Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



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vendredi 23 septembre 2016

Le Sovaldi accessible à tous les patients


Fin d’une absurdité

C’est une très bonne nouvelle : Marisol Touraine a annoncé ce matin, la fin des restrictions de traitements de l'hépatite C. De 150 à 180 000 nouveaux malades sont concernées et pourraient bénéficier d'ici à début 2017 du traitement par le Sovaldi (Sofosbuvir) des laboratoires Gilead

Le Sofosbuvir  constitue un progrès thérapeutique majeur particulièrement bien toléré et particulièrement efficace pour le traitement de l’hépatite C. La situation actuelle, qui réservait aux malades les plus gravement atteints par le virus de l'hépatite C (VHC) le droit de recevoir un traitement à base des nouveaux antiviraux pouvant guérir la majorité d'entre eux, pour des raisons budgétaires, devenait intenable. Les associations faisaient remonter des cas tragiques ou, dans un couple contaminé, la femme, malade, mais non dans un état critique, parce qu’elle avait suivi un régime approprié, se voyait refuser un traitement accordé à son mari qui avait continué à consommer de l’alcool en abondance. Certains médecins recommandaient même à leurs patients de modifier leur conduite de façon à aggraver leur état ; d’autres les envoyaient à l’étranger, d’autres enfin ne respectaient pas les consignes du ministère et l’arbitraire total régnait.

 Un progrès majeur

 Le Sofosbuvir est un nouvel antiviral, dont les premières études ont montré qu’il était particulièrement bien toléré et particulièrement efficace pour le traitement de l’hépatite C- guérison totale pour pratiquement tous les patients !   (cf par exemple New England Journal of Medecine par Sulkowski MS. et al., avec une association Daclatasvir + Sofosbuvir, chez les patients infectés par le VHC de génotype 1 en échec d'inhibiteur de protéase de première génération, aux stades de fibrose Fo-F2. Avant l’époque Sofosbuvir, le traitement de l’hépatite C était  reposait sur l’interféron et la ribavirine et nécessitait des injections hebdomadaires pendant 48 semaines, guérissait environ la moitié des patients, mais provoquait des réactions indésirables fréquentes entrainant l’arrêt du traitement, et parfois engageant le pronostic vital. Ensuite, il ne restait que la greffe de foie et les traitements immunosuppresseurs à vie. Même en laissant de côté la guérison, le confort de vie, l’immense service médical rendu, même en se bornant aux simples considérations économiques, le traitement par le Sofosbuvir est fortement  rentable pour la société.

Au terme de négociations avec Gilead, le comité économique des produits de santé (CEPS) avait  fixé le prix du médicament Sovaldi à 13 667€ HT par boîte de 28 comprimés, soit  41001€ pour un traitement. Ce prix devrait baisser sur la base d’accords prix volumes

 Une politique sérieuse du médicament

 Le Sovaldi, c’est la recherche thérapeutique à son meilleur, un progrès incontestable. Alors, les clameurs anti-industrie pharmaceutique qui ont accompagné son lancement devraient faire honte à leurs auteurs : « Hépatite C : le nouveau hold-up des labos », Hépatite C : le coût « exorbitant » de nouveaux traitements dénoncé  (Le Monde) ; appel de Philippe Even, Marie-Odile Bertella-Geffroy, Nicolas Dupont-Aignan à « légalement autoriser des laboratoires pharmaceutiques concurrents de Gilead « à produire des génériques du sofosbuvir  en leur accordant des licences » ( c’est quitter tout système de protection industrielle et la fin du progrès !- même l’Albanie ne fait plus ça !) etc., etc.

Les patients méritent mieux que cela, une vraie politique du médicament qui favorise l’innovation ; et de préférence l’innovation en Europe, alors qu’une politique de dénigrement systématique et de baisse des prix aveugle conduit, surtout en France, à la fin de la recherche thérapeutique – dans le pays de Pasteur et de Claude Bernard !  L’Europe, si elle veut redorer un blason bien terni, serait bien inspirée de s’occuper de politique de santé pour ce qui peut le plus efficacement être réalisé à son échelle ; et, en France, il est aussi consternant de voir à quel point la politique de santé est absente de la campagne électorale qui s’annonce, alors que c’est un sujet de préoccupation important.

D’autant, qu’à l’inverse de Gilead et du Sofosbuvir, il y a des firmes pharmaceutiques qui ont un comportement de voyous, c.f.  Sarepta pour la myopathie de Duchenne, le sujet d’un blog à venir.
 
