareil critique des romans… Bagatelles pour un massacre existe en même temps que Nord, Les Beaux Draps ont le même statut (je n’ai pas dit la même valeur artistique que Mort à Crédit. Soulignons aussi que sans le Céline du pire, aucun des livres de sa grandiose trilogie allemande n’aurait le moindre sens »

Pour éclairer le débat, Philippe Sollers  (extraits de Céline -éditions L’Archipel/ECRITURE, 16 octobre 2009)

« il faut souhaiter que les pamphlets soient édités de façon correcte, de sorte qu’ils soient trouvables, que ce ne soit pas ce chuchotement interminable dont circulent quelques extraits… »

« Il y a là un homme qui passe, qui est très beau qui a un col de fourrure, qui s’appelle Bousquet, qui est propre, qui parle d’égal à égal avec les nazis. On est entre fonctionnaires. L’antisémitisme est devenu à ce moment-là une procédure d’élimination technique. Ça n’a rien à voir avec Céline ! »

« La question qui devrait nous occuper, c’est pourquoi le nihilisme de Céline, sous sa forme de passionnalité vociférante antisémite, donne lieu à des chefs-d’œuvre. Parce que même les pamphlets, dans leur genre, sont des chefs­ d’œuvre. C’est bien ça qu’il faut voir. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que l’antisémitisme virulent, passionnel. Dans les pamphlets, il y a aussi tout ce qui concerne l’URSS, etc. Je crois qu’il faut être à la mesure de cela et que la littérature, si elle existe aujourd’hui, sera ou non à cette mesure. Ou bien on deviendra bien-pensant à bon compte ou bien on fera des chefs-d’œuvre littéraires ou même de pensée, qui seront à la mesure de cette passion »

A propos de l’édition des Ecrits Polémiques : Pour savoir ce qui s’est produit, il faut passer par ces documents. Par ordre d’entrée en scène, de 1936 à 1941 : Mea Culpa, Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les Beaux Draps (on trouve également dans ce volume de plus de 1000 pages, trois autres textes de Céline : Hommage à Zola, A l’agité du bocal  , Vive l’amnistie, monsieur !).
Après avoir passé dix-huit mois en prison au Danemark, il trouvera ensuite la force d’écrire D’un château l’autre, Nord, Rigodon et Entretiens avec le Professeur Y. Ce sont des livres que l’on peut d’autant moins négliger qu’ils sont d’une force et d’un comique souvent prodigieux.

Cela dit, il faut se demander ce qui a contribué à radicaliser Céline. De retour d’URSS, il écrit Mea Culpa (1936). Il n’y a alors pas de trace de délire antisémite. En revanche, il est effaré par ce qu’il a vu et l’écrit. Hurlements de la presse communiste qui le traite en même temps que Gide de renégat. Jusqu’alors, il n’a jamais adhéré à rien. Il est anarchiste. »

Petit rappel utile : Céline doit la vie au fait que le Danemark ne l’a pas extradé.

Merde à  la censure et aux censeurs

Pour ce que j’ai pu en lire trop rapidement sur des éditions originales que l’on m’a prêté quelques jours, sur quelques extraits (je n’ai jusqu’à présent pas voulu me procurer des éditions illégales), oui les pamphlets de Céline sont dans leur style des chefs d’œuvres, des chefs d’oeuvres uniques, distincts du reste de l’oeuvre et pourtant bien reconnaissables – il est impossible de ne pas reconnaître l’auteur ou de leur en donner un autre. Ces pamphlets sont d’abord  des pamphlets pacifistes, le cri de colère, de sidération d’un homme, d’un artiste,  qui a vu et décrit comme personne d’autre avant lui et après lui une des boucheries caractéristiques du début de XXème siècle, et qui voit cette boucherie se reproduire – comment cette sidération conduit à la désignation d’un bouc émissaire juif, comment toute sidération aboutit à de gravissimes erreurs est certainement intéressant à comprendre. Pour Céline, tout belliciste est juif, et pour cette raison, Hitler est juif ! Qu’on le lise, personne de bonne foi ne pourra prétendre prendre au sérieux l’antisémitisme de Céline- et les antisémites, les vrais, les sérieux, les « scientifiques », les fonctionnaires zélés, les frustrés le détesteront- aucune réunion, aucune action antisémite ne put avoir lieu avec Céline, qui tournait tout cela en bouffonneries. Et à toutes fins utiles, Céline ne connaissait évidemment pas l’extermination nazie des juifs (qui l’a vraiment su avant 1945) et les pamphlets ont été écrits bien avant toute mise en oeuvre de la « solution finale ».

Serge Klarsfeld, s’est au rebours de la loi française, opposé à la réédition des pamphlets . « On est dans un moment charnière en France. Des juifs se font attaquer, voire tuer, parce que juifs (…) Je compte faire tout ce qui est en mon possible pour empêcher [cette réédition]. Nous avons des lois qui nous permettent de réprimer les propos antisémites. Je les utiliserai ». Croit-il vraiment que les décérébrés français partisans de Daech ont besoin de Céline,  qu’il les ait inspiré, ou même qu’ils puissent le lire ? Cette censure serait même contreproductive pour la cause légitime qu’il veut défendre par des moyens qui ne le sont pas. 
Quelques folliculaires habituels, tels le très obscur et tortueux « Raide d’équerre » dans le Figaro ont prétendu que les pamphlets de Céline ne sont pas de la littérature…contrairement aux ouvrages de Sade. « Si - passant outre le nihilisme égalisateur qui a la faveur des esprits aujourd'hui - la question de l'identité littéraire des écrits antisémites de Céline avait été posée sérieusement et publiquement, l'opinion éclairée n'en serait pas à se poser celle de la légitimité de leur publication » ; Rappelons que ce n’est pas l’avis de Sollers dont l’avis , en matière de littérature, pèse tout de même plus que celui de Redeker, malgré le « nihilisme égalisateur ». ..

De deux choses l’une : ou Redeker et tous ces censeurs n’ont pas lu les pamphlets, alors quelle est leur légitimé pour en parler ? Ou bien il les ont lu – illégalement-, et au nom de quoi prétendent-ils m’interdire le faire- légalement ? 

Merde aux censeurs !


