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jeudi 27 août 2015

Mercator Océan, un succès français


Connaître l’Océan : l’océanographie opérationnelle ou la météo de l’Océan

La conférence globale sur le climat COP 21, qui aura lieu en France en décembre 2015 doit être aussi l’occasion de faire mieux connaitre la recherche française et ses réalisations en ce domaine ; c’était déjà l’objet d’un de mes précédents blogs sur le diplomatie scientifique de la France, un concept qui a un temps passionné Laurent Fabius.  En voici ici un exemple impressionnant, utile, fascinant, fun , une vraie réussite : Mercator.

Mercator est une initiative française, un groupement d’intérêt public existant depuis 2002, et qui a d’abord réussi l’exploit de faire travailler sur un projet  commun cinq organismes : le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), l’ Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer), l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), Météo-France et le SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine), le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales y est fortement associé, ne serait-ce que pour la fourniture des données satellitaires dont Mercator est très gros utilisateur.

Que fait Mercator ? De l’ « océanographie opérationnelle » ! C’est-à-dire ?  Le terme, qui qualifie une discipline jeune qui n’a pas vingt ans (il fallait un saut en termes de  techniques, de données et d’ informatique) n’est peut-être  très heureux, mais globalement, il s’agit d’« être capable de décrire l’océan en temps réel et de le prévoir de façon opérationnelle dans toute son étendue en surface comme en profondeur ».

Alors qu’il couvre près de 70% de la surface du globe, l’océan occupe une place croissante dans le domaine économique (alimentation, énergie, transports…), environnemental (changement climatique, protection des espèces, qualité des eaux…) et sociétal (sécurité en mer, éducation, emploi…) ; bref, le but de Mercator  est décrire et prévoir l'océan de façon opérationnelle, « comme la météo décrit l'atmosphère ». L’enjeu n’est pas qu’économique et sociétal : mieux connaître et prévoir l’océan, c’est mieux le protéger.

Pour une meilleure compréhension, la fascination et le fun, se reporter au site internet et au bulletin physique journalier grand public (http://bulletin.mercator-ocean.fr/fr/PSY4#2/71.7/-55.5). Une carte similaire à une carte météo y donne sur tout le globe les courants, la température et la salinité, et ceci pour des profondeurs de  zéro , 30, 100, 300,  1000 et 3000 mètres !  Et également la hauteur de mer, la hauteur  et la vitesse des glaces ! De quoi voir venir le naufrage du Titanic et les catastrophes comme Xynthia  à La Faute-sur-Mer !

Histoire d’un succès

Mercator est né le 26 juin 1995, à l'initiative de Michel Lefebvre et de Jean-François Minster ; une trentaine d'océanographes rassemblent les pièces du puzzle : un océan sous observation continue des satellites altimétriques Topex/Poseidon et ERS, des équipes de recherche à la pointe en matière de modélisation et d'assimilation. Dès 1998, les cartes de la topographie des océans tracées par Topex/Poséidon et ERS (projet Ssalto/Duacs) sont pour la première fois élaborées et diffusées en temps réel : les grands courants océaniques s'animent en direct sous nos yeux.

L'océan profond, qui ne peut s'observer qu'in situ, prend le relais suivant avec le programme international Argo et sa composante française Coriolis. Le déploiement de 3000 flotteurs à travers l'océan global est entrepris (près de 2500 sont déjà déployés fin avril 2006) pour apporter aux modèles les indispensables mesures verticales de température et salinité, entre 0 et 2000 m de profondeur.

En avril 2002, les six membres historiques Cnes, CNRS, IRD, Ifremer, Météo-France et Shom créent le Groupement d'Intérêt Public (GIP) Mercator Océan pour une durée de 4 ans. Le GIP a une mission claire : développer la capacité de description en routine de l'océan mondial à haute résolution, et préparer le futur Centre d'Océanographie Opérationnelle.

