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mardi 27 avril 2021

Hercule, encore ou après ? Ou une autre solution ?Le point de vue de Dominique Finon

 Qui veut la peau d’EDF ?

Hercule, il ne s’agit pas du demi-Dieu grec, mais du projet de réforme, et peut-être de démembrement d’EDF, déjà abordé sur ce blog à

https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/05/edf-le-projet-hercule-ne-nous-rendra.html

Après plusieurs mois de lutte entre la direction d’EDF, le gouvernement français, les syndicats et la Commission Européenne, une situation toujours bloquée. Rien que l’incertitude que cela fait peser sur une entreprise de majeure importance pour la France, qui assure l’essentiel du service public de l’électricité en France (et qui fournit l’une des électricités les plus décarbonées et les moins chère d’Europe est inacceptable. Un remarquable article de Dominique Finon (Directeur de recherche émérite au CNRS, chercheur associé à la chaire European Electricity Markets et au CIRED) fait le récit d’un gâchis et d’un chaos institutionnel très inquiétants quant à ses conséquences possibles.

Texte complet : https://www.telos-eu.com/fr/economie/edf-pourquoi-senteter-sur-hercule.html?s=09

Extraits :

un projet totalement bloqué par le refus par Bruxelles…

« Le très contesté projet Hercule de réorganisation d'EDF n'est pas du tout incontournable, parce que ses objectifs sont discutables. Se crisper dessus, comme le font les dirigeants d'EDF nommés pour procéder à ce plan, relève d'un entêtement d'autant plus coupable qu'il provoque un conflit majeur avec le personnel et les syndicats. Le gouvernement vient pourtant de réaffirmer, le vendredi 9 avril, son engagement à procéder au projet Hercule dans une lettre envoyée aux syndicats pour rechercher leur appui dans son conflit avec Bruxelles. Il leur donne des garanties sur la préservation de leur statut dans cette réorganisation, le maintien de l'entité privatisable dans la sphère publique et la poursuite du développement du nucléaire dont le financement serait facilité par cette réforme. Ce soutien du gouvernement contribue à l'entêtement à maintenir un projet totalement bloqué par le refus par Bruxelles de cette réorganisation jugée insuffisante pour accepter la nouvelle régulation du nucléaire plus favorable à EDF que l'ARENH actuel, et sans qu'il y ait de plan B. »

L’origine de la situation : la libéralisation du marché de l’électricité

« La situation à laquelle on est arrivé est le résultat d'une longue histoire où les pouvoirs successifs ont cherché à résister à la mise en œuvre du modèle de marché prescrite par les directives successives. Pour faire bénéficier les consommateurs de la rente nucléaire, ils en ont fait à chaque fois le moins possible. On a ainsi retardé la disparition des tarifs règlementés de vente (TRV) le plus longtemps possible, malgré les directives de 2004 et 2009. Comme les tarifs rendent difficiles les entrées de fournisseurs alternatifs qui doivent s'alimenter sur le marché de gros sur lesquels les prix sont le plus souvent supérieurs aux TRV, le gouvernement a cherché à créer une concurrence artificielle avec le dispositif de l'ARENH mis en place en 2011 qui consiste à céder aux fournisseurs alternatifs une partie de la production nucléaire (jusqu'à 25%) à prix coûtant (42 €/MWh) pendant les périodes de prix élevés. Ces dispositions ont privé EDF d'une grande partie de ses marges. Par exemple en 2019, l'ARENH combiné au maintien du TRV sur le secteur résidentiel a pu coûter à EDF près de 1,5 à 1,7 milliards d'€ en 2019 (900 millions pour le TRV sur 133 TWh et 800 millions pour l'ARENH). En fait on pourrait abandonner ce projet de nouvelle régulation tout en abandonnant l'ARENH actuel et les tarifs règlementés de vente (TRV), tarifs sur lesquels, rappelons-le, s'est construit l'ARENH pour faciliter les entrées des fournisseurs alternatifs. « 

Commentaire : cette absurdité qu’est l’ARENH a été ainsi résumée par Marcel Boiteux : « il ne s’agit plus d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour favoriser la concurrence ». De fait, dans la réalité, le démantèlement des monopoles publics de distribution en vigueur dans de nombreux pays européens a fait les prix de vente des énergies aux particuliers aboutissant à une hausse à trois chiffres des prix de l’électricité en Espagne. Elle a également été particulièrement douloureuse au Danemark, en Suède et au Royaume-Uni..

(https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/11/le-grand-echec-de-la-liberalisation-de.html)

Revenons au texte de Dominique Finon

1 er objectif d’Hercule :la fin de l’ARENH

« Le premier objectif est de faire accepter par Bruxelles une nouvelle règlementation du prix de la production nucléaire plus favorable à EDF que l'ARENH actuel qui ne porte que sur le quart de la production et n'est conçu que pour aider les fournisseurs concurrents d'EDF. Cette nouvelle régulation, paraît-il, romprait avec cette situation qui « ne garantit pas suffisamment (…) la couverture des coûts et ne lui permet pas de réaliser les investissements nécessaires à la poursuite de l’exploitation optimale du parc nucléaire » selon le texte de la lettre précitée. Pour faire accepter cette nouvelle régulation, on sépare dans Hercule les activités de production nucléaire des activités de commercialisation regroupées avec les productions EnR et les réseaux, pour mettre sur le même pied  "EDF commerce" et les fournisseurs alternatifs pour leurs achats sur le marché de gros. Bruxelles refuse cette nouvelle régulation s'il n'y a pas éclatement complet d'EDF avec séparation totale entre les futures entités pour empêcher toute circulation de ressources financières et toute coordination entre elles. La fin d'EDF en quelque sorte, ce que le gouvernement ne peut accepter »

Les objectifs financiers :la situation financière  d’EDF critiquée de manière très intéressée et excessive. Un muret d’investissement, pas un mur !

 Les deux autres objectifs du projet Hercule sont financiers. Ils ne répondent pas non plus à des problèmes objectifs, relativisés par une prise de distance par rapport aux règles du jeu et aux représentations de la finance. Le premier est la recherche d’un meilleur cadre de financement pour les projets nucléaires futurs en regroupant les actifs nucléaires dans une entité totalement publique dédiée à la production. Le second est la recherche d'une meilleure capitalisation boursière pour l'entité isolée du nucléaire en lui permettant d'avoir une stratégie alignée sur celle des autres énergéticiens européens  (Iberdrola, ENEL, le danois Orsted, notamment) portés aux nues par les milieux financiers.