Nous vivons maintenant, en toute bienveillance, dans une société libérale où il devient possible et même convenable, bien considéré d’effacer des oeuvres et des artistes, des écrivains immenses de nos photos de familles patrimoniales. Naguère, des livres de Rebatet ont pu être réédités, Charensol et Jean-Louis Bory parlaient à la radio nationale de l’Histoire du cinéma de Brasillach. Nous progressons drôlement. Quelle liberté aurons-nous demain à défendre ?

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samedi 27 janvier 2018

Le Danger Sociologique ; Halte au feu...d’artifice !

Le Danger Sociologique (de G. Bronner et E. Géhin, PUF, 2017) a provoqué nombre de débats et polémiques. Curieusement, dans ce débat, Auguste Comte n’est jamais cité.  L’auteur, qui n’est pas sociologue, se propose de rappeler que le fondateur de la sociologie avait, pour l’essentiel, déjà exprimé, pensé et  parfois exploré à certain péril la plupart des problématiques posées (et réactualisées par MM. Bronner et Géhin), et que cela n’a nullement empêché la sociologie d’accéder, ce qui n’avait rien d’acquis au départ, à la reconnaissance universitaire, et les sociologues de faire progresser leur discipline.
Dans certaines situations, l’histoire et la sociologie ont mis en évidence l’utilité de la fonction d’arbitrage (par ailleurs, un beau sujet d’étude). Entre les deux camps qui se déchirent à propos du Danger Sociologique (G. Bronner et E. Géhin, PUF, 2017), les fils de Boudon et ceux de Bourdieu, un arbitre acceptable pourrait être un lecteur passionné de sociologie, spécialiste d’Auguste Comte (rappelons que Durkheim disait qu’il reste « le maître par excellence »), bénéficiant d’une bonne et large formation scientifique, et exerçant une activité scientifique dans un domaine totalement différent- en l’occurrence, la chimie thérapeutique (lequel domaine n’est pas non plus dépourvu de charmes). Bref, votre serviteur, qui déclare hautement  l’absence de tout conflit d’intérêt ou d’appartenance à quelque organisation professionnelle ou tendance organisée de la sociologie.

L’impossible neutralité

Revenons donc à la base, au grand  Auguste si peu cité, bien qu’il soit tout de même l’inventeur de la science en question, laquelle fait son apparition dans la 47ème leçon du Cours de Philosophie Positive, avec cette annonce programmatique assez tonitruante : «  Désormais, les phénomènes politiques sont aussi nécessairement assujettis à d’invariables lois naturelles que tous les phénomènes quelconques ».
Entendons-nous ; après les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie, une nouvelle science apparait qui a pour but « l’étude positive de l’ensemble des lois fondamentales se rapportant aux phénomènes sociaux ». A vrai dire, comme toute conception humaine, avant de se faire reconnaître comme science positive, la sociologie est passée par un stade théologique (par exemple, Bossuet, Discours sur l’Histoire Universelle), puis métaphysique (par exemple, Rousseau et la métaphysique de l’état naturel,  des droits, du contrat). Mais l’affirmation même de la sociologie comme science positive rend caduques certaines conceptions de l’histoire, de la politique, du droit, des phénomènes sociaux en général.  On ne peut pas être sociologue et intégriste religieux.

Comprendre et juger

Parmi les précurseurs que se reconnaît Comte figure Condorcet, à qui il fait néanmoins ce reproche : « Il a condamné le passé au lieu de l’observer ; et, par suite, son ouvrage n’a été qu’une longue et fatigante déclamation, dont il ne résulte réellement aucune instruction positive » d’où il ressort finalement qu’ « il y a donc miracle perpétuel, et la marche progressive de la civilisation devient un effet sans cause ». Et Comte poursuit : « L’admiration et l’improbation des phénomènes doivent être bannies avec sévérité de toute science positive, parce que chaque préoccupation de ce genre a pour effet direct et inévitable d’empêcher ou d’altérer l’examen ». Observer, comprendre avant de juger, telle est la bonne méthode, et le jugement sera d’autant plus sûr que la connaissance sera positive (certaine, exacte -de précision relative à celle des phénomènes-, relative, organisatrice). Rien de très nouveau ou original ici.

Liberté et déterminisme

Ah ce procès fait par les idéologues libéraux aux sociologues de nier la liberté et la responsabilité des individus ! C’est la connaissance de la gravitation et de de certaines  autres lois physiques qui permet de concevoir des machines volantes. C’est la connaissance de la chimie qui permet au savant de créer des matières nouvelles ignorées de la nature. C’est la connaissance des lois sociologiques et des déterminismes sociaux qui permet, dans une certaine mesure, de s’en affranchir, de « savoir pour prévoir, afin de pourvoir », d’être plus libre.
« A l’idée fantasque d’un univers arrangé pour l’homme, nous substituons la conception réelle et vivifiante d’un homme découvrant, par un exercice positif de son intelligence, les vraies lois générales du monde, afin de parvenir à les modifier à son avantage entre certaines limites, par un emploi bien combiné de son activité » Cours de Philosophie Positive, 22ème leçon. La sociologie rend plus libre, et d’autant plus qu’elle est plus scientifique (positive).

Sociologie et conservatisme

Ah ce procès fait par les « vrais » révolutionnaires aux sociologues de se contenter d’observer les phénomènes sociaux. Eh bien Comte, critiquant les conceptions des économistes libéraux, met lui aussi  en garde contre la tentation parfois trop forte de passer de l’observation à la justification. Les félicitant d’avoir établi que dans certains cas s’établit un ordre spontané, il prévient : « Toute intelligence convenablement organisée et rationnellement préparée, digne, en un mot, d’une telle destination, saura bien éviter scrupuleusement de jamais confondre, en ce genre de phénomènes, pas plus qu’en aucun autre, cette notion scientifique d’un ordre spontané avec l’apologie systématique de tout ordre existant. » » Cours de Philosophie Positive, 48ème leçon. Entre observation et justification, oui, malgré toutes les bonnes paroles rassurantes, scientistes, la frontière peut-être étroite, et les franchissements clandestins nombreux, et assez bien répartis de tous les côtés du spectre, libéraux comme révolutionnaires, pour faire simple.

