Depakine, un scandale de trop ? Encore un ?
Disponible depuis cinquante
ans, ce médicament est indiqué essentiellement dans le cadre d’épilepsie et de
troubles bipolaires. Les risques de malformations, suspectés dès les années
1980, concernent jusqu’à 10 % des enfants exposés in utero. Des troubles neuro-développementaux
(atteinte du QI, autisme…), décrits après 2000, peuvent être présents dans 30 à
40 % des cas. (42% des enfants exposés au valproate de sodium durant la période
foetale ont un QI inférieur à 80). Le nombre total de personnes handicapées à la
suite d’une exposition prénatale à la Dépakine reste à déterminer. Il serait
d’au moins 50 000 en France, selon l’Association d’aide aux parents d’enfants
souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), dont plusieurs familles
ont porté plainte contre X, entraînant l’ouverture d’une enquête préliminaire.
Il a fallu un courage
extraordinaire aux parents pour faire reconnaître ce syndrôme de
l’anticonvulsivant, au début mal connu.
1982 : Une étude
publiée dans The Lancet montre un premier
effet tératogène (c’est-à-dire créant des malformations génitales sur le
fœtus que porte la femme enceinte à qui il est prescrit) chez l’Homme. Selon
elle, les enfants de femmes traitées au premier trimestre de la gestation
présentent un risque de spina bifida (malformation de la colonne vertébrale)
multiplié par 30.
1994 : De nouvelles
publications décrivent les premiers troubles du développement de l’enfant
(malformations congénitales, …), ce qui sera réaffirmé en 1997.
2000 : Modification de la
notice à destination des patients qui désormais indiquera qu’en cas de
grossesse ou d’allaitement, il conviendra de consulter son médecin. Elle n’évoque toujours pas pour autant les
risques encourus par le fœtus.
2003 : Proposition du
laboratoire Sanofi non retenue en France
de modification du RCP (Résumé des caractéristiques du produit, destiné aux
professionnels), avec la mention des retards de développement, ce qui sera le
cas dans d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Irlande.
2006 : Prise de position en
France avec la modification du RCP et de la notice. Mention des risques propres
au valproate et retard de développement dans le RCP. La notice, quant à
elle, déconseille elle-même
l’utilisation de la Dépakine chez la femme enceinte, mais sans pour autant
mentionner les risques de malformation et de troubles du développement. S’en suivront
d’autres modifications du RCP et de la notice en 2010, 2013 et 2015 (version
actuelle).
Avril 2015 : Les autorités
sanitaires décident que ce médicament ne doit plus en principe être prescrit
aux femmes en âge d’avoir des enfants, sauf s’il n’existe pas d’alternative.
Les patientes devant alors signer un formulaire de consentement, et le présenter
au pharmacien avec l’ordonnance.
Mai 2015 : Une première
plainte est déposée par les parents d’une jeune fille de 16 ans. Les expertises
sont en cours (TGI Paris).
Juillet 2015 : La Ministre
de la Santé, Marisol Touraine, demande à l’IGAS d’ouvrir une enquête concernant
la prise de cet anti-épileptique pendant la grossesse, dont les effets
indésirables liés au valproate de sodium sur le fœtus ont entraîné des
malformations physiques et des troubles graves du comportement chez les
enfants.
Plus qu’un véritable
scandale, avec un responsable bien attribuable, le scandale de trop de la
dépakine montre un dysfonctionnement généralisé de la sécurité du médicament.
Des scandales, si l’on veut, on en
trouve en effet à la pelle.
Un premier scandale est que
toutes les parties impliquées se défaussent les unes sur les autres, dans une
attitude assez indigne, au lieu de
débattre de leurs responsabilités respectives, ce qui constitue une insulte
supplémentaire aux victimes ; les
premiers communiqués de Sanofi constituent un modèle du (mauvais) genre, même
si effectivement, il ne s’agit pas cette fois d’un scandale pharmaceutique, ou
purement pharmaceutique. Un second scandale consiste dans le fait que l’agence
française du médicament ait refusé le changement de notice proposé par Sanofi
en 2003 et considéré comme trop alarmiste, au contraire de certaines de ses
homologues étrangères. Un troisième scandale, d’où provient celui-ci, est un
certain paternalisme médical qui fait que les spécialistes ont décidé qu’il
était plus dangereux pour des femmes épileptiques enceintes d’arrêter leur
traitement plutôt que de continuer la dépakine ; ce type de décision, sans
discussion approfondie avec les patientes,
n’est plus aujourd’hui admissible. Un quatrième scandale est que la
dépakine a pu être distribuée largement par les généralistes, sans connaissance
approfondie de ses inconvénients. Il est lié à un cinquième scandale qui est
que, pour les firmes pharmaceutiques, les femmes enceintes ne constituent pas
un marché financièrement intéressant, mais, par contre à haut risque- les
études de tératogénèse ne permettent pas de prévoir tous les problèmes
potentiels. Par conséquent, les firmes pharmaceutiques préfèrent
quasi-systématiquement contre-indiquer leurs médicaments aux femmes enceintes,
et, le sachant, les médecins préfèrent quasi-systématiquement ignorer toutes
les contre-indications – ils se trouveraient autrement fort dépourvus en médicaments. C’est, entre
autres raison, pourquoi Sanofi ne peut s’exonérer de toute responsabilité. Un
sixième scandale consiste en ce que, même enfin clairement énoncées, les
recommandations de l’agence du médicament sont ignorées : ainsi, l’une des
dirigeantes des associations de victimes de la dépakine, en âge de procréer,
s’est vu prescrire par un généraliste et
délivrer par un pharmacien de la dépakine
sans aucun avertissement sur ses dangers. Un septième scandale consiste en ce que les
différences de physiologie entre hommes et femmes sont assez ignorées par la
recherche pharmaceutique ; sauf maladies réellement liées à son sexe, la
femme est considérée comme un homme comme les autres et les études
cliniques, pour des motifs d’ailleurs admissibles, comportent peu de femmes en
âge de procréer, et nous manquons aussi de recherche fondamentale en ce
domaine : « Car, en la matière, si bon nombre de pays ont mis du
temps à comprendre l'importance qu'il y a à différencier - selon que l'on est
un homme ou une femme - la recherche sur les maladies et les traitements qui
doivent y être associés, la France a accumulé un retard considérable, au moins
dix ans, par rapport à d'autres pays européens (Allemagne, Hollande, Suède,
Italie), le Canada, surtout, les États-Unis ou encore Israël », explique
Claudine Junien, généticienne ». Ainsi, par exemple, les problèmes
d’endométrioses sont restés assez
généralement ignorés par le monde de la recherche médicale et pharmaceutique.
Politique de santé et pharmacovigilance ; le rôle des agences de santé
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentaires
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.