Mais ce ne sont que des construits relevant de la vision étriquée des milieux financiers qui ne cessent de critiquer EDF, de dénigrer le nucléaire et de mettre en avant leur vision de la transition énergétique calée sur la bien-pensance bruxelloise

La justification du projet Hercule s'est en effet établie sur fonds d'exagération de la situation d'endettement d'EDF et de perception négative des coûts et des risques financiers du nucléaire. Elle se fait aussi sur fonds de mythification des stratégies "à la mode" de ces énergéticiens dans la mise en scène d'un marché international très concurrentiel de contrats  EnR.

Les institutions financières, les agences de notation, les medias spécialisées n'ont de cesse de reprocher à EDF ses mauvaises performances financières qui seraient dues à ses erreurs de stratégies et à son entêtement dans le nucléaire. On ne compte pas les articles critiques consacrés à la dette abyssale d'EDF, à ses errements stratégiques, et à son incapacité à pouvoir faire face à un soi-disant "mur" d'investissements alors qu'il s'agirait plutôt d'un muret. Prenons la dette d'EDF: elle n'a rien d'abyssal au regard de ce qu'elle a été pendant la période de développement du programme nucléaire dans les années 80 et 90 où elle est montée jusqu'à 34 milliards d'€, soit une fois et demie son chiffre d'affaires de l'époque, alors que les 42 milliards de € actuels correspondent à 60% de son CA.

Certes on peut évidemment arguer que le ratio dette/EBITDA, la référence des prêteurs pour garantir le remboursement  de nouveaux emprunts, est au-dessus du sacro-saint 2,5.  Mais on peut tout de même s'interroger sur la pertinence de ce ratio qui reflète le court-termisme des institutions financières. Est-il vraiment adapté pour juger d'emprunts destinés à financer des équipements à très longue durée de vie qui rapporteront encore bien au-delà de l'horizon des préteurs?

Quant au soi-disant mur d'investissements dans le nucléaire, il se composerait des investissements annuels dans le grand carénage qui se monteront au maximum à 1 milliard d'€ par an et des investissements de 2,5 milliards dans le futur programme de six EPR 2 (estimé à 47 milliards et étalés sur 20 ans), auquel s'ajoute l'engagement annuel d'1 milliard dans Hinkley Point C. Au total ces cinq milliards d'€ par an ne correspondent qu'au tiers de l'enveloppe annuelle d'investissements d'environ 15 milliards prévus par le groupe EDF de faire au cours des années 2020, dont 2 à 3 milliards dans les EnR prévus selon le plan stratégique CAP 2030 défini pour installer 30 GW d'ici 2030. On ne peut donc pas parler de mur d'investissement, tout au plus de quelques haies à enjamber, dont celle de la mise en place de contrats de garanties de revenus avec l'Etat pour les futurs EPR2 qui reporterait une grande partie des risques sur l'Etat »

Le dénigrement permanent d'EDF n'a pas manqué de provoquer la chute régulière de la valeur de l'action EDF, ce qui réduit sa capitalisation boursière à 35 milliards et limite les possibilités de financement par le marché des actions par augmentation de capital….

Un modèle de l’ « électricien avisé » qui l’est fort peu : stratégie purement financier et court-tremiste, incapable de répondre aux enjeux de la transition énergétique

Mais en, fait explique Dominique Finon, il faut critiquer ce modèle de l’ électricien avisé porté aux nues par les marchés financiers..

« Est-ce que l'Italie et l'Espagne trouveront pour autant avec leurs champions nationaux focalisés sur l'international et les technologies EnR, un moyen suffisant pour réussir leur transition vers la neutralité carbone d'ici 2050 ? Ne doit-on pas sortir de ce modèle surfait  de "l'énergéticien avisé", en se distanciant des représentations dominantes de la transition bas carbone qui ne misent que sur ces technologies non pilotables et peu denses, sans défendre l'originalité de la transition électrique française à dominante nucléaire ? Pour l'heure ce n'est pas du tout dans l'air du temps quand on voit des ministres commander des scénarios 100% EnR pour se démarquer d'EDF, et des agences  publiques (RTE, ADEME) ratiociner à l'infini sur la façon de réduire la part du nucléaire au-delà de 50% après 2035 en promouvant sans limite les EnR. »

Une solution est possible :fin des TRV et de l’ARENH, et Bruxelles n’a plus rien à dire !

« En fait on pourrait abandonner ce projet de nouvelle régulation tout en abandonnant l'ARENH actuel et les tarifs règlementés de vente (TRV), tarifs sur lesquels, rappelons-le, s'est construit l'ARENH pour faciliter les entrées des fournisseurs alternatifs. Objectif qui s'est pleinement réalisé avec les entrées massives de Total, Engie et ENEL, ce qui justifierait déjà en soi l'abandon de l'ARENH, ce qui serait possible  si on abandonne les TRV. Et, en abandonnant le projet de nouvelle régulation du nucléaire, on éviterait de se soumettre au contrôle mortifère de Bruxelles… »

« On peut se passer du projet Hercule et s'en tenir à l'organisation actuelle d'EDF, ce qui mettrait déjà fin au conflit social. EDF bénéficie de la garantie implicite de l'Etat pour emprunter, et quoiqu'on en dise, elle garde des "poches profondes", certes un peu rétrécies actuellement  mais c'est parce qu'on dramatise à dessein sa situation financière. En abandonnant les TRV et l'ARENH qui lui coûtent les deux plus d'un milliard par an, EDF verrait ses marges restaurées en partie. La France ne ferait qu'adopter intégralement le modèle de marché de l'amont à l'aval prescrit par les directives, comme l'ont fait de longue date les autres Etats membres. En étant enfin  "dans les clous" de ce modèle européen, la France serait légitime pour promouvoir de façon efficace à Bruxelles de nouvelles règles  permettant de réformer le régime de marché électrique pour faciliter les investissements dans toutes les technologies »

« Même en partie privatisée, EDF est une entreprise au service de la politique d'indépendance énergétique et de préservation du climat. Il en est le principal outil en France avec le maintien de son engagement dans le nucléaire pour garantir les faibles émissions de carbone du secteur électrique. EDF est aussi le meilleur outil de préservation d'une filière industrielle de pointe dans laquelle la France a excellé et pourrait exceller de nouveau pour ne pas dépendre dans le futur du nucléaire chinois. Elle peut rester une entreprise au service de l'intérêt public sans chercher à s'aligner aveuglément sur les énergéticiens européens »

« Il y a une autre voie que le projet Hercule pour restaurer les marges d'EDF et d'autres chemins pour répondre au défi du financement des investissements futurs dans le nouveau nucléaire et les EnR.