 Le piège de l’intentionnalité

Gérald Bronner pointe une erreur méthodologique qu’il appelle erreur d’intentionnalité et qu’il explique ainsi : du fait que l’on constate l’existence d’inégalités sociales persistantes (voire même s’aggravant) et de groupes en profitant et ayant intérêt à les maintenir, on tend à conclure que la société est volontairement  organisée pour les produire. C’est dit-il (Marianne, 17 novembre) comme conclure du fait que les franciliens quittent leur travail sensiblement en même temps et provoquent des embouteillages qu’il existe une volonté (à la mairie de Paris ? Quoique…) d’embouteiller tout le monde. Il qualifie fort justement, et dans un vocabulaire tout à fait positiviste, cette déviation de métaphysique, notant que l’élimination de ce finalisme a été une étape nécessaire de l’histoire de la physique et de la biologie.
De fait, expliquait Comte,  «  le principal caractère du positivisme consiste à substituer partout les lois aux causes, afin que le relatif remplace l’absolu » (Système de Politique Positive, Tome 3, préface). Et les sociologues d’aujourd’hui pourraient faire bon usage de cet avertissement très clair, selon lequel toutes les doctrines qui  « conduisent à admettre, les unes chez les gouvernants, les autres chez les gouvernés, un degré habituel de perversité ou d’imbécillité, un esprit de concert ou de calcul, profondément incompatibles avec les notions les plus positives sur la nature humaine dès lors constituée , chez des classes entières, en état permanent de monstruosité pathologique » devraient être considérées comme « véritablement vicieuses » (Cours de Philosophie Positive,  49ème leçon)

Sociologie, activisme, morale

Plus une science se situe à un échelon élevé dans l’échelle encyclopédique (mathématiques, physique, chimie, biologie, sociologie), plus les phénomènes qu’elle étudie sont complexes et aisément modifiables par l‘homme. D’où l’immense tentation des sociologues d’intervenir dans le champ social et de modifier les phénomènes qu’ils étudient, bien compréhensible et même louable.
Sauf qu’en agissant ainsi, il doit être clair que, même s’ils s’appuient sur leurs connaissances sociologiques, ils n’agissent plus comme sociologues. Lorsque l’immense Auguste proclame « Le système avait été battu en détail, il fallait le battre comme système » (Système de Politique Positive, tome IV, Appendice général) ou encore « les serviteurs de l'HUMANITÉ viennent prendre dignement la direction générale des affaires terres­tres, pour construire enfin la vraie providence, morale, intellectuelle, et matérielle, en excluant irrévocablement de la suprématie politique tous les divers esclaves de Dieu »  ( Catéchisme Positiviste, Introduction), bref lorsqu’il fonde la Religion de l’Humanité, c’est bien toujours du même Comte dont il s’agit (il y a véritablement une unité de la pensée de Comte), mais qui a pris soin auparavant de compléter son échelle encyclopédique  par une nouvelle science, la morale (« La morale est la science où l'homme étudie sa nature pour diriger sa conduite », V. Pépin, La science Morale, Revue Occidentale, t. XXXIII,  p.299, 1906). C’est donc là le moraliste, et non  plus le sociologue qui s’exprime.

Le danger réductionniste

L’échelle encyclopédique est anti-réductionniste. Si la connaissance des méthodes et principaux résultats des sciences qui précèdent la sociologie est nécessaire à l’exercice de celle-ci, pour autant, la sociologie ne se réduit pas plus à la biologie que celle-ci à la chimie, la chimie à la physique et la physique aux mathématiques. La sociobiologie d’E.O. Wilson des années 70 a utilement complété la théorie de l’évolution, on peut mesurer aujourd’hui qu’elle a peu apporté à la sociologie et Wilson lui-même en est venu à critiquer radicalement ses premiers travaux.   Comte lui-même, par  l’importance qu’il a apporté aux travaux de Gall et sa « théorie cérébrale », s’est, me semble-t-il, quelque peu laissé entrainer dans ce piège du réductionnisme qu’il ne cessait de dénoncer. Le sociologue d’aujourd’hui ne doit surement pas ignorer les progrès des neurosciences ; quant à penser qu’elles vont révolutionner sa discipline serait probablement faire preuve d’un enthousiasme excessif et d’un réductionnisme dangereux.

L’impossible objectivité- c’est relatif !

« Malgré soi, on est de son siècle »  (Système de Politique Positive, tome IV, Appendice général) ; « Tout phénomène suppose un spectateur, puisqu’il consiste toujours en une relation déterminée entre un objet et un sujet » (Système de Politique Positive, Tome I, p.439, 1853). Du début du Cours de Philosophie Positive à la Synthèse Subjective, Comte ne cesse d’insister sur le caractère relatif de la science - le positivisme n’est pas un scientisme mais un humanisme et le sociologue bien humain ne saurait prétendre échapper aux conditionnements qu’il étudie. Alors oui, toute observation sociologique possède une certaine relativité, et le sociologue ne saurait se prétendre exempt de toute subjectivité ; mais, puisqu’il y a science, il est au moins possible d’arriver à un accord intersubjectif, si l’on veut, qui permette une confrontation avec le réel et de construire un savoir cumulatif. Cela est même vrai dans les sciences exactes : un physicien peut parfaitement conduire une expérience dans laquelle il décide, en choisissant un dispositif expérimental particulier,  que la lumière agira comme une onde. Il arrivera à des résultats certains, précis, reproductibles, qui prendront place dans le système des connaissances existantes et pourront servir à d’autres pour élaborer de nouvelles théories et de nouvelles expériences (caractère organisateur de la connaissance positive). Pour autant, ces résultats seront relatifs à certaines conditions de production, et nul physicien ne saurait ignorer que dans d’autres circonstances, la lumière produite dans la même expérience mais soumise à un dispositif expérimental différent, se comportera comme une onde. La science peut être (est même nécessairement) relative, elle est une relation particulière entre l’homme et le monde (et particulièrement efficace et universelle) - ce qui n’autorise certainement pas n’importe quelle démarche.

