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mercredi 7 septembre 2016

Dépakine : pour une politique européenne de la pharmacovigilance


Depakine, un scandale de trop ? Encore un ?

 Mercredi 24 août, les autorités sanitaires françaises ont révélé que plus de 14 000 femmes enceintes ont été exposées à l’acide valproïque – substance active de la Dépakine et de ses génériques – en France entre 2007 et 2014, alors même que les dangers de ce médicament pour l’enfant à naître étaient connus, et sa prescription pendant la grossesse explicitement déconseillée depuis 2006.

Disponible depuis cinquante ans, ce médicament est indiqué essentiellement dans le cadre d’épilepsie et de troubles bipolaires. Les risques de malformations, suspectés dès les années 1980, concernent jusqu’à 10 % des enfants exposés in utero. Des troubles neuro-développementaux (atteinte du QI, autisme…), décrits après 2000, peuvent être présents dans 30 à 40 % des cas. (42% des enfants exposés au valproate de sodium durant la période foetale ont un QI inférieur à 80). Le nombre total de personnes handicapées à la suite d’une exposition prénatale à la Dépakine reste à déterminer. Il serait d’au moins 50 000 en France, selon l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), dont plusieurs familles ont porté plainte contre X, entraînant l’ouverture d’une enquête préliminaire.

Il a fallu un courage extraordinaire aux parents pour faire reconnaître ce syndrôme de l’anticonvulsivant, au début mal connu.

 Chronologie :

 1967 : Le valproate de sodium, un anti-épileptique, est commercialisé en France sous le nom de Dépakine par le laboratoire Sanofi, puis par les génériqueurs.

1982 : Une étude publiée dans The Lancet montre un premier effet tératogène (c’est-à-dire créant des malformations génitales sur le fœtus que porte la femme enceinte à qui il est prescrit) chez l’Homme. Selon elle, les enfants de femmes traitées au premier trimestre de la gestation présentent un risque de spina bifida (malformation de la colonne vertébrale) multiplié par 30.

1994 : De nouvelles publications décrivent les premiers troubles du développement de l’enfant (malformations congénitales, …), ce qui sera réaffirmé en 1997.

2000 : Modification de la notice à destination des patients qui désormais indiquera qu’en cas de grossesse ou d’allaitement, il conviendra de consulter son médecin. Elle n’évoque toujours pas pour autant les risques encourus par le fœtus.

2003 : Proposition du laboratoire Sanofi non retenue en France de modification du RCP (Résumé des caractéristiques du produit, destiné aux professionnels), avec la mention des retards de développement, ce qui sera le cas dans d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Irlande.

2006 : Prise de position en France avec la modification du RCP et de la notice. Mention des risques propres au valproate et retard de développement dans le RCP. La notice, quant à elle,  déconseille elle-même l’utilisation de la Dépakine chez la femme enceinte, mais sans pour autant mentionner les risques de malformation et de troubles du développement. S’en suivront d’autres modifications du RCP et de la notice en 2010, 2013 et 2015 (version actuelle).

Avril 2015 : Les autorités sanitaires décident que ce médicament ne doit plus en principe être prescrit aux femmes en âge d’avoir des enfants, sauf s’il n’existe pas d’alternative. Les patientes devant alors signer un formulaire de consentement, et le présenter au pharmacien avec l’ordonnance.

Mai 2015 : Une première plainte est déposée par les parents d’une jeune fille de 16 ans. Les expertises sont en cours (TGI Paris).

Juillet 2015 : La Ministre de la Santé, Marisol Touraine, demande à l’IGAS d’ouvrir une enquête concernant la prise de cet anti-épileptique pendant la grossesse, dont les effets indésirables liés au valproate de sodium sur le fœtus ont entraîné des malformations physiques et des troubles graves du comportement chez les enfants.

 Un dysfonctionnement généralisé

Plus qu’un véritable scandale, avec un responsable bien attribuable, le scandale de trop de la dépakine montre un dysfonctionnement généralisé de la sécurité du médicament. Des scandales, si l’on veut,  on en trouve en effet à la pelle.