Ceci implique que l'Etat sorte de son ambigüité sur le nucléaire et qu'il ait foi dans l'originalité de la transition à la française à dominante nucléaire loin des sirènes allemandes et bruxelloises, qu'il ait foi aussi en "son" entreprise électrique en cessant de ne prêter l'oreille qu'aux seuls milieux financiers »



dimanche 25 avril 2021

Cigéo : expertise de l’Andra, contre-expertise du Secrétariat général à l’investissement (SGPI) : deux avis très positifs !

 1) Le contexte

 Le projet Cigéo vise à stocker en couche géologique profonde les déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue avec une sûreté passive sur le très long terme. Cette option de gestion ne nécessite aucune intervention de la société une fois l’ouvrage fermé. Comme tout grand projet mobilisant une part importante d’investissement public, le projet Cigéo a fait l’objet d’une évaluation socioéconomique.

 

Ces expertises sont réalisées dans le cadre du dossier de demande d’utilité publique (DUP) qui rend obligatoire l’évaluation socio-économique du projet Cigéo. Véritable outil d’aide à la décision publique, obligatoire pour tout projet qui relève d’une part importante d’investissement public, cette évaluation socio-économique est le fruit d’un travail de plus de 3 ans, réalisé avec l’appui d’un comité d’experts économistes présidé par Emile Quinet, Professeur émérite à l’Ecole des Ponts-ParisTech, membre associé de Paris School of Economics.

Ces analyses académiques et économiques sont une première en France pour un projet d’aussi long terme

 Elles mettent clairement en évidence l’opportunité sociétale d’engager le projet Cigéo dès à présent, en le comparant à d’autres options de gestion des déchets radioactifs, notamment l’entreposage renouvelé.


2) L’ expertise de l’Andra

https://www.andra.fr/sites/default/files/2021-03/Andra-Note_synthese_ESE.pdf


2- 1) Un accord international sur la technique d’enfouissement

 

Les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue issus -entre autres- de l’industrie  ne représentent qu’une infime minorité des déchets radioactifs –environ 3,1 %-, et ne peuvent être conservés durablement en surface sans une surveillance permanente. Le reste des déchets est, en grande partie, globalement sans risque sanitaire pour l’homme et son environnement.

 

À l’échelle internationale, le stockage en couche géologique profond est une option privilégiée par tous les différents Etats ayant recours à l’atome. Les autres solutions avancées, comme l’entreposage, la séparation / transmutation ou encore le stockage en forage, souffrent encore d’un déficit de maturité opérationnelle ou d’un manque de prise en considération des générations futures. De même, selon les experts, le stockage en couche géologique profond est le seul à respecter le principe de réversibilité, exigé par les parlementaires.

 

Commentaire  : sur cet accord de l’ensemble de la communauté scientifique sur la solution de l’enfouissement géologique de longue durée, on peut aussi se reporter à l’expertise du Joint Research Committee de la Commission Européenne ( à propos de la taxonomie et du rapport antérieur de  la NEA.

 

Rapport JRC : https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/03/european-taxonomy-jrc-report-technical.html ; https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/taxonomie-europeenne-rapport-du-joint.html; https://lnkd.in/euD-fHb

Rapport NEA : https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/09/le-probleme-des-dechets-ultimes-du.html, https://www.oecd.org/publications/management-and-disposal-of-high-level-radioactive-waste-33f65af2-en.htm

 

 

Le rapport de l’Andra fait le point sur les autres techniques envisagées :

 

Le stockage en forages  : il consiste à placer les déchets dans des ouvrages verticaux creusés dans la roche, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, voire plusieurs milliers de mètres, dans l’objectif de les isoler des phénomènes naturels de surface (climat, érosion, etc.) et des activités humaines grâce à une accessibilité nulle aux déchets. Si des similitudes peuvent apparaître avec le stockage géologique, des spécificités peuvent être distinguées (absence de réversibilité, creusement des ouvrages de stockage depuis la surface, profondeur plus importante pour le stockage de certains déchets HA). Par ailleurs la densification des déchets MA–VL, et surtout la qualification des qualités de la géologie à des profondeurs beaucoup plus importantes que Cigéo constituent deux défis inédits.  Cette option de gestion des déchets les plus dangereux serait très difficilement compatible avec le cadre législatif français qui impose une réversibilité des installations de stockage des déchets HA et MA-VL d’au moins une centaine d’année.

 

L’entreposage: il consiste à placer, à titre temporaire, les déchets radioactifs dans une installation dédiée en surface ou à faible profondeur. Il constitue une option de gestion temporaire sûre, il n’est pas possible de l’envisager dans une perspective de gestion des déchets sur une plus longue période car elle nécessite un contrôle permanent de la société ne serait-ce que pour le renouvellement des ouvrages et la reprise des colis de déchets. En ce sens, elle ne satisfait pas les exigences de l’ASN pour assurer une mise en sécurité définitive des déchets sur le très long terme et ne répond pas à la préoccupation de ne pas reporter les charges sur les générations futures.

 

La séparation / transmutation: désigne la séparation puis la transformation suite à une réaction nucléaire provoquée ou spontanée, d'un élément en un autre élément. Elle peut être réalisée en réacteur ou dans un accélérateur de particules. C'est une voie étudiée pour l'élimination de certains radioéléments contenus dans certains déchets radioactifs. Néanmoins, cette option de gestion ne fait pas complètement disparaître ces déchets qui nécessitent encore une prise en charge dans un stockage géologique, elle est sans perspective d’application industrielle à court ou moyen terme, sans même parler de l’aspect économique. En outre, cette alternative ne concerne pas les déchets MA-VL

 