Alors il me semble que les problématiques relevées par le Danger Sociologique de G. Bronner et E. Géhin et qui paraissent mettre le feu au champ de la sociologie ont été, pour l’essentiel, déjà exprimées, pensées, parfois explorées à certain péril par le fondateur de la discipline, Auguste Comte ; et que cela n’a nullement empêché la sociologie d’accéder, ce qui n’avait rien d’acquis au départ, à la reconnaissance universitaire, et les sociologues de faire progresser leur discipline. Il y a, me semble-t-il, dans ce tohu-bohu, dans toutes ces polémiques une grande part d’artifice qui, au mieux, permet d’intéresser le public à la sociologie (mais d’une manière peut-être un peu regrettable), au pire met en exergue de très vieux débats afin d’imposer une doxa particulière, dans la lignée du très contesté  « Révisionnisme économique. Et comment s'en débarrasser" de Pierre Cahuc et André Zylberberg.


Donc, amis sociologues,  Halte au feu…d’artifice  et bon travail ?*
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samedi 20 janvier 2018

Le nucléaire franco-chinois : histoire d’un extraordinaire succès

Le nucléaire chinois sur le modèle français- un cycle complet- Contrat géant pour Areva

Ce fut le plus grand succès de la visite de M. Macron en Chine ce début d’année, un protocole d’accord de plus de dix milliards d’euros, entre Areva et le groupe chinois CCNC pour permettre aux Chinois de retraiter et de recycler leur combustible nucléaire, jusqu’à présent entreposé dans des piscines. Cette usine serait bâtie sur le modèle de celles de La Hague (Manche) et Mélox (Gard) : il s’agit de retraiter et recycler sur le même site l’uranium qui alimente les centrales.  C’est une bonne nouvelle pour Areva. D’abord, parce qu’il va permettre d’assurer une activité continue à 2 000 ingénieurs français pendant les sept prochaines années, mais aussi par l’impact qu’il aura sur le nucléaire français.

C’est le résultat de la volonté de la Chine de s’affirmer comme la première puissance du nucléaire civil. Or la Chine est le pays le plus en pointe dans la construction de centrales nucléaires depuis plusieurs années. La filière chinoise, en partie bâtie avec la collaboration d’EDF et Areva, est plus que florissante : C’est d’ailleurs dans le sud-est du pays, à Taïshan, que devrait démarrer en 2018 le premier EPR détenu à 30 % par EDF- avant l‘EPR français de Flamanville.

Puissance montante sur la scène mondiale du nucléaire, la Chine continue sur sa lancée pour atteindre l’objectif de se doter d’ici 2020 d’un parc nucléaire industriel équipé d’une puissance installée de 58 GW en exploitation et de 30 GW en construction. C’est ce qu’affiche le 13e plan quinquennal (2016-2020). En septembre 2017,le parc national dispose d’une puissance installée de 34,43 GWe en exploitation pour 36 unités et de 23,20 GWe en construction pour 20 unités. Si la Chine veut pouvoir atteindre son objectif, il faudrait qu’elle lance la construction de six à huit nouvelles tranches chaque année (ce qu’elle a du mal à faire actuellement). Au-delà, la Chine vise un parc d’une capacité de 150 à 200 GW  en 2030, soit environ la moitié du parc nucléaire mondial actuel. Son mix énergétique : de 3,56 % aujourd’hui passera à 5 % d’ici 2020 et à environ 10 % d’ici 2030.

En cohérence avec cette ambition de développement du parc, la Chine a choisi la politique du cycle fermé, et là encore la France est considérée comme le partenaire modèle. Les négociations en cours portent sur la construction d’une usine de retraitement de 800 tonnes par an et d’une usine de combustible Mox sur le modèle de Melox. À l’horizon 2030 le besoin sera de trois fois cette capacité.

La Chine, puissance nucléaire du XXIème siècle

La Chine veut devenir l’acteur principal du nucléaire du futur. Elle a développé un standard, le Hualong (« dragon chinois »), un réacteur de moyenne puissance, évolution des modèles réalisés avec la France, tant pour le marché domestique que pour l’international. Pour la filière de grande puissance, le modèle théorique est le CAP 1400, et au-delà le CAP 1700, évolution de l’AP1000 et pour lequel la Chine possède l’intégralité des droits. Néanmoins, le manque de maturité de ce modèle pourrait laisser une chance à l’EPR. Le premier EPR franco-chinois, détenu à 30 % par EDF devrait démarrer en 2018 le premier EPR

L’ambition en matière de R&D est impressionnante, la Chine essaie de nombreuses technologies : des réacteurs à caloporteurs gaz, plomb bismuth, eau super critique, des ADS (réacteur couplant un réacteur nucléaire sous-critique  et un accélérateur de particule produisant les neutrons induisant une réaction nucléaire,  des SMR (réacteurs de petite tailles-300Megawatt), très utiles par exemple pour le dessalement de l’eau de mer ou des utilisations locales comme le chauffage.

Le déploiement d’un parc de réacteurs à neutrons  rapides est le prolongement naturel de cette politique. Là aussi, le programme est impressionnant, avec un premier démonstrateur de 600 MWe annoncé pour 2023, planning sans doute très optimiste mais qui démontre le volontarisme du programme. La Chine sera alors la première à faire fonctionner un surgénérateur- non pardon la seconde après la France et SuperPhenix, un programme stupidement et scandaleusement abandonné  au moment même où il commençait à produire de l’électricité dans des conditions commerciales. Rappelons que le grand intérêt du surgénérateur est sa possibilité d’utiliser comme combustible de l’uranium non enrichi et même de produire un combustible utilisable dans les centrales classiques, rendant ainsi l’énergie nucléaire renouvelable.

Même si tous ces projets n’aboutissent pas, ils stimulent l’accumulation d’une expertise et la formation d’un potentiel humain qui ont toutes les chances de faire de la Chine la puissance nucléaire du XXIe siècle.

Le succès d’une coopération franco-chinoise historique dans le nucléaire

Ce succès du nucléaire français est  aussi le résultat d’un savoir faire français dans le nucléaire encore reconnu et d’une très longue  et très exemplaire collaboration franco-chinoise dans le nucléaire. Le partenariat entre la Chine et la France sur le nucléaire se caractérise avant tout par sa flexibilité et son adaptation –une caractéristique des contrats chinois.