 

mercredi 21 septembre 2016

Confucius et le positivisme


Dans deux de mes billets précédents, j’ai évoqué le cinquantième anniversaire du déclanchement de la Révolution culturelle, les délires français de l’époque, la réhabilitation de Confucius, les liens entre le positivisme et Confucius.  Pour en terminer avec le sujet, quelques extraits d’un ouvrage du positiviste Pierre Laffitte, successeur d’Auguste Comte.

 Pierre Laffitte, Considérations générales sur l’ensemble de la civilisation chinoise, Paris, Société Positiviste (1900)

 Le fétichisme est la base mentale de la civilisation chinoise

 « Un concours spécial d'influences, surtout sociales, disposa la civilisation chinoise à développer le Fétichisme au-delà de tout ce qui fut possible ailleurs. Mieux systématisé qu'en aucun autre cas, il y prévalut sur le Théologisme, et préserva le tiers de notre espèce du régime des castes, malgré l'hérédité des professions. » (Auguste Comte, Synthèse subjective, Introduction.)

C'est sous une telle inspiration que j'ai, dans mon cours public sur l’Histoire générale de l'Humamité, apprécié la civilisation chinoise et son plus éminent représentant, Confucius. J'ose espérer qu'un tel travail contribuera à propager la conviction que la religion démontrée peut seule embrasser l'ensemble des affaires terrestres par une politique à la fois rationnelle et morale. 

Le Fétichisme, systématisé par l'adoration du Ciel, est la base chinoise mentale de la civilisation chinoise : telle est la proposition capitale qu'il faut mettre dans tout son jour pour faire comprendre le véritable esprit de celle grande civilisation. Nous avons établi que toute société quelconque débute nécessairement par le Fétichisme. Cet état a reçu en Chine une véritable systématisation, qui lui a donné une consistance et un développement immenses, de manière à devenir la base de l’évolution sociale de cette grande population. Dans les autres pays, le Fétichisme a laissé des traces nombreuses et incontestables ; en Chine, il s'est conservé, il a persisté, et s'est développé […]

Si nous considérons, en effet, les divers temples, les autels nombreux élevés dans ce vaste empire, nous les voyons dédiés aux fleuves, aux montagnes, aux constellations, aux principales planètes, au Ciel, à la Terre. Le culte des mânes y est très développé ; familier à tout le monde, il est organisé par des gens qui ne croient pas à la vie future. Or, que sont les mânes, sinon des fétiches résultés de nos dépouilles mortelles, et qui, d'après un tel point de vue, conservent un mode d'activité et de vitalité qui leur est propre? La mort, au sens où la conçoivent la théologie et la métaphysique, n'existe pas pour le fétichiste ; elle n'est rien à ses yeux qu'un mode de vitalité substitué à un autre. De là ce mépris de la mort constaté par les théologiens occidentaux, chez des gens qui, d'un autre côté, méconnaissaient complètement ce que nous appelons la vie future ; contradiction apparente que la théologie a constatée sans pouvoir la résoudre.

En Chine, le Fétichisme a été systématisé par le culte du Ciel, et cette systématisation remonte à l'origine même de la civilisation de cet empire […]

 Confucius comme chef spirituel

 Le rôle de Confucius a été de construire pour la classe éclairée, administrative, dont le développement s'était produit conformément à l'esprit de la civilisation chinoise, une doctrine philosophique qui fût l'expression systématique de la nature même de cette civilisation.

Ce rôle est immense, et jamais peut-être un homme n'a exercé une action plus grande, plus profonde et plus régulière dans le développement d'une société. La doctrine de Confucius, comme nous le verrons plus tard, établissait le type idéal de la civilisation correspondante. Cette doctrine systématique construisant le type à réaliser, fournissait la conception autour de laquelle ont pu et dû se grouper les théoriciens, les administrateurs, tous ceux en un mot qui faisaient partie de la classe éclairée. Cette doctrine a donné à cette classe une véritable constitution, une réelle unité ; elle a fondé finalement la classe des lettrés. C'est à partir de Confucius que cette classe se constitue. Dès ce moment aussi la civilisation chinoise se développe avec une intensité et une régularité extrêmes, parce qu'elle a acquis enfin une première coordination de son second élément directeur. La première force fondamentale, élément d'ordre, d'unité, de consolidation, c'est-à-dire la puissance impériale, avait dû être établie dès le début, mais l'élément modificateur[1], quoique surgi dès l'origine, de la nature même de cette société, n'arrive à se coordonner qu'à partir de Confucius. Cela se conçoit. La concentration était dans la nature même du premier élément qui a dû, dès le début, être plus ou moins systématique; mais le second élément, l'élément modificateur, dispersif par sa nature, n'a pu arriver que plus tard à conquérir la doctrine qui lui a donné une coordination, et qui lui a permis ainsi d'exercer une action plus complète et plus caractéristique […]