Conclusion ; Globalement, le stockage en couche géologique profonde est l’option de référence au plan international pour assurer, de manière passive et sur le très long terme, la gestion des déchets radioactifs les plus dangereux. Les recherches scientifiques et les développements de la conception industrielle de cette option de gestion présente aujourd’hui, en France mais aussi à l’échelle internationale, la maturité la plus avancée. Les autres voies de recherche de technologies alternatives ne sont plus considérées comme telles car, soit elles ne présentent pas une maturité technique suffisante pour envisager de manière crédible une industrialisation dans la prochaine décennie (séparation / transmutation), soit parce qu’elles (entreposage longue durée, forage profond) ne répondent pas aux exigences définies par le Parlement (réversibilité) ou l’ASN (sûreté passive sur le très long terme

 

2-2)Les scénarios Cigéo et leur résilience


Cigéo a ainsi pu être comparé à des options alternatives de gestion des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Les autres options retenues dans cette étude consistent à :

 - lancer la phase industrielle pilote de Cigéo et ne stocker que les déchets MA-VL, tout en continuant la recherche pour les déchets HA ;

- lancer la phase industrielle pilote de Cigéo sans stocker de déchets et investir au profit de la recherche de solutions alternatives ;

- reporter les premiers investissements de Cigéo, au profit de la recherche, jusqu’en 2070 et renouveler l’entreposage de longue durée.

Ces options ont été étudiées dans 2 scénarii d’évolution sociétale. Pour prendre en considération le temps long qui caractérise le projet Cigéo, différentes hypothèses de taux d’actualisation ont été utilisées dans le cadre de deux scénarios contrastés de sociétés.  Un scénario (OK) dans lequel la société – identique à celle que nous connaissons aujourd’hui - jouit d’institutions fortes dans un contexte de paix et d’une croissance économique, et un scénario « chaotique » (KO) où la gouvernance et les institutions se fragilisent, dans lequel l’économie sans croissance se dégrade ; dans ce dernier cas, il existe une probabilité d’accidents majeurs plus élevées, pouvant notamment découler de situation d’abandon des entreposages des déchets radioactifs.

 

La conclusion

De cette analyse, il ressort que l’entreposage sans cesse renouvelé est plus intéressant dans un seul cas,  celui d’une société à fonctionnement normal, avec un taux d’actualisation relativement élevé. Mais, dès lors que l’on envisage la possibilité d’une baisse du taux d’actualisation au sein de cette société ou le cas d’une société chaotique, l’analyse montre que c’est Cigéo qui constitue le scénario le plus intéressant, traduisant ainsi une attention forte pour les générations futures. En d’autres termes, l’entreposage de longue durée ne l’emporte sur le projet Cigéo qu’à condition d’être optimiste dans l’avenir, et/ou peu attentif aux générations futures et en excluant tout basculement sociopolitique vers une société plus chaotique.

L’entreposage de longue durée, renouvelé sans cesse, ne l’emporte sur le projet Cigéo qu’à la condition d’exclure toute possibilité de basculement sociopolitique ou économique de la société. Face à un risque faible (environ 10 %) de dégradation de la société à l’horizon de 150 ans, Cigéo l’emporte

Cigéo constitue ainsi une forme d’assurance face à un risque de dégradation de la société à l’horizon de 150 ans. Le coût de cette assurance a été estimé à une prime unique de 118 euros par habitant par l’estimation quantitative de l’évaluation socioéconomique. Dès lors que l’on envisage une baisse du taux d’actualisation, même au sein d’une société sans dégradation économique ou sociétale, l’évaluation socio-économique montre que Cigéo constitue l’option la plus intéressante et se présente comme le choix de gestion offrant la plus forte attention aux générations futures.

Cigéo constitue donc une forme « d’assurance » dont la société pourrait vouloir bénéficier pour mettre définitivement en sécurité les déchets radioactifs les plus dangereux, tout en limitant les charges supportées par les générations futures.

 

Les retombées économiques

 

Au total, les activités de l’Andra en Meuse/Haute-Marne soutiennent 2 216 emplois dont près de 900 à l’échelle des départements de la Meuse et de la Haute-Marne. Au niveau des communautés de communes des Portes de Meuse et du bassin de Joinville-en-Champagne, l’Andra soutient 7 % des emplois du territoire et 10 % du PIB local.


Rapport au Secrétaire général pour l’investissement : Contre-expertise de l’évaluation socioéconomique du projet de CIGÉO

 Bon allez, on va tuer le suspense : la contre-expertise valide et même renforce l’expertise de l’Andra.

Contexte  et présentation du projet

La loi du 31 décembre 2012 instaure l’obligation d’ évaluation socioéconomique préalable des projets d’investissements financés par l’État et ses établissements publics et une contre-expertise indépendante de cette évaluation lorsque le niveau de financement dépasse un seuil que le décret d’application de la loi a fixé à 100 M€.

Le centre de stockage Cigéo doit être construit, sous réserve de l’obtention d’autorisation de création, à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne dans une couche d’argile, datant du Callovo-Oxfordien, qui présente des caractéristiques de stabilité́ et d’imperméabilité́ notamment, favorables au confinement des éléments radioactifs et au stockage profond de déchets radioactifs. Il est prévu d’y stocker les déchets de haute activité́ (HA) et de moyenne activité́ à vie longue (MA-VL)

Les déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA–VL) ne représentent qu'environ 3 % des déchets radioactifs en volume, mais 99,8 % de la radioactivité des déchets radioactifs présents sur le territoire français »

Les volumes de ces déchets HA et MA-VL sont limités : 10 000 m³ pour les HA, 70 000 m³ pour les MA-VL (donc au total 8 cubes de 10 m d'arête). Ils présentent des risques pour la santé, y compris à distance sans protection, surtout les 100 à 300 premières années avec des rayonnements γ et β ; puis ensuite dans la longue durée jusqu'à plusieurs dizaines ou centaines de milliers d'années en particulier du fait d'une radioactivité́ α décroissant lentement

Cependant, la France a choisi jusqu'à présent le « cycle fermé », et donc recycle l'uranium et le plutonium (dérivé́ de l'uranium 238) contenus dans le combustible usé, ce qui outre l'utilisation d'un potentiel  énergétique important, présente l'intérêt d'enlever l’essentiel des actinides qui portent à long terme la plus forte radiotoxicité́ potentielle en α. (NB dans ces conditions, le retour à une radioactivité normale est de l’ordre de 10.000 ans)

Après une phase industrielle pilote d’environ 20 ans, le passage en phase de fonctionnement permettra le stockage sur le centre Cigéo jusqu’en 2145, des colis de déchets MA-VL puis HA, dont l’acheminement est prévu par voie ferrée et par route. Pendant la phase de fonctionnement, le stockage géologique est dit réversible : il restera possible de revenir sur des choix antérieurs et les colis de déchets seront récupérables, ce qui signifie qu’ils pourront être retirés du centre de stockage Cigéo. Après cette date, le centre de stockage Cigéo pourra être fermé : la couche géologique se substituera aux actions de surveillance réalisées par la société́ afin de permettre une « sécurité́ passive ».