C’est un succès et finalement, en 2014, la Commission européenne a signé avec Mercator Océan un accord qui lui confie la mise en place du futur Copernicus Marine Service à compter d’Avril 2015. Ce service a pour mission de fournir un accès libre et gratuit à une information scientifiquement qualifiée et régulière sur l’état physique et biogéochimique de tous les océans du globe, en surface comme en profondeur : température, courants, salinité, hauteur de mer, glace de mer, couleur de l’eau, chlorophylle. Le Contrat de délégation de la Commission Européenne porte sur un montant de 144 Millions d’Euros entre 2014 et 2021.

Les données fournies par Mercator permettent déjà une cartographie des courants, ce qui est important pour la sécurité et l’économie du routage en haute mer, pour retracer le trajet d’objets échoués, ou de nappes de pollution et identifier les pollueurs, d’assurer une meilleur prévision et sécurité des côtes et de leur environnement, d’améliorer la prédiction des événements climatiques où l’océan joue un rôle majeur, et notamment une meilleur prévision des cyclones et autres événements extrêmes, un meilleur suivi et une meilleure prédiction de l’évolution des ressources halieutiques, etc  et aident, les climatologues à comprendre et modéliser l’évolution du climat,

Bonne chance et longue vie à ce projet passionnant et beau, d’origine française, qui met en valeur plusieurs points de la recherche en France (océanographie, mathématiques, modélisation, spatial, météorologie). Le débat autour de la COP 21 et du climat est l’occasion de mieux faire connaître internationalement de tels projets. Maintenant, un esprit pragmatique (anglo-saxon ?) pourrait aussi  se demander si on peut en faire une activité rentable….

lundi 3 août 2015

Médecine du travail ; pas de quoi pavoiser !

Une médecine sinistrée ?

Le drame sans précédent provoqué par le pilote ultra dépressif de la German Wing qui a précipité son avion et ses 150 passagers sur une montagne des Alpes du Sud (Andreas Lubitz avait consulté plus de 40 médecins ces quatre dernières années) a fait l’objet d’un satisfecit français bien mal placé, sur le thème : cela ne pourrait pas arriver en France, avec notre médecine du travail. C’est peut-être vrai à Air France, où il semble que le suivi médical des pilotes soit sérieusement effectué ; mais ce ne l’est surement dans le pays en général. En fait, depuis plusieurs mois, les médecins du travail et leurs organisations préviennent, en particulier l’Association Santé et médecine du travail  : la médecine du travail est sinistrée.
Tout d’abord, le nombre de médecins du travail ne cesse de diminuer  (5.666  en 2013 contre 6 280 en 1992), pour l’ensemble des salariés ! Comme de toute évidence, ils ne peuvent fournir au travail, la visite annuelle périodique a été remplacée par une visite tous les deux ans pour les salariés non exposés à un environnement particulier (chimie, laboratoire..etc.) Malgré cela, un rapport de l’IFRAP estime que 30 à 60% d'entre elles ne sont jamais réalisées ! (l’Ifrap, organisme patronal militant propose en conséquence de passer à une périodicité de cinq ans !). Faudra-t-il en arriver à ce que des salariés poursuivent l’Etat ou leur entreprise pour ne pas avoir respecté la loi ?
Harcèlement et intimidation