En résumé donc, Messieurs, nous voyons à l'extrême Orient une immense population, essentiellement industrielle et pacifique, gouvernée, sous la prépondérance d'un chef unique, par une classe régulièrement émanée de la masse de la population au moyen d'un système bien organisé d'examens, par conséquent sans aristocratie héréditaire. Cette classe des lettrés a graduellement établi un vaste système d'administration sous la direction de laquelle vit une population de 400 millions d'hommes. Enfin cette société, après de longs efforts, s'est finalement agrégé les populations environnantes, moins avancées, qui avaient été jusque-là pour elle une cause continuelle de troubles, de manière à réduire finalement l'armée à sa fonction normale de gendarmerie.

C'est cette immense société que les contacts anarchiques de l'Occident tendent à troubler et à opprimer. Mais avant d'établir la politique vraiment rationnelle qui doit finalement prévaloir en Occident à cet égard, j'apprécierai Confucius, le type le plus systématique de cette grande civilisation […]

 Nous voyons Confucius, perfectionnant la civilisation fétichique et astrolâtrique d'où il émane, emprunter pour sa systématisation politique et morale, aux lois du ciel et de la terre, un type d'ordre et de régularité, qu'il cherche à réaliser dans la vie humaine par la prépondérance habituelle de la sociabilité sur la personnalité, qui seule peut réaliser dans l'ordre humain le type de régularité fourni par l'observation du monde extérieur.

Appréciation positiviste de Confucius

 En définitive, nous pouvons résumer sommairement l'œuvre de Confucius, et l'appréciation de son caractère et de son rôle.

Nous voyons d'abord un grand philosophe s'appuyant, pour produire une immense évolution morale et sociale, sur l'ensemble des antécédents et des traditions, et s'y appuyant réellement ; il ne s'agit pas ici de ces hypothèses arbitraires par lesquelles le Christianisme s'est construit une tradition artificielle, faute de pouvoir représenter réellement, par une théorie vraiment scientifique, les antécédents d'où il est vraiment émané. Ici c'est un philosophe qui s'appuie réellement et sincèrement sur la série des antécédents de la civilisation chinoise, et qui poursuit 'le développement systématique de cette civilisation. C'est là un type vraiment normal, et tout à fait conforme au véritable esprit scientifique, qui appuie toujours ses constructions actuelles sur les constructions antérieures. Sous l'impulsion chrétienne et révolutionnaire, les Occidentaux, dans les spéculations morales et sociales, ont développé au contraire une disposition à la fois irrationnelle et immorale à méconnaître complètement la continuité sociale.

Confucius prend son point de départ dans le Fétichisme astrolâtrique, base de la civilisation chinoise. Tout en acceptant le Fétichisme astrolâtrique, et respectant profondément le culte construit sur cette base, il commence à opérer dans ce fétichisme une transformation qui se réalisera pleinement parmi les plus distingués de ses successeurs. Il commence à opérer en effet la distinction entre l'activité et la vie. Le Fétichisme considère tous les êtres non seulement comme actifs (ce qui est parfaitement scientifique), mais aussi comme vivants, ce qui n'est vrai que pour un certain nombre d'entre eux.

Chez Confucius on voit déjà nettement apparaître qu'il s'agit bien plus des lois du ciel et de la terre que des volontés de ces deux êtres prépondérants, de telle sorte que, quoique le commandement soit conçu comme un mandat du ciel, ce mandat tend à représenter, au lieu de la volonté céleste, la fatalité qui résulte de lois régulières […]

Tel est l'ensemble très général de cette construction morale. Elle est, comme on voit, complètement dégagée de toute préoccupation surnaturelle. Et j'ai déjà expliqué, dans ma première leçon, comment cela tenait à l'absence d'esprit théologique et à la prépondérance continue du régime féticho-astrolâtrique.