La France accompagne en fait depuis ses débuts le programme nucléaire civil chinois. Si le général de Gaulle avait décidé d’initier des relations diplomatiques avec ce pays en 1964, les contacts dans le domaine nucléaire remontent à août 1973, date de la première visite en Chine du président Pompidou. Ils se concrétisent le 22 novembre 1982 par la signature de « l’accord de coopération entre le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et le ministère chinois de l’Industrie nucléaire (MIN) dans le domaine de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique ». Cet accord est régulièrement renouvelé depuis trente ans, toujours avec le CEA côté français, et pour la partie chinoise avec les différents partenaires dont les noms suivent l’évolution du nucléaire chinois : MIN, CNNC, CAEA

Suite à plusieurs visites en France du vice-ministre des Eaux et de l’Électricité, M. Li Peng, un « Mémorandum de coopération électronucléaire » est signé à Pékin en mai 1983. Il prévoit la fourniture de centrales nucléaires de 900 MWe en incluant une clause relative aux transferts de technologie que la France effectuera. La construction de la centrale nucléaire de Daya Bay (2 tranches REP 985 MWe) est lancée, avec une mise en service commerciale en 1994, puis la centrale nucléaire de Ling Ao phase 1 (deux tranches REP 985 MW) dont les contrats sont signés en 1995 et pour une mise en service industrielle en 2002 et 2003.

Cette collaboration chinoise a sauvé le nucléaire français, en permettant aux ingénieurs français de maintenir leur savoir faire,  et même progresser, alors que le ralentissement, puis le blocage du nucléaire en France  nous menaçait d’une perte critique de compétence.

AREVA a plus de 800 collaborateurs en Chine et est présent sur l’amont du cycle et les réacteurs, notamment par un ensemble de jointventures, EDF a également plus de 800 collaborateurs en Chine, et l’entreprise y est l’un des plus grands investisseurs étrangers dans l’énergie. EDF est présent dans le thermique (centrale de Laibin), dans l’hydraulique (prestations de conseil dans la majorité des projets chinois), et bien sûr dans le nucléaire, depuis Daya Bay et Ling’Ao. La société détient 30 % de la Taishan Nuclear Power Joint-Venture Company (TNPJVC) qui construit et exploitera les deux EPR deTaishan et prévoit d’ailleurs deux autres EPR par la suite.

Et ce n’est pas tout :  EDF, en créant le PFCE (Partenariat France Chine Electricité) a permis aux PMI/PME qui faisaient partie de sa chaîne d’approvisionnement en France de participer à l’aventure chinoise, et de profiter du réseau d’EDF en Chine pour s’implanter sur ce marché difficile. Ces entreprises sont présentes en Chine via des joint-ventures, des usines de production, et leurs produits et équipements sont sur quasiment.

En 2015, le marché chinois du nucléaire a généré 281 millions d’euros pour les entreprises françaises. Ces dernières ont réalisé dans le pays un chiffre d’affaires total de 732 millions d’euros dans le secteur énergétique. Avec plus du quart des entreprises françaises occupant une part de marché supérieure à 30 %, elles sont relativement bien ancrées dans le paysage nucléaire chinois. Certains membres déclarent par ailleurs des chiffres d’affaires chinois hors nucléaire (parfois plusieurs dizaines de millions d’euros) directement dus à leur prospection sur le marché nucléaire chinois. La moitié des entreprises françaises membres de PFCE saluent l’impact positif de ses activités en Chine sur l’emploi. Ainsi, elles estiment à plus de 760 le nombre de postes maintenus, et elles affirment avoir créé 228 nouveaux postes en France pour soutenir leurs activités en Chine. Enfin, la moitié d’entre elles jugent qu’une présence sur le marché chinois leur a ouvert des perspectives pour des marchés tiers, principalement au Royaume-Uni. Il semble aussi que les exigences liées au marché chinois insufflent une forte dynamique de recherche et de développement au sein des entreprises française.

Bref le PFCE, lancé par M. Machenaud, un historique d’EDF en Chine est un vrai succès pour la filière nucléaire française, mais pas seulement !


Sur cette histoire de la coopération franco-chinoise dans le nucléaire, un excellent numéro du journal de la SFEN de novembre 2017.Rappelons que le nucléaire est actuellement la seule énergie qui puisse  nous permettre de répondre au défi climatique, et l’urgence de la réponse se confirme jours après jours. Le contrat chinois sauve le nucléaire français et le monde.

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vendredi 19 janvier 2018

Carnets de science n°3 – l’intelligence artificielle

L’intelligence artificielle façonne le monde de demain – et il sera vraiment différent

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette nouvelle revue scientifique, Carnets de sciences, très bonne revue de vulgarisation où les chercheurs eux-mêmes s’expriment largement, et de plus abondamment et intelligemment illustrée. Cette revue, publiée par le CNRS a, je l’avais dit, vocation à devenir une vitrine de la recherche française, et dans le dernier numéro s’expriment des chercheurs du CEA et de l’INRIA (ou peut-être d’unités mixtes ?), et c’est très bien
 Pour ce numéro, un dossier passionnant sur l’intelligence artificielle.  Tout d’abord, un historique rapide (Des machines enfin intelligentes, Yaroslav Pigenet), qui montre bien comment les problématiques de l’intelligence artificielles, les espoirs et les craintes ne sont pas récent, mais comment les progrès immenses effectués ces dernières années ont rendu possibles ce qui n’apparait même pas comme envisageable. Yann Le Cunn, directeur du laboratoire d’intelligence artificielle de Facebook a commencé sa brillante carrière …en mettant au point un système de reconnaissance automatique des codes postaux. Nous sommes bien loin de cela aujourd’hui, grâce à deux facteurs : l’explosion des puissances de calcul, l’explosion des données disponibles ; pour entrainer un système de reconnaissance visuelle, on peut maintenant nourrir un ordinateur de millions de données (photos annotés sur le net, par exemple) au lieu de quelques centaines rassemblées par quelques étudiants. Et cela marche, et cela explique le modèle et le développement économique des GAFA- et pourquoi cela ne vas pas s’arrêter.