 Cigéo contre Entreposage longue durée

Les coûts de l’entreposage longue durée : L'ESE retient 50 milliards d'euros sur environ 500 ans dont 35 milliards de coûts d'investissement et d'exploitation des entreposages, et 15 milliards de maintien des compétences. Les données sont là encore limitées. Mais d’autres défis se posent : Il faudra a priori à intervalles réguliers sortir les déchets, contrôler les colis, parfois les reconditionner avant de les remettre dans les nouveaux entreposages tous les 100 ans environ. Ce qui pourrait amener à mettre en place un processus de récupération et des installations tampons supplémentaires pour contrôler les colis et les reconditionner. On pourrait souhaiter examiner de ce point de vue une variante à 75 milliards plutôt que 50, et donc 150 millions d'euros par an versus 100 millions d'euros par an

 Là où la contre-expertise va plus loin que l’expertise c’est sur le calcul des coûts des impacts sanitaires et environnementaux de l’ELD en scénario KO

Explications :Les entreposages de déchets nucléaires MA-VL et HA sont aujourd’hui sous le contrôle des autorités de sureté́ nucléaire (ASN avec l'appui de l'Institut de radioprotection et de sureté́ nucléaire (IRSN), et considérés comme sûrs dans la mesure où la société́ dispose d'institutions, d'un niveau scientifique et technique, et d'un niveau économique comparables ou supérieurs au nôtre.

L’ESE retient comme base du calcul monétaire des impacts sanitaires et environnementaux, la possibilité́ d'un accident grave sur un ELD. La base du calcul est la diffusion dans un périmètre assez large de la majorité des éléments radioactifs contenus dans un nombre important de colis sur des sites analogues à La Hague ou Marcoule en termes de densité de population locale, et l'application de mesures d' évacuation des populations, de décontamination des territoires, aujourd’hui prévues dans les plans d’urgence de gestion de ce type d’accident grave pour éviter le plus possible les impacts sanitaires.

L'impact monétaire de ces mesures serait dans le cadre de ces hypothèses compris entre 100 milliards et 235 milliards d'euros, et leur probabilité d'occurrence comprise dans une société KO entre 10 -3 et 10 -4 par an, (fréquence de 1 000 à 10 000 fois plus importante que celle retenue dans nos sociétés pour la probabilité de fusion du coeur dans les études probabilistes de sûreté). Pour 500 ans et en retenant 10 -3 on obtient une chance sur deux d'occurrence de cet événement, cela pourrait donner un ordre de grandeur de 150 milliards multiplié par 0,5, donc environ 75 milliards d'euros, ou 150 millions d'euros chaque année sur 500 ans si on l'interprète non plus comme une catastrophe instantanée, mais comme des impacts locaux récurrents forts sur la santé des populations locales. De 50 à 75 milliards d'euros sur 500 ans, c'est un ordre de grandeur analogue à celui des coûts d'entreposage qui s'ajoutent alors à ceux-ci dans le calcul des coûts globaux de l’ELD dans les scénarios KO.

(Les auteurs de la contre expertise notent que , l'analogie avec un accident de fusion du cœur n'est sans doute pas la meilleure : un réacteur dispose de  dispositifs de sûreté particulièrement redondants et d’ un bâtiment réacteur muni d'une enceinte de confinement.)

 La conclusion est donc la même que celle de l’expertise de l’Andra, encore renforcée par la prise en compte de la possibilité non négligeable d’un accident grave sur un lieu d’entreposage : L’ELD est à l'évidence moins coûteux que Cigéo si l'on est dans un scénario de croissance durable à très long terme, par exemple de l'ordre de 1 ou 1,5 % par an. Considérant des taux d'actualisation cohérents avec ces taux de croissance, dépenser au-delà de 2100 de l'ordre de 10 milliards d'euros par siècle (coûts de l’ELD) est préférable à dépenser 25 milliards les 100 prochaines années (coûts de Cigéo).

Au contraire, si l'on bascule dans un monde de stagnation séculaire ou millénaire, et donc avec des taux d'actualisation nuls à long terme, les coûts de l’ELD sommés sur plusieurs siècles vont l’emporter. Et plus encore, si l'on bascule dans un monde de décroissance et de fragilité institutionnelle, on aura alors à prendre en compte des risques sanitaires et environnementaux localement autour des entreposages non surveillés voire abandonnés. Le cumul des valorisations monétaires de ces impacts sur plusieurs siècles devient considérable.

En intégrant l’incertitude sur la prospérité́ de nos descendants directement dans l’analyse, nous proposons deux arguments en faveur de Cigéo.

- Argument « prudentiel » : La plausibilité d’une décroissance multiséculaire telle qu’ébauchée dans le rapport ESE nous oblige à actualiser les coûts futurs à un taux plus faible, même si en espérance les générations futures seront plus prospères. Cela favorise les options qui mettent en oeuvre une solution pérenne rapidement, comme le projet Cigéo.

 - Argument « assurantiel : L’option entreposage va engendrer un risque d’accident local important à l’origine de dommages sanitaires et environnementaux particulièrement élevés dans le régime chaotique. Le projet Cigéo offre un contrat d’assurance aux générations futures contre ce risque.

Que faut-il transmettre aux générations futures ? Au-delà de cet exemple, se pose bien, plus largement, la question de ce que nous devons transmettre : patrimoines institutionnel et politique, culturel et moral, scientifique et technique, économique et industriel, environnemental

 Conclusion de la contrexpertise : lancer Cigéo dès que possible !

Cette contre-expertise conclut en faveur de l’intérêt de Cigeo. Mais il faut s’assurer alors de le faire « vite » et « bien » en pensant aux générations futures et en maı̂trisant les coûts et les délais.

La raison d’être de Cigéo est liée à sa capacité de protéger de façon passive les générations futures en cas de décroissance, et donc à la capacité de fermer le site dès que possible. Ce qui implique de ne mobiliser le concept de réversibilité qu’en précisant toujours sa signification, et uniquement lorsqu’il est pertinent au regard de l’objectif recherché pour les générations futures.