A propos de cette absence complète de croyances surnaturelles, un esprit vraiment distingué, M. Abel Rémusat, affirme que la morale de Confucius manque de sanction. On s'explique difficilement comment un tel esprit a pu se laisser dominer par les préjugés théologico-métaphysiques, au point de ne pas comprendre que cette prétendue absence de sanction constitue à la fois la réalité et la noblesse de la morale de Confucius. Car le manque de sanction surnaturelle, qui est toujours essentiellement personnelle, fait ressortir chez Confucius l'admission formelle de l'existence spontanée des sentiments bienveillants. Confucius reconnaît la moralité spontanée de la nature humaine. La sanction est précisément dans le bonheur de faire le bien pour le bien, dans cet état enfin de pleine unité que poursuit comme idéal le véritable sage, sous l'impulsion d'une ardente sociabilité, éclairée par une haute raison. — Les conceptions théologico-métaphysiques ont tendu à dégrader' sous ce rapport la vraie notion de la nature humaine, depuis surtout que les inconvénients de la doctrine ne sont plus contre-balancés par la sagesse du sacerdoce.

Enfin, politiquement, le développement graduel de la réformation de Confucius a eu pour résultat de donner à la classe modificatrice de la civilisation chinoise une solide constitution, qui a assuré et perfectionné son action, dont l'influence dure encore et a été constamment croissante, sur la société correspondante.

Tel est l'ensemble de cette grande existence, systématiquement et activement vouée à la réalisation d'une noble réformation sociale.

Cf. aussi, Eric Sartori, les Positivistes et le Chine, Monde chinois/2014/4 (N° 40)



[1] Soit le pouvoir spirituel.

vendredi 16 septembre 2016

Positivism and secularism

Secularism as liberation: God is no more public concern

Gazettes are filled with the shouts of self-proclamed donors of lessons on secularism, which are really theological minds with a false nose.  One of the latest examples is  Chantal Delsol (Le Figaro, 26/08/2016 : "famous French secularism is nothing other than the obligation to silence his religion... the famous French tolerance of human rights applies ultimately only to those who look like us in every way... strange tolerance! Personally I find insane allowed these women to swim in their traditional garb (sic!) ".
So I found useful to recall  the positivist conception of secularism – for  Positivism is a current of thought which have played a significant role in the separation of Church and State in France.
Secularism is based on the principle of the separation of temporal and spiritual powers,  sound base of real anti-totalitarian thought since the confusion of the two can only lead to a dictatorship "where there is no alternative between the most abject submission and direct revolt" (Auguste Comte). In practice, it was summarized by Pierre Laffitte, Auguste Comte main disciple : "God is no longer of public order". 
On the other hand, no society, thought Comte, cannot live without a "common social doctrine": "in a population where the concourse of individuals to public order can no longer be determined by the voluntary and moral assent granted by all to a common social doctrine, there is no other expedient, to maintain harmony, that the sad alternative of  force or corruption." 
Finally, secularism fits in the great movement of theological emancipation of humanity, in a program first empirically followed in the intellectual development of mankind, then clearly claimed by the French Enlightenment : after being driven out of astronomy (ancient Greek), physics (Galilee to Laplace), chemistry (Lavoisier to Pasteur), biology (Darwin), God is now denied any role in the organisation of societies (sociology of Auguste Comte).

Secularism is not neutrality

Secularism is not neutrality. The secular State cannot be neutral when religions, apart from their temples, churches, mosques, want, openly or not, take control of public space and place themselves in contradiction with the common social doctrine of our societies. Thus, a religion has every right to teach in its temples that apostasy lead to death (of the soul?) ; but in the public space, it must be clear and clearly proclaimed that abandoning his religion is an absolute right. Thus, we considered that the fact that a Priest, a Rabbi, an Imam, a llama walking in the street  in their clerical suit is not in itself an offence against secularism (a reasonable accommodation that took some time- remember the “croa” accompanying priests in black in french streets -  finally a good idea that allows you to know at the outset who you are dealing with).
Therefore, there is no reason to prevent a nun in uniform to plunge feet into the water on a beach ; however, the secular State should intervene appropriately against the wearing of a veil masking the figure or a burkini on a beach, because they show a willingness to impose religious precepts in public space, precepts demeaning women, in complete contradiction with our common social doctrine which proclaims the equality of men and women and strives to make it more real (and there is still to do, which is another reason not to tolerate the retrograde attempts!) 
Similarly, if our common social doctrine considered the suffering of animals at  “halal” slaughter as unbearable (and there is a European directive in this sense) and impose stunning before killing , well the religions should adjust. Thus, Danish Muslim representatives simply decreed that animals stunned before being slaughtered were “halal”…
It's not that complicated, secularism, when we really want to defend it !