Pour ceux qui veulent angoisser : nous en sommes au point où des dispositifs massivement entrainés fonctionnent comme une boite noire et fournissent d’excellent résultats par des voies qui ne peuvent se traduire en aucun langage ou raisonnement (système symbolique) compréhensible par nous. C’est vraiment une autre intelligence avec laquelle nous devrons dialoguer.  Pour ceux qui veulent se rassurer, cette remarque de Sébastien Konieczni : « les machines réalisent mieux que nous des tâches considérées comme intelligentes car nous seuls étions jusqu’à présent capables de les réaliser mais une machine qui soit l de définir ses buts, ça on ne sait  pas faire "

Les applications de l’intelligence artificielle se font déjà sentir et le feront de plus en plus dans le domaine de la santé : aide au diagnostic, formation des médecins,  applications à des systèmes biologiques complexes qui devraient permettre de nouvelles découvertes. (Léa Galanopoulo). Pour la justice, l’intelligence artificielle permet de de mieux exploiter la jurisprudence et prédire les chances de succès d’une démarche juridique, et les cabinets d’avocats l’utilisent de plus en plus. Pour autant, l’idée que l’informatique serait plus objective que l’homme ignore le fait que les algorithmes peuvent aussi reproduire et même amplifier les biais de l’esprit humain ou des sociétés existantes. Ainsi, utilisé de façon imprudente, un algorithme pourra recommander la détention préventive d’un mis en examen noir parce qu’il est noir, en s’appuyant sur les statistiques actuelles, et en accordant un poids insuffisant à sa situation individuelle – le tout sans que la raison en apparaisse de façon évidente. (Fabien Trécourt)

L’intelligence artificielle joue un rôle primordial dans les avancées vers la voiture autonome. Au-delà des prouesses déjà réalisées, les véhicules autonomes devront réagir différemment en fonction du pays où ils évoluent et des habitudes de circulation locales (Guillaume Garvanèse).

Une menace pour l’emploi ?

L’impact sur l’emploi de l’intelligence artificielle a donné lieu à des études extrêmement alarmistes, per exemple de France Stratégie qui montrerait que l’IA pourrait menacer 47% des emplois aux USA, 49% au Japon, 42% en France, 54% dans l’Union Européenne. On peut sérieusement douter de ces prédictions alarmistes, l’idée que la technologie tue l’emploi étant certainement l’une des craintes le plus constamment démenti dans l‘histoire. Pour autant, il est certain que  des difficultés transitoires surgiront, et qu’une société où ceux qui ne sont pas complémentaires à l’Intelligence artificielle seraient marginalisés ou exclus du travail, même avec du pain et des jeux serait en grave danger. Cela suppose une politique active pour aider les gens à changer de secteurs plutôt que d’empêcher la mise en ^lace de technologies grandement  créatrices de richesses. Des facteurs plus étranges, que nous commençons seulement à réaliser et que nous ne savons pas évaluer rentrent également en jeu : l’Intelligence artificielle peut d’ores et déjà écrire des romans qui ont tout pour devenir des best sellers- pour autant aura-t-on envie de lire un roman écrit par un algorithme ? (Serge Abitboul)

Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle ? Des performances inquiétantes, des problèmes inédits

Peut-on faire confiance à l’Intelligence artificielle ? (Charline Zeitoun, Sébastien Konieczny, Jean-Gabriel Ganascia, Serge Abiteboul, Raja Chatila…) pose des questions intéressantes ou surprenantes, ou angoissantes, et la réponse semble être : pas plus qu’à n’importe qui. Deux expériences de Chatbot (robots conversationnels, capables par exemple d’entrer dans des forums de discussion ), notamment Tay de Microsoft et GlovVe ont rapidement tourné court. En quelques heures, habilement manipulé par des internautes un peu pervers, Tay se déclarait partisan d’Hitler, antisémite et comparait Obama à un singe.  Que l’intelligence artificielle batte les champions de monde d’échec, puis ceux de go, cela représente juste un progrès marquant. Mais qu’une intelligence artificielle (Libratus) apprenne, simplement par autoapprentissage, en jouant des millions de parties contre elle-même, à jouer au poker et à bluffer, puis batte à plate couture quatre joueurs professionnels , c’est beaucoup plus perturbant. Dans un proche futur, lorsque vous voudrez négocier une augmentation de salaire avec votre employeur, envoyez Libratus ! Les robots sauront mieux négocier que nous… Autre exemple angoissant : des ingénieurs de Facebook ont fait dialoguer entre elles deux intelligences artificielles (chatbot) conçues pour négocier :   Ils se sont aperçu qu’elles mettaient progressivement en place un nouveau type de langage qu’ils ne pouvaient comprendre et ils ont rapidement débranché leurs machines. Même s’il n’ y avait là aucun danger et que le problème pouvait être régler en imposant des contraintes supplémentaires, cela ne laisse pas que d’être un peu inquiétant.

Une intelligence artificielle pourrait facilement remplacer un conseiller bancaire, étudier des millions d’exemple de prêts et proposer des conditions adaptées à un client. Le problème est qu’il y a de fortes chances que ce système reproduise les biais du passé, c’est-à-dire que par exemple si certaines minorités ethniques ont vu leurs demandes refusées plus souvent ou paient des droits supérieurs, eh bien cette situation risque de se perpétuer.  Cet exemple est particulièrement éclairant, car les systèmes actuels d’apprentissage les plus performants, type réseaux de neurones, ne permettent, ou pas facilement, de remonter à ce que notre intelligence appellerait la cause de l’effet. Ceci met gravement  en cause l’acceptabilité de l’Intelligence artificielle : « Personne n(‘acceptera de se voir refuser un prêt à cause de la connexion 42 du réseau qui est hélas inférieure à 0.2 » (Sébastien Koznieczny).

Le problème de la cause, mais aussi, celui qui lui est lié, de la responsabilité. Il pose un véritable problème pour le développement de la voiture autonome. Êtes-vous prêt à acheter une voiture autonome dont, si en cas de risque d’accident mortel, vous ne  savez pas si elle privilégiera la sécurité des passagers de la voitures, ou celle, per exemple, de piétons ?- ou vous ne savez pas du tout quelle règle elle suivra Le problème est déjà posé, et Mercedes a répondu que ses voitures autonomes privilégieront dans tous les cas la sécurité des passagers tandis qu’ Angela Merckel a dit que ce n’était pas acceptable et annoncé qu’il y aurait une loi . Le problème : « Dans un réseau de neurones, méthode purement numérique, on ne peut ni coder, ni dicter des règles d’éthique, comme imposer que le résultat ne dépende pas du sexe, de l’âge, de la couleur de peau.. Mais c’est possible avec une approche symbolique » (Sébastien Koznieczny). L’avenir est donc peut être à un hybride entre l’intelligence artificielle et d’autres systèmes plus proches de l’intelligence humaine.


