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mercredi 20 novembre 2013

Diego Rivera_Frieda Kahlo Un art positiviste

Un Mexique Positiviste

La France et le Mexique étant réconciliés, l’Orangerie accueille Diego Rivera et Frieda Kahlo pour une exposition émouvante et très courue, tant ce couple d’artiste bénéficie d’une faveur et même d’une ferveur d’un large public, et ce dans tous les pays.

Les commentaires de l’exposition nous apprennent que Frieda Kahlo a rencontré Diego Rivera lorsqu’il peignait la première de ces grandes peintures murales qui ont fait sa célébrité, et ceci dans l’amphithéâtre de l’Ecole Nationale Préparatoire, où Frieda étudiait.

Mais on ne nous dit rien sur cette Ecole Nationale Préparatoire, institution qui joua un grand rôle dans le Mexique moderne. Fondée en 1868 par Gabilo Barreda, ami et conseiller de Benito Juarez dans les bâtiments du couvent San Ildefonso, elle avait pour vocation de former l’élite administrative et politique de la nouvelle république selon les principes du Positivisme. Le mot d’ordre positiviste «Amour, Ordre et Progrès » figurait  au fronton de l’Ecole, ainsi que  la devise « Savoir pour prévoir afin de pourvoir », et l’enseignement y suivait le programme pédagogique comtien, avec une importance notable accordée aux sciences ; mathématiques, physique, histoire naturelle, géographie, histoire, latin, grec et  français y constituaient les matières principales.

Gabino Barreda était un positiviste convaincu qui avait suivi les cours de Comte lors de ses études de médecine en France. A l’effondrement de l’Empire au Mexique, il joua un rôle primordial dans l’établissement de la République, notamment par son Oracion Civica qui définit les grandes orientations du programme de Juarez. Durant le Porfiriat (1870-1910), la République mexicaine se voulut comme une république soeur de la France. L’élite Positiviste formée par Barreda – les Cientificos-, y jouaient un rôle primordial, avec des personnalités comme l’inamovible ministre des finances, José Yves Limantour, un descendant de Lorientais qui réussit l’exploit de redresser  les finances mexicaines, Justo Sierra, Président de la Cour Suprême et Ministre de l’Education et des Beaux-Arts, Pablo Macedo, maire de Mexico, et son frère Miguel, qui réforma le code civil…etc. Lors de l’inauguration de la statue d’Auguste Comte en 1902 sur la pace de la Sorbonne à Paris, les Mexicains, loin devant les Brésiliens, furent parmi les principaux contributeurs étrangers.

Diego Rivera, inaugurant son art mural par la peinture du grand amphithéâtre de l’Ecole Nationale Préparatoire, a-t-il pu échapper à cette atmosphère intensément positiviste ?

Art et  Positivisme

Le Positivisme donne pour mission à l’Art d’illustrer et de faire aimer les grands êtres collectifs, la Famille, la Patrie et surtout l’Humanité ; d’illustrer en quelque sorte le lien social, le système d’opinion partagée, les valeurs spirituelles qui définissent une société donnée.

« Il n’ y a d’esthétiques que les émotions profondément senties et spontanément partagées. Quand la société manque de tout caractère intellectuel et moral, l’art destiné à la retracer n’en aurait avoir non plus, et il se réduit à la vague culture de facultés trop naturelles pour devoir rester inactives, même lorsqu’elles n’ont aucun grand but. (Système de Politique Positive, Tome 1, p.300 , Paris, 1853). « Les beaux-arts, destinés surtout aux masses, doivent  en effet, par leur nature, éprouver l’indispensable besoin de s’appuyer sur un système convenable d’opinions familières et communes… C’est le défaut d’une telle condition, trop rarement accomplie dans l’art moderne, qui permet d’y expliquer le peu d’effets réels de tant de chefs d’œuvres conçus sans foi et appréciés sans convictions » (Cours de Philosophie Positive, 53ème leçon)

Pour le Positivisme, l’histoire est une science sacrée et « les vivants sont de plus en dominés par les morts » ; l’Art doit montrer, en sachant susciter l’émotion, cette solidarité des vivants entre eux, il doit aussi montrer ce lien avec le passé, et aussi l’avenir comme un destin partagé ; selon le mot de Renan : « avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore ».

La présence du passé et des morts, et celle aussi du présent et de l’ avenir, le défilement des générations d’un peuple, un art qui rend hommage aux grands hommes, et aussi au labeur et à l’héroïsme des masses, un art populaire et raffiné, qui fait appel à l’intelligence et à la culture et suscite l’émotion, immédiatement compréhensible et cependant au symbolisme profond et sophistiqué,  qui sait parler de classes sociales et de nations sans les opposer à l’Humanité, qui parle à tous, émeut tout  le monde ; c’est bien l’art de Diego Rivera, un art conforme aux conceptions positivistes.

Vasconcelos, le ministre des beaux arts du nouveau régime issu de la Révolution qui mit fin au Porfiriat, et qui lança le mouvement muraliste dont Diego Ribera fut le représentant le plus éminent, voulait créer une nouvelle culture et une nouvelle identité mexicaine,  donna aux artistes comme mot d’ordre : « Par ma race parlera l'esprit ».

Certes la Révolution se voulait bien l’adversaire du Porfiriat, Vasconselos pouvait bien moquer ces positivistes, ces cientificos dépourvus de lyrisme, Diego Rivera pouvait bien se revendiquer du communisme et non du positivisme- mais où y-a-t-il jamais eu un art communiste équivalent ? ; cet art de Diego Ribera est tout de même profondément marqué par les conceptions positivistes ; et consciemment ou non, il constitue l’exemple le plus convaincant d’un art positiviste.
 