N.B the new mayor of London, Sadiq Khan allowed himself to criticize the French laws on islamic veil and burqinis ; but he did censor in London bare and retouched photos of top models.
Not a great incentive to elect a muslim as mayor in a major french city !

Eric Sartori

Le Socialisme d'Auguste Comte, aimer, penser, agir au XXIème siècle, l'Harmattan 2012


La laïcité positiviste, ou la laïcité pour les nuls

La laïcité comme libération : Dieu n’est plus d’ordre public

Les gazettes étant remplies des clameurs indignées de donneurs de leçons sur la laïcité au faux nez théologique assez apparent, l’un des derniers exemples en date étant Chantal Delsol (Le Figaro, 26/08/2016 : « la fameuse laïcité française n'est rien d'autre que l'obligation de taire sa religion…la fameuse tolérance française des Droits de l'homme, ne s'applique finalement qu'à ceux qui nous ressemblent en tous points… étrange tolérance! Personnellement je trouve insensé qu'on interdise à ces femmes de se baigner dans leur tenue traditionnelle (sic !) », il me semble utile de rappeler la conception positiviste de la laïcité – c’est un courant de pensée qui a tout de même joué un rôle non négligeable dans l’instauration de la séparation des Eglises et de l’Etat en France.
La laïcité repose sur le principe de la séparation des pouvoirs temporels et spirituels, critère positiviste antitotalitaire puisque la confusion des deux ne peut que mener à une dictature « où il n’y pas d’alternative entre la soumission la plus abjecte et la révolte directe » (Auguste Comte). En pratique, elle a été résumée par le slogan suivant de Pierre Laffitte : « Dieu n’est plus d’ordre public ». D’autre part, aucune société, pensait Comte, ne peut vivre sans une « doctrine sociale commune » : « Dans une population où le concours indispensable des individus à l’ordre public ne peut plus être déterminé par l’assentiment volontaire et moral accordé par chacun à une doctrine sociale commune, il ne reste d’autre expédient, pour maintenir une harmonie quelconque, que la triste alternative de la force ou de la corruption ». Enfin, la laïcité s’inscrit dans le grand mouvement d’émancipation théologique de l’Humanité, dans un programme d’abord empiriquement suivi au cours de l’évolution intellectuelle de l’humanité,  puis clairement revendiqué par les Lumières françaises : après avoir été chassé de l’astronomie (l’Antiquité Grecque), de la Physique (de Galilée à Laplace), de la Chimie (de Lavoisier à Pasteur), de la Biologie (Darwin), Dieu est maintenant privé de tout rôle dans l’organisation des sociétés (la sociologie d’Auguste Comte).

La laïcité n’est pas la neutralité

 La laïcité n’est pas la neutralité.  L’Etat laïc ne peut pas être neutre lorsque les religions, en dehors de leurs temples, églises, mosquées, veulent, ouvertement ou non, reprendre  le contrôle de l’espace public et se placent en contradiction avec la doctrine sociale commune de nos sociétés. Ainsi, une religion a parfaitement le droit d’enseigner dans ses temples que l’apostasie conduit à la mort (de l’âme ?) ; mais, dans l’espace public, il doit être clair et clairement proclamé qu’abandonner sa religion est un droit absolu. Ainsi, nous avons considéré que le fait qu’un prêtre, un rabbin, un iman, un lama se promène en costume de son office ne constitue pas en soi une offense à la laïcité (un accommodement raisonnable qui n’est pas allé de soi, témoin les prêtres en soutane longtemps accompagnés de « croa » - mais enfin un laïc assez conséquent pourrait même remarquer que c’est une bonne idée qui permet de savoir d’emblée à qui on a affaire). Par conséquent, il n’existe aucune raison d’empêcher une bonne sœur en tenue de se plonger les pieds dans l’eau sur une plage ; mais par contre, l’état laïc doit intervenir de manière appropriée contre le port d’un voile masquant la figure ou d’un burqini sur une plage, car ils témoignent d’une volonté d’imposer dans l’espace public des préceptes religieux dévalorisant les femmes, en complète contradiction avec notre doctrine sociale commune qui proclame l’égalité des hommes et des femmes  et s’efforce de la rendre de plus en plus réelle (et il y a encore à faire, raison de plus pour ne pas tolérer les tentatives rétrogrades !) De même, si notre doctrine sociale commune considérait la souffrance animale lors de l’abattage dit halal comme insupportable (et il existe une directive européenne en ce sens) et imposait l’étourdissement avant égorgement, eh bien les religions devraient s’y adapter ; ainsi, les représentants musulmans danois ont-ils simplement décrété que les animaux étourdis avant d’être abattus étaient halal.
C’est pourtant pas compliqué, la laïcité, quand on veut vraiment la défendre.