Comment sera le monde perçu par une Intelligence artificielle ? Je me suis posé la question de la manière dont une agence artificielle rassemblerait toutes les données astronomiques connues par Kepler et quelle « théorie » aurions-nous alors du système solaire ? Cette question-a-t-elle-même un sens ? Nous fournirait-elle une connaissance du système solaire aussi efficace que la nôtre, en faisant l’économie des lois de Kepler, de la gravitation universelle, de la notion même de loi physique ? 

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mardi 16 janvier 2018

Transition énergique et électricité : quelques données essentielles et contributions au débat

Emissions de carbone, défi climatique : un mix à nucléaire important est la seule solution.

Aujourd'hui, au niveau mondial, l’électricité est la première source des émissions de CO2 (25%), bien devant le bâtiment et les transports. Pourquoi ? À cause d’un mix mondial de production aux 2/3 fossiles  (45 % charbon,  25% gaz et pétrole). La plupart des pays devront énormément décarboner leurs sources d’électricité et c’est un sacré défi.
Grâce à son mix énergétique fortement nucléaire, la France possède ici un avantage considérable : environ 4t de CO2 en France et en Suède contre près de 9t en Allemagne. La différence s’explique par le mix électrique  (décarboné à 95% en France et Suède,  fossile à plus de 50% en Allemagne). Cette situation critique de l’Allemagne, qui fait que, à cause de leur arrêt du nucléaire, chez eux, comme l’a fait remarquer Mme Merkel, le diesel pour la voiture est moins pire pour le climat que la voiture électrique montre combien leur politique a conduit à une absurdité
Or la part de l’électricité dans la consommation d'énergie finale mondiale doit doubler d'ici 2050 (GIEC) ; dans les bâtiments  (chauffage),  elle doit passer de 30% aujourd'hui à plus de 50%, dans le transport, elle doit passer de 1 % aujourd'hui à 20-40% en 2050. C’est dire qu’un bon mix énergétique décarboné pour la production d’électricité est absolument critique.

Grâce au nucléaire et à l’hydraulique, 97% de la production d’EDF en France continentale est sans CO2. Des performances qui donnent à la France une large avance par rapport à la plupart des pays européens !

La politique européenne du carbone est déficiente et ne favorise pas la décarbonation de l’énergie

L’Europe vise une réduction de 80% des émissions de CO2 d’ici 2050. Cette ambition passe par une réduction des émissions dans tous les secteurs et par une décarbonation quasi totale du mix électrique européen d’ici 2050. Sur la trajectoire actuelle, l’Europe ne remplira pas ses obligations climatiques. Pourquoi ?  Parce qu’il n’y a pas de régulation efficace du marché du carbone !
Les volumes de droits d’émissions ont été trop généreux : le prix a considérablement chuté depuis le lancement du marché et il est durablement déprimé, ce qui n’incite pas à réduire les émissions.
Pour aller plus loin,  il faudrait l’unanimité au sein de l’UE, ce qui n’est pas possible – les pays fort producteur de charbon- Allemagne, Pologne s’y opposent fortement.
D’où l’idée de mettre en place un prix plancher du CO2 (comme au Royaume-Uni) sur la base de pays volontaires. C’est ce que veut faire le gouvernement français : « la deuxième priorité,  c’est d’avoir un prix plancher du CO2 en Europe et je suis favorable à ce que nous puissions dans les prochains mois acter d’un vrai prix à 30 euros la tonne pour le CO2,  ce qui on le sait est le prix de référence qui permettra de changer durablement les comportements,  de transformer  les priorités de nos investisseurs,  de nos acteurs industriels et dans aucun pays européen,  ce ne sera facile ». (Intervention du Président  de la République lors de la COP23)
Et surtout sur la base du volontariat, cela sera insuffisant !

Autonomie énergétique et sécurité d’approvisionnement : une situation fragile en France

La France est globalement exportatrice nette d’électricité mais le solde varie assez significativement d’une année à l’autre, selon l’évolution et la disponibilité des mix de production européens. Ses capacités d’exportation,  conjuguées avec  une production nucléaire et renouvelable à bas  coût,  permettent à la France de dégager un solde commercial d’électricité d’environ 2 Md€ par an  (sauf en 2016), tout en disposant d’une couverture supplémentaire pour satisfaire  son équilibre offre-demande en cas d’aléa hivernal. Pourquoi en 2016 ? A cause du manque de disponibilité du parc nucléaire ! Donc, sans nucléaire, pas d’exportation et pas même d’économies !

Une politique européenne incohérente et pénalisante.

Prenons trois exemples.
Les mécanismes de capacité : Pour assurer la sécurité du système et la garantie d’approvisionnement, la France, comme l’Angleterre, ont des mécanismes de capacités ; c’est-à-dire qu’un certain nombre de centrales ( les plus anciennes) ne produisent normalement pas, mais sont quand même entretenues par leurs exploitants pour éventuellement intervenir quelques jours par ans. Le dispositif français repose sur une obligation imposée aux fournisseurs de couvrir le besoin de puissance en pointe de leurs clients. Pour cela ils doivent acquérir des certificats de capacité auprès des exploitants (ou détenteurs de capacité d’effacement). EDF a ainsi fait certifier l’ensemble de son parc pour les années 2017, 2018 et 2019. Mais seul EDF peut assurer un tel service public. 
Or il semble que dans ses directives 2018 (Winter package 2017), la Commission Européenne n’ait pas validé les mécanismes de capacité…tandis qu’elle acceptait bizarrement les « réserves stratégiques « allemandes…qui sont pas très différentes !