Le poids des investissements de la tranche 1 pourrait inciter à repousser l’échéance de quelques décennies, mais la probabilité même faible de scénario chaotique à l’horizon du siècle prochain comme celle de perte du site et des compétences industrielles (constituées ces dernières années) conduisent à recommander le lancement immédiat de Cigéo, en s’assurant des conditions de réussite du projet.

 Quelles sont ces conditions de réussite ?

Le projet, caractérisé par différents maı̂tres d’ouvrage et de nombreux maı̂tres d’oeuvre conduira à gérer de nombreuses interfaces : ingénierie, contractualisation, plannings, réalisation des tra-vaux, contrôle, etc. Sous la responsabilité de l’Andra, une vision intégrée, partagée entre maı̂tres d’ouvrage et maı̂tres d’oeuvre, est nécessaire. Elle doit prendre appui sur un planning fédérateur, des analyses de risques, une anticipation et une gestion des aléas et des recours, des processus de décision adaptés

 Le retour d’expérience de projets industriels de grande ampleur montre que la réussite de la mise en oeuvre implique que le projet soit le plus simple possible, avec une gouvernance et une chaı̂ne de décision lisibles, conçu pour atteindre des objectifs clairs : garantir la protection des générations lointaines à un coût optimisé pour les générations présentes.

Au-delà du rôle de chacun des acteurs institutionnels, la montée en responsabilité de l’Andra, maı̂tre d’ouvrage mais aussi futur exploitant nucléaire et donc premier responsable de la sûreté, est à accompagner et ses compétences à renforcer.

Des simplifications, des gains en robustesse ou les reports de travaux ne mettant pas en cause les objectifs de la phase industrielle pilote mais qui pourraient contribuer à la sécuriser méritent d’être étudiés.

La concertation avec les territoires, enjeu très important du projet, devra permettre un dévelop-pement local efficace, pour ne pas fragiliser sa légitimité dans la durée.









jeudi 22 avril 2021

Dernières nouvelles de la taxonomie

 Résumé des épisodes précédents

En mars 2020, le groupe d’experts étudiant la taxonomie verte européenne (TEG, technical Expert Group), c’est-à-dire un instrument financier destiné à favoriser et orienter les investissements vers les activités durables reconnaissait que « la production d’énergie nucléaire entraine des émissions de gaz à effet de serre proches de zéro dans la phase de production d’énergie et peut contribuer aux objectifs d’atténuation du climat », mais excluait, « à ce stade » l’inscription du nucléaire dans la  taxonomie parce qu’ « il n’a pas été en mesure de conclure que la chaîne de valeur de l’énergie nucléaire ne cause pas de dommages importants à d’autres objectifs environnementaux ».

 

 Cette remarque visait en particulier le problème des déchets nucléaires et le TEG, avouant son manque de compétence sur ces sujets, laissait la porte ouverte à une expertise indépendante ad hoc.

En mars 21,  le JRC, service scientifique interne de la Commission, rend son rapport et concluait favorablement à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie pour les raisons suivantes

 

1) Ses analyses n’ont révélé aucune preuve scientifique que l’énergie nucléaire nuit davantage à la santé humaine ou à l’environnement que les autres technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie en tant qu’activités soutenant l’atténuation du changement climatique.…

 

 2) À l’heure actuelle, il existe un large consensus scientifique et technique selon lequel l’enfouissement des déchets radioactifs de haut niveau et de longue durée dans les formations géologiques profondes est considéré comme un moyen approprié et sûr de les isoler de la biosphère pendant de très longues périodes.

 

3) La production d’électricité à base d’énergie nucléaire peut être considérée comme une activité contribuant de manière significative à l’objectif d’atténuation du changement climatique et  tous les impacts potentiellement nocifs des différentes phases du cycle de vie de l’énergie nucléaire sur la santé humaine et l’environnement peuvent être prévenus et dûment évités.

(cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/taxonomie-europeenne-rapport-du-joint.html)

 

Engagement des syndicats, des politiques de la société civile

 

Dans la même période, plusieurs syndicats européens de l’énergie (pour la France, l'interfédérale FNME-CGT, CFE-CGC Énergies, FCE-CFDT, FO Énergie et Mines, CFE-CGC métallurgie) auxquels se sont joints des syndicats bulgares, finlandais, belges, hongrois et roumains) ont écrit à la Commission Européenne pour  demander l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie :

 

« Exclure l’énergie nucléaire de la taxonomie européenne conduirait donc à fragiliser toute une filière (plus d’un million d’emplois en Europe dont 220 000 en France) qui fournit pourtant actuellement près de la moitié de l’électricité à faible teneur carbone dans l’Union Européenne, permettant ainsi d’économiser annuellement l’émission de plus d’un demi-milliard de tonnes de CO2. En outre, les secteurs utilisateurs de cette énergie, notamment les électrointensifs au cœur de l’industrie européenne, seraient eux aussi fortement impactés….Pour la CFE-CGC, la transition de l’Europe vers sa neutralité carbone ne peut se priver de l’avantage du nucléaire, car c’est la clef de la réussite du Green Deal porté par la Commission européenne. » Communiqué CFE-CGC,  03 - 02 – 2021)

 

 Dans la foulée, l’interfédérale FNME-CGT, CFE CGC Énergies, FCE-CFDT et FO Énergie et Mines écrivait au Président de la République pour lui demander de s’engager résolument « pour éviter l’exclusion du nucléaire de la taxonomie européenne, décision qui aurait des conséquences très négatives pour l’industrie française et les engagements climatiques français et européens. […]C’est en défendant la neutralité technologique bas carbone de la taxonomie et donc l’inclusion du nucléaire que la France apportera sa pierre à d’édifice d’un projet européen climatiquement responsable qui fait de la sécurité énergétique, de la relance économique, de l’ambition sociale et de la relocalisation industrielle ses priorités, tout en préservant son autonomie stratégique en matière énergétique et industrielle. » Communiqué CFE-CGC, 22 mars 2021)

 