Un premier scandale est que toutes les parties impliquées se défaussent les unes sur les autres, dans une attitude assez indigne,  au lieu de débattre de leurs responsabilités respectives, ce qui constitue une insulte supplémentaire aux victimes ;  les premiers communiqués de Sanofi constituent un modèle du (mauvais) genre, même si effectivement, il ne s’agit pas cette fois d’un scandale pharmaceutique, ou purement pharmaceutique. Un second scandale consiste dans le fait que l’agence française du médicament ait refusé le changement de notice proposé par Sanofi en 2003 et considéré comme trop alarmiste, au contraire de certaines de ses homologues étrangères. Un troisième scandale, d’où provient celui-ci, est un certain paternalisme médical qui fait que les spécialistes ont décidé qu’il était plus dangereux pour des femmes épileptiques enceintes d’arrêter leur traitement plutôt que de continuer la dépakine ; ce type de décision, sans discussion approfondie avec les patientes,  n’est plus aujourd’hui admissible. Un quatrième scandale est que la dépakine a pu être distribuée largement par les généralistes, sans connaissance approfondie de ses inconvénients. Il est lié à un cinquième scandale qui est que, pour les firmes pharmaceutiques, les femmes enceintes ne constituent pas un marché financièrement intéressant, mais, par contre à haut risque- les études de tératogénèse ne permettent pas de prévoir tous les problèmes potentiels. Par conséquent, les firmes pharmaceutiques préfèrent quasi-systématiquement contre-indiquer leurs médicaments aux femmes enceintes, et, le sachant, les médecins préfèrent quasi-systématiquement ignorer toutes les contre-indications – ils se trouveraient autrement  fort dépourvus en médicaments. C’est, entre autres raison, pourquoi Sanofi ne peut s’exonérer de toute responsabilité. Un sixième scandale consiste en ce que, même enfin clairement énoncées, les recommandations de l’agence du médicament sont ignorées : ainsi, l’une des dirigeantes des associations de victimes de la dépakine, en âge de procréer, s’est  vu prescrire par un généraliste et délivrer par un pharmacien de la dépakine  sans aucun avertissement sur ses dangers.  Un septième scandale consiste en ce que les différences de physiologie entre hommes et femmes sont assez ignorées par la recherche pharmaceutique ; sauf maladies réellement liées à son sexe, la femme est considérée comme un homme comme les autres et les études cliniques, pour des motifs d’ailleurs admissibles, comportent peu de femmes en âge de procréer, et nous manquons aussi de recherche fondamentale en ce domaine : « Car, en la matière, si bon nombre de pays ont mis du temps à comprendre l'importance qu'il y a à différencier - selon que l'on est un homme ou une femme - la recherche sur les maladies et les traitements qui doivent y être associés, la France a accumulé un retard considérable, au moins dix ans, par rapport à d'autres pays européens (Allemagne, Hollande, Suède, Italie), le Canada, surtout, les États-Unis ou encore Israël », explique Claudine Junien, généticienne ». Ainsi, par exemple, les problèmes d’endométrioses sont restés  assez généralement ignorés par le monde de la recherche médicale et pharmaceutique.

Politique de santé et pharmacovigilance ; le rôle des agences de santé

 Pour cette raison, le ministère a eu raison de mettre rapidement en place une procédure, on n’ose pas dire d’indemnisation, mais de soutien aux victimes, et c’est bien la seule chose intelligente qui semble avoir été faite dans ce nouveau scandale sanitaire. Pour le reste, nous allons entrer en  campagne électorale, et il serait bon que les dysfonctionnements majeurs et à répétition du système médico-pharmaceutique soient abordés et fassent l’objet de propositions. Et si l’Europe voulait faire la preuve de son utilité, elle mettrait au premier plan de son agenda une normalisation et une organisation à l’échelle européenne de la pharmacovigilance. Au fait, l’agence européenne du médicament est à Londres, et semble plongée dans une profonde léthargie. Que se passera-t-il en cas de Brexit  effectif ? La France aurait tout intérêt à entamer une réflexion de fonds sur la pharmacovigilance et à mettre son agence du médicament  en ordre de marche, avec de nouvelles ambitions.

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