La loi Nome et l’ARENH : les absurdités de la loi Nome de libéralisation de l’énergie qui impose le dispositif de l'ARENH (Accès Régulé à l'Electricité Nucléaire Historique). A tout moment, les fournisseurs alternatifs doivent pouvoir s’approvisionner auprès d’EDF en énergie nucléaire historique « à des conditions économiques équivalentes » à celles d’EDF.
Conclusion : lorsque le coût spot de l’électricité est élevé, les fournisseurs dits alternatifs peuvent revendre très cher à EDF de l’électricité qu’ils lui ont achetée au tarif régulé ARENH tandis que lorsque le coût spot est peu élevé ils s’approvisionnent ailleurs et laissent à EDF l’énergie qu’elle est de toute façon obligée de produire. Génial, gagnant à tous coups car l’ARENH a été conçu comme une option gratuite pour les fournisseurs. En conséquence, et contrairement à l’objectif initial, EDF ne couvre pas ses coûts dans la durée.

Et notez bien que tandis que l’Europe impose ainsi à EDF de subventionner ses concurrents, elle s’apprête à demander la fin des tarifs régulés qui protègent les particuliers des variations fortes ces cours, et surtout des augmentations brutales au moment où ils ont réellement besoin d’électricité. L’Europe de la secte libérale, dans toute sa brutalité et sa folie, ce sont des tarifs régulés pour les profits financiers et la fin des tarifs régulés pour les particuliers.

Troisième exemple, l’hydraulique : alors que l’hydraulique constitue en en France une énergie décarbonée majeure, propre et renouvelable, l’Europe, toujours au nom de sa conception idéologique et fanatique du libéralisme a imposé un système absurde et impraticable de mise en concurrence des concessions hydrauliques. Bilan : une fois de plus, un des atouts majeurs de la France part à la dérive : les coûts moyens de production ne sont progressivement plus couverts depuis 2014, les investissements de rénovation du parc se rentabilisent difficilement et se heurtent à une durée limitée pour les amortir. L’Etat français fait l’objet d’une  mise en demeure de la Commission  Européenne depuis octobre 2015, demandant la mise en concurrence effective des concessions hydrauliques. Cette procédure retarde la mise  en œuvre des dispositions de la loi  de transition énergétique (regroupement  de concessions,  investissement contre prolongation,  partenariats avec les collectivités).

La transition énergétique en Allemagne et au Royaume-Uni :

Allemagne :Le prix de détail de l’électricité a été multiplié par 2. Les EnR sont de plus en plus difficiles à intégrer : besoin d’investissements lourds sur le réseau et problème d’acceptabilité - pylônes ; Objectif CO2 national pour 2020 : -40 % par rapport à 1990.  Le gouvernement a reconnu en 2017 qu’il ne pourra être atteint ; Obligation de sortir du charbon (capacités installées actuelles :  47 gW)  pour baisser les émissions de CO2 mais pas de consensus politique.
Bilan : Un échec total : les particuliers allemands payent leur électricité en moyenne 74 % plus cher qu’en France. Cette énergie n’est absolument pas décarbonée puisque le nucléaire a été largement remplacé par des énergies carbonées, et l’Allemagne trahit totalement ses objectifs climatiques.
 En plus, l’investissement sur le solaire n’a même pas permis de sauver une industrie locale complètement balayée par les Chinois.

Royaume-Uni :  une approche globale, prudente et économique de la décarbonation ; des plans pluriannuels qui articulent les différents leviers d’efficacité énergétique  (isolation des bâtiments notamment). Une électricité pas encore suffisamment décarbonée (combustibles fossiles : 54,5 % ENR (surtout éolien) 24,5 % ; nucléaire 20,1 %. Une régulation par le prix plancher du CO2. Investissement soutenu dans le nucléaire avec garantie de revenus.

Le mythe de la rénovation thermique

A force de bonnes intentions et de normes accumulées, on se prend parfois les pieds dans le tapis ; ainsi, la réglementation thermique des bâtiments (RT2012) a été contreproductive du point de vue  des émissions de CO2 puisqu’elle a entraîné une baisse  des parts de marché de l’électricité dans la construction neuve au profit du gaz….
Si tous les bâtiments étaient rénovés très fortement sans modifier les énergies de chauffage utilisées aujourd’hui, les émissions moyennes seraient de l’ordre de 15 kgCO2/m²/an, valeurs très éloignées des 3 kgCO2/m²/an qui est la valeur cible. Au-delà de l’amélioration de l’enveloppe des bâtiments et des performances des systèmes, il sera donc nécessaire de substituer les énergies fossiles par des énergies bas carbone, notamment l’électricité.

Le mythe de l’énergie produite à la maison (ou Production décentralisée et communautés d’énergie)

Ce n’est pas du tout la même chose que d’avoir une ferme Photovoltaïque de 300 mW ou 100000 installations domestiques de 3 KW. Vu de l’équilibre entre la production et la consommation, c’est à peu près pareil, elles produisent quand il y a du soleil et leur puissance cumulée est la même. Vu du réseau ce n’est du tout pas pareil. Les 100000 installations domestiques ne sont pas raccordées au même niveau de tension. Dans un cas, le réseau électrique a un interlocuteur qui aura un centre de conduite et des professionnels avec qui travailler  (pour l’entretien du réseau, pour  l’analyse des incidents…). Dans l’autre, le gestionnaire a en face de lui 100 000 utilisateurs qui sont d’abord  des consommateurs et n’ont pas de compétence technique d’exploitant. Le système électrique peut-il accueillir beaucoup de production décentralisée ?

Réponse : non !!!! La production décentralisée ne répond à aucune des exigences de base d’une production électrique utilisable : La puissance est-elle garantie ou pas ? L’équipement est-il flexible  à la hausse et à la baisse,  à court  et moyen terme ? La production est-elle adaptable  ou au moins synchrone par rapport  à la demande ? La production est-elle près ou loin  de la demande et du réseau ? L’exploitant est-il un professionnel avec lequel on peut interagir,  se coordonner,  corriger des problèmes ?
Ajoutons-y le coût considérable de raccordement au réseau de centaines de milliers d’installations domestiques !!!!

Et ceci encore. Si comme la Commission Européenne le souhaite, les communautés locales de production d’énergie se développent, c’est la fin de la péréquation tarifaire géographique qui consiste à faire payer le même prix à tous les clients quelle que soit leur localisation sur le territoire national : Il n’ y a un seul tarif d’acheminement pour toute la France, identique dans les zones urbaines et rurales bien que les coûts des réseaux soient différents et qui ne  dépend pas de la distance parcourue par l’électricité (contrairement au gaz). C’est la fin du service public de l’énergie.