N.B Le nouveau  maire de Londres, Sadiq Khan s’est permis de critiquer les lois françaises sur le port du voile ; mais il fait censurer à Londres les photos de modèle trop dénudées et trop retouchées. Etrangetés réciproques

Eric Sartori

Le Socialisme d'Auguste Comte, aimer, penser, agir au XXIème siècle, l'Harmattan 2012


Rumford


mercredi 7 septembre 2016

Dépakine : pour une politique européenne de la pharmacovigilance


Depakine, un scandale de trop ? Encore un ?

 Mercredi 24 août, les autorités sanitaires françaises ont révélé que plus de 14 000 femmes enceintes ont été exposées à l’acide valproïque – substance active de la Dépakine et de ses génériques – en France entre 2007 et 2014, alors même que les dangers de ce médicament pour l’enfant à naître étaient connus, et sa prescription pendant la grossesse explicitement déconseillée depuis 2006.

Disponible depuis cinquante ans, ce médicament est indiqué essentiellement dans le cadre d’épilepsie et de troubles bipolaires. Les risques de malformations, suspectés dès les années 1980, concernent jusqu’à 10 % des enfants exposés in utero. Des troubles neuro-développementaux (atteinte du QI, autisme…), décrits après 2000, peuvent être présents dans 30 à 40 % des cas. (42% des enfants exposés au valproate de sodium durant la période foetale ont un QI inférieur à 80). Le nombre total de personnes handicapées à la suite d’une exposition prénatale à la Dépakine reste à déterminer. Il serait d’au moins 50 000 en France, selon l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), dont plusieurs familles ont porté plainte contre X, entraînant l’ouverture d’une enquête préliminaire.

Il a fallu un courage extraordinaire aux parents pour faire reconnaître ce syndrôme de l’anticonvulsivant, au début mal connu.

 Chronologie :

 1967 : Le valproate de sodium, un anti-épileptique, est commercialisé en France sous le nom de Dépakine par le laboratoire Sanofi, puis par les génériqueurs.

1982 : Une étude publiée dans The Lancet montre un premier effet tératogène (c’est-à-dire créant des malformations génitales sur le fœtus que porte la femme enceinte à qui il est prescrit) chez l’Homme. Selon elle, les enfants de femmes traitées au premier trimestre de la gestation présentent un risque de spina bifida (malformation de la colonne vertébrale) multiplié par 30.

1994 : De nouvelles publications décrivent les premiers troubles du développement de l’enfant (malformations congénitales, …), ce qui sera réaffirmé en 1997.

2000 : Modification de la notice à destination des patients qui désormais indiquera qu’en cas de grossesse ou d’allaitement, il conviendra de consulter son médecin. Elle n’évoque toujours pas pour autant les risques encourus par le fœtus.

2003 : Proposition du laboratoire Sanofi non retenue en France de modification du RCP (Résumé des caractéristiques du produit, destiné aux professionnels), avec la mention des retards de développement, ce qui sera le cas dans d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Irlande.

2006 : Prise de position en France avec la modification du RCP et de la notice. Mention des risques propres au valproate et retard de développement dans le RCP. La notice, quant à elle,  déconseille elle-même l’utilisation de la Dépakine chez la femme enceinte, mais sans pour autant mentionner les risques de malformation et de troubles du développement. S’en suivront d’autres modifications du RCP et de la notice en 2010, 2013 et 2015 (version actuelle).

Avril 2015 : Les autorités sanitaires décident que ce médicament ne doit plus en principe être prescrit aux femmes en âge d’avoir des enfants, sauf s’il n’existe pas d’alternative. Les patientes devant alors signer un formulaire de consentement, et le présenter au pharmacien avec l’ordonnance.

Mai 2015 : Une première plainte est déposée par les parents d’une jeune fille de 16 ans. Les expertises sont en cours (TGI Paris).

Juillet 2015 : La Ministre de la Santé, Marisol Touraine, demande à l’IGAS d’ouvrir une enquête concernant la prise de cet anti-épileptique pendant la grossesse, dont les effets indésirables liés au valproate de sodium sur le fœtus ont entraîné des malformations physiques et des troubles graves du comportement chez les enfants.