Le 25 mars, le Président de la République, M. Emmanuel Macron et les Chefs d’Etat et de Gouvernement de six autres pays européens (Hongrie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont adressé à la Commission Européenne « un appel d'urgence pour assurer des règles du jeu équitables pour l'énergie nucléaire dans l'UE, sans l'exclure des politiques et des avantages climatiques et énergétiques »  demandant que  « les politiques énergétiques et climatiques européennes soutiennent toutes les voies vers la neutralité climatique, selon le principe de la neutralité technologique » et soulignant « l'indispensable contribution (du nucléaire) pour combattre le changement climatique » : «  Nous sommes convaincus que toutes les technologies neutres ou à faibles teneur en carbone qui contribuent à la neutralité carbone… devraient non seulement être reconnues par l’UE, mais également soutenues activement […] C’est particulièrement le cas du nucléaire, dont le développement est l’une des priorités phares du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), contraignant les institutions de l’UE à le mettre en avant »

 

Le 15 avril, lors de la signature d’un  avenant au contrat stratégique de filière nucléaire, Bruno Le Maire confirmait : «  La France se battra pour que le nucléaire soit considéré comme une énergie décarbonée en Europe…Nous pensons que c'est un atout considérable de compétitivité économique pour la France, que nous ne pourrons pas réussir la transition écologique sans le nucléaire…Nous souhaitons que le nucléaire soit présent dans la taxonomie européenne  et nous livrerons ce combat avec la plus grande détermination »

 

Dans les milieux politiques, une nouvelle organisation, PNC France (Patrimoine Nucléaire et Climat) une association transpartisane regroupant notamment  de nombreux politiques (Bernard Accoyer, Arnaud Montebourg, Jean-Pierre Chevènement, Julien Aubert, Christian Bataille, André Chassaigne, Sébastien Jumel, Gérard Longuet, Hervé Mariton, Hubert Védrine, Raphaël Schellenberger..) et des experts ou acteurs du domaine (François-Marie Bréon, Michel Cara, Sylvain Coutterand, Louis Gallois, Jacques Percebois…) a été aussi fort active auprès des institutions françaises et européennes (Commission, Conseil des Etats) :

 

« Les experts scientifiques européens réunis au sein du JRC ont établi que l’énergie nucléaire respecte tous les critères permettant de l’inscrire dans cette taxonomie. Malgré ce point essentiel, les lobbies anti-nucléaires et les pays hostiles à cette énergie ont maintenu contre toute logique leur pression insistante pour écarter cette énergie et admettre le gaz alors que celui-ci émet 70 à 80 fois plus de CO2 !

Pressentant le risque d’approbation d’un acte délégué formalisant une telle orientation, PNC-France s’est fortement mobilisée. En effet, l’enjeu est fondamental pour le climat et pour l’ensemble de la filière nucléaire française, car l’énergie nucléaire est très capitalistique…. Il est donc essentiel de pouvoir accéder aux modes de financements privilégiés qu’apporte la taxonomie. Au-delà de cet effet économique, les investisseurs privés seraient peu enclins à s’engager dans des projets dont la rentabilité ne peut s’évaluer que sur le long terme, et soumis en même temps aux aléas politiciens. Derrière cette perspective se dessinerait en filigrane le risque d’abandon définitif de la filière, avec des conséquences climatiques, économiques et sociales extrêmement graves…

 

PNC-France a donc alerté à nouveau par écrit le Président de la République, le Premier ministre et les membres de l’exécutif concernés ainsi que Mme la Présidente de la Commission européenne, les commissaires impliqués dans cette décision, M. L’ambassadeur auprès du Conseil européen, les députés français au Parlement européen, sans oublier les parlementaires français. »

 

Cette mobilisation politique et syndicale a été accompagnée d’une mobilisation sociétale inédite :  une lettre ouverte a été signée par 46 organisations non-gouvernementales issues de 18 pays appartenant à l’UE et hors UE: Australie, Belgique, Canada, Corée du Sud, Danemark, États-Unis, Finlande,a France,  Grande-Bretagne, Italie,  Norvège,  Pays-Bas,  Philippines,  Pologne, Suède,  Suisse et Taïwan. Initiée par l’association Les Voix du Nucléaire, elle demande l’intégration de l’énergie nucléaire dans la taxonomie de l’UE parce qu’ « exclure l’énergie nucléaire soutient une stratégie de transition énergétique notoirement insuffisante pour décarboner ».

 

« La représentation faussée dont l’énergie nucléaire, la plus importante source d’énergie pauvre en carbone de l’Union européenne, est l’objet, contribue à empêcher son déploiement, et oblige à maintenir en activité des centrales fossiles, pénalisant les efforts pour lutter contre le changement climatique, préserver la souveraineté de l’Europe et bénéficier d’un air plus sain ». Les ONG signataires  demandent que « toutes les sources d’énergie à faible émission de carbone soient équitablement prises en considération dans les discussions actuelles et futures de la Commission européenne, y compris sur la taxonomie et que l’UE soutienne l’évaluation objective de toutes les options qui s’offrent à elle et apportent des faits scientifiques correctes sur l’énergie nucléaire. »

 

« Si l'énergie nucléaire n’est pas intégrée dans la taxonomie de l’UE, les ONG estiment que la Commission devra porter la responsabilité de l’encouragement d'une stratégie notoirement insuffisante pour décarboner l'économie et préserver le climat et les populations ». (9 avril 2021)

 

La Commission tente le passage en force. Le jeu dangereux ( et déloyal ?)  de Pascal Canfin

 

La Commission envisagerait  envisagerait ainsi d’exclure le gaz et le nucléaire de la taxonomie, qui serait validée actuellement et  de présenter au quatrième trimestre de 2021 « une proposition législative distincte» couvrant spécifiquement ces activités, auxquelles pourrait s’ajouter la bioénergie. L’exécutif européen aurait en outre décidé d'abandonner, pour ces industries, le plus grand pouvoir que lui conférait la procédure des actes délégués et de recourir à la procédure législative ordinaire en codécision afin de mettre les Etats membres et le Parlement européen face à leurs responsabilités. Bruxelles entend ainsi permettre « aux colégislateurs de mener un débat transparent sur la contribution du gaz naturel et des technologies nucléaires aux objectifs de décarbonation ».