 

lundi 4 novembre 2013

L’Ecole Polytechnique, la pantoufle et les députés

Deux députés, un UMP M. Cornut Gentille, et un socialiste, M Launay viennent, contre l’avis du gouvernement, de priver l’Ecole Polytechnique d’une subvention de 500.000 euros pour faire pression de façon à modifier le système de la pantoufle, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles ils doivent rembourser leurs études. Depuis les années 1970, les Polytechniciens ne sont contraints de rembourser leurs études que s’ils n’effectuent pas une année complémentaire de formation, s’ils rentrent dans le service public et le quittent avant dix ans
 
« Les sciences, dans leur dernier état »
 
A Polytechnique, selon les vœux de ses fondateurs (Monge, Laplace, Berthollet, Carnot, Prieur) et de Napoléon qui y prit un intérêt particulier, on enseignera « les sciences dans leur dernier état ». Est-ce donc pour en faire de simples militaires, de simples administrateurs destinés à construire ponts, routes et ronds-points ? Non, bien sûr. Et Napoléon traita plutôt sèchement les généraux qui se plaignaient du niveau inutile des études scientifiques et réclamaient les polytechniciens aux armées ; ses polytechniciens ne devaient pas servir de chair à canon. Le but de l’Ecole a été clairement indiqué par Gaspard Monge, défendant – déjà- l’Ecole contre des députés qui attaquent l’Ecole en ces termes : « c’est peine perdue que d’y enseigner des objets totalement inutiles, le calcul différentiel et le calcul intégral… Pour construire une fortification, cela n’est nullement nécessaire » Réponse de Monge : « Lorsqu’on a créé l’Ecole, on voulait à la vérité, préparer des officiers et des ingénieurs, mais on avait un but bien plus vaste et bien plus élevé, celui de stimuler tout d’un coup le génie français, de rappeler l‘attention vers les sciences, de ranimer l’amour de l’étude, de rendre à la France un éclat non moins solide que celui de nos armées, de tirer la nation française de la dépendance où elle a été jusqu’à présent de l’industrie étrangère » Le but de l’Ecole, dès son origine, n’a pas été l’armée ou le service de l’Etat, il a été très clairement ce que l’on appelle aujourd’hui le redressement industriel. Dès les premières générations de polytechniciens figuraient Arago, Cauchy, Gay-Lussac, Poisson et bien d’autres. Des militaires ? des fonctionnaires ? Non, mais des savants, des ingénieurs, des industriels qui ont selon le vœu de Napoléon et de Monge donné pour un temps à la France une suprématie scientifique, technique, industrielle.
 
  Pour la Patrie, la Science et la Gloire
 
C’est la devise donnée à l’Ecole par ses fondateurs. Pour la Patrie, la Nation s’y l’on préfère, mais pas nécessairement l’Etat. Et, au fait, les Elèves de l’Ecole, comme d’ailleurs tous les fonctionnaires, ne sont pas payés par l’Etat, ils sont payés par la Nation, et l’Etat dans cette affaire là n’est qu’un caissier.
Sert-on davantage la Nation aujourd’hui, en étant fonctionnaire, ou bien chercheur, directeur d’entreprise, fondateur de start-up (jeune entreprise innovante), en bataillant dans une grande entreprise ou une PME pour s’imposer sur des marchés étrangers ?
Être fonctionnaire pendant dix ans, est-ce vraiment l’idéal pour remplir les fonctions d’une Ecole vouée dès sa naissance au redressement industriel, à l’excellence scientifique, technique, managériale ?
La règle sur la pantoufle de 1970 a été instituée pour encourager les jeunes polytechniciens à se lancer dans les eaux aventurées du privé plutôt que les carrières plus paisibles de la haute fonction publique. Ce besoin aurait-il disparu ?
Et que préfère-t-on ? Les Ecoles du travail ou celles de la connivence, des relations ? Celles de la compétence ou celles de la soumission aux idéologies du moment ? Celles du courage et de l’intelligence, ou celles de la duplicité et de la servilité ?
Et s’il l’on parle de pantouflage des expériences trop souvent répétées n’ont-elles pas montré la nocivité du pantouflage de fonctionnaires récompensés pour leur docilité à l’égard du pouvoir politique par des postes dans de grandes entreprises ? Ne devrait-on pas au contraire ne nommer dans les postes principaux de la haute fonction publique que des femmes ou des hommes ayant eu une expérience significative du privé – ou du moins, en imposer un quota significatif ?
Oui, c’est la tradition méritocratique de la Révolution, de l’Empire et de la République, de ce qu’il en reste malgré la dureté des temps : en France, les meilleures écoles payent leurs élèves sélectionnés après un dur concours et beaucoup de travail et d’engagement, les moins bonnes sont gratuites, les encore moins bonnes sont payantes. Nos collègues étrangers s’en étonnent d’abord ; lorsqu’on leur explique, ils admirent.
Alors doit-on forcer les Polytechniciens thésards, industriels, boursiers, créateurs d’entreprise, qui prennent le risque du privé à rembourser leurs études ? Polytechnique , c’est l’école par excellence, l’école par vocation, l’école historique du redressement industriel. Et cette manœuvre de Cornut Gentille, neveu de son oncle ministre, est celle, au choix multiple, de l’ignorance, de la bêtise, de l’envie, de la démagogie, de la médiocrité, du sabotage.