 Un dysfonctionnement généralisé

Plus qu’un véritable scandale, avec un responsable bien attribuable, le scandale de trop de la dépakine montre un dysfonctionnement généralisé de la sécurité du médicament. Des scandales, si l’on veut,  on en trouve en effet à la pelle.

Un premier scandale est que toutes les parties impliquées se défaussent les unes sur les autres, dans une attitude assez indigne,  au lieu de débattre de leurs responsabilités respectives, ce qui constitue une insulte supplémentaire aux victimes ;  les premiers communiqués de Sanofi constituent un modèle du (mauvais) genre, même si effectivement, il ne s’agit pas cette fois d’un scandale pharmaceutique, ou purement pharmaceutique. Un second scandale consiste dans le fait que l’agence française du médicament ait refusé le changement de notice proposé par Sanofi en 2003 et considéré comme trop alarmiste, au contraire de certaines de ses homologues étrangères. Un troisième scandale, d’où provient celui-ci, est un certain paternalisme médical qui fait que les spécialistes ont décidé qu’il était plus dangereux pour des femmes épileptiques enceintes d’arrêter leur traitement plutôt que de continuer la dépakine ; ce type de décision, sans discussion approfondie avec les patientes,  n’est plus aujourd’hui admissible. Un quatrième scandale est que la dépakine a pu être distribuée largement par les généralistes, sans connaissance approfondie de ses inconvénients. Il est lié à un cinquième scandale qui est que, pour les firmes pharmaceutiques, les femmes enceintes ne constituent pas un marché financièrement intéressant, mais, par contre à haut risque- les études de tératogénèse ne permettent pas de prévoir tous les problèmes potentiels. Par conséquent, les firmes pharmaceutiques préfèrent quasi-systématiquement contre-indiquer leurs médicaments aux femmes enceintes, et, le sachant, les médecins préfèrent quasi-systématiquement ignorer toutes les contre-indications – ils se trouveraient autrement  fort dépourvus en médicaments. C’est, entre autres raison, pourquoi Sanofi ne peut s’exonérer de toute responsabilité. Un sixième scandale consiste en ce que, même enfin clairement énoncées, les recommandations de l’agence du médicament sont ignorées : ainsi, l’une des dirigeantes des associations de victimes de la dépakine, en âge de procréer, s’est  vu prescrire par un généraliste et délivrer par un pharmacien de la dépakine  sans aucun avertissement sur ses dangers.  Un septième scandale consiste en ce que les différences de physiologie entre hommes et femmes sont assez ignorées par la recherche pharmaceutique ; sauf maladies réellement liées à son sexe, la femme est considérée comme un homme comme les autres et les études cliniques, pour des motifs d’ailleurs admissibles, comportent peu de femmes en âge de procréer, et nous manquons aussi de recherche fondamentale en ce domaine : « Car, en la matière, si bon nombre de pays ont mis du temps à comprendre l'importance qu'il y a à différencier - selon que l'on est un homme ou une femme - la recherche sur les maladies et les traitements qui doivent y être associés, la France a accumulé un retard considérable, au moins dix ans, par rapport à d'autres pays européens (Allemagne, Hollande, Suède, Italie), le Canada, surtout, les États-Unis ou encore Israël », explique Claudine Junien, généticienne ». Ainsi, par exemple, les problèmes d’endométrioses sont restés  assez généralement ignorés par le monde de la recherche médicale et pharmaceutique.

Politique de santé et pharmacovigilance ; le rôle des agences de santé

 Pour cette raison, le ministère a eu raison de mettre rapidement en place une procédure, on n’ose pas dire d’indemnisation, mais de soutien aux victimes, et c’est bien la seule chose intelligente qui semble avoir été faite dans ce nouveau scandale sanitaire. Pour le reste, nous allons entrer en  campagne électorale, et il serait bon que les dysfonctionnements majeurs et à répétition du système médico-pharmaceutique soient abordés et fassent l’objet de propositions. Et si l’Europe voulait faire la preuve de son utilité, elle mettrait au premier plan de son agenda une normalisation et une organisation à l’échelle européenne de la pharmacovigilance. Au fait, l’agence européenne du médicament est à Londres, et semble plongée dans une profonde léthargie. Que se passera-t-il en cas de Brexit  effectif ? La France aurait tout intérêt à entamer une réflexion de fonds sur la pharmacovigilance et à mettre son agence du médicament  en ordre de marche, avec de nouvelles ambitions.