 

Cette décision a été approuvée par Pascal Canfin qui en revendique même la paternité : « Remettre à plus tard le traitement du gaz et du nucléaire est la solution que je suggérais moi-même à la Commission. Cela permet d’éviter de laisser ces deux énergies polémiques prendre en otage l’ensemble de l’acte délégué »

 

Cette décision est inacceptable sur le fond et sur la forme. Il est inacceptable, anticlimatique, antiscientifique de mettre sur le même plan le nucléaire (6g CO2 /kWh en France, 12g ailleurs) et le gaz (440 gCO2/kWh) sur le même plan. Il est inacceptable de remettre l’accès au financement du nucléaire à des calendes qu’on n’ose même pas appeler grecques, selon un calendrier indéterminé et un processus d’approbation complexe et incertain. Ce n’est ni plus ni moins qu’un étranglement hypocrite du nucléaire en dépit de toutes les évidences scientifique de son rôle majeur dans le combat contre le dérèglement climatique et de son éligibilité à la taxonomie, évidences reconnues par la Grande-Bretagne, les USA, la Russie, la Chine qui l’intègrent dans les équivalents nationaux de leur taxonomie

(https://www.euractiv.fr/section/energie/interview/pascal-canfin-je-mets-en-garde-les-pro-nucleaires-contre-la-ligne-dure-francaise/)

D’autres affirmations de Pascal Canfin éclairent le contexte et le scandale absolu que serait le non-prise en compte du nucléaire dans la taxonomie, le plus vite possible :

P. Canfin : « A l’heure actuelle, tout le monde est d’accord pour dire que le gaz ou le nucléaire ne sont pas dans la catégorie « verte »…

Non, pour le nucléaire : tout le monde chez les experts est d’accord pour dire que le nucléaire contribue significativement à la lutte contre le réchauffement climatique et respecte le critère d’innocuité (Do Not Significantly Harm) d’inclusion dans la taxonomie. Y compris sur le problème des déchets qui a fait l’objet de nombreux rapports  ( cf ; l’avis du JRC mais aussi un rapport très complet de la NEA.

JRC report  : https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/taxonomie-europeenne-rapport-du-joint.html

https://lnkd.in/euD-fHb

NEA report : https://www.oecd.org/publications/management-and-disposal-of-high-level-radioactive-waste-33f65af2-en.htm

https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/09/le-probleme-des-dechets-ultimes-du.html

En revanche, si  tout le monde signifie tout le monde chez les écolos bigots, les khmers verts hostiles à toute rationalité scientifique….

 P. Canfin : « Si on crée un acte délégué pour inclure le gaz et le nucléaire dans la taxonomie, certains diront que cela discrédite l’ensemble de la taxonomie. »

 Ben non. Ce qui discréditerait la taxonomie, ce serait si elle ne tenait aucun compte des évidences scientifiques sur le nucléaire, et surtout qu’il s’agit de la seule source d’énergie pilotable (disponible quand le besoin s’en fait sentir) et économique. Et l’Europe serait une fois de plus ridicule, et les ingénieurs et les financiers ayant horreur de l’absurde, ce serait finalement une autre taxonomie, sans doute la taxonomie américaine qui fixerait les règles . Brillant !

 P. Canfin : « si la Commission choisissait la voie d’un règlement, qui serait donc débattu, négocié et amendé par le Parlement et le Conseil, la ligne rouge pour moi serait de toucher au seuil du principe d’innocuité, le « do no significant harm » en anglais »

 Encore là, vous vous fichez du monde. Le «  Do Not Significantly Harm pour le nucléaire a été établi par la JRC sur l’ensemble du cycle de vie du nucléaire. En revanche, cela n’a été ni établi, ni exigé, ni même demandé pour le solaire et l’éolien. Et il y aurait beaucoup à dire sur leur véritable durabilité, les conditions d’extractions de certaines matières premières, la sensibilité  à certaines ressources rares et leur épuisement, de l’espace occupé etc. La neutralité technologique, qui devait être à la base de la taxonomie a été bafouée du début à la fin.

 P. Canfin : Un acte délégué irait beaucoup plus vite qu’un nouveau règlement qui mettra au moins douze mois à être voté.

 Merci de cet aveu !

 A noter que la position prise par Christophe Grudler   : « Avec près de 30 collègues eurodéputés, nous demandons à la Commission de ne pas publier l’acte délégué, et de prendre le temps d'avoir une classification de TOUTES les énergies bas carbone » est en contradiction complète avec la position de Pascal Canfin.  Avec le rapport publié par les groupes Renew Europe et ECR Vers la neutralité climatique de l’UE d’ici 2050 /Empreinte spatiale de l’énergie éolienne/solaire et nucléaire et leurs coûts respectifs (https://roadtoclimateneutrality.eu/Energy_Study_Full.pdf) très favorable au nucléaire, ceci confirme que Canfin, pourtant à la tête de la Commission ENVI ne représente plus du tout les positions de Renew, ni celles de la France et se laisse emporter par son dogmatisme antinucléaire. Il serait assez logique qu’il démissionne !

(https://twitter.com/GrudlerCh/status/1382692971779342340)

Résultat des courses, tout chaud (21 avril 2021) ! Vers un autre acte délégué ?

« Conformément au cadre juridique et à nos engagements passés, la Commission adoptera un acte complémentaire délégué du règlement de l’UE sur la taxonomie couvrant des activités qui ne sont pas encore couvertes par la loi de l’UE sur les délégués au climat en matière de taxonomie, telles que l’agriculture, certains secteurs de l’énergie et certaines activités manufacturières.

 Cette loi complémentaire déléguée couvrira l’énergie nucléaire sous réserve et conforme aux résultats du processus d’examen spécifique en cours conformément au règlement de l’UE sur la taxonomie. Ce processus est basé sur le rapport technique indépendant et scientifique publié en mars 2021 par le Centre commun de recherche, le service scientifique et de connaissance de la Commission européenne. Un examen de ce rapport est en cours par l’intermédiaire de deux groupes d’experts, un  groupe d’experts  Euratom et le Comité scientifique sur la santé, l’environnement et les risques émergents (SCHEER), pour compléter l’évaluation scientifique et il sera finalisé en Juin 2021. »

 Bon, c’est pas encore tout à fait clair, clair, mais cela semble beaucoup plus favorable que les positions précédentes. Mais que cette avancée vers la rationalité  scientifique, technique, climatique, économique et sociale a été pénible et… énergivore ! Et surtout, peut-on avoir encore confiance dans cette Commission et ses engagements, vu sa mauvaise volonté évidente et  sa procrastination ? Certains le pensent ( eg Grudler, Renew) d'autres restent sur la position de refuser le premier acte délégué et de le reporter jusqu'à inclusion du nucléaire ( députés français du PPE et plueirs pays de l'Est). A suivre..