Et quand ils exercent leur travail, les médecins du travail sont de plus soumis aux pressions des employeurs. Depuis deux ou trois ans les plaintes d’employeurs devant l’ordre des médecins se multiplient. Dominique Huez, médecin à la centrale nucléaire de Chinon explique : « les juristes des entreprises ont découvert qu’il existait une brèche juridique et ont pensé qu’ils pouvaient l‘utiliser pour nous discréditer ». En effet, un décret de 2007 permet aux employeurs de poursuivre les médecins en chambre disciplinaire – une sacrée entorse tout de même à leur indépendance. En ce qui concerne le Dr Huez, il lui reproché d’avoir manqué de « prudence et de circonspection » en établissant un lien entre une dépression et les conditions de travail. Devant la multiplication de ce type de procès, dont le point commun est que les entreprises reprochent aux médecins d’établir un lien entre les conditions de travail et l’état psychique de salariés, leurs organisations professionnelles protestent : «leur travail consiste bel et bien à «  éviter toute altération de la santé physique ou mentale des travailleurs du fait de leur travail » ; et ils rappellent que « la déontologie médicale n’est pas au service de l’employeur, mais avant tout fondé sur la protection de la santé des patients ». Et ils dénoncent dans des lettres et des appels une campagne organisée de harcèlement et d’intimidation.
Et ce n’est pas fini : la Caisse d’Assurance Maladie se lance à son tour dans une campagne d’intimidation à propos des arrêts maladies et envoient des lettres d’avertissement aux médecins qui prescrivent plus d’arrêts maladies que la moyenne. Et le ton est rien moins qu’aimable : « Pierre Fendu, directeur de la lutte contre les abus de la CNAM, explique comment l’Assurance maladie procède avec les médecins en dépassement : « Soit le médecin va dire, 'Oui je pense que je peux faire un effort', ou 'Non, je ne peux pas faire d’effort parce que j’estime que tous mes arrêts sont justifiés'. A partir du moment où le médecin dit non, le directeur de la Caisse peut parfaitement décider de le mettre sous accord préalable, cela veut dire que chaque arrêt de ce médecin va être contrôlé »
Le burn out non reconnu maladie professionnelle par le Sénat
Pour aggraver leur cas, certains médecins du travail  se sont lancés dans une campagne pour la reconnaissance du burn out (syndrome d’épuisement professionnel) comme maladie professionnelle. Dans une  lettre d'alerte adressée  aux ministres du Travail et de la Santé ils disent  constater une montée importante de ces cas et, dans une tribune dans l’Marianne posent la question : « combien de burn out se terminent par un licenciement pour inaptitude ou par un passage à l'acte suicidaire ? ».  Témoignage d’un médecin : « Cet été encore j'ai une dame qui me racontait avoir été à sa voiture, les clés en mains,  « et là, docteur, j'ai pas pu monter dans la voiture". Et là, j’ai dit : "maintenant c'est fini, j'arrête. Je suis remontée, j'ai enlevé mon manteau et mes chaussures, je me suis couché et j'ai dormi toute la journée »
Que croyez-vous qu’il arriva ? Les employeurs (au moins ceux d’entre eux qui ne sont pas en burn out, les autres n’ont pas le temps de mener des combats retardataires) sont vent debout et le Sénat a refusé pour l’instant la reconnaissance comme maladie professionnelle. C’est vrai qu’un train de Sénateur ne favorise sans doute pas la prise de conscience du burn out !
Merci aux médecins du travail qui se battent pour exercer le leur, dans un contexte jusqu’ici inédit d’intimidation, de déliquescence, voire même de liquidation, et qui sont trop peu entendus et trop peu soutenus.  La Médecine du Travail a été institutionnalisée en France en 1946 ; on sait que certains se sont donné pour but de déconstruire le programme du Conseil national de la Résistance ; il semble qu’ils agissent aussi sur ce terrain-là.
Le passionné d’histoire des sciences que je suis peut tout de même rappeler que la médecine du travail, et la chimie médicinale tout court, est née en France avec la traduction et l’enrichissement  par Fourcroy, le principal disciple de Lavoisier, d’un traité de Ramazzini en 1777 : «Traité des maladies des artisans et de celles qui résultent des diverses professions ».  Et que ce sont des dentistes qui suivaient des ouvrières peignant les cadrans et aiguilles de réveil de solution de radium qui ont signalé les premiers le danger cancérigène des composés radioactifs.

Ho, ce n’est plus 1946 qu’on détricote, c’est Lavoisier !