vendredi 2 septembre 2016

Anniversaire de la Révolution Culturelle (2) -Si la France avait une diplomatie culturelle


Mon précédent billet était consacré à l’anniversaire, qui a peu attiré l’attention, du déclanchement de la Révolution Culturelle, un évènement majeur et dramatique du siècle dernier. Silence étrange, si l’on se souvient, comme je l’avais rappelé, qu’à une certaine époque, les intellectuels français s’exprimaient beaucoup sur la Chine… Faut-il croire que  les délires de l’époque les ont rendu timides ? Il serait en tous cas dommage de se désintéresser de l’évolution intellectuelle, philosophique, culturelle, artistique d’une Chine dont l’influence est amenée à s’amplifier et dont les changements sont fascinants.

Parmi ces changements, en complète contradiction avec la Révolution Culturelle, figure la réhabilitation/résurrection de Confucius, auquel Anne Cheng, Professeur au  Collège de France, a consacré plusieurs cycles de conférence très intéressant : Confucius revisité, Confucius ressuscité, le confucianisme est-il un humanisme?
 
Si la France avait une diplomatie culturelle (tout comme Laurent Fabius voulait aussi promouvoir une diplomatie scientifique), elle tirerait profit de la longue, amicale et fascinante tradition d’étude de la civilisation chinoise (la première chaire d’étude de la littérature chinoise en Occident  fut créée en 1814 au Collège de France pour Jean-Pierre Abel-Rémusat) pour reprendre un dialogue fécond avec des intellectuels chinois en pleine sortie de la religion marxiste et soucieux de réévaluer leur héritage.

Si la France avait une diplomatie culturelle, à l‘heure où la Chine multiplie les instituts Confucius pour faire connaître sa culture, sa civilisation, son histoire, elle s’intéresserait aux confrontations historiques, aux influences croisées entre le grand penseur chinois, à l’importance qu’a eu en Occident la découverte du Confucianisme pour le mouvement des lumières, la découverte qui fit les délices de Voltaire d’une civilisation brillante, d’un ordre social et politique et d’une morale  qui ne s’appuient pas sur une révélation théologique.
 
Si la France avait une diplomatie culturelle, elle s’intéresserait à l’influence française sur ces intellectuels du Mouvement du 4 mai  (Cinq/ Quatre) et de la Nouvelle Culture (4 mai 1919, manifestation des étudiants chinois contre le Traité de Versailles qui accordait au Japon une partie du territoire de la Chine) qui voulaient concilier modernisation et tradition et acclimater en Chine « Mr Science » et « Mr Democracy ».  Hu Shi par exemple, (1891-1962) dont Anne Cheng rappelle qu’il faisait de Confucius « un humaniste et un agnostique selon l’idéal des lumières européennes » et « qu’il comparait l’humanisme agnostique de Confucius avec le positivisme d’Auguste Comte », qui suivit les cours de Dewey (lui aussi profondément positiviste, comme en témoigne une foi commune) ; et qui regtettait que le mouvement Cinq/quatre ait, sous la pression des événements abandonné le combat culturel pour le combat politique ;  ou encore Chen Duxiu (1879-1942), lui aussi admirateur de Comte, avant de devenir l’un des fondateurs du PC chinois

Tiens, si la France avait une diplomatie culturelle, elle traduirait Comte en chinois et le ferait dialoguer avec Confucius – juste retour de la fascination des positivistes français, tout particulièrement Pierre Laffitte ( aussi professeur au Collège de France) pour la civilisation chinoise (cf. les positivistes et la chine. Eric Sartori, Monde chinois »,  2014/4

 Si la France avait une diplomatie culturelle, elle ne laisserait pas dépérir le musée Guimet, tout simplement la plus grande collection d’art asiatique en dehors de l’Asie (60.000 objets, 4000 exposés) dont la présidente parle (Le Monde, 1 sept) d’une « extrême disette financière » , « économies jusqu’à des situations des handicaps », et d’inégalités criantes, de disparités entre les musées  ( Guimet reçoit 4 ?7 millions d’euros de subvention contre 42 au quai Branly, - décidément Chirac, ex roi de la corruption,  aura coûté très cher à la France). Quelle pitié et quel scandale pour ce qui pourrait être un instrument culturel majeur de dialogue avec l’Asie, ce continent qui va jouer un rôle si important.